Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, à "Radio classique " le 12 avril 2013, sur le climat politique induit par l'affaire "Cahuzac", sur les débats au sein de la majorité sur les choix économiques du gouvernement.

Prononcé le

Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Fleur PELLERIN on va évidemment parler de votre ministère, on est ravi de vous accueillir, avec Perrine, ce matin. Mais est-ce que vous n’avez pas l’impression d’appartenir à un gouvernement assiégé ? Quand on lit, les journaux par exemple, là, je ne parle même pas du gouvernement, il s’agit du président de la République « Pépère est-il à la hauteur ? » LE POINT. « La gauche piégée par l’argent » LE NOUVEL OBSERVATEUR qui est quand même un journal de gauche. Est-ce que vous n’avez pas ce sentiment ?
FLEUR PELLERIN
Je vois difficilement comment je pourrais vous dire le contraire. Effectivement la période est difficile, la presse est critique, l’opinion, je crois, aussi, nous fait remonter un certain nombre de messages qui sont des messages critiques. Mais je pense que dans cette période qui est à la fois difficile sur un plan économique, sur un plan moral. Je pense que le président de la République, le Premier ministre ont pris des décisions pour à la fois rassurer et assainir un certain nombre de pratiques. Rassurer sur la pratique politique, et puis pour le reste, nous continuons à faire notre travail. Je crois que l’important, en tout cas moi, je considère que l’important pour le gouvernement, c’est de continuer à mener les chantiers qui sont en cours. Ils sont nombreux, ils sont au service des Français, voilà !
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce qu’on peut justement mener ces chantiers, comme par exemple à l’exemple de Pierre MOSCOVICI qui est d’une certaine manière votre voisin de bureau, même si c’est le patron de Bercy. Il est assiégé ! Et à chaque heure qui passe, on a l’impression que la droite essaie de débusquer une faille dans le dispositif de défense qu’il a mis sur pied ?
FLEUR PELLERIN
C’est vrai que c’est difficile pour le ministre de l’Economie et des Finances, lorsqu’il est sans cesse interpellé, que ce soit par les parlementaires ou par la presse, pour rendre des comptes et justifier une action qu’il a mené, de continuer à travailler sur les dossiers internationaux, sur les dossiers européens qui sont nombreux, on voit bien que la zone euro, doit quand même continuer à préoccuper nos gouvernements, la politique européenne, la politique économique. Donc c’est vrai que c’est une période qui est difficile.
GUILLAUME DURAND
Il n’y a pas eu une mission clandestine en décembre par exemple ?
FLEUR PELLERIN
Mais absolument pas ! Je crois que d’ailleurs, il a apporté ses réponses…
PERRINE TARNEAUD
Et vous estimez qu’il a été disculpé hier, par les présidents des commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat…
FLEUR PELLERIN
Il n’est pas inculpé de…
PERRINE TARNEAUD
Philippe MARINI et Gilles CARREZ ?
FLEUR PELLERIN
Il n’est disculpé, parce qu’il n’est pas inculpé. Je crois qu’il a rendu des comptes sur la manière dont administrativement, les choses se sont passées avec l’administration fiscale. C’est le chef de l’administration fiscale, il a expliqué comment les choses s’étaient passées. Les présidents des commissions des finances sont venus à Bercy étudier un certain nombre de dossiers. Voilà, je pense que tout ça se fait dans un cadre démocratique, il n’y a pas eu de pression, il n’y a pas eu de pression sur la presse, ni sur les administrations. Les choses ont suivi leur cours, vous savez, on a fait les choses de manière extrêmement régulière, je pense que Pierre MOSCOVICI s’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, on lui aurait reproché de ne pas l’avoir fait. Donc là, on est un peu dans une période où en réalité, on est un peu accusé de tout et de son contraire.
GUILLAUME DURAND
Assiégé.
FLEUR PELLERIN
Donc je pense qu’il faut aussi laisser les choses retomber. Je pense que ça a été une véritable onde de choc. Je pense que le mensonge de Jérôme CAHUZAC a beaucoup choqué les gens. Je pense que voilà, je crois que les mesures qui ont été prises et les annonces qui ont été faites par le président de la République, à la fois sur le patrimoine, sur la transparence de la vie politique, et surtout, surtout, sur la lutte contre les paradis fiscaux, sur la lutte contre l’optimisation fiscale ou la fraude fiscale, c’est ça qui est important.
PERRINE TARNEAUD
Mais ces mesures annoncées, Fleur PELLERIN, ces mesures annoncées par François HOLLANDE, cette semaine, elles sont déjà à la fois contestées par les politiques. Et puis, les professionnels, les magistrats, aussi sont dubitatifs. Alors est-ce que ce choc de moralisation dépassera le stade du coup politique ?
FLEUR PELLERIN
Je crois que c’est absolument normal, que ça suscite un débat. Il y a des pays qui sont depuis très longtemps, culturellement…
PERRINE TARNEAUD
Débat, mais aussi contestation, notamment de la part de Claude BARTOLONE, le président de l’Assemblée nationale ?
FLEUR PELLERIN
Oui, il y a des pays qui comme les pays scandinaves, qui sont culturellement très attachés, à ces pratiques de transparence et où ça ne pause absolument aucun problème que les élus, les parlements, les gens qui exercent des responsabilités publiques très importantes, publient leur patrimoine, soit transparent sur leur patrimoine et leurs revenus et c’est entré dans les moeurs. En France, on a peut-être moins cette tradition, enfin, les patrimoines étaient déclarés mais peut-être pas publiés, et c’est normal, que ça créait un débat, que certains soient d’accords, pas d’accords, parce que le point d’équilibre est difficile à trouver, entre la transparence et le déballage. Et je crois que c’est ça aujourd’hui. Tout le monde, moi, je n’ai aucune difficulté, je suis magistrate, en plus j’ai prêté serment, donc ça ne me pose aucune difficulté de déclarer mon patrimoine, qu’il soit contrôlé, que je fasse l’objet de contrôle…
PERRINE TARNEAUD
Ce que vous allez faire lundi, comme tous les autres ministres ?
FLEUR PELLERIN
Oui, oui, ça ne me pose absolument aucun problème. Mais après…
PERRINE TARNEAUD
Mais ce sera de nature à restaurer la confiance des Français ?
FLEUR PELLERIN
Je pense que c’est indispensable, je pense que nous ne pouvons pas y échapper, parce que les Français ont besoin de savoir, que les gens qui se consacrent au service du public, que ce soit des fonctionnaires ou des hommes politiques, ils ne sont pas là pour s’enrichir. Ils sont là, ils sont au service du public, et je pense qu’ils ont besoin d’avoir la preuve matérielle, que voilà ! C’est quand même un choix de vie, qui n’est pas le choix de vie, de faire de l’argent, ce qui n’est pas du tout, un jugement de morale. Je pense qu’on peut vouloir aussi, se constituer un patrimoine, le transmettre à ses enfants etc. le choix du service public, c’est un autre choix, et je crois que ça doit être clair pour nos concitoyens.
GUILLAUME DURAND
Justement, il y a un problème qui est posé par tout ça, c’est que vous avez justement à gauche, avec Claude BARTOLONE, des gens qui ne sont pas franchement d’accords, et sur le plan de la politique économique, encore ce matin, 30 députés qui ne sont pas d’accords du tout, avec la politique qui est menée. Est-ce qu’on n’est pas finalement au départ de tout ça, d’abord est avant tout dans une crise d’autorité, du leadership, c’est pour ça, que je reviens à la Une des journaux. C'est-à-dire une mise en cause de François HOLLANDE à laquelle vous répondriez pas : moralisation. Mais le sujet n’est pas là ?
FLEUR PELLERIN
Non. Je suis absolument d’accord. Je pense qu’il y a plusieurs sujets, il y a le sujet de la moralisation qui fait suite en réalité aux révélations, sur Jérôme CAHUZAC, et donc ce sont des mesures qui étaient absolument nécessaires. Je pense. Et de manière plus générale, et je crois qu’il y a la réaffirmation constante depuis le début du mandat du président de la République par le Premier ministre et le président de la République, d’une ligne économique qui est celle de la responsabilité budgétaire…
GUILLAUME DURAND
Mais qui est contestée par MONTEBOURG, qui est à côté de vous à Bercy…
FLEUR PELLERIN
Mais qui est contesté parce que c’est vrai que c’est une politique qui est difficile…
GUILLAUME DURAND
Par DUFLOT, par HAMON.
FLEUR PELLERIN
A assumer quand on est politique, parce que vous voyez bien les cotes de popularité qui sont en baisse, ce sont les résultats d’une politique qui n’est pas populaire, mais donc nous savions très bien, en prenant…
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, je vais être franc. Pourquoi il ne les sort pas alors ? Pourquoi il ne les sort pas ?
FLEUR PELLERIN
Mais parce qu’il y a des questions, vous savez on est dans un dialogue démocratique au sein même du gouvernement. Je crois que nous avons des échanges…
PERRINE TARNEAUD
Mais ça peut durer encore longtemps cette cohabitation entre MONTEBOURG et Jean-Marc AYRAULT ?
FLEUR PELLERIN
Je pense que le président de la République a été relativement clair, dans sa déclaration hier, où il est expliqué la ligne est celle que je répète depuis le début. C'est-à-dire la responsabilité budgétaire. Et désormais, je pense que cette ligne doit être la ligne défendue par l’ensemble du gouvernement. Donc je crois que c’est une mise au point qui est claire.
GUILLAUME DURAND
Concernant votre ministère, il y a l’affaire APPLE. Qu’est-ce qu’on peut faire justement, contre des grandes sociétés qui décident finalement de faire le ménage, au fond autour de tous ceux qui ne respectent pas leur domination économique sur le marché. Il s’agit dans le cas présent d’APPGRATIS, qu’est-ce que vous allez faire ?
FLEUR PELLERIN
Déjà dans le cas, dans ce cas particulier d’APPGRATIS, j’essaie de faire un peu la médiatrice pour qu’il puisse se renouer, enfin le dialogue puisse se renouer entre les dirigeants d’APPGRATIS et APPLE, parce que pour l’instant, il n’y a plus du tout de dialogue. Il a été rompu et les dirigeants de l’entreprise n’ont pas du tout d’explication, sur la manière dont ils pourraient améliorer, changer techniquement leur application pour qu’elles soient à nouveau acceptables éventuellement par l’Appstore.
PERRINE TARNEAUD
Mais vous avez des moyens de pression, de leviers sur APPLE ?
FLEUR PELLERIN
Pour l’instant, on n’est pas dans la mesure de rétorsion, et puis l’Etat n’a pas vraiment à intervenir dans ce qui est une négociation privée. Moi, ce que j’ai souhaité faire…
PERRINE TARNEAUD
Non, mais dans votre médiation, vous avez…
FLEUR PELLERIN
Ce n’est pas une médiation non plus. Ce que j’ai souhaité vraiment mettre en lumière à travers cet exemple, qui me paraîtrait symptomatique, très topique, d’une situation actuelle, c’est qu’aujourd’hui, vous avez que ce soit des réseaux ou que ce soit des plateformes, que ce soit comme l’Appstore, que ce soit des moteurs de recherche, vous avez un certain nombre d’acteurs, sont dans des positions que je ne qualifierai pas juridiquement de dominantes, mais dans les faits c’est bien…
GUILLAUME DURAND
Elles le sont de fait ?
FLEUR PELLERIN
C’est bien ce qui se passe. Il y a des procédures en cours à la Commission européenne. Il y a eu des procédures à la Federal Trade Commission aux Etats-Unis, pour mettre en évidence que ces sociétés sont en position monopolistique et qu’elles en abusent parfois, pour mettre en valeur leurs propres services. Et je crois que ça, c’est une situation qui est d’un point de vue économique et éthique, inacceptable. Alors aujourd’hui, le problème, c’est que nous n’avons pas les outils juridiques, réglementaires de régulation qui nous permettent de protéger les écosystèmes locaux, c'est-à-dire les entreprises françaises, contre ce type de pratiques. Et c’est bien là-dessus que j’essaie de trouver des solutions et d’apporter des solutions, de régulations ou juridiques, ce n’est pas une question de brider l’économie numérique, ce n’est pas une question de brider l’innovation, c’est une question de rétablir de l’équité, dans les rapports entre ces géants du net, et des start-up ou des entreprises qui sont plus faibles.
GUILLAUME DURAND
Justement, puisque diriger ce secteur, en tout cas que vous réfléchissez. Comment est-ce possible, qu’il n’y ait pas à terme des GOOGLE français, anglais, enfin qu’on sorte justement de cette domination ?
FLEUR PELLERIN
Oui…
GUILLAUME DURAND
Parce que ce n’est pas par l’administration qu’on va en sortir. C’est juste par la concurrence ?
FLEUR PELLERIN
Non, mais je pense que c’est, pour que se créaient des positions pour lutter contre ces monopoles et pour que se créaient des positions fortes ou dominantes ou alternatives, je crois qu’il est sans doute nécessaire que l’Etat puisse soutenir un certain nombre d’innovations. Donc c’est ce que je fais moi, dans le cadre de mon portefeuille, parce que j’ai fait en sorte qu’un certain nombre d’instruments publics, pour soutenir des entreprises innovantes ou des programmes de recherche qui visent justement à créer ce type d’outils, puissent être mis à la disposition des entreprises, qui le souhaitent. Et évidemment, je crois que c’est une préoccupation française, mais aussi, européenne, parce que ces histoires-là sont…
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que ça existe ? Est-ce qu’il y a actuellement, en France, des moteurs de recherche…
FLEUR PELLERIN
Non, ça n’existe pas. Il y a eu des projets…
GUILLAUME DURAND
Qui peuvent être un peu concurrent des grands organismes dont on parle avec Perrine ?
FLEUR PELLERIN
Oui, il y a deux moteurs de recherche, qui ont été lancés, il y a quelques mois, Ante et Quante (phonétique) qui sont des moteurs de recherche qui sont très intéressants parce qu’ils vont chercher dans les réseaux sociaux. Ils ajoutent des nouvelles fonctionnalités, à celles que peut offrir un moteur comme GOOGLE, qui se contente de chercher uniquement dans les sites web. Donc il y a des fonctionnalités intéressantes, mais le problème de ces moteurs-là…
GUILLAUME DURAND
C’est leur part de marché ?
FLEUR PELLERIN
C’est d’obtenir une part de marché critique qui leur permet de générer des revenus publicitaires et voilà ! Donc ce qui est difficile pour eux, c’est d’atteindre cette taille critique. Et c’est là, que peut-être, on peut les aider par la recherche et développement, par un soutien, et personnellement je souhaite vraiment que les positions dominantes, un certain nombre de positions dominantes puissent être contestées par des acteurs européens.
PERRINE TARNEAUD
Il manque peut-être aussi, un climat de confiance économique, le chef de l’Etat va annoncer encore un choc de compétitivité pour les, un plan pour les PME, à la fin du mois, je crois. Est-ce que ça va être de nature à renouer définitivement les liens avec les Pigeons ? Ces entrepreneurs qui avaient fortement contesté vos mesures fiscales ?
FLEUR PELLERIN
Le tissu économique français ne se résume pas aux Pigeons. Moi, ce que j’ai toujours souhaité faire, c’était…
PERRINE TARNEAUD
Ça a été quand même un mouvement d’une certaine ampleur ?
FLEUR PELLERIN
C’était de maintenir un dialogue, permanent, avec les entreprises, y compris d’ailleurs au moment de cette contestation forte du régime des plus-values de cession, donc qui était mené par les entrepreneurs, dit Les Pigeons. Moi, je n’ai jamais cessé le dialogue avec ces entreprises, puisque je considère que nous sommes dans une période de crise, c’est vrai, on demande des efforts aux entreprises…
PERRINE TARNEAUD
Dialogue d’accord, mais aussi, créé des conditions de confiance ?
FLEUR PELLERIN
Et en même temps je souhaite, évidemment parce que la croissance ne va pas voilà, se générer toute seule. Bien sûr, elle va naître des entrepreneurs, elle va naître des salariés qui travaillent pour ces entrepreneurs, et donc il faut bien qu’on trouve les conditions de cette confiance, dont vous parliez tout à l’heure, parce que je pense qu’elle est absolument indispensable pour que les entreprises créaient de l’emploi, investissent, se projettent dans l’avenir, exportent et je crois que ce climat de confiance, il est absolument indispensable. Et les Assises de l’Entrepreneuriat que je coordonne à la demande du Premier ministre et dans lequel, on réfléchit sans tabou aux questions de financement des entreprises, aux questions de fiscalité aussi. Eh bien, elles auront pour objectif d’apporter des solutions, d’améliorer l’environnement des entreprises et je pense que le gouvernement sera prêt à annoncer des mesures, opérationnelles, concrètes, pour améliorer ce climat et redonner de la confiance aux entrepreneurs. Parce que c’est vrai que c’est important.
PERRINE TARNEAUD
Ce sera quand ? Fin avril ? Début mai ?
FLEUR PELLERIN
Fin avril, oui.
PERRINE TARNEAUD
Avril.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 avril 2013