Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement industriel, à "France Inter" le 11 avril 2013, sur le débat sur les politiques économiques de l'Union européenne, sur l'accord passé avec Mittal.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
Bonjour.
PATRICK COHEN
Aucun ministre ne peut remettre en cause la politique qui est conduite et qui n’est pas l’austérité, a dit hier François HOLLANDE en réponse à vos critiques ; allez-vous rester dans ce gouvernement dont vous désapprouvez la politique économique ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois que vous faites une erreur dans mes propos…
PATRICK COHEN
Alors je ne suis pas le seul !
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, justement, ça me permet d’utiliser votre micro pour dire les choses. Est-ce que nous pouvons avoir un débat sur les politiques économiques de l’Union européenne, car l’Union européenne n’est pas un objet extérieur, nous y participons, mais d’autres Etats membres y participent. Aujourd’hui, il y a un débat mondial sur la façon dont l’Union européenne se positionne sur la question du rétablissement des finances publiques, et en même temps, sur sa croissance.
PATRICK COHEN
Mais qui, au sein du gouvernement, à part vous, conteste la politique de l’Union européenne ? Quelle est la voix qui se fait entendre ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, le président de la République par exemple, lorsque celui-ci dit : avec l’Allemagne, nous sommes en tension amicale, l’austérité, c’est condamner l’Europe à l’explosion, on voit déjà monter les égoïsmes nationaux, c’est la certitude d’avoir des gouvernements impopulaires, dont les populistes ne feront d’une bouchée ! Je suis pour le redressement, pas pour la maison de redressement ! Je suis exactement sur cette ligne-là. Pourquoi ? Parce que nous avons été élus pour réorienter l’Union européenne, non pas dans le sens de la récession et l’austérité, mais dans le sens de la croissance et de la reprise, de la création des emplois dans toute la zone euro.
PATRICK COHEN
La politique économique que nous menons est sous la contrainte de l’Union européenne, Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois que la façon dont la Commission européenne, aujourd’hui, organise ses diagnostics, prépare ses remèdes ne correspond pas, d’abord, au consensus des économistes. Nous avons le droit et le devoir de le dire. Il y a de très nombreux économistes européens, d’ailleurs de toutes sensibilités, qui se sont exprimés dès la fin 2012 pour dire : attention, il y a des erreurs d’appréciation. Madame LAGARDE, enfin, ce n’est même pas madame LAGARDE, le Fonds monétaire international a déclaré : l’effet des plans d’austérité sur la croissance est plus fort que nous avions anticipé, c’était une erreur d’appréciation. Donc que dit le FMI, qui a ouvert le débat avec la Commission européenne : attention de ne pas tuer la croissance. Donc nous, notre travail de responsables politiques, le président de la République en tête, c’est d’éviter que l’Europe ne soit qu’une, finalement, mécanique à détruire la croissance, c’est la seule région dans le monde qui est en récession. Il y a dix pays sur dix-sept pays de la zone euro qui sont en récession, et toutes les prévisions de la Commission ont été gravement démenties. Je vous rappelle quand même que, et pour la zone euro, comme pour la France, on prévoyait en 2013 1,4% de croissance, pour les deux. Et on est, dernier trimestre 2012, moins 0,6 pour l’Allemagne, moins 0,7 pour l’Espagne, moins 0,3 pour la France, moins 0,6 zone euro. Donc franchement, les erreurs d’appréciation que signale madame LAGARDE sont parfaitement justifiées.
PATRICK COHEN
La politique économique que suit la France aujourd’hui, c’est l’austérité ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ah non, c’est la politique du sérieux budgétaire. Mais nous avons besoin d’être aidés par l’Europe pour que celle-ci évite de multiplier…
PATRICK COHEN
Sérieux budgétaire dont vous avez dit qu’il était absurde et dangereux.
ARNAUD MONTEBOURG
Qu’il pouvait, en effet, l’être, pour une raison simple, et je vais vous dire pourquoi, c’est que nous avons fait des efforts sans précédent l’année dernière, trente milliards, la Cour des comptes nous a d’ailleurs félicités, la Commission européenne a souligné la force de nos efforts. Mais nous demandons de l’aide à l’Europe pour que, partout, elle utilise d’ailleurs les ressources qui existent pour relancer l’économie. Et que dit par exemple le secrétaire au Trésor américain, qui est venu en tournée européenne, il dit exactement ce que nous disons, nous, il dit : il y a des pays à excédents, il faut utiliser le levier de la relance, notamment du côté de l’Allemagne.
PATRICK COHEN
Donc le changement de cap que vous réclamez, c’est pour l’Union européenne, Arnaud MONTEBOURG, je vous ai bien compris ?
ARNAUD MONTEBOURG
Mais donc pour nous-mêmes ! Parce que cela veut dire que si l’Union européenne nous aide, nous serons en mesure d’avoir plus de croissance, vous avez remarqué que ce que nous faisons, c’est à la fois remettre de l’ordre dans les finances publiques dévastées par ces dernières années, je regrette, mais nous avons des montagnes himalayennes de dettes, nous en sommes à 600 milliards, et nous empruntons 180 milliards par an…
PATRICK COHEN
Et…
ARNAUD MONTEBOURG
… Les fins de mois des fonctionnaires…
PATRICK COHEN
Et en attendant ce changement de cap de l’Union européenne, il faudra faire 3% de déficits en 2014, est-ce que cet objectif, vous le prenez en compte…
ARNAUD MONTEBOURG
Mais ce n’est pas en attendant, c’est un combat permanent, quand le président de la République s’exprime ainsi, quand Pierre MOSCOVICI…
PATRICK COHEN
Il faudra faire 3% en 2014…
ARNAUD MONTEBOURG
Dit lui-même qu’il faut une approche rééquilibrée entre la protection de la croissance, et en même temps le rétablissement des finances publiques, il dit exactement la même chose que le secrétaire au Trésor américain, que monsieur STIGLITZ ce matin, qui dit : tiens, le Japon a peut-être raison d’avoir une politique monétaire différente de celle des Européens. Quand d’ailleurs les Américains nous disent : vous devriez faire comme nous, parce que c’est ce qu’ils disent, avec la Banque centrale, c’est-à-dire de monétiser une partie de la dette, il faut quand même savoir que la Banque centrale européenne n’a que 2% de dettes publiques dans son bilan, alors que la Federal Reserve Bank en est à 10%. La Banque d’Angleterre en est à 25%. Et la Banque du Japon a décidé d’injecter des milliards dans l’économie, pour avoir un peu d’inflation, pour accommoder les choses. Et je ne crois pas que ces dirigeants politiques soient des gauchistes, ce sont des gens qui raisonnent en fonction des besoins de leurs populations et de l’économie réelle.
PATRICK COHEN
Faudra-t-il revenir à l’objectif de 3% de déficits en 2014, comme votre collègue, Bernard CAZENEUVE, le dit ce matin, dans LES ECHOS, ce qui suppose – allez – environ une quinzaine de milliards d’euros d’économies supplémentaires pour le budget 2014 ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous faisons des efforts sur nos dépenses publiques, pourquoi ? Parce que tout le monde a compris que nous ne pouvons pas continuer à augmenter les impôts…
PATRICK COHEN
Ça, on a compris, mais les 3% ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je laisse les hommes des chiffres parler au nom de la France. En ce qui me concerne, je n’ai pas cette compétence, en revanche, moi, j’ai la compétence de l’industrie. Donc moi, j’ai besoin de croissance pour éviter les fermetures d’entreprises, pour éviter que l’économie ne donne des signes de faiblesse, je ne peux pas accepter que des entreprises, même performantes aujourd’hui, aient des difficultés à se financer parce qu’il n’y a pas de perspectives de croissance. Et je dois vous dire, pour que la France soit attractive, elle a besoin de croissance, pour qu’il y ait des flux d’investissement vers notre pays, elle a besoin de croissance. Donc notre travail à tous, c’est une bataille collective pour la croissance.
PATRICK COHEN
Donc vous restez au gouvernement et vous continuez à travailler avec Jean-Marc AYRAULT en bonne entente.
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien écoutez, nous sommes dans une action collective, il y a des discussions dans le gouvernement, d’ailleurs, je trouve que ces discussions se passent bien, nous avons besoin de nous dire les choses, et quand il y a des arbitrages…
PATRICK COHEN
Y compris en public…
ARNAUD MONTEBOURG
Et quand il y a des arbitrages, eh bien, les arbitrages sont rendus. Ce que je sais, c’est que dans la discussion avec l’Union européenne, il est normal que la France, comme l’a fait le président de la République, envoie des messages politiques volontaristes, parce que, on ne peut pas rester aujourd’hui avec une politique dogmatique de l’Union européenne, quand des économistes disent : attention, la politique de l’austérité partout en Europe, c’est la débâcle, je ne fais que paraphraser le consensus des économistes européens.
PATRICK COHEN
Il n’y a rien à changer au gouvernement sur le fond ou sur la forme aujourd’hui, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien écoutez, le gouvernement fait aujourd’hui de nombreux efforts pour rétablir les finances publiques, parce que nous avons aujourd’hui finalement à gérer les conséquences de ce que nous ont laissé nos prédécesseurs…
PATRICK COHEN
Ce n’est pas ma question…
ARNAUD MONTEBOURG
Mais c’est ça le problème…
PATRICK COHEN
Il n’y a rien à changer ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, ça, on le fait. Quand on mobilise le pays autour – industriel d’ailleurs – autour du made in France, quand on réforme l’Education nationale, quand on trouve les conditions d’un accord entre les partenaires sociaux sur les conditions du dialogue dans l’entreprise, quand des entreprises sont en difficulté, ce sont des progrès, et ce sont les moyens de répondre aux difficultés des temps.
PATRICK COHEN
La mort des hauts-fourneaux de Florange sera entérinée aujourd’hui, lors d’un comité d’entreprise chez MITTAL ; la dernière flamme sera éteinte lundi, c’est encore un combat perdu, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ah ben écoutez, c’est en tout cas, je crois, une décision qui a été prise, donc le choix qui a été fait, c’est de passer un accord avec MITTAL, je conseille d’ailleurs à la firme MITTAL de bien respecter les conditions de l’accord, car un certain nombre de choses ont été dites, y compris par le Premier ministre, sur les conditions dans lesquelles le gouvernement ne laissera pas piétiner un accord. Partout en Europe, des foyers de tension ont été créés par MITTAL, qui parce qu’il est à la tête d’une entreprise surendettée, se retrouve en situation de devoir, pour des raisons financières, fermer des outils industriels, qui sont pourtant performants. Donc cette situation a donné lieu à des réprimandes de la Commission européenne, à des réactions très négatives et alignées sur la nôtre du gouvernement belge, luxembourgeois. Donc cela montre bien que, il y a un problème MITTAL en Europe, nous le savons, et c’est une des raisons pour lesquelles, ces gouvernements, comme la Commission européenne, et les organisations syndicales ont une position aujourd’hui très unitaire.
PATRICK COHEN
Bernard ARNAULT qui renonce à prendre la nationalité belge, c’est une bonne nouvelle ?
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, c’est un acte patriotique, et je crois que le gouvernement qui l’avait incité à renoncer à cette idée, je crois, a eu raison de le faire. Je voudrais d’ailleurs signaler qu’il y a de très nombreux de nos amis dans les pays voisins qui viennent en France prendre la nationalité française, on devrait aussi s’en réjouir. Et il y a aussi de nombreuses personnes qui fuient le fisc dans d’autres pays qui viennent en France. On devrait aussi le noter parfois. Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles dans notre pays.
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG, invité de FRANCE INTER, on vous retrouve dans quelques minutes. Et on parlera de la lutte contre les paradis fiscaux, c’est l’un de vos anciens combats. Mais je sais qu’il est toujours là. On évoquera le plan annoncé hier par François HOLLANDE, et on va en parler tout de suite dans « La revue de presse. »
source : Service d'information du Gouvernement, le 12 avril 2013