Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, accordée aux radios françaises le 5 mai 1999, sur la nécessité d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Kosovo et la présence militaire pour le rétablissement de la paix.

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Circonstance : 4ème conférence stratégique annuelle de l'IRIS (Institut des Relations internationales et stratégiques) à Paris les 4 et 5 mai 1999

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, la réunion de demain à Bonn est très importante puisque les Russes y participeront.
R - La réunion demain à Bonn est importante en effet parce que pour la première fois, depuis le passage à l'emploi de la force auquel il a fallu se résoudre au Kosovo, on retrouvera ensemble, dans une même réunion, les ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, de Russie, de France, d'Allemagne, d'Italie et aussi du Japon.
Nous allons travailler ensemble à cette solution qui est en gestation, mais qui reste à confirmer. Ce sera l'objet du travail de demain.
Q - Pensez-vous qu'en ce moment, il y ait un frémissement au niveau diplomatique qui pourrait aller vers une sortie de secours ?
R - Cette réunion en est un signe. Nous avons un accord sur les grands principes, mais il y a encore du travail à faire pour les préciser. L'accord porte sur le fait que c'est au Conseil de sécurité de définir dans une résolution les principes généraux - c'est très important et c'est largement dû à l'insistance de la France sur le rôle du Conseil de sécurité.
Il y a deux volets ensuite : la situation civile, politique du Kosovo qui doit rester autonome, mais qui doit être, d'une façon ou d'une autre, placé sous protection internationale. Là-dessus, la France a proposé que l'administration du Kosovo soit confiée notamment à l'Union européenne, ce qui ne l'empêchera pas de travailler avec les Etats-Unis et les Russes dans le cadre de l'OSCE ; c'est un premier volet d'autonomie. Aucun gouvernement de l'Alliance n'a ni changé de position sur ce point, ni adopté l'idée d'une indépendance, étant donné les réactions en chaîne et les tragédies supplémentaires que cela créerait.
Mais il y a un volet complémentaire et absolument indispensable qui est la présence d'une force militaire de sécurité dans le Kosovo de demain : si elle n'est pas là, les déportés ne rentreront pas. Une fois qu'ils seront rentrés, la coexistence sur ces mêmes terres - ils sont tous là depuis longtemps - entre les Kosovars déportés, martyrisés, maltraités et enfin revenus, et les Serbes qui habitent là aussi depuis toujours, est impossible s'il n'y a pas cette sécurité, cette interposition et cette protection.
Q - Par quels pays cette force militaire serait-elle constituée ?
R - C'est un des sujets sur lequel nous allons travailler à Bonn. C'est un sujet très important sur lequel nous continuerons à travailler certainement après la réunion de Bonn, jusqu'au moment où l'on sera suffisamment d'accord sur l'ensemble de ces points pour aller au Conseil de sécurité et en faire une vraie résolution du Conseil de sécurité du chapitre VII.
Le problème à résoudre est le suivant : il faut qu'au sein de cette force il y ait des pays de l'OTAN (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne, etc..), la Russie, d'autres pays, qui peuvent être des pays de la région, qui peuvent être des pays neutres, qui ne sont pas dans les alliances militaires, de grands pays d'autres régions du monde, donc un ensemble de pays très diversement représentatifs. En même temps, il faut arriver à ce que cet ensemble fonctionne bien. Il ne faut pas répéter les erreurs commises au début en Bosnie, où il y avait une chaîne de commandement OTAN, une chaîne de commandement ONU - les deux n'étant pas harmonisées, ne travaillant pas à la même vitesse - le résultat étant la paralysie totale. Il faut donc résoudre cette question. C'est un des points principaux sur lesquels nous travaillons activement en ce moment aussi bien entre Occidentaux que par ailleurs avec les Russes.
Q - Est-ce que vous pouvez éclaircir un point. Vous nous avez dit il y a quelques minutes rester très attaché aux cinq conditions fixées au départ pour arrêter les frappes sur la Yougoslavie. Seulement tout à l'heure, on a eu l'impression que M. Lionel Jospin est devenu un peu plus souple en disant que si M. Slobodan Milosevic commençait à retirer les troupes du Kosovo, alors dans ce cas, on pourrait envisager un arrêt des frappes ?
R - Le Premier ministre connaît parfaitement les cinq conditions, comme le président Clinton, mais selon les circonstances, selon les questions posées, ils répondent sur l'une ou l'autre. Il se trouve que dans une conférence de presse avec le Premier ministre japonais, le président Clinton a répondu sur l'une des conditions, en particulier il a d'ailleurs réfléchi à haute voix sur les conditions d'une pause possible. Quant à Lionel Jospin, il répondait à l'Assemblée nationale à une question d'un député qui portait sur deux des points. Il a donc répondu sur deux des points. Tout cela est parfaitement clair quant au cadre des cinq conditions sur lesquelles nous travaillons tous,. Selon les moments, selon les circonstances, on est amené à préciser tel ou tel point sur l'une des cinq.
Q - L'intervention de cette force militaire se ferait-elle avec ou sans l'accord de Belgrade ?
R - Il faut réfléchir par étape. L'étape dans laquelle nous sommes est d'élaborer un accord solide entre les Occidentaux et les Russes pour que cela puisse prendre après la forme d'une résolution au Conseil de sécurité. Au moment où nous sommes aujourd'hui, dans cette étape de notre travail, la question que vous posez ne doit pas nous empêcher d'avancer. On sait que les autorités de Belgrade continuent à récuser toute présence, que les Russes ont évolué et emploient le terme de présence de sécurité - M. Tchernomyrdine, dans ses points de presse, emploie le mot militaire pour les désigner. Il y a donc un changement et quand nous aurons cette résolution du Conseil de sécurité, nous verrons comment se présente le problème sur lequel vous m'interrogez, mais cela ne nous empêche pas d'avancer et de travailler maintenant.
Q - Donc cette question ne doit pas être tranchée par la résolution ?
R - La question peut être rédigée et adoptée par le Conseil de sécurité. C'est notre analyse sans que cette question ait été tranchée. Jusqu'ici, les Russes font un lien avec cela, mais vous voyez qu'ils évoluent par petits pas. Nous voulons donc persévérer dans cette direction et les amener à nous accompagner dans ce mouvement.
Q - Sous quel commandement pourrait être placée cette force militaire, le savez-vous déjà ?
R - Non, je vais m'en tenir là aujourd'hui.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 1999)