Interview de M. Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, à "France Info" le 7 mai 2013, sur les suites du scandale de la viande de cheval, sur son projet de loi sur la consommation.

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Média : France Info

Texte intégral

RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous en êtes où, dites-moi, de vos investigations sur le fameux scandale de la viande de cheval ?
BENOIT HAMON
Alors, pour ce qui relève d’une situation, celle de la société SPANGHERO et de la responsabilité de sa Direction, c'est le Parquet qui poursuit l’enquête, ça ne relève plus du Service national d’enquête de la répression des fraudes, donc de mes services. Pour ce qui concerne les tests que nous avons réalisés, nous en avons réalisé à peu près 156, si mes souvenirs sont bons, tests ADN, 17 ont été positifs, ce qui révèle que, en réalité, il y avait… quand on cherche on trouve, il y avait la substitution de viande de cheval en nombre assez important, à la viande de boeuf. Alors, soit ce que l’on appelle de la contamination résiduelle, c'est-à-dire, moins de 1 %, soit parfois un mélange de viandes, et nous avons maintenu la filière viande sous surveillance, c'est-à-dire qu’il y a encore des contrôles qui sont effectués, et qui montrent quoi, et ça c'est le point positif, c'est que plus on avance dans le temps, moins on trouve de substitution de viande de cheval ou d’autres viandes, à la viande de boeuf, et nous sommes en train d’assainir, en quelque sorte, la filière, c'est le point très positif, mais pour que ce soit durable, faut-il encore que les peines soient maintenant dissuasives, c'est le sens du projet de loi consommation.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Alors, justement, vous allez renforcer les sanctions ? Il faut taper, clairement, au porte-monnaie ?
BENOIT HAMON
Oui, parce que nous avons jugé quoi ? Qu’au regard des bénéfices qui pouvaient être réalisés, le niveau des peines, des amendes, était relativement faible, 185 000 € d’amende maximum pour une personne morale, quand dans le cas de l’affaire de la viande de cheval que l’on a connue, on pouvait avoir, aller à des bénéfices au moins jusqu’à 500 000 €. Donc, en clair, le crime…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Il faut que ça soit équivalent.
BENOIT HAMON
Il faut que ça soit clairement dissuasif.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Le crime ne doit pas payer, hein…
BENOIT HAMON
Voilà.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
C'est ce qu’a dit le Commissaire européen, même si les sanctions sont faibles, pour l’instant il paie encore.
BENOIT HAMON
En tout cas, en France, avec cette loi, nous allons porter le niveau des pénalités jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de la société. Pourquoi faire cela ? Parce que le préjudice, il n'est pas simplement pour l’entreprise qui se révèle potentiellement coupable de tromperie économique, il est aussi, ce préjudice-là il est pour toute la filière. Et ce qui s’est passé, en l’occurrence en France, c'est que, en raison de la négligence de quelques-uns ou de la tromperie d’autres, eh bien c'est toute la filière de l’agroalimentaire, mais la distribution aussi qui a été touchée, il y a eu jusqu’à 50 % de ventes en moins, de plats préparés ou plats surgelés, et des salariés qui travaillaient chez FINDUS, dans la grande distribution, chez PICARD, ont ou être directement impactés par la responsabilité de quelques-uns, plus haut dans l’échelle agroalimentaire. Donc il faut que ce soit vraiment dissuasif, pour lutter contre aussi la récidive, parce qu’il y en avait beaucoup dans ce domaine-là, ça sera le sens du projet de loi consommation, on va faire en sorte que le crime ne paie plus, en matière d’agroalimentaire. Et d’un mot, très vite, c'est aussi la conséquence d’une forme d’économie low-cost en Europe, et l’économie low-cost ça veut dire aussi l’alimentation low-cost. A force de tirer les prix vers le bas, on en finit par avoir une alimentation de très mauvaise qualité, et il faut constater qu’aujourd'hui, cette qualité d’alimentation se dégrade. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a des dangers pour votre santé, mais en l’occurrence, la viande dans les plats préparés, elle fait de plus en plus de place aux nerfs, au gras, à plein d’autres choses que de la viande.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et on peut faire quoi ? On peut faire quoi pour lutter contre ça ?
BENOIT HAMON
Eh bien il faut travailler avec les professionnels, et moi je me réjouis qu’en France, grande distribution, agroalimentaire et producteurs, aient décidé de privilégier la viande bovine française, la viande porcine française, et la volaille de France, le cas échéant la viande chevaline française, si on veut faire du cheval et l’afficher comme du cheval, mais en tout cas, la viande française, ce sera peut-être un peu plus cher, mais on est à peu près certain, en tout cas, de la qualité de l’alimentation et en tout cas de la qualité du bétail, et j’insiste là-dessus, et en tout cas, cet accord-là est un accord qui va dans le bon sens, il tend à améliorer la qualité de ce que l’on mange.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Alors, hier, le gouvernement s'est réuni en séminaire, ce n’était pas un goûter d’anniversaire, c’était un séminaire pour annoncer qu’on annoncerait un plan d’investissements, j’ai envie de dire « waouh ! ». Vous croyez que les Français sont contents d’entendre ce genre d’annonce, on va annoncer qu’on annonce un plan d’investissements ?
BENOIT HAMON
Eh bien écoutez, vous le prenez aussi d’une telle manière, que présenté comme ça, effectivement, ça parait comme pas important, sauf que c'est un plan d’investissements qui court à partir de maintenant et jusque dans dix ans, et qui privilégie quoi ? Des secteurs dans lesquels il faut être bon ou en tout cas il faut améliorer la performance ce notre économie, dans le domaine de la santé, du numérique, de la transition écologique notamment, qui sont des secteurs dans lesquels il y a non seulement beaucoup d’emplois à créer, mais surtout à développer la performance de notre économie.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Mais pourquoi ne pas dire : voilà, on va faire ça, à tel moment, dans tel secteur précisément ?
BENOIT HAMON
Mais il faut prendre la mesure du temps. Et dans ce domaine-là, nous avons hérité d’un pays, qui est un pays en ruine. Les difficultés sont là, nous les avons acceptées, c'est la réalité, mais on n'est pas obligé de perdre la mémoire de ce qui a été fait. Or, nous avons besoin de quoi ? D’un Etat stratège. Qu’est-ce qui manque ? D’un Etat qui pilote un tout petit peu l’économie pour dire : voilà les secteurs dans lesquels il y aura de l’emploi, voilà les secteurs dans lesquels, si on développe notre excellence, ce sera bon pour tout le monde, y compris ceux qui ne travaillent pas dans la santé.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et l’économie solidaire en fait partie.
BENOIT HAMON
Bien sûr l’économie…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous savez, précisément, vous, déjà, où vous, vous allez ?
BENOIT HAMON
Eh bien je vais vous dire où exactement. Dans la transition écologique, quels sont les champions, aujourd'hui, du recyclage, de l’économie circulaire ? On les trouve dans l’économie sociale et solidaire. Alors, qu'est-ce que c'est l’économie sociale et le solidaire ? Ce sont des entreprises qui, quand elles réalisent des bénéfices, ne les distribuent pas à leurs actionnaires mais les réinjectent dans l’entreprise. Ce sont des entreprises que l’on appelle « privées non lucratives ». Eh bien elles sont aujourd'hui très fortes, elles développent des savoir-faire, de l’innovation technologique, de l’innovation sociale, pour recycler des tissus, des métaux, des biens électroménagers, pour travailler à leur réparation, leur réemploi. Tout ça, ce sont des emplois non délocalisables. Quand vous réparez quelque chose, vous le réparez ici. Eh bien moi je suis heureux que, en tout cas, ce savoir-faire…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Ça va se faire, finalement, avec votre projet de loi sur l’obsolescence programmée, aussi.
BENOIT HAMON
Ah, c'est… effectivement, ça croise mon portefeuille consommation et celui de l’économie sociale et solidaire, puisque, ce que nous allons faire dans le projet de loi consommation, c'est obliger désormais les professionnels à vous mettre à disposition les pièces détachées indispensables à la réparation du bien que vous ramenez, parce qu’il ne marche plus. Vous avez acheté, je ne sais pas moi, une machine à laver, elle ne marche plus, et la tentation peut être grande de la remplacer directement. Si vous la remplacez, la plupart du temps elle est faite en dehors de la France, donc vous remplacez quelque chose que vous importez. Si vous réparez, un ça coûte moins cher, c'est meilleur pour l’environnement, et qui répare ? Quelqu’un à côté de chez vous, donc un salarié qui sera recruté et un emploi qui sera recréé ici.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Français, made in France, on y revient toujours, hein, finalement. Dites-moi, ça ne vous dérange pas, justement, qu’on parle aujourd'hui de vendre, allez, je vais dire, vendre une partie des bijoux de famille, que l’Etat cède une partie de ses parts dans des entreprises publiques, vous qui êtes clairement un homme de gauche ?
BENOIT HAMON
Alors, moi je vais vous le dire clairement, là il ne faut pas faire de fausse polémique, parce que je ne vois pas en quoi, si aujourd'hui on cède 1 ou 2 % d’une société, que sans remettre en cause, ni l’influence de l’Etat au conseil d’administration, c'est-à-dire sur la gouvernance de l’entreprise, sans privatiser, sachant que cet argent va aller à l’investissement, qu’il sert à la stratégie d’un état pilote et stratège, là on se crée des histoires à gauche, en en faisait un objet de polémique. Je le dis…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Ce n'est pas de la privatisation.
BENOIT HAMON
Mais non, ce n'est pas de la privatisation. Si c’était de la privatisation et si j’avais le sentiment qu’en clair on baisse la voilure des capacités d’intervention de l’Etat, moi je peux vous dire que je me serais exprimé. Vraiment, je ne le pense pas, et je pense au contraire que dès lors qu’on se donne les moyens d’avoir une stratégie d’investissement à dix ans, que l’on dise « c’est dans ces secteurs là que l’on va mettre de l’argent », que l’on dise pourquoi, je pense que là on retrouve au contraire une capacité d’intervention à l’Etat, que l’on avait perdue. On avait un état, honnêtement, impuissant, et l’impuissance elle avait été orchestrée par qui, par Nicolas SARKOZY. Impuissance vis-à-vis de l’Allemagne, impuissance vis-à-vis des marchés, incapacité à projeter l’économie française au-delà du court terme, et on sort de cela.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et on est toujours impuissant vis-à-vis de l’Allemagne, ou pas ? Parce qu’il y a eu quand même pas mal de remue-ménage au Parti socialiste, vous le savez.
BENOIT HAMON
Eh bien écoutez, il suffit de lire la presse du lundi, la presse allemande, pour constater quoi ? Qu’elle s’est…une émotion vis-à-vis de la décision de changement de doctrine de la Commission européenne, en matière de rythme de consolidation budgétaire. La France a enregistré une authentique victoire politique. Victoire politique pourquoi ? Parce que la Commission européenne n’a pas changé son attitude vis-à-vis de la France, elle a changé son attitude en matière de politique économique vis-à-vis de l’ensemble des pays européens. C'est un changement de doctrine, c'est ce que nous voulions, ça procède et du rapport de force, et du travail de convictions. Eh bien quand on a une victoire politique, on l’assume. Moi je suis heureux d’appartenir à un gouvernement, qui a obtenu que la Commission européenne change sa politique. Bon, ça ne fait pas plaisir aux conservateurs allemands, c'est triste pour eux, mais moi je suis très content.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Donc aujourd'hui, vous êtes plutôt content, finalement, de la politique sociale libérale, menée par François HOLLANDE.
BENOIT HAMON
Ce n'est pas une politique sociale libérale. La politique qui consiste à dire – pardon de le dire – aujourd'hui, la consolidation budgétaire c'est un marathon, un marathon ça ne se termine pas, si on le fait au rythme, à une course de 400 m, et de considérer qu’il faut mettre davantage d’argent dans la croissance, l’investissement, ce que l’on est en train de faire, je pense que c'est exactement le contraire d’une politique dite libérale, c’est au contraire une politique qui prépare l’avenir, et qui ne fait pas de l’économie européenne, le jouet des marchés financiers. C’était le cas avant, ça ne l’est plus aujourd'hui.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Merci.
BENOIT HAMON
En tout cas ça l’est de moins en moins.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 mai 2013