Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur les conditions de travail et la qualité du travail, Paris le 14 mai 2013.

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Intervenant(s) : 
  • Michel Sapin - Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Circonstance : Réunion du Comité d'orientation des conditions de travail à Paris le 14 mai 2013

Texte intégral

Je suis heureux de vous rencontrer à l’occasion de cette réunion du Comité d’Orientation des Conditions de Travail que j’ai l’honneur de présider pour la première fois.
Je souhaite avoir de vrais échanges avec vous sur un sujet qui me tient à cœur, le travail.
Je voudrais remercier Jean Marc Boulanger qui a accepté de prendre le poste de vice président du COCT et qui sera assisté par la DGT. Jean Marc Boulanger connait parfaitement ces sujets pour avoir notamment occupé des fonctions d’inspecteur ou de directeur du travail, avoir été inspecteur général, travaillé à la DGEFP comme délégué adjoint ou comme secrétaire général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Il a bien voulu se consacrer à cette tâche exaltante que lui laissent ses grandes activités d’IGAS honoraire.

Je voudrais centrer mon intervention sur deux points :
1) Ma vision du Travail dans la situation de la société française d’aujourd’hui.
2) Mes propositions de méthode pour progresser sur le Travail dans les prochains mois et prochaines années.


I - LE TRAVAIL DANS LA SOCIETE FRANCAISE D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN.
La première priorité du Président de la République et du Gouvernement, vous le savez, est la bataille pour l’emploi et depuis un an nous avons beaucoup fait. Mais je tiens à vous dire que je n’oppose pas le travail et l’emploi qui sont intimement liés.
Il n’y a pas de qualité de l’emploi sans qualité du travail. Il n’y a pas de lutte pour l’emploi, de lutte contre le chômage sans prise en considération du travail. Nous savons les liens entre la précarité de l’emploi et l’insécurité dans le travail, le summum étant dans certaines formes de travail illégal qui externalisent les risques professionnels les plus graves. Cette préoccupation du travail a bien été présente dans les mesures nouvelles que nous avons conçues : emplois d’avenir, contrats de génération, loi sur la sécurisation de l’emploi.
Cela veut dire que la qualité du travail doit être pour nous tous un objectif prioritaire. Il n’y a pas d’un côté l’emploi et de l’autre le travail. La qualité de l’emploi et la qualité du travail doivent aller de pair. Il n’y a pas lieu de sacrifier la qualité du travail pour créer de l’emploi, bien au contraire.
1) La qualité du travail, un objectif prioritaire pour la société française.
Défendre la qualité au travail, c’est en même temps rechercher la qualité du produit ou du service rendu, le travail bien fait par le professionnel (le plaisir du « travail bien fait » est la meilleure prévention contre le stress, dit Yves Clot), un certain bien être au travail sous ses multiples aspects.

La qualité du travail doit être une priorité pour plusieurs raisons majeures :
- D’abord pour répondre aux attentes des 25 millions de nos concitoyens pour lesquels le travail occupe toujours une place essentielle. Il est un moyen de gagner sa vie, bien entendu mais aussi un moyen de se réaliser, une nécessité de se développer, d’avoir une activité intéressante qui apporte une utilité sociale et de participer à un collectif, c’est-à-dire d’établir des liens sociaux pour contribuer à une même œoeuvre.
S’il peut être un moyen d’épanouissement, il peut aussi être source de peine, d’usure, d’exploitation, d’exclusion, de mal être. Il peut être à l’origine de violences ou de souffrances. Beaucoup de travailleurs critiquent un travail qu’ils aiment.
- Ensuite pour tenir compte de l’allongement du temps d’activité. Nous devrons travailler plus vieux et plus longtemps. La prévention de la pénibilité prend une dimension nouvelle avec l’allongement des carrières professionnelles qui s’annonce. Il s’agit à la fois, de réduire l’exposition à la pénibilité, d’adapter et d’aménager les conditions de travail, mais aussi de faciliter les mobilités dans les carrières pour ne pas rester toute sa vie sur des métiers pénibles. Quand nous parlons de « qualité de travail », nous pensons aussi à ceux qui ont des aptitudes réduites, handicapés ou non, et pour lesquels la question du maintien dans l’emploi se pose.
- Enfin, parce que la qualité du travail est une nécessité économique. Elle sera de plus en plus un facteur de performance dans les entreprises. Le travail se transforme sans cesse, devient plus complexe, plus éclaté, plus tourné vers des objectifs et des résultats. Il nécessite des coopérations internes ou externes, exige de l’autonomie et de la réactivité mais aussi de la créativité et de l’innovation. Les organisations qui sont les plus performantes socialement le sont aussi sur un plan économique. Le bien-être dans l’entreprise se traduit par une santé meilleure, davantage de coopération et d’engagement de la part des salariés, une créativité supérieure.
2) Nous avons deux angles d’attaque pour développer la qualité du travail.
Ces deux approches sont à la fois indispensables et complémentaires :
1. D’abord, préserver la santé physique et morale des travailleurs.
Le travail continue d’agresser, parfois il tue, même si le nombre d’accidents mortels a baissé, il y en a toujours. Et tout le monde n’est pas égal devant la santé au travail. Une partie des risques est transférée sur des sous traitants, des précaires, des populations fragiles. Il subsiste des risques graves très classiques (chantiers du BTP, risques chimiques, manutention, TMS, etc.,) et des risques nouveaux apparaissent ou se développent liés aux nouvelles technologies ou aux nouvelles organisations.
Malgré les progrès, il faut poursuivre ce combat permanent. L’Etat a sa responsabilité, les entreprises et les partenaires sociaux ont leur part aussi. Nous devons avancer ensemble pour faire reculer les risques professionnels.
Mais sans nier les risques psychosociaux là où ils se posent, et ils continuent de se poser, nous devons sortir d’une vision pessimiste du travail qui a beaucoup pesé au cours des dernières années. Nous devons débattre du travail.
2. Mettre la qualité du travail au centre des débats.
Le travail sera de plus en plus un facteur de performance globale. De plus en plus d’entreprises et de syndicalistes le comprennent et le projet d’accord interprofessionnel en cours de négociation va dans cette direction. Nous devons ouvrir des voies nouvelles, pas seulement pour les grandes entreprises : donner plus de place à l’expression et à la reconnaissance, accepter l’autonomie des professionnels à l’intérieur d’organisations et de collectif, repenser le rôle de notre management. J’ai l’ambition de remettre le travail, le travail conçu comme une ressource, au centre des débats dans les entreprises.

II - MES PROPOSITIONS DE METHODE POUR FAIRE PROGRESSER LA QUALITE DU TRAVAIL.
La méthode que je préconise ne vous surprendra pas : c’est celle du dialogue social à la française qui s’appuiera sur la nouvelle grande conférence sociale.
3) Trois grands chantiers sur le travail dans les prochaines années.
Dans les prochains mois, nous aurons trois chantiers à mener simultanément sur le travail, trois chantiers différents mais qui se croisent et se rejoignent :
* Premier chantier, la préparation du troisième Plan santé au travail : après le premier plan santé au travail sorti en 2006, le PST 2 a fixé des objectifs plus ambitieux en cohérence avec la stratégie européenne de santé au travail. Il a associé de manière plus étroite l’ensemble des intervenants dans le champ de la santé au travail, a recherché une meilleure cohérence avec les actions menées par la branche AT-MP de la CNAM TS et avec les autres plans de santé publique et a mis l’accent sur l???opérationnalité du plan. Nous devons utiliser les prochains mois pour préparer un bilan de ce plan santé au travail 2 qui arrive à échéance fin 2014 et préparer le nouveau Plan Santé au Travail 3 qui commencera en 2015. Ce travail doit être l’occasion de faire un état des lieux sur notre dispositif de prévention des risques professionnels, de nous réinterroger ensemble sur plusieurs points parmi lesquels :
- Les objectifs que nous poursuivons : ne passons-nous pas à coté de risques importants ? Visons-nous les bonnes priorités, les bons secteurs, les bonnes catégories d’entreprise ? Y-a-t-il trop ou pas assez de priorités ?
- Notre champ de la santé au travail, s’il est pertinent pour l’action en entreprise, n’est-il pas dans certains cas trop étroit ? Pour ma part, j’estime que nous devons faire davantage le lien avec les autres approches de santé publique et de santé environnementale.
- Notre dispositif de veille et de recherche est-il satisfaisant ? Comment pouvons-nous mieux anticiper les risques du travail ?
- Les instances de gouvernance du niveau national et du niveau régional. Le groupe de travail envisagé lors de la Grande conférence 2012 va être mis en place.
- Comment renforcer notre efficacité des démarches de prévention des risques dans les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs ? Ne faut-il pas se doter d’un dispositif d’évaluation ?
- Le développement de la normalisation dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail qui, sous ses diverses formes, pose problème.
J’intègre la réforme des services santé au travail dans cette réflexion globale. La réforme de 2012 est entrée en application depuis moins d’un an. Tous les textes d’application ne sont pas parus (mannequins, autres catégories particulières des salariés, rapports administratifs ou médicaux), d’autres parus sont contestés devant le Conseil d’Etat. La mise en œoeuvre de la réforme se traduit par des dynamiques réelles sur certains sujets comme la pluridisciplinarité, variables selon les régions. Des réflexions sont menées avec le Conseil de l’Ordre et le ministère des Affaires sociales sur le statut des médecins collaborateurs pour pouvoir leur confier plus de missions, notamment la réalisation de certaines visites médicales. Nous avons un premier bilan partagé à réaliser rapidement sur cette réforme. Il s’agira d’identifier les points qui méritent un ajustement et d’en tirer les conséquences. Cela devra nous permettre de répondre aux questions soulevées par la Cour des Comptes dans son récent rapport sur les visites d’embauche, les prérogatives accrues de l’Etat dans le cadre de l’agrément ou la réforme du financement des services.
J’en profite pour dire que nous travaillons actuellement sur la réforme du système d’inspection du travail. J’ai comme objectif d’avoir un système d’inspection qui réponde mieux aux enjeux de notre monde du travail, notamment sur les risques professionnels. Nous voulons conserver une inspection généraliste, c’est notre particularité française héritée de notre histoire, et un service de proximité capable de répondre aux problèmes concrets qui se posent aux salariés et aux entreprises. Mais nous voulons aussi mieux traiter certaines questions complexes comme le risque chimique ou le travail illégal. Nous n’aurons à terme qu’un seul corps de contrôle, celui des inspecteurs du travail. Je vous en dirai plus dans quelques temps quand nous aurons avancé.
* Deuxième grand chantier, la prévention de la pénibilité au travail Sur ce point, la loi de novembre 2010 a engagé un processus de négociation dans les entreprises et les branches. Les premiers retours montrent que nous ne sommes pas encore au niveau de ce qu’il faut faire pour prévenir la pénibilité au travail qui reste très présente dans les entreprises. La commission sur la retraite présidée par Yannick Moreau va rendre ses conclusions dans quelques jours et nous en discuterons avec les partenaires sociaux.
Au-delà de la question de la retraite et du lien entre celle-ci et la pénibilité au travail, j’insiste sur un point : nous devons mettre l’accent sur sa prévention, la nécessité de la supprimer ou de la réduire quand c’est possible, de limiter l’exposition des travailleurs aux facteurs de pénibilité et de faciliter les carrières des salariés affectés à ces travaux pénibles.
* Dernier grand chantier, la Qualité de vie au travail. Je ne veux pas m’immiscer dans le cours de la négociation qui entre dans sa dernière phase après plus d’une année d’échanges. Nous verrons, ce que j’espère, si un accord peut être conclu avant la fin juin. Je salue le gros travail qui a été réalisé par les négociateurs depuis plus d’un an sur ce sujet qui a permis d’ores et déjà de clarifier le concept et l’approche QVT pour mieux faire comprendre par l’ensemble des acteurs les enjeux de la qualité de vie au travail, de proposer un cadre permettant aux acteurs d’agir sur un champ complexe où « tout est lié à tout » Dans tous les cas, nous devrons tirer les conséquences de l’accord ou de l’absence d’accord. Pour ma part, je vois deux grandes pistes à explorer ensemble entre partenaires sociaux et Pouvoirs publics :
- Comment nous pouvons ensemble, par une action concertée entre nous et sans doute en nous appuyant sur l’ANACT et son réseau des ARACT, promouvoir et diffuser la qualité du travail dans les entreprises, grandes et petites. La qualité de vie au travail doit être traitée dans chaque entreprise en fonction des stratégies et situations propres à chacune d’entre elles. Pour les plus petites, il faudra passer par la branche.
- Sur plusieurs sujets, le projet d’accord demande des évolutions de législation ou des expérimentations : instances représentatives du personnel, négociation obligatoire, égalité professionnelle, etc.
4) La méthode
* La Grande conférence sociale En présentant ces trois grands chantiers sur le travail, j’ai défini l’objet des discussions que nous aurons lors de la Grande conférence sociale. Le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité qu’une table ronde soit consacrée cette année au travail, plus particulièrement à la santé au travail. Une autre table ronde traitera de la question des retraites. Je vous propose que la feuille de route à laquelle nous aboutirons à la fin de la Grande conférence trace notre programme de travail pour les prochains douze mois sur les trois chantiers dont j’ai parlé :
1. Le bilan du Plan santé au travail 2 et la préparation du plan santé au travail 3.
2. La prévention de la pénibilité au travail en liaison avec le chantier retraite. Au terme des bilatérales que nous aurons avec les organisations, nous déciderons si cette question relèvera de la table ronde santé au travail ou de celle de la retraite.
3. La qualité de vie au travail en fonction du résultat de la négociation en cours.
* Le rôle du COCT.
- Il est naturel que le COCT soit l’instance d’orientation de ces travaux.
- Jean Marc Boulanger sera très vite actif puisqu’il présidera le groupe de travail tripartite dès la rentrée prochaine sur la gouvernance de la Santé au travail. Il aura pour objet de définir les contours d’une gouvernance renouvelée et renforcée de la Santé au travail tant au niveau national qu’au niveau régional.
- En septembre, il présidera un comité permanent où pourront être présentés le bilan annuel des conditions de travail, un point d’étape sur le PST 2 et les PRST (plans régionaux santé au travail) et un premier bilan sur la réforme de la médecine du travail.
J’ai tracé quelques perspectives de travaux pour les prochains mois. Compte tenu de l’importance de ces questions du travail pour les entreprises et les salariés, je souhaite que nous parvenions à progresser ensemble rapidement. La grande conférence sociale sera un moment important pour s’accorder sur la démarche. Je suis en tout cas à votre écoute.

Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 21 mai 2013