Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à RTL le 23 mai 2013, sur la préparation de la conférence sociale et la réforme du marché du travail.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


JEAN-MICHEL APHATIE
Les syndicats de salariés et le MEDEF étaient reçus à Matignon hier, pour préparer la conférence sociale qui aura lieu le 20 et 21 juin prochain. Cette conférence sociale sera finalement baptisée, c’est le Premier ministre qui l’a dit : « grande conférence sociale pour l’emploi. » Vous n’allez quand même pas créer des emplois dans cette grand-messe, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Ce n’est pas une grand-messe d’abord. Parce qu’une grand-messe, c’est à un moment donné et puis ensuite, on en sort et on s’occupe d’autres choses. L’objectif et au fond que ce soit la deuxième grande conférence le montre, c’est d’inscrire dans la durée une autre manière de dialoguer en France, une autre manière d’approcher des sujets souvent difficiles, parfois conflictuels, qui sont le fonctionnement des entreprises, du marché du travail et la création d’emploi. Donc ce n’est pas une grand-messe…
JEAN-MICHEL APHATIE
La réforme des retraites.
MICHEL SAPIN
La réforme des retraites parce que, le financement de nos systèmes de protection sociale, tout ce qui aujourd’hui sur les entreprises et les salariés et qui est pourtant extrêmement décisif pour l’avenir, pour la confiance que les Français doivent avoir dans leur avenir. Donc ce n’est pas une grand-messe, c’est un processus, c’est une volonté et aujourd’hui, le sujet qui préoccupe les Français c’est l’emploi. On va le dire autrement, c’est le chômage. Donc…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous n’allez pas prendre des mesures qui vont révolutionner le marché de l’emploi ?
MICHEL SAPIN
Elles ont été déjà prises…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah ! Tiens, on ne s’en est pas rendu compte !
MICHEL SAPIN
Mais oui, c’est ça les bonnes nouvelles, c’est celles qu’on ne voit pas !
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah ! Très bien.
MICHEL SAPIN
Mais en plus vous êtes trop modeste, parce que vous vous êtes parfaitement rendu compte, qu’il y a eu une grande réforme du marché du travail, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale et par le Sénat, qui est en cours d’examen au Conseil Constitutionnel, et qui va devenir une réalité dans les entreprises, le 1er juillet prochain. Que cette grande réforme, elle ne s’est pas faite par des affrontements comme ça, elle s’est faite par le dialogue…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous parlez de l’accord du 11 janvier ?
MICHEL SAPIN
C’est le fameux accord du 11 janvier…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais qui est défensif, qui fait qu’on ne perdra pas des emplois si jamais, il y a des problèmes dans les entreprises.
MICHEL SAPIN
Qui n’est pas seulement défensif, et déjà ne pas perdre des emplois, quand il y a des problèmes, c’est très important. En Allemagne, ils ont traversé la crise, il n’y a pas plus de chômeur après la crise, qu’avant. Chez nous, il y en a 1 200 000 de plus. Donc si on avait pu éviter ce 1 200 000 grâce à la mise en oeuvre d’un accord comme celui-ci, je pense qu’on aurait été gagnant. Mais il n’est pas seulement défensif, c’est l’information des salariés dans l’entreprise. C’est l’anticipation des évolutions dans l’entreprise, c’est parler avant que le problème ne se pose, des difficultés éventuelles de l’entreprise. C’est tout cela qui permettra d’être aussi offensif du point de vue de l’emploi, du bon fonctionnement de notre économie.
JEAN-MICHEL APHATIE
PEUGEOT CITROEN propose à ses salariés d’ouvrir à la fin du mois, une négociation compétitivité. Chez RENAULT ça s’est soldé par des blocages de salaires, une augmentation du temps de travail. Vous êtes favorable à ce type de négociations qui traduit une régression des conditions sociales, les conditions de travail ?
MICHEL SAPIN
Non, ce n’est pas régression, vous le savez, puisque c’est une manière de sauver des emplois, permettre que soit réintroduit en France des fabrications qui étaient fabriquées à l’étranger. Donner de la visibilité, de la durée, donner de la confiance à des salariés dans une entreprise, ce n’est pas une régression, c’est un progrès considérable, faire en sorte…
JEAN-MICHEL APHATIE
Bloquer les salaires, c’est hélas, pas un progrès ?
MICHEL SAPIN
Mais bien sûr qu’en soi…
JEAN-MICHEL APHATIE
Sans doute dans certains conditions ça peut être fait, mais…
MICHEL SAPIN
Bloquer les salaires ce n’est pas un progrès, mais lorsque vous avez un accord avec les partenaires sociaux, ce n’est pas le patron qui impose sa volonté, c’est le produit d’un accord, d’une négociation, avec des contreparties dans l’entreprise, et lorsqu’il est dit, dans cet accord, aujourd’hui, il doit y avoir un effort de tous ! Y compris des actionnaires et demain, quand les choses iront mieux, il y aura un partage et un partage serait une sorte de récompense, pour ceux qui ont fait, un effort. Je le répète, c’est ce qui s’est passé en Allemagne. En Allemagne, chez VOLKSWAGEN, les salariés au bout du compte, ils ont gagné plus à la fin du processus, avec une entreprise sauvée, que si, ils avaient continué à être payés comme avant. Voilà, c’est là, où il y a un changement de mentalité profond et je compte beaucoup, c’est des réformes de profondeur, c’est des réformes de fond. C’est des offensives en profondeur, aussi des offensives qui soient immédiates.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et hélas dans l’intervalle, avant que tout ceci n’entre en fonction, enfin, soit efficace, le chômage, hélas va continuer d’augmenter ?
MICHEL SAPIN
C’est pour ça que, je disais, il y a deux offensives ou deux batailles. Il y a la bataille…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il va continuer d’augmenter le chômage ?
MICHEL SAPIN
Il va continuer à augmenter là, au cours de ces quelques mois, il va s’inverser d’ici la fin de l’année.
JEAN-MICHEL APHATIE
A un moment !
MICHEL SAPIN
Non, pas à un moment, monsieur APHATIE, d’ici la fin de l’année, la courbe du chômage s’inversera.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous savez que personne n’y croit !
MICHEL SAPIN
Eh bien ! Tant mieux !
JEAN-MICHEL APHATIE
D’accord !
MICHEL SAPIN
Comme ça, ça sera une bonne surprise, une bonne nouvelle. Je préfère que personne n’y croie, et qu’on le constate. Plutôt que les cas où tout le monde y croit et on ne voit rien. Donc c’est exactement dans cette situation-là que nous nous trouvons aujourd’hui.
JEAN-MICHEL APHATIE
Des emplois d’avenir dans les collectivités territoriales peuvent remplacer valablement des emplois industriels qui seront détruits ?
MICHEL SAPIN
Ils ne remplacent pas, c’est l’autre front de la lutte contre le chômage. C’est l’autre front de la lutte contre le chômage. Dans toutes les périodes de très forte hausse du chômage, ça a été vrai en 97, ça a été vrai en 2009/2010, avec le gouvernement de droite, lorsqu’il y a une montée très forte du chômage, lorsqu’il y a pleins de jeunes qui sont au chômage, lorsqu’il y a des gens qui sont au chômage depuis très longtemps, oui, on essaie de répondre à l’urgence immédiate, par des emplois de cette nature. Et encore, nous le faisons avec des emplois de qualité, donc nous disons les emplois d’avenir, c’est pour les jeunes, les plus en difficultés et il y a forcément de la formation qui va avec. Ça, c’est aussi une manière de leur redonner de la fierté en eux-mêmes, de la confiance dans leur avenir.
JEAN-MICHEL APHATIE
Dans ce contexte, des députés socialistes, Michel SAPIN, vous ont écrit : s’il vous plait, ouvrez plus largement le droit à ouvrir des magasins le dimanche ? Vous allez leur répondre oui ou non ?
MICHEL SAPIN
C’est une situation qui est épouvantablement complexe aujourd’hui…
JEAN-MICHEL APHATIE
Alors ça c’est vrai !
MICHEL SAPIN
D’ailleurs assez peu compréhensible, parce que la législation, la règlementation est complexe et d’ailleurs c’est la droite qui l’a rendue encore plus complexe, en croyant, lui apporter une solution. Vous avez parfois un magasin qui est ouvert d’un côté de la rue, et qui est fermé de l’autre côté de la rue.
JEAN-MICHEL APHATIE
Alors qu’est-ce que vous allez faire ?
MICHEL SAPIN
Donc je comprends que chacun…
JEAN-MICHEL APHATIE
On ferme tous ! Ou on les ouvre tous ?
MICHEL SAPIN
Je comprends que chacun se pose des questions. Mais au fond, qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? Est-ce qu’on veut maintenir ou non, le fameux repos dominical ? Je vais le dire avec le sourire. Quand vous posez la question aux Français, voulez-vous que les magasins soient ouverts le dimanche ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Ils répondent oui.
MICHEL SAPIN
Et voulez-vous travailler le dimanche ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Certains répondent oui.
MICHEL SAPIN
Ils répondent extrêmement majoritairement non.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y a des manifestations de salariés ! On est payé plus cher, on est volontaire ?
MICHEL SAPIN
Lorsque vous demandez à l’ensemble des Français, ils disent : non, moi, je ne veux pas travailler le dimanche, parce que je tiens au dimanche, c’est le moment où je peux voir ma famille, me reposer, enfin bref ! Changer un peu, par rapport aux restes de la semaine.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc vous ne changerez pas la législation ?
MICHEL SAPIN
Donc je ne souhaite pas que l’on grignote par petits morceaux, ce repos dominical, qui est un élément important de la vie des travailleurs en France.
JEAN-MICHEL APHATIE
Durant la campagne présidentielle, vous étiez l’un des porte-paroles de François HOLLANDE, enfin vous étiez dans la campagne. François HOLLANDE disait : il faut embaucher 60 000 enseignants dans l’Education nationale. Et hier, la COUR DES COMPTES rend un rapport : des enseignants, il y en a assez, 834 000, mais alors qu’est-ce que c’est mal organisé ! D’une certaine manière, c’est une critique de la proposition importante à l’époque de François HOLLANDE ?
MICHEL SAPIN
Non, comme vous le savez, d’ailleurs, c’est une critique de ce qui existait. Puisque c’est par définition l’examen de la COUR DES COMPTES n’a pas porté sur les 12 derniers mois, mais a porté sur les 8 années précédentes.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais ils disent : il y a assez d’enseignants ?
MICHEL SAPIN
Ils ne disent pas ça, seulement. Pardon de le dire, comme ça !
JEAN-MICHEL APHATIE
Pas seulement non !
MICHEL SAPIN
Je pourrais le présenter de manière plus positive. Ils disent : ce n’est pas qu’une question d’effectif, il y a aussi d’autres questions qui se posent dans l’Education et de ce point de vue-là, ils ont raison. Mais qu’il y ait besoin d’effectifs supplémentaires, dans les classes où les jeunes sont en situation difficiles. Par exemple, dans un certain nombre de quartiers, c’est évident ! Mais il faut d’autres choses. On parlait de l’enseignement de langues, en l’occurrence à l’université, oui, il y a des réformes qui doivent être menées dans l’Education nationale, pour qu’elles soient encore plus pertinentes. Mais il ne faut pas opposer les moyens aux réformes.
JEAN-MICHEL APHATIE
C’est subtile la politique. Votre collègue FABIUS, à votre place, la semaine dernière, disait : il manque un patron à Bercy. Vous êtes d’accord avec lui ?
MICHEL SAPIN
Bercy fonctionne et…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mal ?
MICHEL SAPIN
Et Bercy va fonctionner et Bercy fonctionnera encore mieux demain.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il manque un patron ou pas ?
MICHEL SAPIN
Non, je pense que ce n’est pas une vision de patron…
JEAN-MICHEL APHATIE
Votre nom est cité pour être patron de Bercy ?
MICHEL SAPIN
Oui, écoutez, on laissera cela à ceux qui me citent. Mais je suis très bien là où je suis.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 mai 2013