Texte intégral
Amiral,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux dêtre avec vous. Jétais venu ici, à Toulon, peu de temps après ma prise de fonction, pour me faire présenter les principales missions et capacités de la Marine. Jy reviens aujourdhui, pour vous présenter les lignes de force du nouveau Livre blanc et ce quil signifie pour la Marine de demain.
Lorsque le Président de la République, il y a exactement un an, a souhaité me confier la charge du ministère de la défense, je me suis fait une promesse : celle de conduire ma mission avec un souci constant, celui de la vérité et de la sincérité que jestime devoir à toutes celles et tous ceux qui sengagent, et pour nombre dentre eux, engagent leur vie, au service du pays.
Cest dans cet esprit que jai réuni, le 29 avril, les commandeurs et les hauts responsables du ministère, pour leur présenter le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et cest dans le même esprit que je viens aujourdhui partager avec vous ses principales conclusions. Ce Livre blanc fixe un cap à nos armées pour les douze ans qui viennent. Un cap de vérité et dambition à la fois. De vérité, parce que notre défense traverse, à bien des égards, une situation difficile ; mais dambition aussi, parce que nous avons un projet ambitieux, élaboré ces derniers mois avec vos chefs, dans le double souci, qui nous rassemble, des intérêts de la France et de lefficacité de sa défense. Je voudrais vous faire partager cette double démarche de lucidité et dambition.
Pourquoi un nouveau Livre blanc ? Le dernier date de 2008, mais en cinq ans, des bouleversements importants ont affecté notre environnement, et il fallait en tirer les conséquences pour notre défense.
Il y a en premier lieu la nouvelle donne économique et financière, qui sest révélée peu de temps après la publication du Livre blanc de 2008, mais qui navait pas pu être anticipée par lui.
Les crises économiques et financières ont particulièrement frappé le monde occidental, à plusieurs reprises, comme le montre la situation de plusieurs de nos partenaires européens et même des Etats-Unis. Il sagit là dune donnée nouvelle, qui affaiblit le monde occidental et touche le cur même de la souveraineté des Etats. La pression de la dette publique, donc de la dépendance vis-à-vis de créanciers, a atteint des niveaux inconnus jusque-là.
A cela sajoute la situation budgétaire de notre défense elle-même qui est grandement fragilisée. Ainsi le modèle darmée de 2008, sans doute trop optimiste et conçu avant les grandes crises financières, était clairement devenu inatteignable, au plan financier mais aussi au plan opérationnel. Cest ce que les plus hauts responsables militaires soulignaient dès le début de lannée 2011 : il était donc grand temps den prendre acte.
Au-delà de la contrainte budgétaire, lorganisation de notre défense a été marquée, ces dernières années, par de fortes tensions, et jai pleine conscience des difficultés que peuvent rencontrer nos soldats. Je ne connais pas de ministère qui ait connu autant de réformes depuis 1997, avec des réussites bien sûr, mais aussi avec des échecs. Ainsi, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, des réformes ont été appliquées de façon souvent trop brutale. Je pense à la mise en place des bases de défense, qui a généré des difficultés parfois considérables dans la vie quotidienne des forces. Je pense au système de paiement des soldes Louvois.
En second lieu, il était temps, cinq ans après le précédent Livre blanc, de prendre acte et tirer les enseignements de mutations profondes intervenues dans notre environnement géopolitique et géostratégique.
Je pense à la mutation de la politique étrangère américaine, avec la fin des guerres en Irak et en Afghanistan, et le rééquilibrage vers lAsie : laccroissement impressionnant des forces de surface et sous-marines de cette région du monde est à cet égard suffisamment démonstrative. Je pense aux révolutions arabes, qui ont fait naître des espoirs mais qui aujourdhui font redouter des situations dinstabilité grave, comme on le constate chaque jour en Syrie ou même en Libye. Je pense aux nouvelles donnes de la sécurité en Afrique, marquée par la montée en puissance du phénomène jihadiste armé dans la zone sahélienne et la déstabilisation de régions entières qui en est résultée. Je pense aussi aux évolutions du terrorisme international après la disparition de Ben Laden et la diffusion de mouvements apparentés à Al Qaïda dans de nombreuses régions. Ces changements composent la vision dun monde où la guerre reste possible, où les crises sont probables et où les atteintes à notre sécurité nationale sont permanentes.
Dans ce contexte sombre, et en dépit des difficultés de gestion croissantes dont jai parlé il y a un instant, nos armées font tous les jours la preuve de leur valeur, de leur efficacité comme de leur capacité dadaptation aux engagements qui leur sont demandés. Je veux le souligner devant vous. Depuis ma prise de fonctions, jai eu souvent loccasion de vérifier, sur le terrain, limmense qualité de nos forces et le professionnalisme, le dévouement, le courage, des hommes et des femmes qui les composent. Cest le cas de notre engagement au Mali, qui montre une image exemplaire de nos armées, comme cest le cas pour toutes les opérations que vous conduisez au quotidien.
Nous pouvons donc être fiers de notre défense, reconnue à travers le monde pour ses qualités opérationnelles, technologiques et humaines, mais nous devons donc, aussi, être lucides sur un contexte qui la fragilise à beaucoup dégards. Tout le défi pour le Président de la République, le Gouvernement et moi-même, est bien là. Comment maintenir et adapter cet outil remarquable, devant des menaces qui ne vont pas baisser, dans un contexte économique et financier qui exerce une contrainte sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
A cette question, le nouveau Livre blanc apporte des premières réponses fortes.
Dabord, il refuse le déclassement stratégique de la France, en maintenant dans le temps leffort consacré par la Nation à sa défense, en dépit de la contrainte financière considérable qui sexerce sur le budget de lEtat. Cest une décision du Président de la République : la France ne baissera pas la garde. Cette priorité accordée à la défense nen demandera pas moins des efforts importants, mais la France restera le deuxième budget militaire de lUnion européenne. Elle consacrera à sa défense, en moyenne, 1,76% du PIB, en normes OTAN, dici 2020. Alors que la plupart des pays occidentaux sengagent dans des baisses drastiques de leur budget de défense je pense aux Etats-Unis qui ont annoncé des coupes de 1000 milliards de dollars dans leurs crédits militaires, je pense également au Royaume-Uni qui prépare des baisses significatives , dans ce contexte-là, cest un signe fort que donne la France en pérennisant son effort de défense.
En deuxième lieu, ce Livre blanc adopté un modèle darmée plus efficient, fondé sur une stratégie militaire renouvelée, que nous avons voulue mieux adaptée à la réalité des risques et des menaces auxquels nous faisons face. Cette stratégie, élaborée avec vos chefs, est dabord caractérisée par larticulation nouvelle de trois missions fondamentales : la protection de la France et des Français, la dissuasion nucléaire, lintervention extérieure. Cest une définition, je crois, simple et claire de nos priorités.
Pour assurer ces trois missions, nous avons retenu quatre principes :
- 1° lautonomie stratégique, pour garantir notre liberté dappréciation, de décision et daction, et pouvoir prendre linitiative dopérations, en y entraînant, le cas échéant, nos partenaires,
- 2° la cohérence des capacités, pour que la France reste capable de faire face à tous les types de risques et de menaces qui la viseraient,
- 3° la différenciation des forces, parce que nous avons fait le choix déquiper et dorganiser nos forces en fonction des missions quelles sont appelées à remplir
- 4° la mutualisation de nos capacités les plus coûteuses, entre les différentes grandes missions de nos armées mais aussi avec nos partenaires européens.
Cest sur la base de ces quatre principes que le Livre blanc définit dune part les contrats opérationnels assignés à nos armées, dautre part le modèle darmées lui-même. Jy reviendrai.
Les nouveaux contrats opérationnels, qui entreront en vigueur au 1er janvier 2014, distinguent les missions permanentes et non permanentes.
Les forces armées devront être aptes à poursuivre en permanence la mission de dissuasion, reposant sur deux composantes, toutes les deux confortées par le programme de simulation.
Elles garantiront la protection permanente du territoire et de la population, en particulier par la surveillance des approches aériennes et maritimes. Je veux dire ici combien mes premiers déplacements outremer mont montré à quel point cette surveillance aéro-maritime était essentielle à la lutte contre toutes les formes de terrorismes et tous les types de trafics.
Elles devront enfin être capables en permanence dassurer certaines missions de présence, qui sont familières à notre Marine lorsquil sagit de croiser dans certaines zones dintérêt stratégique, ou bien de faire face à lurgence, en ayant recours dans ce cas au réservoir interarmées de forces disponibles à cet effet.
En ce qui concerne les missions non-permanentes, les armées devront pouvoir participer à une opération dentrée en premier sur un théâtre de guerre dans les trois milieux, ou à des opérations de gestion des crises internationales sur plusieurs théâtres daction. Cela implique des capacités importantes, je pense notamment au groupe aéronaval.
Je reviendrai tout à lheure sur le modèle darmée et sa déclinaison pour la Marine, mais je vous en livre déjà les grandes lignes. Les forces navales sarticuleront autour des quatre SNLE pour ce qui est de la mission de dissuasion, et, pour la projection de puissance ou la gestion des crises, du porte-avions, de trois bâtiments de projection et de commandement, de six sous-marins nucléaires dattaque et de quinze frégates de premier rang. Dautres unités de combat, moins puissantes, permettront de couvrir lensemble du spectre des missions confiées à la marine, sans trop solliciter les unités les plus importantes. Ce sera le cas des six frégates de surveillance, dune quinzaine de patrouilleurs ainsi que des moyens de guerre des mines, de ravitaillement et dassistance.
Ce modèle repose aussi sur le choix du Président de la République de conserver limpératif industriel comme une clé de notre autonomie stratégique. Nos industries de défense sont à la fois lune des conditions de notre souveraineté, un levier fort pour le redressement productif du pays, sa compétitivité, et un important facteur demplois. Limpératif industriel est donc la troisième orientation qui a gouverné les choix de ce Livre blanc.
Lenjeu est notamment le renouvellement de nos équipements dici 2025. Beaucoup sont vieillissants, je le sais, et vous le savez pour le vivre tous les jours. Jai conscience que leur modernisation se fera à un rythme plus lent que celui prévu en 2008. Mais le niveau de ressources décidé comme le modèle darmée que je viens dévoquer nous permettront dassurer au fur et à mesure le renouvellement de toutes les capacités critiques indispensables à nos armées.
Enfin, quatrième et dernière orientation, la France doit tirer le meilleur parti, pour sa défense, de la construction européenne et de son insertion au sein dalliances, en particulier lAlliance atlantique. La construction de lEurope de la défense, à laquelle je consacre beaucoup dénergie depuis des mois, porte ses premiers fruits, au triple plan opérationnel (avec laccord inédit des 27 Etats-membres pour la mission EUTM Mali), capacitaire et industriel. Ma démarche est marquée par un choix de pragmatisme, et je my tiendrai.
A ce titre, elle se nourrit des relations bilatérales que nous devons plus que jamais développer, je pense notamment à la démarche franco-britannique, initiée par les traités de Lancaster House de novembre 2010, ou aux liens étroits que nous développons avec lAllemagne, lItalie ou la Pologne. Cette recherche dintérêts partagés entre Européens va de pair avec un engagement plein et, je dois le dire, sans complexe de la France dans les structures militaires de lOrganisation atlantique. Ces deux engagements sont étroitement complémentaires dans notre stratégie.
Au-delà de ce modèle darmée et de cette stratégie renouvelée, dont je viens de vous exposer les grandes lignes, ce Livre blanc acte un certain nombre de priorités pour notre défense.
Priorités géostratégiques dabord, dans la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, lAfrique (plus particulièrement du Sahel à lAfrique équatoriale), le Golfe arabo-persique et lOcéan indien.
Ce sont là des priorités cohérentes avec notre situation géographique et la force des liens culturels, économiques, politiques que nous avons tissés avec ces différents espaces dans lhistoire. Mais cest aussi, pour nos armées, pour vous, un rappel des opérations de ces vingt dernières années. De Balbuzarddans lAdriatique à Harmattan en Libye, de Licorne en Côte dIvoire à Atalante au large de la Somalie, il nest pas de zones cités par le Livre blanc où vous nayez pas déjà été engagés, parfois seuls mais le plus souvent dans des opérations interarmées et internationales. Cest aujourdhui le cas du Mali, où les marins du ciel contribuent à laction aérienne dans des missions de reconnaissance ou dappui à nos troupes au sol ; cest le cas des commandos marines qui trouvent toute leur place dans les opérations des forces spéciales, dont on connait limportance déterminante dans cette crise ; cest le cas des marins de surface, enfin, qui acheminent dans lurgence, le gros de la logistique terrestre sur le théâtre dopération.
Priorités capacitaires ensuite.
Je pense à la cyberdéfense, nouveau champ stratégique auquel le Livre blanc accorde une place majeure, à la fois pour identifier lorigine des attaques et pour mettre en place une capacité de défense adaptée, y compris offensive.
Je pense au renseignement, qui est lune des clés de lautonomie stratégique et de lefficacité opérationnelle ; à son profit, nous allons amplifier les efforts entrepris, mais dans le même temps, nous mettrons laccent sur la mutualisation des moyens techniques et la nécessité, démocratique, dun contrôle renforcé de services de renseignement bénéficiant de cette attention prioritaire. Le renseignement, cest aussi votre présence au quotidien sur les mers, que ce soit pour assurer la surveillance de nos approches, ou pour renseigner nos autorités le long de côtes hostiles, avec des bâtiments spécialement dédiés, ou avec dautres
Je pense aussi aux forces spéciales, dont les crises de ces dernières années ont rappelé toute limportance lorsquil faut réagir dans lurgence, par surprise, dans la profondeur de dispositifs hostiles ou complexes. Prenant acte de leurs qualités, le Livre blanc prévoit le renforcement de leurs capacités et la programmation militaire confirmera cette orientation.
Au chapitre des priorités capacitaires, je pense encore à nos capacités de frappe de précision à distance, appuyées sur les moyens de ciblage qui sont une clé du combat moderne, et, en parallèle, à celles de nos forces de contact. Larrivée demain dans la Marine du missile de croisière naval ou MDCN, tant sur les sous-marins nucléaires dattaque que sur les FREMM, consacrera la place enfin accordée à ce type de capacités et ouvrira à notre Marine, par les capacités de ce système darmes, de nouveaux champs pour laction de la mer vers la terre.
Ces moyens techniques ne prennent tout leur sens que si elles sont mises en uvre par du personnel compétent et entraîné. Doù limportance que jaccorde à lactivité opérationnelle. Celle-ci dans la période financièrement difficile qui est devant nous, sera au maximum préservée.
Notre troisième grande priorité concerne les hommes et les femmes de la défense, militaires et civils. Parce que la cohésion de la communauté de défense est la condition première de son efficacité et partant de ses succès, la concertation devra jouer tout son rôle au sein du ministère, au service dune politique déquilibre et déquité en matière de ressources humaines. Citoyens comme les autres, les militaires doivent enfin pouvoir élaborer des projets de vie professionnelle, qui prennent en compte leur engagement familial. Il faut quils puissent, le cas échéant, bénéficier de toutes les évolutions sociales qui permettent aujourdhui, autant que possible, de concilier engagement professionnel et vie personnelle. Cette priorité, cest aussi la prise en compte de la judiciarisation croissante des opérations, qui doit tenir compte des spécificités du métier des armes. Enfin, nous devons à la suite du Livre blanc engager une réflexion sur le lien qui rattache nos armées à la Nation, en donnant toute sa place à la réserve, opérationnelle et citoyenne.
Ces grandes priorités, qui ouvrent lhorizon en rapprochant notre défense des grands défis de sécurité qui sont devant nous, suffisent à montrer quil ne sagit pas dun modèle durgence ou bien de pure attente. Au contraire nous avons voulu concevoir un modèle davenir et de long terme. Dans le contexte critique que jai rappelé tout à lheure, cest le modèle plus équilibré possible. En disant cela, je ne me dissimule pas, et je ne vous cache pas, quil sagit dun modèle exigeant, qui sera difficile pour tous.
Ainsi, le format des forces et du ministère devra être revu. Chacun ici sy attendait. Mais nous avons décidé, cest un choix important et qui nétait pas acquis à lavance, de toucher le moins possible au format des forces opérationnelles. La contraction des effectifs sera donc sensiblement moins importante que celle décidée en 2009, avec une nouvelle réduction denviron 24 000 postes. Pour ce faire, et aussi pour obtenir le maximum defficacité dans ces réductions, nous devrons prolonger le mouvement de restructurations déjà engagé par lactuelle loi de programmation. Je sais limpact que de telles décisions peuvent avoir sur les personnes touchées, sur les territoires, sur les collectivités. Il faudra donc les accompagner, en prenant toujours la mesure des situations concrètes.
Dans le même temps, nous devrons optimiser la dépense. Jai conscience que nous allons devoir consentir, au profit de lactivité opérationnelle et des programmes déquipements, des efforts supplémentaires sur le fonctionnement quotidien du ministère. Tout en ayant conscience du prix de ces efforts, je veux rappeler que la défense participe ici à un effort budgétaire qui est celui de lensemble de lEtat, et au regard duquel elle est relativement préservée, compte-tenu de ses spécificités.
Au-delà de cette présentation générale du Livre blanc, je voudrais profiter de notre rencontre pour évoquer plus précisément son impact sur la Marine nationale.
Depuis mon arrivée, jai pu mesurer lexceptionnelle communauté que représentait le ministère de la défense, qui marche dun seul pas vers laccomplissement de sa mission. Mais jai pu aussi apprécier la diversité des savoir-faire et des cultures quil abrite, et la richesse que cela représente.
Ainsi, je vous le dis avec force : la France a besoin dune Marine nationale, à la fois équipée, entraînée et performante. Dautant que cette Marine est au cur de chacune des trois missions fondamentales défini par le Livre blanc : protection, dissuasion et intervention.
En matière de dissuasion, vous avez le privilège de lassurer sous leau, avec la force océanique stratégique, et offrez une capacité aérienne, avec la force aéronavale nucléaire. Cest pour moi loccasion de rendre hommage aux quarante ans de permanence de la dissuasion océanique, anniversaire que nous avons fêté à lautomne 2012. 460 patrouilles opérationnelles, quarante ans de continuité sans une seule interruption, cest sans doute lillustration le plus forte de ce que signifie le mot « permanence » de la mission.
En matière de sûreté maritime, ce sont les bâtiments en mer ou dalerte, aussi bien dans les approches de la métropole que pour les vastes espaces de lOutre-mer, cest la chaîne des sémaphores, cest le recueil des données depuis tous les senseurs possibles, qui permettent dassurer la surveillance et la protection de nos côtes. Là encore, je suis conscient des efforts et de lengagement nécessaires pour quun tel contrat opérationnel, qui na pas été modifié par le Livre blanc, ne subisse ni interruption ni défaillance.
Quant à lintervention, elle se caractérise pour la Marine par les concepts de puissance, dendurance et de polyvalence. Puissance illustrée au plus haut point par les capacités de frappe du groupe aéronavale à bord du porte-avions. Endurance, qui permet à une task force de partir sous un faible préavis et de rester jusquà six mois sur le même théâtre. Polyvalence enfin, illustrée par le sous-marin nucléaire dattaque qui assure la protection sous-marine sur lavant de la force, surveille lactivité des côtes ennemies, sera capable de mettre en uvre des moyens de frappe et peut prendre en charge des opérations spéciales.
Voilà les missions qui structurent le contrat opérationnel de la Marine nationale. Ce contrat suppose le maintien dun niveau dexcellence, qui sera atteint en respectant les quatre principes énoncés par le Livre blanc, que jai déjà cité mais que je souhaite maintenant illustrer pour la Marine.
Le premier, cest lautonomie stratégique, qui doit garantir notre liberté dappréciation, de décision et daction. Ce principe explique le choix retenu dans le Livre blanc dun déploiement naval permanent dans une à deux zones maritimes, selon des options dépendant évidemment de lactualité et de notre politique. La présence continue, assurée depuis de nombreux mois, par des moyens navals de toutes sortes au large du Proche-Orient, est ainsi une application de cette règle. Cette surveillance et cette connaissance sont les conditions dune autonomie de décision et daction.
Le second concerne la cohérence des capacités avec les menaces et les missions. Cest une règle à la fois évidente dans une démarche defficience, et complexe tant il sagit de sadapter à toutes les évolutions géopolitiques. De ce point de vue, la Marine doit profiter de sa flexibilité, de son endurance et de la capacité de ses unités à travailler dans de multiples formats. Une frégate sait réaliser un certain nombre de missions de façon autonome, dautres dans le cadre dun groupe de frégates, comme Atalanta, dautres encore au sein dun groupe aéronaval ou amphibie. Cest en sappuyant sur cette souplesse demploi que vous assurerez la cohérence capacitaire recherchée.
Le troisième principe vise à la différenciation des forces. Cette précaution vis-à-vis de linflation technologique est sans doute appliquée de longue date dans la marine. Elle trouvera désormais de nouveaux champs. Une frégate multi-missions, incarnation de la polyvalence nécessaire et utile pour le noyau le plus critique de nos forces de combat, nest pas forcément le seul bâtiment adapté à la surveillance de nos côtes. Le développement de nouvelles armes comme lanti navires légers illustrera ladaptation aux types de conflits possibles impliquant des embarcations légères. La structure même du nouveau modèle de la Marine reflète la bonne adéquation de notre flotte aux conséquences du principe de différenciation. Et il en ira de même pour les développements de son activité opérationnelle, que je souhaite voir préserver au mieux. . .
Enfin le quatrième et dernier principe concerne la mutualisation de nos capacités, appliquée dune part entre les grandes missions de nos armées, dautre part avec nos partenaires européens. Le premier aspect vous est connu, cest le cas de la frégate brestoise qui participe à la sûreté de la force océanique stratégique, mais qui est aussi déployée régulièrement en océan Indien pour y garantir nos intérêts.
Le second aspect, celui de la coopération internationale, appelle plus de développements. La France doit tirer le meilleur parti, pour sa défense, de coopérations qui prennent de multiples formes : cest le cadre bilatéral qui nous unit au Royaume-Uni pour une capacité aéronavale commune dans le cadre du Traité de Lancaster House, cest la construction européenne avec des missions assumées entre Etats membres comme au large de la Somalie, cest notre engagement plein et entier en Adriatique ou dans lOcéan indien dans le cadre de lOTAN. Cette recherche dintérêts partagés nest pas dabord la réponse aux conséquences des économies budgétaires. Cest avant tout la certitude que nous serons ensemble dans la plupart des engagements de demain, parce que nous courons les mêmes risques et partageons la même volonté dy faire face.
Tout cela suppose, et je my engage aujourdhui, de garantir à la Marine les moyens dassurer, dans un format plus resserré, le spectre des missions qui lui seront dévolues, avec le même degré de réussite que celui atteint dans les dernières opérations. Se pose ainsi la question des capacités elles-mêmes.
Lenjeu est en premier lieu de poursuivre la modernisation et le renouvellement des capacités de la Marine nationale. Puisque nous sommes en train de préparer la prochaine LPM, je veux ici à Toulon réaffirmer les axes deffort qui sont les nôtres, avec un certain nombre de priorités dans le domaine des forces navales.
Il sagit tout dabord de progresser dans la mise en uvre des programmes ambitieux et structurants que représentent les FREMM et les Barracuda.
Sur les 11 FREMM déjà commandées, 6 bâtiments seront livrés dici à 2019. Lobjectif de six Barracudas est confirmé.
Il sagit ensuite dassurer les moyens de la projection de puissance, avec la régénération du potentiel. Dautres renouvellements sont attendus. Certains interviendront dans la LPM 2014-2019, comme la rénovation du porte-avions lors de son arrêt de mi-vie, le développement de la FREMM, dont celles à capacité étendue pour la défense aérienne, ou le missile de croisière naval.
Il sagira aussi de prévoir la poursuite du renouvellement de la flotte de surface avec la future frégate de taille intermédiaire, les capacités modernisées de lutte anti mines, les unités à vocation logistique, ou encore la rénovation des Atlantique 2.
Et, en dépit des contraintes budgétaires, la prise en compte par le ministère de la défense des capacités liées à nos missions outre-mer sera aussi un objectif de la prochaine loi.
Voilà le premier enjeu dans la déclinaison de ce modèle, qui est donc de poursuivre la modernisation et le renouvellement des capacités de la Marine. Le deuxième concerne le maintien dune activité opérationnelle suffisante.
Je veux souligner devant vous limportance que revêt à mes yeux le maintien dun niveau dactivité suffisant et cohérent avec nos missions. Cest dabord une condition defficacité opérationnelle ; cest aussi une condition de sécurité ; cest enfin un facteur dattractivité du métier que vous avez choisi, et lune des clés du moral des hommes et des femmes qui servent au sein des forces. Depuis mon arrivée, cest surtout lune de mes préoccupations personnelles les plus constantes, je veux que vous le sachiez, comme vos chefs le savent.
Animé de ce souci, je ferai en sorte que les ressources consacrées à lentretien des matériels, navals comme aéronautiques, soient prioritaires dans la loi de programmation militaire. Lenjeu est de garantir la cohérence du modèle vis-à-vis des contrats opérationnels. Jen ai conscience et jentends my tenir.
Enfin, dans le contexte de crise que jai rappelé tout à lheure,cette modernisation des capacités et cette activité opérationnelle ne pourront se concrétiser sans de nouveaux efforts. Je mesure ceux que la Marine nationale a déjà consentis ces dernières années. De nouveaux vont être demandés, comme aux autres armées et à lensemble du ministère, à la fois en termes deffectifs et de structures. Ce travail sera conduit en stricte cohérence avec le contrat opérationnel tel que je viens de vous le présenter.
Mesdames et Messieurs,
A mes yeux, notre défense traverse aujourdhui une épreuve, avec le défi de ladaptation et la nécessité de trouver un nouvel équilibre. Mais elle en a vu dautres, bien pires, souvent plus dangereuses, dans son histoire. Notre chance, cest que nous disposons dune base solide pour conduire les changements qui simposent, pour traverser cette passe difficile.
Aujourdhui je viens avec un projet, pour nos armées et la Marine en particulier, un projet crédible et ambitieux ; je souhaite quil soit le vôtre, parce que vous servirez demain au sein de cette armée dont nous écrivons aujourdhui le futur. Mais je viens aussi avec un message : la Marine nationale a de lavenir, et votre engagement rencontre plus que jamais lattente et le soutien de la Nation.
Lheure est maintenant à la mobilisation. Dans le défi qui nous attend, vous êtes soutenus et attendus par les Français. Ils comptent sur vous, pour que la France, demain, continue davoir une défense performante, des armées en qui elle se reconnaisse. Ministre de la Défense, sous lautorité du Président de la République, cest le cap que je veux fixer.
A travers vous, je madresse aussi à lensemble de la Marine. A tous, jexprime ma confiance. Ensemble, nous construisons et nous construirons une Marine moderne, opérationnelle, fière de ses traditions, consciente de ses qualités, forte de ses valeurs, mais aussi ouverte sur lavenir. Cest là le message que je tenais à vous porter.
Vive la République, vive la France !
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 juin 2013
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux dêtre avec vous. Jétais venu ici, à Toulon, peu de temps après ma prise de fonction, pour me faire présenter les principales missions et capacités de la Marine. Jy reviens aujourdhui, pour vous présenter les lignes de force du nouveau Livre blanc et ce quil signifie pour la Marine de demain.
Lorsque le Président de la République, il y a exactement un an, a souhaité me confier la charge du ministère de la défense, je me suis fait une promesse : celle de conduire ma mission avec un souci constant, celui de la vérité et de la sincérité que jestime devoir à toutes celles et tous ceux qui sengagent, et pour nombre dentre eux, engagent leur vie, au service du pays.
Cest dans cet esprit que jai réuni, le 29 avril, les commandeurs et les hauts responsables du ministère, pour leur présenter le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et cest dans le même esprit que je viens aujourdhui partager avec vous ses principales conclusions. Ce Livre blanc fixe un cap à nos armées pour les douze ans qui viennent. Un cap de vérité et dambition à la fois. De vérité, parce que notre défense traverse, à bien des égards, une situation difficile ; mais dambition aussi, parce que nous avons un projet ambitieux, élaboré ces derniers mois avec vos chefs, dans le double souci, qui nous rassemble, des intérêts de la France et de lefficacité de sa défense. Je voudrais vous faire partager cette double démarche de lucidité et dambition.
Pourquoi un nouveau Livre blanc ? Le dernier date de 2008, mais en cinq ans, des bouleversements importants ont affecté notre environnement, et il fallait en tirer les conséquences pour notre défense.
Il y a en premier lieu la nouvelle donne économique et financière, qui sest révélée peu de temps après la publication du Livre blanc de 2008, mais qui navait pas pu être anticipée par lui.
Les crises économiques et financières ont particulièrement frappé le monde occidental, à plusieurs reprises, comme le montre la situation de plusieurs de nos partenaires européens et même des Etats-Unis. Il sagit là dune donnée nouvelle, qui affaiblit le monde occidental et touche le cur même de la souveraineté des Etats. La pression de la dette publique, donc de la dépendance vis-à-vis de créanciers, a atteint des niveaux inconnus jusque-là.
A cela sajoute la situation budgétaire de notre défense elle-même qui est grandement fragilisée. Ainsi le modèle darmée de 2008, sans doute trop optimiste et conçu avant les grandes crises financières, était clairement devenu inatteignable, au plan financier mais aussi au plan opérationnel. Cest ce que les plus hauts responsables militaires soulignaient dès le début de lannée 2011 : il était donc grand temps den prendre acte.
Au-delà de la contrainte budgétaire, lorganisation de notre défense a été marquée, ces dernières années, par de fortes tensions, et jai pleine conscience des difficultés que peuvent rencontrer nos soldats. Je ne connais pas de ministère qui ait connu autant de réformes depuis 1997, avec des réussites bien sûr, mais aussi avec des échecs. Ainsi, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, des réformes ont été appliquées de façon souvent trop brutale. Je pense à la mise en place des bases de défense, qui a généré des difficultés parfois considérables dans la vie quotidienne des forces. Je pense au système de paiement des soldes Louvois.
En second lieu, il était temps, cinq ans après le précédent Livre blanc, de prendre acte et tirer les enseignements de mutations profondes intervenues dans notre environnement géopolitique et géostratégique.
Je pense à la mutation de la politique étrangère américaine, avec la fin des guerres en Irak et en Afghanistan, et le rééquilibrage vers lAsie : laccroissement impressionnant des forces de surface et sous-marines de cette région du monde est à cet égard suffisamment démonstrative. Je pense aux révolutions arabes, qui ont fait naître des espoirs mais qui aujourdhui font redouter des situations dinstabilité grave, comme on le constate chaque jour en Syrie ou même en Libye. Je pense aux nouvelles donnes de la sécurité en Afrique, marquée par la montée en puissance du phénomène jihadiste armé dans la zone sahélienne et la déstabilisation de régions entières qui en est résultée. Je pense aussi aux évolutions du terrorisme international après la disparition de Ben Laden et la diffusion de mouvements apparentés à Al Qaïda dans de nombreuses régions. Ces changements composent la vision dun monde où la guerre reste possible, où les crises sont probables et où les atteintes à notre sécurité nationale sont permanentes.
Dans ce contexte sombre, et en dépit des difficultés de gestion croissantes dont jai parlé il y a un instant, nos armées font tous les jours la preuve de leur valeur, de leur efficacité comme de leur capacité dadaptation aux engagements qui leur sont demandés. Je veux le souligner devant vous. Depuis ma prise de fonctions, jai eu souvent loccasion de vérifier, sur le terrain, limmense qualité de nos forces et le professionnalisme, le dévouement, le courage, des hommes et des femmes qui les composent. Cest le cas de notre engagement au Mali, qui montre une image exemplaire de nos armées, comme cest le cas pour toutes les opérations que vous conduisez au quotidien.
Nous pouvons donc être fiers de notre défense, reconnue à travers le monde pour ses qualités opérationnelles, technologiques et humaines, mais nous devons donc, aussi, être lucides sur un contexte qui la fragilise à beaucoup dégards. Tout le défi pour le Président de la République, le Gouvernement et moi-même, est bien là. Comment maintenir et adapter cet outil remarquable, devant des menaces qui ne vont pas baisser, dans un contexte économique et financier qui exerce une contrainte sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
A cette question, le nouveau Livre blanc apporte des premières réponses fortes.
Dabord, il refuse le déclassement stratégique de la France, en maintenant dans le temps leffort consacré par la Nation à sa défense, en dépit de la contrainte financière considérable qui sexerce sur le budget de lEtat. Cest une décision du Président de la République : la France ne baissera pas la garde. Cette priorité accordée à la défense nen demandera pas moins des efforts importants, mais la France restera le deuxième budget militaire de lUnion européenne. Elle consacrera à sa défense, en moyenne, 1,76% du PIB, en normes OTAN, dici 2020. Alors que la plupart des pays occidentaux sengagent dans des baisses drastiques de leur budget de défense je pense aux Etats-Unis qui ont annoncé des coupes de 1000 milliards de dollars dans leurs crédits militaires, je pense également au Royaume-Uni qui prépare des baisses significatives , dans ce contexte-là, cest un signe fort que donne la France en pérennisant son effort de défense.
En deuxième lieu, ce Livre blanc adopté un modèle darmée plus efficient, fondé sur une stratégie militaire renouvelée, que nous avons voulue mieux adaptée à la réalité des risques et des menaces auxquels nous faisons face. Cette stratégie, élaborée avec vos chefs, est dabord caractérisée par larticulation nouvelle de trois missions fondamentales : la protection de la France et des Français, la dissuasion nucléaire, lintervention extérieure. Cest une définition, je crois, simple et claire de nos priorités.
Pour assurer ces trois missions, nous avons retenu quatre principes :
- 1° lautonomie stratégique, pour garantir notre liberté dappréciation, de décision et daction, et pouvoir prendre linitiative dopérations, en y entraînant, le cas échéant, nos partenaires,
- 2° la cohérence des capacités, pour que la France reste capable de faire face à tous les types de risques et de menaces qui la viseraient,
- 3° la différenciation des forces, parce que nous avons fait le choix déquiper et dorganiser nos forces en fonction des missions quelles sont appelées à remplir
- 4° la mutualisation de nos capacités les plus coûteuses, entre les différentes grandes missions de nos armées mais aussi avec nos partenaires européens.
Cest sur la base de ces quatre principes que le Livre blanc définit dune part les contrats opérationnels assignés à nos armées, dautre part le modèle darmées lui-même. Jy reviendrai.
Les nouveaux contrats opérationnels, qui entreront en vigueur au 1er janvier 2014, distinguent les missions permanentes et non permanentes.
Les forces armées devront être aptes à poursuivre en permanence la mission de dissuasion, reposant sur deux composantes, toutes les deux confortées par le programme de simulation.
Elles garantiront la protection permanente du territoire et de la population, en particulier par la surveillance des approches aériennes et maritimes. Je veux dire ici combien mes premiers déplacements outremer mont montré à quel point cette surveillance aéro-maritime était essentielle à la lutte contre toutes les formes de terrorismes et tous les types de trafics.
Elles devront enfin être capables en permanence dassurer certaines missions de présence, qui sont familières à notre Marine lorsquil sagit de croiser dans certaines zones dintérêt stratégique, ou bien de faire face à lurgence, en ayant recours dans ce cas au réservoir interarmées de forces disponibles à cet effet.
En ce qui concerne les missions non-permanentes, les armées devront pouvoir participer à une opération dentrée en premier sur un théâtre de guerre dans les trois milieux, ou à des opérations de gestion des crises internationales sur plusieurs théâtres daction. Cela implique des capacités importantes, je pense notamment au groupe aéronaval.
Je reviendrai tout à lheure sur le modèle darmée et sa déclinaison pour la Marine, mais je vous en livre déjà les grandes lignes. Les forces navales sarticuleront autour des quatre SNLE pour ce qui est de la mission de dissuasion, et, pour la projection de puissance ou la gestion des crises, du porte-avions, de trois bâtiments de projection et de commandement, de six sous-marins nucléaires dattaque et de quinze frégates de premier rang. Dautres unités de combat, moins puissantes, permettront de couvrir lensemble du spectre des missions confiées à la marine, sans trop solliciter les unités les plus importantes. Ce sera le cas des six frégates de surveillance, dune quinzaine de patrouilleurs ainsi que des moyens de guerre des mines, de ravitaillement et dassistance.
Ce modèle repose aussi sur le choix du Président de la République de conserver limpératif industriel comme une clé de notre autonomie stratégique. Nos industries de défense sont à la fois lune des conditions de notre souveraineté, un levier fort pour le redressement productif du pays, sa compétitivité, et un important facteur demplois. Limpératif industriel est donc la troisième orientation qui a gouverné les choix de ce Livre blanc.
Lenjeu est notamment le renouvellement de nos équipements dici 2025. Beaucoup sont vieillissants, je le sais, et vous le savez pour le vivre tous les jours. Jai conscience que leur modernisation se fera à un rythme plus lent que celui prévu en 2008. Mais le niveau de ressources décidé comme le modèle darmée que je viens dévoquer nous permettront dassurer au fur et à mesure le renouvellement de toutes les capacités critiques indispensables à nos armées.
Enfin, quatrième et dernière orientation, la France doit tirer le meilleur parti, pour sa défense, de la construction européenne et de son insertion au sein dalliances, en particulier lAlliance atlantique. La construction de lEurope de la défense, à laquelle je consacre beaucoup dénergie depuis des mois, porte ses premiers fruits, au triple plan opérationnel (avec laccord inédit des 27 Etats-membres pour la mission EUTM Mali), capacitaire et industriel. Ma démarche est marquée par un choix de pragmatisme, et je my tiendrai.
A ce titre, elle se nourrit des relations bilatérales que nous devons plus que jamais développer, je pense notamment à la démarche franco-britannique, initiée par les traités de Lancaster House de novembre 2010, ou aux liens étroits que nous développons avec lAllemagne, lItalie ou la Pologne. Cette recherche dintérêts partagés entre Européens va de pair avec un engagement plein et, je dois le dire, sans complexe de la France dans les structures militaires de lOrganisation atlantique. Ces deux engagements sont étroitement complémentaires dans notre stratégie.
Au-delà de ce modèle darmée et de cette stratégie renouvelée, dont je viens de vous exposer les grandes lignes, ce Livre blanc acte un certain nombre de priorités pour notre défense.
Priorités géostratégiques dabord, dans la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, lAfrique (plus particulièrement du Sahel à lAfrique équatoriale), le Golfe arabo-persique et lOcéan indien.
Ce sont là des priorités cohérentes avec notre situation géographique et la force des liens culturels, économiques, politiques que nous avons tissés avec ces différents espaces dans lhistoire. Mais cest aussi, pour nos armées, pour vous, un rappel des opérations de ces vingt dernières années. De Balbuzarddans lAdriatique à Harmattan en Libye, de Licorne en Côte dIvoire à Atalante au large de la Somalie, il nest pas de zones cités par le Livre blanc où vous nayez pas déjà été engagés, parfois seuls mais le plus souvent dans des opérations interarmées et internationales. Cest aujourdhui le cas du Mali, où les marins du ciel contribuent à laction aérienne dans des missions de reconnaissance ou dappui à nos troupes au sol ; cest le cas des commandos marines qui trouvent toute leur place dans les opérations des forces spéciales, dont on connait limportance déterminante dans cette crise ; cest le cas des marins de surface, enfin, qui acheminent dans lurgence, le gros de la logistique terrestre sur le théâtre dopération.
Priorités capacitaires ensuite.
Je pense à la cyberdéfense, nouveau champ stratégique auquel le Livre blanc accorde une place majeure, à la fois pour identifier lorigine des attaques et pour mettre en place une capacité de défense adaptée, y compris offensive.
Je pense au renseignement, qui est lune des clés de lautonomie stratégique et de lefficacité opérationnelle ; à son profit, nous allons amplifier les efforts entrepris, mais dans le même temps, nous mettrons laccent sur la mutualisation des moyens techniques et la nécessité, démocratique, dun contrôle renforcé de services de renseignement bénéficiant de cette attention prioritaire. Le renseignement, cest aussi votre présence au quotidien sur les mers, que ce soit pour assurer la surveillance de nos approches, ou pour renseigner nos autorités le long de côtes hostiles, avec des bâtiments spécialement dédiés, ou avec dautres
Je pense aussi aux forces spéciales, dont les crises de ces dernières années ont rappelé toute limportance lorsquil faut réagir dans lurgence, par surprise, dans la profondeur de dispositifs hostiles ou complexes. Prenant acte de leurs qualités, le Livre blanc prévoit le renforcement de leurs capacités et la programmation militaire confirmera cette orientation.
Au chapitre des priorités capacitaires, je pense encore à nos capacités de frappe de précision à distance, appuyées sur les moyens de ciblage qui sont une clé du combat moderne, et, en parallèle, à celles de nos forces de contact. Larrivée demain dans la Marine du missile de croisière naval ou MDCN, tant sur les sous-marins nucléaires dattaque que sur les FREMM, consacrera la place enfin accordée à ce type de capacités et ouvrira à notre Marine, par les capacités de ce système darmes, de nouveaux champs pour laction de la mer vers la terre.
Ces moyens techniques ne prennent tout leur sens que si elles sont mises en uvre par du personnel compétent et entraîné. Doù limportance que jaccorde à lactivité opérationnelle. Celle-ci dans la période financièrement difficile qui est devant nous, sera au maximum préservée.
Notre troisième grande priorité concerne les hommes et les femmes de la défense, militaires et civils. Parce que la cohésion de la communauté de défense est la condition première de son efficacité et partant de ses succès, la concertation devra jouer tout son rôle au sein du ministère, au service dune politique déquilibre et déquité en matière de ressources humaines. Citoyens comme les autres, les militaires doivent enfin pouvoir élaborer des projets de vie professionnelle, qui prennent en compte leur engagement familial. Il faut quils puissent, le cas échéant, bénéficier de toutes les évolutions sociales qui permettent aujourdhui, autant que possible, de concilier engagement professionnel et vie personnelle. Cette priorité, cest aussi la prise en compte de la judiciarisation croissante des opérations, qui doit tenir compte des spécificités du métier des armes. Enfin, nous devons à la suite du Livre blanc engager une réflexion sur le lien qui rattache nos armées à la Nation, en donnant toute sa place à la réserve, opérationnelle et citoyenne.
Ces grandes priorités, qui ouvrent lhorizon en rapprochant notre défense des grands défis de sécurité qui sont devant nous, suffisent à montrer quil ne sagit pas dun modèle durgence ou bien de pure attente. Au contraire nous avons voulu concevoir un modèle davenir et de long terme. Dans le contexte critique que jai rappelé tout à lheure, cest le modèle plus équilibré possible. En disant cela, je ne me dissimule pas, et je ne vous cache pas, quil sagit dun modèle exigeant, qui sera difficile pour tous.
Ainsi, le format des forces et du ministère devra être revu. Chacun ici sy attendait. Mais nous avons décidé, cest un choix important et qui nétait pas acquis à lavance, de toucher le moins possible au format des forces opérationnelles. La contraction des effectifs sera donc sensiblement moins importante que celle décidée en 2009, avec une nouvelle réduction denviron 24 000 postes. Pour ce faire, et aussi pour obtenir le maximum defficacité dans ces réductions, nous devrons prolonger le mouvement de restructurations déjà engagé par lactuelle loi de programmation. Je sais limpact que de telles décisions peuvent avoir sur les personnes touchées, sur les territoires, sur les collectivités. Il faudra donc les accompagner, en prenant toujours la mesure des situations concrètes.
Dans le même temps, nous devrons optimiser la dépense. Jai conscience que nous allons devoir consentir, au profit de lactivité opérationnelle et des programmes déquipements, des efforts supplémentaires sur le fonctionnement quotidien du ministère. Tout en ayant conscience du prix de ces efforts, je veux rappeler que la défense participe ici à un effort budgétaire qui est celui de lensemble de lEtat, et au regard duquel elle est relativement préservée, compte-tenu de ses spécificités.
Au-delà de cette présentation générale du Livre blanc, je voudrais profiter de notre rencontre pour évoquer plus précisément son impact sur la Marine nationale.
Depuis mon arrivée, jai pu mesurer lexceptionnelle communauté que représentait le ministère de la défense, qui marche dun seul pas vers laccomplissement de sa mission. Mais jai pu aussi apprécier la diversité des savoir-faire et des cultures quil abrite, et la richesse que cela représente.
Ainsi, je vous le dis avec force : la France a besoin dune Marine nationale, à la fois équipée, entraînée et performante. Dautant que cette Marine est au cur de chacune des trois missions fondamentales défini par le Livre blanc : protection, dissuasion et intervention.
En matière de dissuasion, vous avez le privilège de lassurer sous leau, avec la force océanique stratégique, et offrez une capacité aérienne, avec la force aéronavale nucléaire. Cest pour moi loccasion de rendre hommage aux quarante ans de permanence de la dissuasion océanique, anniversaire que nous avons fêté à lautomne 2012. 460 patrouilles opérationnelles, quarante ans de continuité sans une seule interruption, cest sans doute lillustration le plus forte de ce que signifie le mot « permanence » de la mission.
En matière de sûreté maritime, ce sont les bâtiments en mer ou dalerte, aussi bien dans les approches de la métropole que pour les vastes espaces de lOutre-mer, cest la chaîne des sémaphores, cest le recueil des données depuis tous les senseurs possibles, qui permettent dassurer la surveillance et la protection de nos côtes. Là encore, je suis conscient des efforts et de lengagement nécessaires pour quun tel contrat opérationnel, qui na pas été modifié par le Livre blanc, ne subisse ni interruption ni défaillance.
Quant à lintervention, elle se caractérise pour la Marine par les concepts de puissance, dendurance et de polyvalence. Puissance illustrée au plus haut point par les capacités de frappe du groupe aéronavale à bord du porte-avions. Endurance, qui permet à une task force de partir sous un faible préavis et de rester jusquà six mois sur le même théâtre. Polyvalence enfin, illustrée par le sous-marin nucléaire dattaque qui assure la protection sous-marine sur lavant de la force, surveille lactivité des côtes ennemies, sera capable de mettre en uvre des moyens de frappe et peut prendre en charge des opérations spéciales.
Voilà les missions qui structurent le contrat opérationnel de la Marine nationale. Ce contrat suppose le maintien dun niveau dexcellence, qui sera atteint en respectant les quatre principes énoncés par le Livre blanc, que jai déjà cité mais que je souhaite maintenant illustrer pour la Marine.
Le premier, cest lautonomie stratégique, qui doit garantir notre liberté dappréciation, de décision et daction. Ce principe explique le choix retenu dans le Livre blanc dun déploiement naval permanent dans une à deux zones maritimes, selon des options dépendant évidemment de lactualité et de notre politique. La présence continue, assurée depuis de nombreux mois, par des moyens navals de toutes sortes au large du Proche-Orient, est ainsi une application de cette règle. Cette surveillance et cette connaissance sont les conditions dune autonomie de décision et daction.
Le second concerne la cohérence des capacités avec les menaces et les missions. Cest une règle à la fois évidente dans une démarche defficience, et complexe tant il sagit de sadapter à toutes les évolutions géopolitiques. De ce point de vue, la Marine doit profiter de sa flexibilité, de son endurance et de la capacité de ses unités à travailler dans de multiples formats. Une frégate sait réaliser un certain nombre de missions de façon autonome, dautres dans le cadre dun groupe de frégates, comme Atalanta, dautres encore au sein dun groupe aéronaval ou amphibie. Cest en sappuyant sur cette souplesse demploi que vous assurerez la cohérence capacitaire recherchée.
Le troisième principe vise à la différenciation des forces. Cette précaution vis-à-vis de linflation technologique est sans doute appliquée de longue date dans la marine. Elle trouvera désormais de nouveaux champs. Une frégate multi-missions, incarnation de la polyvalence nécessaire et utile pour le noyau le plus critique de nos forces de combat, nest pas forcément le seul bâtiment adapté à la surveillance de nos côtes. Le développement de nouvelles armes comme lanti navires légers illustrera ladaptation aux types de conflits possibles impliquant des embarcations légères. La structure même du nouveau modèle de la Marine reflète la bonne adéquation de notre flotte aux conséquences du principe de différenciation. Et il en ira de même pour les développements de son activité opérationnelle, que je souhaite voir préserver au mieux. . .
Enfin le quatrième et dernier principe concerne la mutualisation de nos capacités, appliquée dune part entre les grandes missions de nos armées, dautre part avec nos partenaires européens. Le premier aspect vous est connu, cest le cas de la frégate brestoise qui participe à la sûreté de la force océanique stratégique, mais qui est aussi déployée régulièrement en océan Indien pour y garantir nos intérêts.
Le second aspect, celui de la coopération internationale, appelle plus de développements. La France doit tirer le meilleur parti, pour sa défense, de coopérations qui prennent de multiples formes : cest le cadre bilatéral qui nous unit au Royaume-Uni pour une capacité aéronavale commune dans le cadre du Traité de Lancaster House, cest la construction européenne avec des missions assumées entre Etats membres comme au large de la Somalie, cest notre engagement plein et entier en Adriatique ou dans lOcéan indien dans le cadre de lOTAN. Cette recherche dintérêts partagés nest pas dabord la réponse aux conséquences des économies budgétaires. Cest avant tout la certitude que nous serons ensemble dans la plupart des engagements de demain, parce que nous courons les mêmes risques et partageons la même volonté dy faire face.
Tout cela suppose, et je my engage aujourdhui, de garantir à la Marine les moyens dassurer, dans un format plus resserré, le spectre des missions qui lui seront dévolues, avec le même degré de réussite que celui atteint dans les dernières opérations. Se pose ainsi la question des capacités elles-mêmes.
Lenjeu est en premier lieu de poursuivre la modernisation et le renouvellement des capacités de la Marine nationale. Puisque nous sommes en train de préparer la prochaine LPM, je veux ici à Toulon réaffirmer les axes deffort qui sont les nôtres, avec un certain nombre de priorités dans le domaine des forces navales.
Il sagit tout dabord de progresser dans la mise en uvre des programmes ambitieux et structurants que représentent les FREMM et les Barracuda.
Sur les 11 FREMM déjà commandées, 6 bâtiments seront livrés dici à 2019. Lobjectif de six Barracudas est confirmé.
Il sagit ensuite dassurer les moyens de la projection de puissance, avec la régénération du potentiel. Dautres renouvellements sont attendus. Certains interviendront dans la LPM 2014-2019, comme la rénovation du porte-avions lors de son arrêt de mi-vie, le développement de la FREMM, dont celles à capacité étendue pour la défense aérienne, ou le missile de croisière naval.
Il sagira aussi de prévoir la poursuite du renouvellement de la flotte de surface avec la future frégate de taille intermédiaire, les capacités modernisées de lutte anti mines, les unités à vocation logistique, ou encore la rénovation des Atlantique 2.
Et, en dépit des contraintes budgétaires, la prise en compte par le ministère de la défense des capacités liées à nos missions outre-mer sera aussi un objectif de la prochaine loi.
Voilà le premier enjeu dans la déclinaison de ce modèle, qui est donc de poursuivre la modernisation et le renouvellement des capacités de la Marine. Le deuxième concerne le maintien dune activité opérationnelle suffisante.
Je veux souligner devant vous limportance que revêt à mes yeux le maintien dun niveau dactivité suffisant et cohérent avec nos missions. Cest dabord une condition defficacité opérationnelle ; cest aussi une condition de sécurité ; cest enfin un facteur dattractivité du métier que vous avez choisi, et lune des clés du moral des hommes et des femmes qui servent au sein des forces. Depuis mon arrivée, cest surtout lune de mes préoccupations personnelles les plus constantes, je veux que vous le sachiez, comme vos chefs le savent.
Animé de ce souci, je ferai en sorte que les ressources consacrées à lentretien des matériels, navals comme aéronautiques, soient prioritaires dans la loi de programmation militaire. Lenjeu est de garantir la cohérence du modèle vis-à-vis des contrats opérationnels. Jen ai conscience et jentends my tenir.
Enfin, dans le contexte de crise que jai rappelé tout à lheure,cette modernisation des capacités et cette activité opérationnelle ne pourront se concrétiser sans de nouveaux efforts. Je mesure ceux que la Marine nationale a déjà consentis ces dernières années. De nouveaux vont être demandés, comme aux autres armées et à lensemble du ministère, à la fois en termes deffectifs et de structures. Ce travail sera conduit en stricte cohérence avec le contrat opérationnel tel que je viens de vous le présenter.
Mesdames et Messieurs,
A mes yeux, notre défense traverse aujourdhui une épreuve, avec le défi de ladaptation et la nécessité de trouver un nouvel équilibre. Mais elle en a vu dautres, bien pires, souvent plus dangereuses, dans son histoire. Notre chance, cest que nous disposons dune base solide pour conduire les changements qui simposent, pour traverser cette passe difficile.
Aujourdhui je viens avec un projet, pour nos armées et la Marine en particulier, un projet crédible et ambitieux ; je souhaite quil soit le vôtre, parce que vous servirez demain au sein de cette armée dont nous écrivons aujourdhui le futur. Mais je viens aussi avec un message : la Marine nationale a de lavenir, et votre engagement rencontre plus que jamais lattente et le soutien de la Nation.
Lheure est maintenant à la mobilisation. Dans le défi qui nous attend, vous êtes soutenus et attendus par les Français. Ils comptent sur vous, pour que la France, demain, continue davoir une défense performante, des armées en qui elle se reconnaisse. Ministre de la Défense, sous lautorité du Président de la République, cest le cap que je veux fixer.
A travers vous, je madresse aussi à lensemble de la Marine. A tous, jexprime ma confiance. Ensemble, nous construisons et nous construirons une Marine moderne, opérationnelle, fière de ses traditions, consciente de ses qualités, forte de ses valeurs, mais aussi ouverte sur lavenir. Cest là le message que je tenais à vous porter.
Vive la République, vive la France !
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 juin 2013