Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la politique de défense, à Toulon le 20 juin 2013.

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Circonstance : Discours de présentation du Livre blanc à la Marine nationale, à Toulon (Var) le 20 juin 2013

Texte intégral

Amiral,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d’être avec vous. J’étais venu ici, à Toulon, peu de temps après ma prise de fonction, pour me faire présenter les principales missions et capacités de la Marine. J’y reviens aujourd’hui, pour vous présenter les lignes de force du nouveau Livre blanc et ce qu’il signifie pour la Marine de demain.
Lorsque le Président de la République, il y a exactement un an, a souhaité me confier la charge du ministère de la défense, je me suis fait une promesse : celle de conduire ma mission avec un souci constant, celui de la vérité et de la sincérité que j’estime devoir à toutes celles et tous ceux qui s’engagent, et pour nombre d’entre eux, engagent leur vie, au service du pays.
C’est dans cet esprit que j’ai réuni, le 29 avril, les commandeurs et les hauts responsables du ministère, pour leur présenter le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et c’est dans le même esprit que je viens aujourd’hui partager avec vous ses principales conclusions. Ce Livre blanc fixe un cap à nos armées pour les douze ans qui viennent. Un cap de vérité et d’ambition à la fois. De vérité, parce que notre défense traverse, à bien des égards, une situation difficile ; mais d’ambition aussi, parce que nous avons un projet ambitieux, élaboré ces derniers mois avec vos chefs, dans le double souci, qui nous rassemble, des intérêts de la France et de l’efficacité de sa défense. Je voudrais vous faire partager cette double démarche de lucidité et d’ambition.
Pourquoi un nouveau Livre blanc ? Le dernier date de 2008, mais en cinq ans, des bouleversements importants ont affecté notre environnement, et il fallait en tirer les conséquences pour notre défense.
Il y a en premier lieu la nouvelle donne économique et financière, qui s’est révélée peu de temps après la publication du Livre blanc de 2008, mais qui n’avait pas pu être anticipée par lui.
Les crises économiques et financières ont particulièrement frappé le monde occidental, à plusieurs reprises, comme le montre la situation de plusieurs de nos partenaires européens et même des Etats-Unis. Il s’agit là d’une donnée nouvelle, qui affaiblit le monde occidental et touche le cœur même de la souveraineté des Etats. La pression de la dette publique, donc de la dépendance vis-à-vis de créanciers, a atteint des niveaux inconnus jusque-là.
A cela s’ajoute la situation budgétaire de notre défense elle-même qui est grandement fragilisée. Ainsi le modèle d’armée de 2008, sans doute trop optimiste et conçu avant les grandes crises financières, était clairement devenu inatteignable, au plan financier mais aussi au plan opérationnel. C’est ce que les plus hauts responsables militaires soulignaient dès le début de l’année 2011 : il était donc grand temps d’en prendre acte.
Au-delà de la contrainte budgétaire, l’organisation de notre défense a été marquée, ces dernières années, par de fortes tensions, et j’ai pleine conscience des difficultés que peuvent rencontrer nos soldats. Je ne connais pas de ministère qui ait connu autant de réformes depuis 1997, avec des réussites bien sûr, mais aussi avec des échecs. Ainsi, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, des réformes ont été appliquées de façon souvent trop brutale. Je pense à la mise en place des bases de défense, qui a généré des difficultés parfois considérables dans la vie quotidienne des forces. Je pense au système de paiement des soldes Louvois.
En second lieu, il était temps, cinq ans après le précédent Livre blanc, de prendre acte et tirer les enseignements de mutations profondes intervenues dans notre environnement géopolitique et géostratégique.
Je pense à la mutation de la politique étrangère américaine, avec la fin des guerres en Irak et en Afghanistan, et le rééquilibrage vers l’Asie : l’accroissement impressionnant des forces de surface et sous-marines de cette région du monde est à cet égard suffisamment démonstrative. Je pense aux révolutions arabes, qui ont fait naître des espoirs mais qui aujourd’hui font redouter des situations d’instabilité grave, comme on le constate chaque jour en Syrie ou même en Libye. Je pense aux nouvelles donnes de la sécurité en Afrique, marquée par la montée en puissance du phénomène jihadiste armé dans la zone sahélienne et la déstabilisation de régions entières qui en est résultée. Je pense aussi aux évolutions du terrorisme international après la disparition de Ben Laden et la diffusion de mouvements apparentés à Al Qaïda dans de nombreuses régions. Ces changements composent la vision d’un monde où la guerre reste possible, où les crises sont probables et où les atteintes à notre sécurité nationale sont permanentes.
Dans ce contexte sombre, et en dépit des difficultés de gestion croissantes dont j’ai parlé il y a un instant, nos armées font tous les jours la preuve de leur valeur, de leur efficacité comme de leur capacité d’adaptation aux engagements qui leur sont demandés. Je veux le souligner devant vous. Depuis ma prise de fonctions, j’ai eu souvent l’occasion de vérifier, sur le terrain, l’immense qualité de nos forces et le professionnalisme, le dévouement, le courage, des hommes et des femmes qui les composent. C’est le cas de notre engagement au Mali, qui montre une image exemplaire de nos armées, comme c’est le cas pour toutes les opérations que vous conduisez au quotidien.
Nous pouvons donc être fiers de notre défense, reconnue à travers le monde pour ses qualités opérationnelles, technologiques et humaines, mais nous devons donc, aussi, être lucides sur un contexte qui la fragilise à beaucoup d’égards. Tout le défi pour le Président de la République, le Gouvernement et moi-même, est bien là. Comment maintenir et adapter cet outil remarquable, devant des menaces qui ne vont pas baisser, dans un contexte économique et financier qui exerce une contrainte sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
A cette question, le nouveau Livre blanc apporte des premières réponses fortes.
D’abord, il refuse le déclassement stratégique de la France, en maintenant dans le temps l’effort consacré par la Nation à sa défense, en dépit de la contrainte financière considérable qui s’exerce sur le budget de l’Etat. C’est une décision du Président de la République : la France ne baissera pas la garde. Cette priorité accordée à la défense n’en demandera pas moins des efforts importants, mais la France restera le deuxième budget militaire de l’Union européenne. Elle consacrera à sa défense, en moyenne, 1,76% du PIB, en normes OTAN, d’ici 2020. Alors que la plupart des pays occidentaux s’engagent dans des baisses drastiques de leur budget de défense – je pense aux Etats-Unis qui ont annoncé des coupes de 1000 milliards de dollars dans leurs crédits militaires, je pense également au Royaume-Uni qui prépare des baisses significatives –, dans ce contexte-là, c’est un signe fort que donne la France en pérennisant son effort de défense.
En deuxième lieu, ce Livre blanc adopté un modèle d’armée plus efficient, fondé sur une stratégie militaire renouvelée, que nous avons voulue mieux adaptée à la réalité des risques et des menaces auxquels nous faisons face. Cette stratégie, élaborée avec vos chefs, est d’abord caractérisée par l’articulation nouvelle de trois missions fondamentales : la protection de la France et des Français, la dissuasion nucléaire, l’intervention extérieure. C’est une définition, je crois, simple et claire de nos priorités.
Pour assurer ces trois missions, nous avons retenu quatre principes :
- 1° l’autonomie stratégique, pour garantir notre liberté d’appréciation, de décision et d’action, et pouvoir prendre l’initiative d’opérations, en y entraînant, le cas échéant, nos partenaires,
- 2° la cohérence des capacités, pour que la France reste capable de faire face à tous les types de risques et de menaces qui la viseraient,
- 3° la différenciation des forces, parce que nous avons fait le choix d’équiper et d’organiser nos forces en fonction des missions qu’elles sont appelées à remplir
- 4° la mutualisation de nos capacités les plus coûteuses, entre les différentes grandes missions de nos armées mais aussi avec nos partenaires européens.
C’est sur la base de ces quatre principes que le Livre blanc définit d’une part les contrats opérationnels assignés à nos armées, d’autre part le modèle d’armées lui-même. J’y reviendrai.
Les nouveaux contrats opérationnels, qui entreront en vigueur au 1er janvier 2014, distinguent les missions permanentes et non permanentes.
Les forces armées devront être aptes à poursuivre en permanence la mission de dissuasion, reposant sur deux composantes, toutes les deux confortées par le programme de simulation.
Elles garantiront la protection permanente du territoire et de la population, en particulier par la surveillance des approches aériennes et maritimes. Je veux dire ici combien mes premiers déplacements outremer m’ont montré à quel point cette surveillance aéro-maritime était essentielle à la lutte contre toutes les formes de terrorismes et tous les types de trafics.
Elles devront enfin être capables en permanence d’assurer certaines missions de présence, qui sont familières à notre Marine lorsqu’il s’agit de croiser dans certaines zones d’intérêt stratégique, ou bien de faire face à l’urgence, en ayant recours dans ce cas au réservoir interarmées de forces disponibles à cet effet.
En ce qui concerne les missions non-permanentes, les armées devront pouvoir participer à une opération d’entrée en premier sur un théâtre de guerre dans les trois milieux, ou à des opérations de gestion des crises internationales sur plusieurs théâtres d’action. Cela implique des capacités importantes, je pense notamment au groupe aéronaval.
Je reviendrai tout à l’heure sur le modèle d’armée et sa déclinaison pour la Marine, mais je vous en livre déjà les grandes lignes. Les forces navales s’articuleront autour des quatre SNLE pour ce qui est de la mission de dissuasion, et, pour la projection de puissance ou la gestion des crises, du porte-avions, de trois bâtiments de projection et de commandement, de six sous-marins nucléaires d’attaque et de quinze frégates de premier rang. D’autres unités de combat, moins puissantes, permettront de couvrir l’ensemble du spectre des missions confiées à la marine, sans trop solliciter les unités les plus importantes. Ce sera le cas des six frégates de surveillance, d’une quinzaine de patrouilleurs ainsi que des moyens de guerre des mines, de ravitaillement et d’assistance.
Ce modèle repose aussi sur le choix du Président de la République de conserver l’impératif industriel comme une clé de notre autonomie stratégique. Nos industries de défense sont à la fois l’une des conditions de notre souveraineté, un levier fort pour le redressement productif du pays, sa compétitivité, et un important facteur d’emplois. L’impératif industriel est donc la troisième orientation qui a gouverné les choix de ce Livre blanc.
L’enjeu est notamment le renouvellement de nos équipements d’ici 2025. Beaucoup sont vieillissants, je le sais, et vous le savez pour le vivre tous les jours. J’ai conscience que leur modernisation se fera à un rythme plus lent que celui prévu en 2008. Mais le niveau de ressources décidé comme le modèle d’armée que je viens d’évoquer nous permettront d’assurer au fur et à mesure le renouvellement de toutes les capacités critiques indispensables à nos armées.
Enfin, quatrième et dernière orientation, la France doit tirer le meilleur parti, pour sa défense, de la construction européenne et de son insertion au sein d’alliances, en particulier l’Alliance atlantique. La construction de l’Europe de la défense, à laquelle je consacre beaucoup d’énergie depuis des mois, porte ses premiers fruits, au triple plan opérationnel (avec l’accord – inédit – des 27 Etats-membres pour la mission EUTM Mali), capacitaire et industriel. Ma démarche est marquée par un choix de pragmatisme, et je m’y tiendrai.
A ce titre, elle se nourrit des relations bilatérales que nous devons plus que jamais développer, je pense notamment à la démarche franco-britannique, initiée par les traités de Lancaster House de novembre 2010, ou aux liens étroits que nous développons avec l’Allemagne, l’Italie ou la Pologne. Cette recherche d’intérêts partagés entre Européens va de pair avec un engagement plein et, je dois le dire, sans complexe de la France dans les structures militaires de l’Organisation atlantique. Ces deux engagements sont étroitement complémentaires dans notre stratégie.
Au-delà de ce modèle d’armée et de cette stratégie renouvelée, dont je viens de vous exposer les grandes lignes, ce Livre blanc acte un certain nombre de priorités pour notre défense.
Priorités géostratégiques d’abord, dans la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, l’Afrique (plus particulièrement du Sahel à l’Afrique équatoriale), le Golfe arabo-persique et l’Océan indien.
Ce sont là des priorités cohérentes avec notre situation géographique et la force des liens culturels, économiques, politiques que nous avons tissés avec ces différents espaces dans l’histoire. Mais c’est aussi, pour nos armées, pour vous, un rappel des opérations de ces vingt dernières années. De Balbuzarddans l’Adriatique à Harmattan en Libye, de Licorne en Côte d’Ivoire à Atalante au large de la Somalie, il n’est pas de zones cités par le Livre blanc où vous n’ayez pas déjà été engagés, parfois seuls mais le plus souvent dans des opérations interarmées et internationales. C’est aujourd’hui le cas du Mali, où les marins du ciel contribuent à l’action aérienne dans des missions de reconnaissance ou d’appui à nos troupes au sol ; c’est le cas des commandos marines qui trouvent toute leur place dans les opérations des forces spéciales, dont on connait l’importance déterminante dans cette crise ; c’est le cas des marins de surface, enfin, qui acheminent dans l’urgence, le gros de la logistique terrestre sur le théâtre d‘opération.
Priorités capacitaires ensuite.
Je pense à la cyberdéfense, nouveau champ stratégique auquel le Livre blanc accorde une place majeure, à la fois pour identifier l’origine des attaques et pour mettre en place une capacité de défense adaptée, y compris offensive.
Je pense au renseignement, qui est l’une des clés de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle ; à son profit, nous allons amplifier les efforts entrepris, mais dans le même temps, nous mettrons l’accent sur la mutualisation des moyens techniques et la nécessité, démocratique, d’un contrôle renforcé de services de renseignement bénéficiant de cette attention prioritaire. Le renseignement, c’est aussi votre présence au quotidien sur les mers, que ce soit pour assurer la surveillance de nos approches, ou pour renseigner nos autorités le long de côtes hostiles, avec des bâtiments spécialement dédiés, ou avec d’autres…
Je pense aussi aux forces spéciales, dont les crises de ces dernières années ont rappelé toute l’importance lorsqu’il faut réagir dans l’urgence, par surprise, dans la profondeur de dispositifs hostiles ou complexes. Prenant acte de leurs qualités, le Livre blanc prévoit le renforcement de leurs capacités et la programmation militaire confirmera cette orientation.
Au chapitre des priorités capacitaires, je pense encore à nos capacités de frappe de précision à distance, appuyées sur les moyens de ciblage qui sont une clé du combat moderne, et, en parallèle, à celles de nos forces de contact. L’arrivée demain dans la Marine du missile de croisière naval ou MDCN, tant sur les sous-marins nucléaires d’attaque que sur les FREMM, consacrera la place enfin accordée à ce type de capacités et ouvrira à notre Marine, par les capacités de ce système d’armes, de nouveaux champs pour l’action de la mer vers la terre.
Ces moyens techniques ne prennent tout leur sens que si elles sont mises en œuvre par du personnel compétent et entraîné. D’où l’importance que j’accorde à l’activité opérationnelle. Celle-ci dans la période financièrement difficile qui est devant nous, sera au maximum préservée.
Notre troisième grande priorité concerne les hommes et les femmes de la défense, militaires et civils. Parce que la cohésion de la communauté de défense est la condition première de son efficacité et partant de ses succès, la concertation devra jouer tout son rôle au sein du ministère, au service d’une politique d’équilibre et d’équité en matière de ressources humaines. Citoyens comme les autres, les militaires doivent enfin pouvoir élaborer des projets de vie professionnelle, qui prennent en compte leur engagement familial. Il faut qu’ils puissent, le cas échéant, bénéficier de toutes les évolutions sociales qui permettent aujourd’hui, autant que possible, de concilier engagement professionnel et vie personnelle. Cette priorité, c’est aussi la prise en compte de la judiciarisation croissante des opérations, qui doit tenir compte des spécificités du métier des armes. Enfin, nous devons à la suite du Livre blanc engager une réflexion sur le lien qui rattache nos armées à la Nation, en donnant toute sa place à la réserve, opérationnelle et citoyenne.
Ces grandes priorités, qui ouvrent l’horizon en rapprochant notre défense des grands défis de sécurité qui sont devant nous, suffisent à montrer qu’il ne s’agit pas d’un modèle d’urgence ou bien de pure attente. Au contraire nous avons voulu concevoir un modèle d’avenir et de long terme. Dans le contexte critique que j’ai rappelé tout à l’heure, c’est le modèle plus équilibré possible. En disant cela, je ne me dissimule pas, et je ne vous cache pas, qu’il s’agit d’un modèle exigeant, qui sera difficile pour tous.
Ainsi, le format des forces et du ministère devra être revu. Chacun ici s’y attendait. Mais nous avons décidé, c’est un choix important et qui n’était pas acquis à l’avance, de toucher le moins possible au format des forces opérationnelles. La contraction des effectifs sera donc sensiblement moins importante que celle décidée en 2009, avec une nouvelle réduction d’environ 24 000 postes. Pour ce faire, et aussi pour obtenir le maximum d’efficacité dans ces réductions, nous devrons prolonger le mouvement de restructurations déjà engagé par l’actuelle loi de programmation. Je sais l’impact que de telles décisions peuvent avoir sur les personnes touchées, sur les territoires, sur les collectivités. Il faudra donc les accompagner, en prenant toujours la mesure des situations concrètes.
Dans le même temps, nous devrons optimiser la dépense. J’ai conscience que nous allons devoir consentir, au profit de l’activité opérationnelle et des programmes d’équipements, des efforts supplémentaires sur le fonctionnement quotidien du ministère. Tout en ayant conscience du prix de ces efforts, je veux rappeler que la défense participe ici à un effort budgétaire qui est celui de l’ensemble de l’Etat, et au regard duquel elle est relativement préservée, compte-tenu de ses spécificités.
Au-delà de cette présentation générale du Livre blanc, je voudrais profiter de notre rencontre pour évoquer plus précisément son impact sur la Marine nationale.
Depuis mon arrivée, j’ai pu mesurer l’exceptionnelle communauté que représentait le ministère de la défense, qui marche d’un seul pas vers l’accomplissement de sa mission. Mais j’ai pu aussi apprécier la diversité des savoir-faire et des cultures qu’il abrite, et la richesse que cela représente.
Ainsi, je vous le dis avec force : la France a besoin d’une Marine nationale, à la fois équipée, entraînée et performante. D’autant que cette Marine est au cœur de chacune des trois missions fondamentales défini par le Livre blanc : protection, dissuasion et intervention.
En matière de dissuasion, vous avez le privilège de l’assurer sous l’eau, avec la force océanique stratégique, et offrez une capacité aérienne, avec la force aéronavale nucléaire. C’est pour moi l’occasion de rendre hommage aux quarante ans de permanence de la dissuasion océanique, anniversaire que nous avons fêté à l’automne 2012. 460 patrouilles opérationnelles, quarante ans de continuité sans une seule interruption, c’est sans doute l’illustration le plus forte de ce que signifie le mot « permanence » de la mission.
En matière de sûreté maritime, ce sont les bâtiments en mer ou d’alerte, aussi bien dans les approches de la métropole que pour les vastes espaces de l’Outre-mer, c’est la chaîne des sémaphores, c’est le recueil des données depuis tous les senseurs possibles, qui permettent d’assurer la surveillance et la protection de nos côtes. Là encore, je suis conscient des efforts et de l’engagement nécessaires pour qu’un tel contrat opérationnel, qui n’a pas été modifié par le Livre blanc, ne subisse ni interruption ni défaillance.
Quant à l’intervention, elle se caractérise pour la Marine par les concepts de puissance, d’endurance et de polyvalence. Puissance illustrée au plus haut point par les capacités de frappe du groupe aéronavale à bord du porte-avions. Endurance, qui permet à une task force de partir sous un faible préavis et de rester jusqu’à six mois sur le même théâtre. Polyvalence enfin, illustrée par le sous-marin nucléaire d’attaque qui assure la protection sous-marine sur l’avant de la force, surveille l’activité des côtes ennemies, sera capable de mettre en œuvre des moyens de frappe et peut prendre en charge des opérations spéciales.
Voilà les missions qui structurent le contrat opérationnel de la Marine nationale. Ce contrat suppose le maintien d’un niveau d’excellence, qui sera atteint en respectant les quatre principes énoncés par le Livre blanc, que j’ai déjà cité mais que je souhaite maintenant illustrer pour la Marine.
Le premier, c’est l’autonomie stratégique, qui doit garantir notre liberté d’appréciation, de décision et d’action. Ce principe explique le choix retenu dans le Livre blanc d’un déploiement naval permanent dans une à deux zones maritimes, selon des options dépendant évidemment de l’actualité et de notre politique. La présence continue, assurée depuis de nombreux mois, par des moyens navals de toutes sortes au large du Proche-Orient, est ainsi une application de cette règle. Cette surveillance et cette connaissance sont les conditions d’une autonomie de décision et d’action.
Le second concerne la cohérence des capacités avec les menaces et les missions. C’est une règle à la fois évidente dans une démarche d’efficience, et complexe tant il s’agit de s’adapter à toutes les évolutions géopolitiques. De ce point de vue, la Marine doit profiter de sa flexibilité, de son endurance et de la capacité de ses unités à travailler dans de multiples formats. Une frégate sait réaliser un certain nombre de missions de façon autonome, d’autres dans le cadre d’un groupe de frégates, comme Atalanta, d’autres encore au sein d’un groupe aéronaval ou amphibie. C’est en s’appuyant sur cette souplesse d’emploi que vous assurerez la cohérence capacitaire recherchée.
Le troisième principe vise à la différenciation des forces. Cette précaution vis-à-vis de l’inflation technologique est sans doute appliquée de longue date dans la marine. Elle trouvera désormais de nouveaux champs. Une frégate multi-missions, incarnation de la polyvalence nécessaire et utile pour le noyau le plus critique de nos forces de combat, n’est pas forcément le seul bâtiment adapté à la surveillance de nos côtes. Le développement de nouvelles armes comme l’anti navires légers illustrera l’adaptation aux types de conflits possibles impliquant des embarcations légères. La structure même du nouveau modèle de la Marine reflète la bonne adéquation de notre flotte aux conséquences du principe de différenciation. Et il en ira de même pour les développements de son activité opérationnelle, que je souhaite voir préserver au mieux. . .
Enfin le quatrième et dernier principe concerne la mutualisation de nos capacités, appliquée d’une part entre les grandes missions de nos armées, d’autre part avec nos partenaires européens. Le premier aspect vous est connu, c’est le cas de la frégate brestoise qui participe à la sûreté de la force océanique stratégique, mais qui est aussi déployée régulièrement en océan Indien pour y garantir nos intérêts.
Le second aspect, celui de la coopération internationale, appelle plus de développements. La France doit tirer le meilleur parti, pour sa défense, de coopérations qui prennent de multiples formes : c’est le cadre bilatéral qui nous unit au Royaume-Uni pour une capacité aéronavale commune dans le cadre du Traité de Lancaster House, c’est la construction européenne avec des missions assumées entre Etats membres comme au large de la Somalie, c’est notre engagement plein et entier en Adriatique ou dans l’Océan indien dans le cadre de l’OTAN. Cette recherche d’intérêts partagés n’est pas d’abord la réponse aux conséquences des économies budgétaires. C’est avant tout la certitude que nous serons ensemble dans la plupart des engagements de demain, parce que nous courons les mêmes risques et partageons la même volonté d’y faire face.
Tout cela suppose, et je m’y engage aujourd’hui, de garantir à la Marine les moyens d’assurer, dans un format plus resserré, le spectre des missions qui lui seront dévolues, avec le même degré de réussite que celui atteint dans les dernières opérations. Se pose ainsi la question des capacités elles-mêmes.
L’enjeu est en premier lieu de poursuivre la modernisation et le renouvellement des capacités de la Marine nationale. Puisque nous sommes en train de préparer la prochaine LPM, je veux ici à Toulon réaffirmer les axes d’effort qui sont les nôtres, avec un certain nombre de priorités dans le domaine des forces navales.
Il s’agit tout d’abord de progresser dans la mise en œuvre des programmes ambitieux et structurants que représentent les FREMM et les Barracuda.
Sur les 11 FREMM déjà commandées, 6 bâtiments seront livrés d’ici à 2019. L’objectif de six Barracudas est confirmé.
Il s’agit ensuite d’assurer les moyens de la projection de puissance, avec la régénération du potentiel. D’autres renouvellements sont attendus. Certains interviendront dans la LPM 2014-2019, comme la rénovation du porte-avions lors de son arrêt de mi-vie, le développement de la FREMM, dont celles à capacité étendue pour la défense aérienne, ou le missile de croisière naval.
Il s’agira aussi de prévoir la poursuite du renouvellement de la flotte de surface avec la future frégate de taille intermédiaire, les capacités modernisées de lutte anti mines, les unités à vocation logistique, ou encore la rénovation des Atlantique 2.
Et, en dépit des contraintes budgétaires, la prise en compte par le ministère de la défense des capacités liées à nos missions outre-mer sera aussi un objectif de la prochaine loi.
Voilà le premier enjeu dans la déclinaison de ce modèle, qui est donc de poursuivre la modernisation et le renouvellement des capacités de la Marine. Le deuxième concerne le maintien d’une activité opérationnelle suffisante.
Je veux souligner devant vous l’importance que revêt à mes yeux le maintien d’un niveau d’activité suffisant et cohérent avec nos missions. C’est d’abord une condition d’efficacité opérationnelle ; c’est aussi une condition de sécurité ; c’est enfin un facteur d’attractivité du métier que vous avez choisi, et l’une des clés du moral des hommes et des femmes qui servent au sein des forces. Depuis mon arrivée, c’est surtout l’une de mes préoccupations personnelles les plus constantes, je veux que vous le sachiez, comme vos chefs le savent.
Animé de ce souci, je ferai en sorte que les ressources consacrées à l’entretien des matériels, navals comme aéronautiques, soient prioritaires dans la loi de programmation militaire. L’enjeu est de garantir la cohérence du modèle vis-à-vis des contrats opérationnels. J’en ai conscience et j’entends m’y tenir.
Enfin, dans le contexte de crise que j’ai rappelé tout à l’heure,cette modernisation des capacités et cette activité opérationnelle ne pourront se concrétiser sans de nouveaux efforts. Je mesure ceux que la Marine nationale a déjà consentis ces dernières années. De nouveaux vont être demandés, comme aux autres armées et à l’ensemble du ministère, à la fois en termes d’effectifs et de structures. Ce travail sera conduit en stricte cohérence avec le contrat opérationnel tel que je viens de vous le présenter.
Mesdames et Messieurs,
A mes yeux, notre défense traverse aujourd’hui une épreuve, avec le défi de l’adaptation et la nécessité de trouver un nouvel équilibre. Mais elle en a vu d’autres, bien pires, souvent plus dangereuses, dans son histoire. Notre chance, c’est que nous disposons d’une base solide pour conduire les changements qui s’imposent, pour traverser cette passe difficile.
Aujourd’hui je viens avec un projet, pour nos armées et la Marine en particulier, un projet crédible et ambitieux ; je souhaite qu’il soit le vôtre, parce que vous servirez demain au sein de cette armée dont nous écrivons aujourd’hui le futur. Mais je viens aussi avec un message : la Marine nationale a de l’avenir, et votre engagement rencontre plus que jamais l’attente et le soutien de la Nation.
L’heure est maintenant à la mobilisation. Dans le défi qui nous attend, vous êtes soutenus et attendus par les Français. Ils comptent sur vous, pour que la France, demain, continue d’avoir une défense performante, des armées en qui elle se reconnaisse. Ministre de la Défense, sous l’autorité du Président de la République, c’est le cap que je veux fixer.
A travers vous, je m’adresse aussi à l’ensemble de la Marine. A tous, j’exprime ma confiance. Ensemble, nous construisons et nous construirons une Marine moderne, opérationnelle, fière de ses traditions, consciente de ses qualités, forte de ses valeurs, mais aussi ouverte sur l’avenir. C’est là le message que je tenais à vous porter.
Vive la République, vive la France !
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 juin 2013