Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à France-Inter le 11 juin 2013, sur le conflit du travail à Michelin et les contrats Emplois d'avenir

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Vous êtes là dans le cadre de l’Observatoire des promesses avec notre partenaire LE PARISIEN AUJOURD’HUI EN FRANCE, pour parler de l’emploi des jeunes. Deux jeunes en recherche d’emploi viendront vous interpeler à 8H40, mais l’emploi c’est d’abord MICHELIN, 750 postes supprimés à Joué-Lès-Tours. Est-il exact que les pouvoirs publics étaient au courant de la décision de MICHELIN, et si oui, depuis quand ?
MICHEL SAPIN
C’est aux salariés, c’est aux représentants des salariés que MICHELIN, que la direction de MICHELIN, que la direction de l’usine, comme la direction de l’ensemble de cette grande entreprise, doit des informations, doit des explications. Le dialogue social c’est d’abord respecter les partenaires sociaux et les partenaires sociaux dans l’entreprise, et ce à quoi le gouvernement, moi-même, ministre du dialogue social, nous serons particulièrement attentifs, c’est à la qualité de ce dialogue social, à la vérité de ce dialogue social, et à la capacité pour cette grande entreprise d’accompagner les restructurations qu’elle considère comme nécessaires, mais qui doivent ni provoquer, comme disent certains, de la casse sociale, ni de la casse locale.
PATRICK COHEN
Mais le gouvernement peut jouer les garde-fous sur des projets qui lui paraissent injustifiés, et je rappelle que le patron de MICHELIN, on l’a entendu tout à l’heure à 8H00, indique, il le dit aussi dans les colonnes du FIGARO ce matin, « le gouvernement a été largement informé de nos projets, nous en avons parlé très directement avec les principaux ministres concernés », Michel SAPIN. Ce n’est pas vrai ?
MICHEL SAPIN
Là encore, puisque vous reposez la question, qu’une grande entreprise comme MICHELIN ait des contacts avec les ministres qui sont concernés par le fonctionnement d’une grande entreprise comme celle-ci, c’est la moindre des choses, d’ailleurs si ce n’était pas le cas, le reproche nous en serait fait. Mais un plan social, c’est quelque chose de très concret et de très précis, et ça se discute avec les représentants des salariés, sinon c’est contraire à la loi. La loi veut, elle doit être respectée, et elle sera respectée, que les informations soient données d’abord et avant tout aux représentants, c’est ce qui a d’ailleurs été fait, un peu, me semble-t-il, en catastrophe, puisqu’il y a dû y avoir quelques fuites, ça a été fait dès lundi et mardi, et ça doit être fait en bonne et due forme. Pour le reste, à quoi nous sommes attentifs. Vous dites il y a des garde-fous, oui. En quoi sommes-nous des garde-fous ? Garde-fous sur la qualité du dialogue social. Je veux un dialogue social exemplaire, respectueux, et en particulier respectueux des salariés, qui sont aujourd’hui dans une grande difficulté. Je veux qu’il y ait un accompagnement des salariés en difficulté. Je vais le dire simplement, il ne faut pas qu’il y ait un salarié de MICHELIN qui se retrouve à Pôle Emploi, pas un salarié de MICHELIN à Pôle Emploi, avec ce que ça veut dire en termes de difficultés personnelles. Et je veux, c’est là où il y aura aussi une exigence très forte, qu’il y ait une réindustrialisation du site. Parce que, MICHELIN va réinvestir ailleurs, va créer des emplois ailleurs, donc d’un certain point de vue on pourrait regarder globalement et dire les choses vont, peut-être pas à quelques centaines près…
PATRICK COHEN
Quand vous dites ailleurs, c’est ailleurs en France ?
MICHEL SAPIN
Ailleurs en France.
PATRICK COHEN
Parce que MICHELIN investit beaucoup dans le monde et à l’international.
MICHEL SAPIN
Evidemment, c’est une grande entreprise internationale, heureusement qu’elle investit aussi à l’international pour vendre en Chine des pneus fabriqués en Chine, ça ne me paraît pas anormal, mais MICHELIN va, par exemple, beaucoup investir à la Roche-sur-Yon. Si je puis dire comme cela, Joué-Lès-Tours pleure, mais la Roche-sur-Yon, d’un certain point de vue, je ne veux pas dire rit, mais en tout cas se réjouit des investissements et des créations…
PATRICK COHEN
Les syndicats soulignent que c’était des investissements qui étaient déjà prévus.
MICHEL SAPIN
Et des créations d’emplois. Mais ce qui va se passer, c’est que ça va se concentrer, le négatif va se concentrer sur un site, Joué-Lès-Tours, et donc sur ce site, au-delà de l’accompagnement de chacun des salariés, il doit y avoir aussi une opération de réindustrialisation. MICHELIN gagne de l’argent…
PATRICK COHEN
Beaucoup d’argent.
MICHEL SAPIN
MICHELIN doit utiliser…
PATRICK COHEN
1,5 milliard d’euros de résultat net l’an dernier.
MICHEL SAPIN
Absolument. MICHELIN doit utiliser une partie de cet argent gagné, pour qu’il n’y ait aucun MICHELIN à Pôle Emploi, et pour que le site de Joué-Lès-Tours soit réindustrialisé.
PATRICK COHEN
MICHELIN est très bénéficiaire, délocalise à l’étranger, est-ce qu’on ne peut pas parler de licenciements boursiers, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Non, je ne pense pas qu’on parle de licenciements boursiers en l’occurrence, parce que l’objectif ce n’est pas de faire monter la bourse, l’objectif c’est de faire en sorte que cette entreprise soit dans 5 ans, et dans 10 ans, une entreprise toujours en activité. Et d’autant plus que je perçois, mais je n’ai pas les informations, je perçois qu’il y a des efforts qui sont faits en France, par MICHELIN, pour augmenter telle production, créer des emplois à tel ou tel endroit. C’est donc l’ensemble du plan qu’il faudra juger. Mais je reviens sur Joué-Lès-Tours, moi je suis de la région Centre, je connais Joué-Lès-Tours, je connais cette usine, et je sais le choc que c’est pour cette région, choc considérable. Joué-Lès-Tours, il y a une usine à Joué-Lès-Tours, c’est la grande usine de Joué-Lès-Tours, c’est un des fleurons de la Touraine et de la région Centre, donc le choc est énorme pour chacun des salariés. Pas un salarié à Pôle Emploi, voilà une exigence. Et le choc est énorme en termes d’activité, il faut une réindustrialisation de ce site.
PATRICK COHEN
On entend vos paroles, plutôt conciliantes, qui tranchent avec la virulence du gouvernement quand PSA a annoncé son plan social l’an dernier avec la fermeture d’Aulnay. Pourquoi cette sorte de mansuétude à l’égard de MICHELIN ?
MICHEL SAPIN
Je ne vois pas pourquoi vous parlez de mansuétude ou autres, chacun a ses responsabilités.
PATRICK COHEN
Enlevez la dernière phrase sur la mansuétude et je garde la façon dont le ton tranche avec les réactions hostiles à PSA.
MICHEL SAPIN
Qu’est-ce que nous avait choqué à PSA, et ce n’est peut-être pas tant à PSA qu’à d’autres qu’il fallait en faire le reproche, c’est qu’ils aient repoussé dans le temps, repoussé, repoussé, repoussé, pour ne rien annoncer avant une élection présidentielle, et, je le répète, je pense que le locataire précaire, par définition, de l’Elysée de l’époque, est plus responsable que le président de MICHELIN. Bien. Ça, ça nous avait choqués, parce que ça a des conséquences beaucoup plus graves. Quand on retarde une décision, les conséquences sont plus graves. Quand RENAULT a négocié, il y a peu de temps, un accord qui a permis de renforcer son industrialisation en France, de rapatrier un certain nombre de productions, tout en supprimant des postes, mais sans qu’il y ait un seul salarié de RENAULT à Pôle Emploi, nous avons dit c’est une bonne négociation et c’est un bon accord. Nous jugeons sur pièces, et nous jugerons MICHELIN sur pièces.
PATRICK COHEN
MICHELIN, ça vous rappelle de mauvais souvenirs à vous qui faisiez partie du gouvernement JOSPIN en 99 ?
MICHEL SAPIN
Oui, je vois à quoi vous voulez faire allusion, mais ça peut nous rappeler deux mauvais souvenirs. Le premier c’est, l’Etat ne peut pas tout, mais l’Etat peut beaucoup, et nous ferons beaucoup pour faire en sorte qu’il n’y ait pas aujourd’hui de catastrophe sociale…
PATRICK COHEN
Et ça avait donné lieu à un amendement MICHELIN dans la loi de modernisation sociale.
MICHEL SAPIN
Ça avait donné lieu à un amendement, c’est le deuxième mauvais souvenir, qui avait été annulé par le Conseil Constitutionnel.
PATRICK COHEN
Absolument.
MICHEL SAPIN
Comme quoi il ne suffit pas de déposer des amendements ou de faire des textes de loi…
PATRICK COHEN
C’était les communistes.
MICHEL SAPIN
On peut contrecarrer une réalité qui s’impose.
PATRICK COHEN
C’était le groupe communiste qui avait déposé cet amendement.
MICHEL SAPIN
Pas seulement, ça avait été voté par la majorité, sinon il n’aurait pas été inclus dans un texte de loi et il n’aurait pas été annulé par le Conseil Constitutionnel.
PATRICK COHEN
C’était l’obligation de négocier et d’appliquer les 35 heures avant tout plan social.
MICHEL SAPIN
C’était une forme d’interdiction de ce qu’on appelait déjà à l’époque les licenciements boursiers, ce qui ne peut pas se faire n’importe comment.
PATRICK COHEN
Exactement. L’emploi des jeunes, Michel SAPIN, promesse numéro 34 du programme de François HOLLANDE, « je créerai 150 000 Emplois d’Avenir pour faciliter l’insertion des jeunes dans l’emploi et l’action des associations en priorité dans les quartiers populaires. » Vous aviez un objectif de 100 000 contrats…
MICHEL SAPIN
J’ai un objectif.
PATRICK COHEN
Vous l’avez toujours, malgré…
MICHEL SAPIN
Malgré quoi ?
PATRICK COHEN
La faiblesse du décollage.
MICHEL SAPIN
Eh bien parce que quand un avion décolle…
PATRICK COHEN
20 000 contrats signés pour l’instant.
MICHEL SAPIN
Il décolle toujours plus lentement que lorsqu’il est en plein vol, c’est le propre même de toutes ces actions. Je vais vous donner juste un chiffre.
PATRICK COHEN
Vous êtes à combien aujourd’hui ?
MICHEL SAPIN
On est aux alentours de 25 000, et nous serons à peu près à 33 000, c'est-à-dire 33%, qui est l’objectif fixé. Je vais vous donner juste deux chiffres. On compare souvent aux Emplois Jeunes, de la période 97/ 98. Pour la même durée, pour la même période, c'est-à-dire quelques mois après le lancement, il y avait 20 000 Emplois Jeunes qui avaient été signés, pour une période où nous, nous en avons 25 000. Je ne veux pas dire qu’on est meilleur, mais je veux dire qu’on n’est pas plus mauvais. Que les choses, c’est normal, démarrent plus lentement, et vont s’accélérer ensuite. Moi je veux dire les choses clairement, parce que je commence à en avoir assez des ritournelles qui sont toujours sur le thème « ça ne marche pas », « ça ne marche pas », « ça ne marche pas », ça marche, ça marche les Emplois d’Avenir. Ça marche. J’étais hier à Lyon…
PATRICK COHEN
Vous-même, vous avez, paraît-il, engueulé quelques élus parce qu’ils ne font pas les efforts suffisants.
MICHEL SAPIN
Peut-être que c’est pour ça aussi que ça marche.
PATRICK COHEN
Ah bon ?
MICHEL SAPIN
Ça marche.
PATRICK COHEN
Donc il a fallu quand même remettre un peu de charbon dans le…
MICHEL SAPIN
Eh bien oui, mais c’est ça la politique, la politique ça ne consiste pas à avoir les bras de chaque côté ballants et à regarder passer les trains, ça consiste aussi, parfois, à conduire les trains pour essayer de faire en sorte qu’ils aillent plus vite et qu’il y ait plus de monde dans les wagons. C’est ce que j’ai fait, et tant mieux, parce que ça marche. J’étais à Lyon hier…
PATRICK COHEN
Y compris dans les zones…
MICHEL SAPIN
J’étais à Lyon hier, ils ont dépassé l’objectif qui était le leur, et moi je commence à dire aux uns et aux autres, faites attention, parce qu’à la fin de l’année il risquera peut-être d’en manquer, pour ceux qui en auraient besoin.
PATRICK COHEN
Y compris, Michel SAPIN, dans les zones qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les secteurs les plus défavorisés, je pense notamment à l’exemple de la Seine-Saint-Denis, les chiffres sont très faibles en Ile-de-France.
MICHEL SAPIN
Oui, parce qu’en Ile-de-France, et dans certaines agglomérations, c’était comme ça aussi avec d’autres dispositifs, c’est beaucoup plus difficile que dans certains endroits. Moi je suis élu d’une petite ville, donc de 5000 habitants, on connaît tous les jeunes, on peut les appeler par leur prénom, les missions locales ont une capacité de travailler avec chacun d’entre eux, c’est beaucoup plus difficile d’avoir cette proximité et cette capacité de travail dans les zones urbaines. Et pourtant, il faut que cet effort s’accentue dans ces quartiers-là parce que, oui, comme vous le disiez vous-même, ce programme il n’a pas été conçu pour ces seuls jeunes-là, mais il a été conçu, en grande partie, pour ces jeunes qui, dans certains quartiers, se trouvent être à plus de 50% au chômage. Déjà, à 24% c’est inadmissible, mais alors à 50% c’est insupportable.
PATRICK COHEN
Faudrait-il, comme on vous le suggère dans la majorité, à l’inverse ouvrir ce dispositif aux plus diplômés ?
MICHEL SAPIN
Mais non, puisque justement, et là vous nous en feriez le reproche, vous seriez les premiers, à juste titre, à faire le reproche.
PATRICK COHEN
Non, je vous pose la question simplement.
MICHEL SAPIN
Pourquoi est-ce que les Emplois d’Avenir ont été conçus ? pour ceux que vous venez de décrire, pour ceux qui sont le plus dans la difficulté, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas d’autres dans la difficulté, mais il y a d’autres dispositifs, le Contrat de Génération…
PATRICK COHEN
On le verra tout à l’heure.
MICHEL SAPIN
D’autres, qui peuvent répondre à cela, mais il y a 500 000 jeunes aujourd’hui, enfin il y en avait, maintenant il y en a 25 000 de moins, avec ces 25 000 Emplois d’Avenir qui ont été signés, il y a 500 000 jeunes qui aujourd’hui sont sans emploi et avec une très faible qualification. Ceux-là, si rien n’est fait, ils resteront toujours au bord de la route, toujours, eh bien ça ce n’est pas possible, et c’est pour cela que nous sommes très exigeants. Exigeants quant aux jeunes concernés, exigeants quant à la formation nécessaire. Chaque employeur a une formation qu’il doit dispenser auprès de ce jeune pour qu’il acquière un capital, qui soit son capital, son capital de savoirs, qui lui permette ensuite de réussir dans la vie.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 juin 2013