Interview de M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale à Canal Plus le 13 juin 2013, sur les relations entre l'école et les entreprises et l'enseignement professionnel.

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Média : Canal Plus

Texte intégral


APOLLINE DE MALHERBE
Alors juste après cette émission, vous allez filer à l’Elysée, réunion interministérielle, éducation et jeunesse, l’objectif c’est notamment de faire le lien entre école et emploi. Et justement, on a un peu l’impression qu’il est rouillé, ce lien, cette jonction entre école et emploi, comment vous allez faire pour la redynamiser ?
VINCENT PEILLON
Il y a beaucoup de choses, c’est vrai que traditionnellement, en France, j’avais un déjeuner hier avec des homologues, des autres pays d’Europe, l’école et les entreprises n’ont pas fait très bon ménage. Parce que l’école s’est construite contre le reste de la société. Ceci étant dit, les choses ont déjà beaucoup évoluées. Vous savez la moitié des bacheliers actuellement, sont des bacheliers technologiques ou professionnels, mais enfin, il faut faire un certain nombre de choses. Un, d’abord nous délivrons 700 diplômes professionnels pour préparer les jeunes à l’avenir. Les gens ne le savent pas assez. Mais il faut les actualiser…
APOLLINE DE MALHERBE
Rendre les choses plus concrètes c’est ça ?
VINCENT PEILLON
Il faut les actualiser, parce qu’aujourd’hui, les entreprises vont avoir besoin, vous avez parlé du numérique, la transition énergétique, et donc il faut actualiser nos formations. Pour ça, il faut que les entreprises soient présentes, à l’Education nationale, elles le sont avec les régions, il faut qu’elles le soient davantage.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça, c’est un de vos dadas, quand même, depuis le début, c’est de remettre du lien entre l’entreprise et l’école, c’est de la réal politique, est-ce que ce n’est pas un peu lourd à porter, pour un ministre de gauche, de faire rentrer l’entreprise à l’école ?
VINCENT PEILLON
Non, je crois qu’il faut arrêter de caricaturer les uns et les autres. Il faut que les gens se connaissent mieux. A l’école, vous savez, que nous exportons nos centres d’excellence lycée professionnel. Je pars en Algérie dans 3 jours, partout dans le monde, au Mexique, au Brésil, vous avez des professeurs de lycées professionnels français qui forment pour évidemment faire les travaux, les industries, le tourisme dans ces pays-là. Mais il faut aller plus loin, pourquoi ? Mais c’est très simple ! C’est que nous avons quand même 25 % de jeunes au chômage, des entreprises qui nous disent : nous avons des centaines de milliers de postes qui ne sont pas pourvus.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc faire des études pour des études, c’est fini ! Il faut faire des études pour l’emploi adaptées ?
VINCENT PEILLON
Non, pas du tout ! D’ailleurs on a besoin de beaucoup, ce que demandent les entreprises, là encore, c’est une caricature, c’est l’inverse, ils disent : montez-les le plus loin possible dans les études, car les métiers de demain, ce sont des métiers où on a besoin en réalité d’avoir fait…
APOLLINE DE MALHERBE
Des gens très qualifiés.
VINCENT PEILLON
Oui, de parler les langues étrangères, de savoir servir du numérique, de pouvoir changer de postes à plusieurs reprises…
ARIANE MASSENET
Ça, ce n’est pas adapté aujourd’hui ?
VINCENT PEILLON
Ce n’est pas adapté, si ! C’est pas mal adapté, mais il faut faire mieux. C'est-à-dire qu’on n’est pas dans le tout ou rien. Donc il y a beaucoup de choses à faire. Les parcours d’orientation à partir de la 6ème. En France, vous savez que les 150 000 décrocheurs…
APOLLINE DE MALHERBE
A partir de la 6ème, ça paraît hyper tôt !?
VINCENT PEILLON
Non, pour commencer à savoir quels sont les métiers qui existent. Les gens ne savent pas ! J’étais avec Louis GALLOIS et un certain nombre d’autres responsables dans un lycée, à Paris, le Lycée Diderot, magnifique, lundi. Les gens découvre, il y avait une formation extraordinaire, il n’y avait que des garçons, pas une fille ! Sauf la professeure. J’ai dit : mais comment se fait-il ? Mais parce que les filles, on leur fait croire encore que ces lycées professionnels, vous allez avoir de la graisse, porter des charges lourdes, alors que ce sont des métiers où on est derrière un ordinateur, on répare une montre comme ça, on a des modèles, donc ça, on a besoin de faire connaître aux enfants, les métiers de demain.
APOLLINE DE MALHERBE
La première, le moment de passage entre l’école et l’emploi, c’est le bac, un bac à 1,5 milliard d’euros, on en a beaucoup parlé cette semaine, 1,5 milliard d’euros, est-ce que ce n’est pas un peu cher pour un diplôme qui ne donne pas d’emploi ?
VINCENT PEILLON
Mais enfin, pourquoi vous reprenez ce chiffrage ? Moi, je représente l’école...
ARIANE MASSENET
Il n’est pas bon ?
APOLLINE DE MALHERBE
Vous ne le reconnaissez pas ce chiffrage ?
VINCENT PEILLON
C’est un chiffrage parmi d’autres, c’est en comptant toute l’année. Pourquoi on ne remonterait pas jusqu’à la maternelle. Le bachelier, il me coûte ce qu’il coûte de la maternelle, puisqu’il a…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc pour vous, le bac ne coûte pas 1,5 milliard ?
VINCENT PEILLON
Il peut en coûter 50, si vous voulez, comme il peut coûter, vous le savez, en frais réel, ce qui est dit, d’ailleurs, correction de copies, etc. 100 millions d’euros. Donc on peut toujours, mais enfin quand même, quel pays, nos enfants, nos élèves vont passer le bac lundi, il y a déjà trop de stress, notre école, elle est réputée pour créer du stress chez les enfants, du manque de confiance, du manque de bienveillance même, c’était le mot de la concertation. Mon travail, c’est de faire que les gens se sentent mieux, que les élèves aient envie d’aller plus loin, qu’il y ait du plaisir à apprendre…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que pour qu’ils se sentent mieux…
VINCENT PEILLON
Permettez-moi ! Et aujourd’hui, qu’est-ce qu’on trouve à faire, une polémique sur le bac à 4 jours, entre adultes hein ! Donc on va à cette occasion, je regardais la presse ce matin, ça coûte tant, moi, je ne suis pas d’accord, tel syndicat contre tel syndicat. Et là… non ! Moi, je vous dis…
ARIANE MASSENET
Est-ce qu’il a de la valeur ce bac aujourd’hui ?
VINCENT PEILLON
Allons passer le bac lundi, tranquillement et sereinement.
ARIANE MASSENET
Est-ce qu’il a de la valeur ce bac aujourd’hui ?
VINCENT PEILLON
Vous savez, c’est toujours pareil, oui, bien sûr, il a de la valeur. Ceux qui ne l’ont pas en souffrent. Nous sommes dans un pays où et ça encore, nous sommes recordmans et ce n’est peut-être pas une bonne chose, la corrélation entre les diplômes et les emplois. Plus vous avez de diplômes et plus facilement vous avez un emploi. Ceux qui sont le plus au chômage, ce sont ceux qui n’ont pas de diplôme, dont le baccalauréat. Donc il a une valeur ! Et il permet, comme vous le savez de continuer les études, c’est le passeport pour aller faire son BTS, pour faire sa licence, pour faire, bon ! Donc il a une valeur bien sûr !
APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites : il ne faut pas les angoisser les élèves…
VINCENT PEILLON
Non !
APOLLINE DE MALHERBE
Sauf que justement une des pistes, ça pourrait être de mettre plus de contrôle continu, pour du coup, que le jour J, soit un peu moins angoissant. On avait reçu lundi, l’un des plus jeunes prochains bacheliers de France et il disait : ça nous angoisse trop et surtout du coup, le jour J, il peut y avoir un accident. Est-ce que remettre un peu de contrôle continu, ça ne peut pas justement, être une façon de décrisper tout le monde ?
VINCENT PEILLON
D’abord il y en a ! Et cette année, c’est mon prédécesseur qui l’a fait, j’ai voulu regarder, c’est sur les langues. On en a rajouté et c’est la polémique. Voilà, la France et on prend ses enfants en otages. Donc moi, je ne le souhaite pas ! S’il doit y avoir sur le bac, je ne suis pas contre les débats et faire évoluer l’Education nationale, on le fera après le bac, si vous le voulez bien. Ça me semble plus raisonnable, comme ça, on montrera qu’on est des gens sérieux, et qu’on veut le bien des enfants.
APOLLINE DE MALHERBE
On va attendre la rentrée. On va attendre la rentrée. Vincent PEILLON vous participez désormais tous les lundis soirs à une réunion à Matignon, qu’on appelle « la réunion de coordination » et dans LE PARISIEN, ce matin, l’un des participants dit : AYRAULT s’était crispé avec beaucoup de ministres, aujourd’hui, il est plus détendu, les choses se passent mieux. Est-ce que vous confirmez que ça marche mieux ?
VINCENT PEILLON
Je crois. Je crois qu’il y a eu un temps de rodage, quand même. Je crois que nous gouvernons dans des circonstances très difficiles et je pense que depuis un moment à la fois sur l’orientation politique, très nette sur le plan européen, sur le plan économique, sur le plan de cette priorité à la jeunesse, qu’on revoit ce matin, quand je vous quitte pour aller à l’Elysée. Je pense que les choses vont mieux et qu’on a besoin de cette stabilité et de cette sérénité parce que dans un moment qui est difficile pour les Français, ça a été une année difficile, il va y avoir des mois encore difficiles. On a besoin de cohérence et de tranquillité, donc je trouve qu’il y a eu un progrès.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous vous parlez désormais, et ça passe mieux !
ARIANE MASSENET
On passe au « normal/pas normal » Vincent PEILLON. Le journal SUD OUEST qui dévoile que Bernard TAPIE, se serait exclamé le soir de l’élection de Nicolas SARKOZY, en 2007 : « Ca y est ! J’ai les sous. Ca y est ! J’ai les sous. »
VINCENT PEILLON
C’est amusant ! Pourquoi, vous dire normal, pas normal. Non, mais enfin, je ne connais pas le jeu, mais c’est curieux.
APOLLINE DE MALHERBE
Les rythmes scolaires…
VINCENT PEILLON
Je sens un soupçon sur Bernard TAPIE…
ARIANE MASSENET
Pas du tout !
VINCENT PEILLON
Moi, je ne suis pas dans cette fonction.
APOLLINE DE MALHERBE
Les rythmes scolaires à Paris, qui coincent un peu et qui du coup ont obligé la mairie de Paris à organiser des réunions en catastrophe à partir du 15 juin, pour rassurer les parents d’élèves. Est-ce que c’est normal ou pas normal ?
VINCENT PEILLON
Oui, c’est normal, toutes les grandes réformes de structures, on en a beaucoup devant nous, là, vous vous rendez compte, seul pas du monde, je recevais la presse étrangère, a 4 jours par semaine et quand on veut revenir à 4 jours et demi, ce qu’on a eu tous ! On voit la difficulté. Il faut avancer, je suis très, très reconnaissant, vraiment, à tous ces élus parisiens, qui ont affronté quand même des grèves difficiles, des mouvements assez violents, mais qui vont au contact, qui expliquent, qui essaient… voilà ! Et qui organisent aussi…
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu’il ne valait pas mieux attendre, une année supplémentaire, pour être sûr de le faire dans des bonnes conditions ?
VINCENT PEILLON
Certains ont choisi d’attendre une année supplémentaire, donc très bien ! Là, la mairie de Paris a fait un travail pédagogique dans l’intérêt des enfants, exceptionnel.
ARIANE MASSENET
La Grèce qui redevient un pays émergent, normal/pas normal ?
VINCENT PEILLON
C’est triste. C’est triste. Ce n’est ni normal, ni pas normal, on voit bien, justement qu’on va avoir ce conseil européen. Que la solidarité européenne doit jouer à plein, mais qu’elle suppose aussi, que les uns et les autres fassent un certain nombre d’efforts et se plient aux règles communes. Non, c’est ce qui se passe en Grèce, vous avez vu, ces jours-ci, est assez désolant et ça exige de notre part de la solidarité, car il faut faire attention aux évolutions, elles peuvent difficiles dans les jours qui viennent.
APOLLINE DE MALHERBE
La Commission européenne qui pourrait décider cette semaine dans le cadre de l’accord de libre-échange, avec les Etats-Unis, de brader notre exception culturelle, est-ce que c’est normal ou pas normal ?
VINCENT PEILLON
Ce n’est pas normal, je pense que la France, ne donnera pas mandat à la Commission pour cela. Les discussions se poursuivent, mais je vais vous dire, ce n’est pas seulement français, je voyais les pétitions d’artistes. Il faut que les uns et les autres mesures bien, que pour la production culturelle française et européenne, pour notre art, pour nos artistes, il y a là, quelque chose qui dangereux et donc il faut…
APOLLINE DE MALHERBE
On doit être solidaire contre José-Manuel BARROSO en quelque sorte ?
VINCENT PEILLON
Je pense que monsieur BARROSO qui a reçu, vous le savez il y a deux jours, une délégation d’artistes, plusieurs milliers de signataires, quand même…
APOLLINE DE MALHERBE
Qui sont désespérés aujourd’hui.
VINCENT PEILLON
Il n’a pas bien écouté. Donc je crois que la France aura des positions fermes et qu’il faut rechercher là, des solidarités aussi.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 juin 2013