Interview de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice, à Europe 1 le 4 juin 2013, sur la politique pénitentiaire et la sécurité dans les prisons.

Prononcé le

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Christiane TAUBIRA, bienvenue à la prison de Fleury-Mérogis. Merci, d’abord, de cette rencontre exceptionnelle avec EUROPE 1. Depuis Robert BADINTER, en 1976, à Fresnes, aucun ministre de la Justice n’avait accepté de faire une émission en direct d’une prison. Quand la majorité des 249 prisons de France ressemblera-t-elle à ce département tout neuf, et encore inoccupé, de Fleury-Mérogis, quand ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Alors c’est vrai qu’à Fleury-Mérogis nous avons des travaux conséquents de rénovation, c’est un programme de rénovation qui a commencé il y a 6 ans, qui coûte au total 500 millions d’euros, mais c’est ce gouvernement, celui de Jean-Marc AYRAULT, qui a mis la moitié du budget pour cette rénovation, puisque nous avons mis 250 millions d’euros.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça veut dire que vous allez accélération pour toute la construction de prisons.
CHRISTIANE TAUBIRA
Nous avons deux grands programmes de rénovation, nous en avons un à La Santé aussi, ainsi qu’aux Baumettes à Marseille, nous avons augmenté le budget de restauration du parc pénitentiaire, nous avons des constructions de prisons, parce qu’effectivement nous avons des établissements extrêmement vétustes, nous avons donc hérité…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et qui a une surpopulation, comme ici, le disait Jean-Marie DELARUE, il y a une surpopulation de 160% dans ce géant européen des prisons. Vous lancez, Christiane TAUBIRA, un plan pour renforcer la sécurité dans les prisons, 33 millions d’euros seront consacrés à de nouvelles technologies de surveillance. Est-ce qu’une nouvelle évasion de Redoine FAÏD, qui est ici à Fleury-Mérogis, et qui écoute peut-être s’il a une radio, ou d’autres détenus, deviendra impossible ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Alors nous allons revenir sur la surpopulation carcérale, j’espère, dans cette émission. Concernant ce plan de sécurité, alors les évasions, ce qu’il faut noter c’est que plus les établissements sont sécurisés, parce que c’est vrai que cette évasion a été spectaculaire, du coup elle a fait oublier que la France est un des pays d’Europe où le taux d’évasions est le plus faible.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pour celle-ci, pour cette évasion, on en parle, pour cette évasion…
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui, oui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous dites…
CHRISTIANE TAUBIRA
Ça n’empêche pas d’avoir une vision globale, Monsieur ELKABBACH…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, on va l’avoir…
CHRISTIANE TAUBIRA
Parce que je ne fonctionne pas aux faits divers, et je n’établis pas un plan de sécurité de 33 millions d’euros sur la base de l’évasion d’un individu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu’on peut être sûr que tous ceux qui ont été complices de cette évasion seront sanctionnés ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Bien entendu, parce que l’enquête est faite, le Parquet, ainsi que la JIRS de Lille, a pris les choses en main dès le premier jour, le travail se poursuit et vous verrez les résultats en temps utiles.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sur le plan général, vous faites installer différentes sortes de portiques, on l’a expliqué sur EUROPE 1 depuis 6H30 avec Bruce TOUSSAINT et toutes les équipes d’EUROPE, de la surveillance, des filets, pour lutter contre ce qui est projeté de l’extérieur, il paraît qu’il y a beaucoup d’éléments qui viennent de l’extérieur, à l’intérieur des prisons, c’est un premier pas important. Mais, ici, la sécurité, est-ce que c’est une question de portiques, de filets, de chiens dressés et d’argent, est-ce que c’est suffisant ?
CHRISTIANE TAUBIRA
D’abord ce n’est pas un premier pas, c’est un plan de sécurité, sérieux, conséquent, 33 millions d’euros, ça veut dire un effort de la part de l’Etat, mais c’est surtout un plan de sécurité qui s’inscrit dans une politique globale. Donc effectivement il y a ce qu’on appelle la sécurité passive, ce sont ces portiques, ces filets, ces caméras, ces glacis, voilà, toute une série de dispositifs, il y a aussi les miradors, vous savez qu’il y avait un plan de désarmement des miradors qui en était à sa troisième phase définitive, lorsque je suis arrivée, j’ai décidé de regarder les choses avec discernement et de ne pas désarmer certains miradors, mais il faut effectivement la sécurité active. Donc, ce plan de sécurité, qui n’est pas juste un premier pas, qui est un plan conséquent, permet d’une part de crédibiliser l’institution judiciaire, parce que ça n’a pas de sens qu’une décision soit prise par la justice et que dans nos établissements puissent entrer, des armes, des explosifs, des stupéfiants, ou d’autres choses, y compris des téléphones portables. Donc, ce plan de sécurité, il est évidemment logistique en termes d’équipements, comme les portiques, mais il concerne aussi des pratiques, des pratiques professionnelles notamment, parce qu’il y a le rappel d’un certain nombre de règles professionnelles, il implique aussi d’autres partenaires tels que les Parquets pour décider…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc c’est un plan d’ensemble. Christiane TAUBIRA, on va prendre un certain nombre de questions qui ont été posées tout au long de cette matinale spéciale…
CHRISTIANE TAUBIRA
Si c’est un plan d’ensemble il est peut-être bon que vous me laissiez le développer, mais je pense que…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais on aura l’occasion à travers…
CHRISTIANE TAUBIRA
Vous avez fait le travail.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, non non, on le fait.
CHRISTIANE TAUBIRA
Il faut montrer la cohérence, notamment, du plan lui-même, et de son raccord avec la logique globale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La cohérence va se dégager à travers tout ce que vous allez dire, y compris sur des questions…
CHRISTIANE TAUBIRA
Si vous arrivez à me laisser faire trois phrases, Monsieur ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bien sûr. Les téléphones portables restent interdits, ils seront brouillés. Ils étaient, pour les détenus, un moyen – d’après ce qu’on entend – de parler avec les familles, en dehors de quelques exceptions, et d’apaiser le climat à l’intérieur. C’est Jean-Marie DELARUE qui dit que plus on serre la vis en prison, plus les détenus deviennent agressifs et ils deviennent récidivistes. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de tension si on boucle complètement le système des portables ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Non mais ça ne se pose pas en termes de vis. Les portables ne sont pas autorisés en prison, ça n’interdit pas, parce qu’il est permis de passer des appels dans les établissements pénitentiaires, simplement c’est un établissement pénitentiaire, et on ne peut pas permettre des portables qui puissent permettre, par exemple, à des détenus, notamment dangereux, d’organiser des coups, à l’extérieur, ou de préparer des évasions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc on va développer les téléphones à l’intérieur des prisons.
CHRISTIANE TAUBIRA
Attendez…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les téléphones fixes.
CHRISTIANE TAUBIRA
Non non, raisonnons. Nous sommes dans des établissements pénitentiaires qui sont régis par la loi, et si vous êtes là aujourd’hui Monsieur… EUROPE 1, plutôt, EUROPE 1, d’abord vous en avez eu l’idée, bien entendu, mais je l’ai accepté très volontiers.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci encore une fois.
CHRISTIANE TAUBIRA
De même… non, mais c’est surtout pour dire l’esprit dans lequel il est important que les Français sachent ce qui se passe dans les établissements, et c’est pour ça que dans le projet de loi qui va consolider la protection des sources des journalistes, j’ai introduit une disposition qui permettra aux journalistes d’accompagner les parlementaires qui peuvent librement, déjà, entrer dans nos établissements. Il est important de rappeler que nos établissements sont dans la société, que ce sont des prisons républicaines, en tout cas je veux qu’elles le deviennent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Christiane TAUBIRA…
CHRISTIANE TAUBIRA
Donc, il y a des règles, il y a des règles de droit, il y a des règles de droit, qui sont notamment établies dans la loi pénitentiaire de 2009.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que les fouilles intégrales des détenus restent interdites ? Est-ce que vous confirmez, ce matin ici, qu’elles sont illégales ? Parce que ici ou là on nous dit qu’elles sont encore pratiquées. Elles sont supprimées, illégales ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Elles sont illégales et hier, lors de la présentation de mon plan sécurité, j’ai rappelé que nous n’allions pas remettre en cause l’article 57 de la loi pénitentiaire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De 2009.
CHRISTIANE TAUBIRA
Voilà, qui interdit ces fouilles systématiques. Il faut respecter, ce qu’a prévu la loi d’une part, et d’autre part… évidemment, parce que dès le début je dis à quel point le ministère de la Justice c’est le ministère de la Loi, le ministère des Libertés, le ministère du Droit, et un ministère de la Sécurité qui protège les citoyens. Donc nous respectons la dignité des détenus qui sont dans nos établissements, les juges ont prononcé la sanction, il n’y a pas lieu d’ajouter de la sanction à la sanction, et par conséquent ce qui est prévu par la loi doit être respecté, nous ne touchons pas à cet article.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous répondez ici à la question que posait tout à l’heure, Jean-Marie DELARUE directement à vous, à Bruce TOUSSAINT. Comment équilibrerez-vous enfermement, sécurité et dignité des personnes qui sont là, détenues ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Les prisons sont là pour accueillir les personnes que les juges ont décidé d’enfermer selon les faits commis. La loi pénitentiaire prévoit des aménagements de peine, pour des décisions d’incarcération, jusqu’à 2 ans, ça c’est le travail que font les conseils d’insertion et de probation, qui font un travail colossal, ainsi que les juges d’application des peines.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors justement…
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais, l’enfermement dans les prisons, on peut faire un débat sur les prisons, par exemple vous savez que nous avons à Casabianda en Corse un établissement qui est un établissement ouvert. Vous savez qu’il y a des débats sur la question de savoir dans quel type d’établissement… parce qu’on dit prisons, mais il y a les maisons centrales, il y a les maisons d’arrêt, voilà, il y a des types d’établissements différents…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tout ce qu’EUROPE 1 a expliqué depuis ce matin.
CHRISTIANE TAUBIRA
Je n’en doute pas, vous avez fait un excellent travail pédagogique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous voulez toujours rompre avec le tout carcéral et favoriser des peines hors de prison, c'est-à-dire la semi-liberté, le bracelet, le travail d’intérêt général ? Est-ce que je peux dire que les peines alternatives coûtent moins cher ? 10 euros par jour sous bracelet, 59 euros la semi-liberté, alors qu’un détenu coûte en moyenne 32 000 euros par an, donc ça favoriserait des économies, des réinsertions. Je reprends ma question, est-ce que vous favoriserez des peines hors de prison ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Alors, tout carcéral ou rien carcéral, ce n’est pas ma façon de raisonner, le coût c’est un élément, mais ce n’est pas l’élément déterminant, l’élément déterminant c’est qu’il faut bien se rendre compte que les personnes qui entrent en détention sont des personnes qui vont sortir et revenir dans la société, il faut donc préparer dès le premier jour la sortie de ces personnes. Il faut préparer leur insertion ou leur réinsertion. Il faut réduire les risques de récidive, c’est le moyen d’éviter de nouvelles victimes. Donc, mon objectif c’est cela, faire en sorte que la prison soit un temps utile lorsqu’elle a été décidée par le juge.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, on peut se former, on peut travailler en prison, davantage….
CHRISTIANE TAUBIRA
Il est indispensable d’apporter…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On peut aller vers les études. Et l’Internet ? Parce que c’est souvent demandé.
CHRISTIANE TAUBIRA
Il est indispensable d’apporter, à l’intérieur des établissements, les activités, les possibilités de travail, les possibilités d’études. Il y a des propositions, j’en ai entendues ce matin sur votre antenne, pour que des détenus passent leur permis de conduire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous répondez oui, peut-être ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Absolument, je fais beaucoup d’interministériel, parce que ce n’est pas avec les moyens de la justice que je peux répondre à tous les besoins, et l’interministériel nous a permis d’obtenir de l’hébergement d’urgence, nous a permis d’obtenir un quota de logements, nous a permis de nous inscrire dans le programme jeunesse…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voyez Christiane TAUBIRA, vous pouvez…
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais je suis obligée d’en profiter pour expliquer…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tout, vous avez l’occasion de tout dire à travers différentes questions précises. Par exemple, est-ce qu’il faut réduire les courtes peines qui encombrent certains établissements pénitentiaires…
CHRISTIANE TAUBIRA
Evidemment, elles sont désocialisantes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ecoutez, comme vous le demande un détenu, Pascal. On l’écoute.
PASCAL
Bonjour Madame TAUBIRA. Je me présente, je m’appelle Pascal, et j’aurai aimé vous poser une question sur la surpopulation, parce que vous avez dit que vous désengorgerez les prisons avec… les petites peines en bracelet, conditionnelle, rien n’est fait, et j’aurai aimé savoir qu’est-ce que vous feriez pour que justement… désengorger les prisons, pour qu’on puisse sortir et refaire notre réinsertion normalement ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La réponse de Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Il ne peut pas dire que rien n’est fait parce que l’aménagement des peines est prévu, je le répète, par la loi pénitentiaire, il y a le bracelet électronique, il y a les quartiers de semi-liberté, il y a les travaux d’intérêt général, il y a le placement à l’extérieur, il y a un certain nombre de mesures. Ce sont des mesures qui sont décidées par le juge d’application des peines. J’ai diffusé une circulaire le 19 septembre 2012 pour demander justement qu’une attention particulière soit portée à l’aménagement des peines, ce qui est totalement légal. L’aménagement des peines est dangereux parce que, le non-aménagement des peines est dangereux, parce que la prison effectivement en courte peine, est très désocialisante, et les conseils d’insertion et de probation…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc moins de courtes…
CHRISTIANE TAUBIRA
N’ont pas le temps d’accompagner les personnes qui passent 1 mois, 2 mois, moins de 6 mois en prison…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Moins de courtes peines en prison.
CHRISTIANE TAUBIRA
C’est plus de la moitié. Mais bien sûr moins de courtes peines…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que votre objectif est-ce qu’il reste…
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais c’est déjà la loi pénitentiaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais il faut qu’elle soit davantage appliquée.
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais bien entendu, c’est pour ça qu’au-delà de ma circulaire de septembre, parce que j’ai tourné sur les territoires, je me suis rendu compte que l’application était très inégale, c’est pour ça que je vais passer un projet de loi pénal.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L’objectif de Christiane TAUBIRA c’est de sortir d’ici, de ces prisons, et de trouver, pour les détenus, une place, ultérieurement, dans la société, que la prison n’est pas le seul remède, même dans une société de plus en plus violente.
CHRISTIANE TAUBIRA
Et c’est surtout bien comprendre que les courtes peines, non seulement sont désocialisantes, mais comme il s’agit de sorties sèches pour pratiquement toutes, 98% d’entre elles, il y a des risques fortes de récidive. On sait qu’il y a 2 fois plus de risques de récidives lorsque les personnes sortent sans accompagnement. Donc il faut bien comprendre que c’est une question de sécurité, non pas la sécurité avec des portiques, mais la sécurité pour la protection des citoyens, parce que la récidive ce sont de nouvelles victimes, il est donc important qu’effectivement on évite l’incarcération lorsqu’elle est surtout chargée d’effets négatifs, et qu’on accompagne les personnes dans leur réinsertion.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, vous voulez plus de sécurité, vous le montrez, et surtout moins de détenus en prison. Mais comment concilier cela avec ce que demande votre collègue Manuel VALLS, et l’opinion, c'est-à-dire plus de sévérité et moins de laxisme, alors que toutes les formes de délinquance augmentent en France ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Moi j’entends sans arrêt parler de laxisme et dans la même phrase j’entends parler de surpopulation carcérale, il faudrait peut-être que les gens qui parlent arrivent à être d’accord avec eux-mêmes. Simplement, Manuel VALLS ne demande pas qu’il y ait de la surpopulation carcérale, Manuel VALLS est responsable de la sécurité dans l’espace public, il est responsable de l’ordre public, il fait son travail correctement…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il y en a un qui veut enfermer davantage, pour répondre à la délinquance et on dit il faut éviter la surpopulation et en mettre d’abord.
CHRISTIANE TAUBIRA
Personne ne demande à enfermer davantage, vous avez probablement suivi la journée d’évaluation que nous avons faite Manuel VALLS et moi à Lyon le 13 mai sur les zones de sécurité prioritaires où nous avons mis en avant les méthodes de travail que nous avons renouvelées, innovées, améliorées entre la police et la gendarmerie d’une part et les procureurs d’autre part…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous vous entendez bien avec Manuel VALLS et on va le voir…
CHRISTIANE TAUBIRA
Ça n’est pas ça le sujet, le sujet c’est que nous sommes dans un Etat de droits et que dans un Etat de droits, on respecte la loi. Les juges jugent et décident de la sanction et …
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, est-ce que vous ne trouvez pas que les juges aujourd’hui font de la politique, trop de politique et qu’à leur tour, ils politisent la justice ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Alors on était quand même sur les détenus et sur l’application de l’Etat de droits…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui on va en sortir.
CHRISTIANE TAUBIRA
… là on est sur des appréciations suggestives des juges en général…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas suggestives, factuelles.
CHRISTIANE TAUBIRA
…ou bien on désigne un juge et des faits, des actes, des comportements, mais je ne conçois pas que l’on mette en cause tout un corps de la magistrature, qu’il s’agisse du Parquet ou des juges du siège, je ne conçois pas et je n’admets pas que l’on jette le discrédit sur l’ensemble d’un corps, ce n’est pas votre cas, mais cette habitude que l’opposition à prise, et qui fait que l’opinion publique aussi, s’habitue à parler des juges, des juges non, il peut y avoir un juge…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y a certains juges qui font de la politique et ceux-là vous les désavouez ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Non attendez, les juges sont des citoyens, qui ont des droits civiques, je n’ai pas connaissance qu’ils en aient été privés, je connais des juges qui d’ailleurs se présentent à des élections, ceux-là on en parle beaucoup moins, en général ils ont l’investiture d’un pays qui critique beaucoup les juges, d’ailleurs, donc moi je ne vois pas pourquoi on interdirait à un juge d’avoir une opinion politique. Ce que nous attendons, et ce que j’exige de la magistrature, c’est qu’une fois que la robe est endossée, le juge il juge au nom du peuple français, il juge en droit, et en cette matière il doit…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Christiane TAUBIRA, je continue. Il y a 12 avocats qui…
CHRISTIANE TAUBIRA
Et vous m’interrompez.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, parce que le temps passe, et c’est passionnant d’être avec vous, surtout que vous parlez rarement, mais avec telle passion, telle flamme, etc., qu’on a du mal à vous arrêter, même moi. 12 avocats, qui représentent 7 mises en examen de l’affaire BETTENCOURT, vous demandent de saisir l’Inspection des services judiciaires, ils l’ont fait hier, sur les liens entre le juge GENTIL et une experte amie. D’abord, est-ce que ce juge a fait preuve d’impartialité ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Je ne viens pas porter des jugements sur les juges…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu’il a symbolisé l’indépendance de la juge à laquelle vous tenez ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Incontestablement, et je le démontre depuis 1 an, nous ne faisons plus d’intervention dans les dossiers individuels, donc pas d’instruction…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non non, mais lui, en appelant une juge…
CHRISTIANE TAUBIRA
Je vous rappelle d’abord que c’est un juge d’instruction, ce n’est pas un procureur. Le Garde des Sceaux a la responsabilité des Parquets généraux et des Parquets, donc il s’agit là d’un juge d’instruction, et les juges du siège, de toute façon, sont tenus à l’impartialité, comme d’ailleurs les juges du Parquet.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais en l’occurrence, est-ce qu’il a été impartial ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Attendez, je vous répète que je ne porte pas de jugement sur un juge, ce juge a fait son travail, ce juge a une hiérarchie, c’est le président de son tribunal et le Premier président de la cour d’appel, si ce juge n’a pas fait preuve d’impartialité, sa hiérarchie s’en empare, et si cette hiérarchie peut prouver qu’il y a faute disciplinaire, elle saisit le Conseil Supérieur de la Magistrature, c’est ainsi que cela se passe. Je demande simplement qu’on comprenne une chose, je ne défends pas les juges parce que je ne suis présidente d’un syndicat de juges, simplement je défends l’Etat de droit. Dans un Etat de droit, notamment pour…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous demandez qu’on le respecte, que tout le monde le respecte.
CHRISTIANE TAUBIRA
Pour les justiciables et les citoyens les plus vulnérables, qui n’ont pas de réseau, qui n’ont pas d’influence, ils ont besoin d’une institution judiciaire indépendante et impartiale, et c’est ce que je tiens à faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et pourtant, beaucoup voient dans l’affaire TAPIE une opération politique contre Nicolas SARKOZY.
CHRISTIANE TAUBIRA
Ecoutez, la justice va se prononcer. La justice va se prononcer. Il y a quand même des juridictions de droit commun saisies, il y a la cour de justice de la République saisie, je ne vois pas pourquoi il y a… alors, on peut avoir des débats et juger en dehors de la justice, mais la justice va se prononcer, l’Etat lui-même remet en cause l’arbitrage, il se porte partie civile, il se constitue partie civile…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour obtenir quoi, qu’est-ce qu’il veut l’Etat ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Il vous le dira.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non non mais vous…
CHRISTIANE TAUBIRA
Il le dira.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes aussi une part importante de l’Etat et de l’Etat de droit, alors, c’est pour demander quoi ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Moi je voudrais bien que vous réalisiez que je suis Garde des Sceaux…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça je sais.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui, mais…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et je l’entends.
CHRISTIANE TAUBIRA
Non non, mais cela veut dire plus de devoirs encore que les autres, plus de responsabilités que les autres, plus de réserve encore que les autres. autant on peut critiquer les voix politiques qui se permettent de porter un jugement sur les juges ou sur la justice, autant je me l’interdit, et je dois me l’interdire, pour viser à l’efficacité de l’institution judiciaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut que dans la justice il n’y ait que des saints. En tout cas merci de répondre…
CHRISTIANE TAUBIRA
Je ne prétends pas ça, nous sommes sur terre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci de répondre Christiane TAUBIRA, votre habitude, avec franchise, à EUROPE 1, en direct de la prison de Fleury-Mérogis, et on voit bien qu’une société se juge à l’état des prisons et à sa manière de traiter ses prisonniers. Merci d’avoir été là.
CHRISTIANE TAUBIRA
Vous avez bien raison.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juin 2013