Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur l'enjeu économique et sociétal de l'accession des femmes à des postes à responsabilité, Paris le 6 juin 2013.

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Circonstance : Intervention devant l’Association « Financi’Elles », première fédération de réseaux de femmes cadres intra-entreprises du secteur financier, à Paris le 6 juin 2013

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite chaleureusement la bienvenue au Ministère de l’Economie et des Finances. Je suis extrêmement heureux de vous accueillir ici. Bercy est un lieu que vous connaissez bien, puisque Financi’Elles est née sous le patronage de celle qui m’a précédé dans ces murs, Christine Lagarde. Il y a des enjeux qui dépassent les clivages partisans et doivent rassembler – mieux, qui doivent faire l’objet d’une saine émulation, et la famille politique à laquelle j’appartiens n’est pas en reste sur le sujet qui nous réunit ce soir : promouvoir l’accession des femmes aux plus hauts niveaux de responsabilités est de ceux-là.
J’ai pour ma part une approche assez simple de la question, une approche qui repose sur quatre convictions.
La première, c’est que promouvoir des femmes aux postes élevées, il faut arrêter d’en parler, et le faire. Je ne suis pas quelqu’un qui croit beaucoup aux grands discours sur les bienfaits de la mixité : c’est sans doute une erreur, puisque mes équipes me répètent que j’ai un déficit chronique de popularité dans les sondages auprès des femmes. C’est comme ça. Ce qui m’intéresse, c’est l’action.
Quelques exemples concrets, alors :
- D’abord, la composition du gouvernement de Jean-Marc Ayrault : la première équipe ministérielle intégralement paritaire de la Vème République ;
- Dans mon cabinet, les femmes sont bien représentées, et occupent des postes clés. Les affaires européennes, qui mobilisent près d’un tiers de mon temps, sont ainsi gérées par une conseillère ; idem pour le lourd portefeuille de la fiscalité des ménages, ou encore celui des participations stratégiques de l’Etat dans les grandes entreprises industrielles. Mes ministres délégués sont aussi allés dans ce sens, Bernard Cazeneuve a choisi une directrice de cabinet et Benoît Hamon une directrice adjointe de cabinet.
- Cette conviction est chez moi ancienne : quand j’ai été nommé Ministre de l’Economie et des Finances, j’ai fait venir de l’extérieur cinq collaborateurs avec qui j’avais travaillé auparavant ; quatre d’entre eux sont des femmes.
- Troisième exemple : dès mon arrivée à Bercy, j’ai donné instruction d’accélérer et d’intensifier la mise en œuvre du plan d’action en faveur de l’égalité professionnelle. C’est l’une des priorités structurantes de la politique de ressources humaines que j’ai définie en octobre dernier. J’ai notamment exigé une parité effective dans les jurys des concours d’accès à la fonction publique gérés par ce ministère dès 2013, ainsi que le développement d’actions pour mieux concilier vie professionnelle et vie privée, en mobilisant le budget d’action sociale ministériel. Lorsque j’ai rencontré les organisations syndicales il y a une dizaine de jours, je leur ai proposé d’engager une négociation pour aboutir, je l’espère en fin d’année, à un accord collectif ambitieux en matière d’égalité professionnelle sur la période 2014-2016.
- Quatrième exemple : alors que le Parti socialiste a profondément renouvelé son vivier de candidats aux dernières élections législatives, j’ai contribué à faire émerger de nombreuses jeunes députées de la « nouvelle vague » : Axelle Lemaire, qui a refusé un poste de ministre ; Karine Berger et Valérie Rabault, deux brillantes économistes, batailleuses, l’une de l’Ecole des Ponts l’autre de Polytechnique, qui viennent du monde de la finance et qui jouent un rôle clé dans la réforme bancaire en cours ; Corine Narassiguin, à qui j’ai confié une mission sur la gouvernance des entreprises, ou encore Bernadette Laclais.
Je l’ai dit : en matière d’accession des femmes aux postes de haut niveau, il faut passer de la parole aux actes, et se sentir personnellement tenu par cet objectif. L’inégale représentation des femmes à ces postes, c’est d’abord le fruit d’une somme de décisions individuelles iniques. A chacun de prendre ses responsabilités.
Dans le secteur financier, je sais que l’on est déjà en mouvement. Plus de 40% des cadres sont féminins, et la part des femmes dans les Conseils étudiés par Financi’Elles est supérieure aux normes législatives sur les quotas. Surtout sont rassemblés ce soir, pour ce dîner, de grands groupes qui ont adopté des démarches parfois très audacieuses pour favoriser l’accession des femmes aux postes à responsabilités. Et je veux saluer sincèrement et chaleureusement cette volonté d’apporter de véritables réponses aux écarts professionnels.
La seconde de mes convictions, c’est celle d’un Ministre de l’Economie et des Finances : l’accession des femmes aux postes à responsabilités est d’abord un enjeu économique. Le plafond de verre est une injustice, évidemment. Il est aussi une source majeure d’inefficacité économique. Se priver de femmes dans les cercles de pouvoir les plus élevés, c’est se priver de talents et d’idées.
Et c’est là où l’on retrouve tout l’intérêt de la démarche de Financi’Elles qui tourne autour de la mesure. Nous connaissons tous ces études spectaculaires sur la performance économique des entreprises où les femmes sont bien représentées. J’en cite une, celle de Michel Ferrary, de 2010 qui se demandait si les femmes influencent la performance des entreprises, à partir d’une étude du CAC 40 sur la période 2002-2006, mais d’autres études existent. Ferrary relève qu’entre 2002 et 2006, les 14 entreprises du CAC 40 qui comptaient plus de 35% de femmes dans leur encadrement – le seuil minimal à ses yeux pour qu’une minorité puisse commencer à peser dans un processus de décision – ont connu une croissance moyenne de leur chiffre d’affaires de 23,5%, contre seulement 14,6% pour les 28 entreprises du CAC où les femmes étaient sous ce seuil. La différence de performance est de 61,1%. Ces 14 entreprises à l’encadrement féminisé ont connu sur la période une rentabilité moyenne de 19,5%, contre 10% pour les 28 autres. La différence de performance est de 96,1%. Les 14 entreprises à l’encadrement féminisé ont eu une productivité du travail supérieur de 33,9% à celle des 28 entreprises dont l’encadrement était moins féminisé. Les 14 entreprises à encadrement féminisé ont connu une augmentation moyenne de 18,9% de leur nombre d’emplois, contre 7,4% pour celles qui étaient moins féminisées, soit une différence de plus de 150%.
Féminisation et performance économique : chacun a bien compris que ma présence à ce dîner était tout à fait intéressée, puisqu’il me revient la noble mais néanmoins difficile tâche de redonner de l’élan à la croissance en France. Je compte sur les dirigeants présents ce soir !
Ce n’est pas à moi de donner une explication à ces chiffres, mais aux entreprises de faire elles-mêmes leurs calculs. Nous sentons tous, intuitivement, que la féminisation des postes à responsabilités favorise la diversité et la confrontation des points de vue, et que du bon sort de cela. L’effet économique joue au-delà, cependant. Je me souviens de cette déclaration déjà un peu ancienne du PDG de Deloitte – je sais que le cabinet est présent ce soir – qui avait mesuré que la politique de l’entreprise à l’égard des femmes avait permis de réduire le turnover de 25 à 18% entre 1990 et 1999, et éliminé le différentiel de turnover hommes/femmes, permettant des économies de recrutement et de formation d’environ 250 millions de dollars.
Mais je ne confonds pas corrélation et causalité, et il y a sans doute des études plus approfondies à mener sur les différences de performance économique entre entreprises à directions significativement féminisées, et les autres. « Ce qui ne se mesure pas n’existe pas », selon la devise de Financi’Elles : cela pourrait être une piste pour les travaux futurs de l’association.
La troisième des convictions que j’ai, concernant l’accession des femmes aux postes à responsabilités, c’est que le grand défi à relever pour le futur, c’est celui du renouvellement du vivier. Je sais que ce problème de vivier trop ténu et trop peu travaillé sera abordé en détails ce soir par les intervenants qui vont me suivre, je ne m’y attarde donc pas. Je veux simplement mentionner que ce n’est pas un enjeu propre au secteur de la finance, et que j’y sois moi-même confronté à la tête de Bercy. Il y a là un effort extrêmement important à réaliser, qui doit mobiliser les entreprises et la puissance publique, dans une action concertée. Et il faut s’en préoccuper dès à présent, parce que le travail d’approfondissement d’un vivier ne peut que se dérouler sur le temps long.
La dernière conviction que je voudrais partager avec vous ce soir, et je m’adresse là spécialement aux femmes, est purement personnelle. Ce n’est pas un conseil, puisque dans cette assemblée ce soir, sont présentes des femmes qui ont déjà gravi les échelons, qui ont déjà des postes à hautes responsabilités. C’est plutôt le souffle d’une ambition partagée. L’entreprise, ce n’est pas un lieu de confort pour les femmes. Alors j’ai envie de dire – et je vais trahir là mes affinités de jeunesse avec les idéologies révolutionnaires : ce qu’on ne vous donne pas, prenez-le. Mais je m’arrête là, car je sais qu’en vérité, si vous êtres là, c’est que vous l’avez déjà suivi, mais anticipé. A vous, à nous de le diffuser.
Voilà, je ne veux pas monopoliser davantage la parole. Je veux simplement saluer encore les initiatives des dirigeants, dans le secteur de la finance, qui cherchent à promouvoir la diversité et la mixité dans la gouvernance des entreprises, et qui ont compris tous les bénéfices que l’on pouvait tirer de la conjugaison de talents et d’énergies variés. Je veux aussi dire à Financi’Elles qu’elle pourra continuer à compter sur le soutien de mes services, qui ont été, je crois, très aidants, dès le début du projet, et sur mon écoute et mon attention. Merci.
Source http://www.pierremoscovici.fr, le 12 juin 2013