Déclaration de Mme George Pau-Langevin, ministre de la réussite éducative, sur la scolarisation des enfants des gens du voyage, Paris le 17 juillet 2013.

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Circonstance : Colloque "Gens du voyage, quelles perspectives" à Paris le 17 juillet 2013

Texte intégral


Permettez-moi d’abord de saluer l’initiative législative portée par le groupe socialiste visant à abroger la loi du 3 Janvier 1969 en vue de redéfinir de manière plus juste l’équilibre entre les droits et devoirs des Gens du voyage et des collectivités territoriales.
Je salue également le travail de la mission interministérielle sur la situation des gens du voyage menée par le préfet Hubert Derache.
J’ai naturellement été sensible aux considérations relatives à la scolarisation des enfants du voyage : un droit fondamental pour l’enfant, une obligation pour les autorités publiques nationales et locales.
Un droit et une obligation qui n’en restent pas moins un défi à concrétiser et à généraliser.
Un défi, certes, mais qui ne se pose pas dans les mêmes termes que pour les enfants Roms, puisque précisément les Gens du voyage connaissent un statut juridique et une situation de fait différents et spécifiques.
Une différenciation que personne n’ignore ici, monsieur Derache le rappelle d’emblée dans son rapport, mais une précision nécessaire et salutaire au regard des propos de certains responsables nationaux ou locaux qui continuent à ignorer ou plutôt qui feignent d’ignorer les particularismes, pour mieux amalgamer et stigmatiser les uns et les autres.
Au-delà des dérapages verbaux et électoralistes, il existe des problèmes réels auxquels il faut apporter des réponses.
Issus d’une minorité de nos concitoyens, les enfants du voyage mettent la capacité d’adaptation de notre société et de notre système scolaire à l’épreuve.
Un particularisme qui ne saurait remettre en cause le principe suivant lequel l’École est un droit, y compris pour les élèves qui entretiennent une relation discontinue avec l’École.
L’"École pour tous" n’est pas un crédo démagogique, mais une expression du principe d’égalité sur lequel repose notre pacte républicain.
Au regard des enjeux pour l’enfant comme pour la société, ce droit d’accès à l’École prend également une forme impérative, puisqu’il s’agit d’une obligation légale.
Ainsi, les articles L111-2 et L131-1 du code de l’éducation soulignent que l’instruction est obligatoire pour les filles et les garçons, âgés de 6 à 16 ans résidant sur le territoire français quels que soient leur mode de vie, sédentaire ou itinérant, leurs cultures et leurs traditions, leur nationalité ou leur statut administratif.
Autrement dit, les enfants dits "itinérants" sont soumis à l’obligation d’instruction et d’assiduité scolaire, comme les autres enfants scolarisés en France.
Il est vrai que les nombreux déplacements de leur famille peuvent représenter des obstacles à une scolarité suivie et réussie.
C’est pourquoi le service public de l’Education nationale doit justement leur offrir des conditions optimales de scolarité afin qu’ils ne soient pas pénalisés par leur mode de vie.
Les circulaires du 2 octobre 2012 ont été adoptées en vue précisément de répondre aux difficultés de scolarisation des "élèves itinérants".
Ces difficultés sont de deux ordres.
Un particularisme social et culturel d’abord.
Les élèves itinérants accueillis dans les écoles élémentaires sont en effet des élèves à besoins éducatifs particuliers, dans la mesure où ils se caractérisent par un mode de vie qui génère mobilité et discontinuité scolaire.
Ils vivent parfois dans un contexte éducatif et culturel caractérisé par des représentations de l’École et des apprentissages très différentes de celles des autres familles. Toutefois, cette donnée mérite d’être relativisée : le rapport à l’École tend à se normaliser.
Reste que des obstacles de nature administrative sont constatés en pratique :
- refus d’inscription scolaire de la part de certaines municipalités
- des exigences de justificatifs qui retardent les démarches d’inscription scolaires
- des délais d’affectation anormalement longs
La proposition de loi et le rapport remis au Premier ministre apportent des solutions et s’inscrivent dans une démarche constructive en vue d’une scolarisation effective des enfants du voyage.
Pour ma part, en qualité de ministre déléguée à la Réussite éducative, je suis mue par une idée simple, mais fondamentale : l’École de la République représente une chance et un espoir pour les enfants des familles itinérantes qui ont le droit, à l’égal de tous, à un accès effectif à l’enseignement.
Ce principe directeur m’a amené à prendre une circulaire tendant à réactiver le réseau des Casnav : les "Centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus des familles itinérantes et de voyageurs", (circulaire n° 2012-143 du 2 octobre 2012).
Le Casnav est une structure d’expertise auprès du recteur et des directeurs académiques qui porte sur l’organisation de la scolarité des publics concernés, sur les ressources pédagogiques, sur la formation des enseignants et des cadres.
Structure d’appui académique ou inter académique, il fonctionne dans le cadre d’un réseau d’échanges et de mutualisation au service de tous les acteurs impliqués dans le suivi des élèves de familles itinérantes (droit à l’information).
La remobilisation de ces structures était nécessaire à l’établissement d’un lien solide et continu entre cette communauté itinérante et l’École.
Des avancées sont à noter dans cette relation.
Il ne peut y avoir de projet de scolarisation des "enfants du voyage" sans dialogue et coopération.
Non seulement l’État ne peut pas agir seul, mais le gouvernement compte bien s’appuyer sur les familles d’une part et tous les acteurs sociaux localement concernés par la question.
Partout où existe une approche concertée entre les élus locaux, les services sociaux, les associations de voyageurs et l’établissement scolaire, l’absentéisme diminue et les représentations que les parents ont de l’École et de ses objectifs évoluent.
Toutefois, la scolarisation aux niveaux du collège et du lycée (général ou professionnel) demeure plus problématique.
Les raisons de cette défaillance ont suscité les mesures prévues par une seconde circulaire du 2 octobre 2012 qui porte sur la scolarisation des élèves issus de familles itinérantes ayant un mode de relation discontinu à l’École.
L’enjeu consiste à améliorer le parcours scolaire des enfants du voyage afin de lutter contre l'illettrisme et favoriser leur insertion sociale et professionnelle.
Partant du principe que ces élèves bénéficient des mêmes droits que les autres en matière de scolarisation et de conditions de scolarité, la circulaire vise :
- à favoriser la fréquentation régulière d'un établissement scolaire dès l'école maternelle par ces élèves
- et à améliorer leur scolarité et de prévenir leur déscolarisation. Elle stipule qu'une scolarisation dans des classes ordinaires constitue la modalité principale de scolarisation "à atteindre, même lorsqu'elle nécessite temporairement des aménagements et des dispositifs particuliers"
Les clés d'une scolarisation réussie résident dans une série d’éléments :
- l'encadrement, l'articulation et la coopération entre les institutions et les différents partenaires associatifs ;
- les contingences administratives qui ne doivent pas être une entrave à une scolarisation rapide de ces élèves
- des relations de confiance, régulières, entre l'établissement scolaire et les parents d'élèves
- un véritable maillage territorial ainsi qu'une étroite collaboration avec les collectivités locales
Sur le plan administratif, l'élève est inscrit par le chef d'établissement après affectation par l'autorité académique. C'est la résidence (c'est à dire le secteur du lieu de stationnement des familles) qui détermine l'établissement scolaire d'accueil.
Afin de lutter contre les obstacles administratifs à cette scolarisation, il est rappelé notamment qu’à l’école primaire, l’inscription scolaire relève de la responsabilité du maire. Même si la famille ne peut pas, lors de la démarche d’inscription, présenter les documents nécessaires, l’élève doit bénéficier d’une inscription provisoire.
En cas de manque absolu de place, le directeur d’établissement doit avertir le directeur académique des services de l’Éducation nationale, qui informe le préfet et prend les dispositions nécessaires.
Il appartient aux personnes responsables des enfants en âge d’être scolarisés d’effectuer les démarches nécessaires à leur inscription scolaire auprès du maire de la commune sur le territoire de laquelle ils résident. Le critère du lieu de résidence est donc celui qui est habituellement utilisé pour déterminer la compétence du maire en matière d’inscription scolaire, même si ce critère n’est pas applicable stricto sensu dans le cas des enfants de familles itinérantes.
Je tiens à rappeler qu’aucune discrimination ne doit être faite, lors de la procédure d’inscription, à l’égard des enfants de familles non sédentaires. Dans l’hypothèse où un maire refuserait de satisfaire à l’obligation de scolarisation d’un enfant d’une famille itinérante, il appartient au préfet de se substituer à lui pour prononcer l’inscription de l’enfant.
Dans ce contexte, je partage l’esprit qui anime les conclusions du "Rapport Derache" sur l’accès à l’École des enfants des familles des gens du voyage.
Des efforts doivent en effet être poursuivis dans les différents domaines que vous soulignez Monsieur le préfet :
- le développement de la médiation scolaire
- la préférence pour la scolarisation "en présentiel" (par rapport à une inscription au Cned)
- l’établissement d’un bilan de la scolarisation des enfants du voyage dans chaque inspection académique et des dispositifs d’enseignement à distance
- le renforcement du partenariat avec le Cned
- le développement de la double inscription au Cned-établissement pour les enfants de voyageurs non sédentarisés ou semi sédentarisés
- la généralisation de l’utilisation du "livret de suivi pédagogique" (en créant un document national)
- le développement de l’offre d’internat
Si notre action s’est déjà engagée dans certaines des voies ainsi préconisées, ces pistes de réflexions et d’actions seront sans nul doute au discuté par le groupe de travail national qui concerne notamment les enfants issus de familles de voyageurs, et qui se réunira au mois de septembre prochain sur des thèmes aussi essentiels que :
- le plein exercice de la scolarisation
- l’accueil et la scolarisation
- l’organisation de la scolarité et la mise en place des dispositifs
- la formation des acteurs de terrain et le partenariat
Vous l’aurez compris, les chantiers sont réels. Votre proposition de loi et les recommandations du rapport sont cohérentes et vont dans le bon sens.
Ensemble, faisons que la scolarisation de tous les enfants de la République devienne une réalité et une chance pour la France.

source http://www.education.gouv.fr, le 23 juillet 2013