Point de presse de M. Alain Richard, ministre de la défense et du Général Kelche, chef d'Etat-major des armées, sur la poursuite des frappes aériennes faites par les Alliés en Serbie et au Kosovo et sur l'aide aux personnes déplacées et aux réfugiés, Paris le 19 avril 1999.

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ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DÉFENSE
Avant de laisser la parole au général Kelche pour vous décrire un certain nombre dillustrations complètes de laction qui est suivie, je souhaite rappeler notre objectif actuel : la poursuite de laction de frappes aériennes décidée par les alliés et à laquelle nous prenons notre part suivant deux axes cohérents. Dune part, nous visons larmature des forces de larmée yougoslave et ses soutiens, dautre part les unités en action au Kosovo et notamment leurs moyens blindés et de transport. Cest une action progressive, subordonnée à des précautions importantes pour épargner les civils. Son objectif politique est connu, il sagit du droit de vivre au Kosovo. Son déroulement est dépendant dun certain nombre de facteurs. Le niveau des moyens que nous y mettons, cest pour cela que nous avons approuvé les options de renforcement qui viennent en temps et heure, puisque la possibilité dattaquer les forces au sol et par conséquent le besoin de détenir une supériorité aérienne 24 heures sur 24 sont maintenant à lordre du jour. Mais il faut en même temps que nous manifestions la ténacité et la constance dans la poursuite dune action qui soit la marque de notre volonté politique commune. Je laisse maintenant le général Kelche décrire les informations que nous pouvons donner sur le déroulement des frappes.
GÉNÉRAL KELCHE
Je crois que le bilan que nous pouvons établir quant au déroulement de la campagne de frappes aériennes répond bien à deux logiques que monsieur le ministre vient dévoquer. A savoir une stratégie dattrition, détouffement de la capacité dactions coordonnées et durables des forces de répression de monsieur Milosevic ; puis une action directe sur les forces en question engagées au Kosovo. Lorsque nous regardons les impacts selon les grandes logiques de priorités choisies par lAlliance, on constate quil y a dores et déjà sur le terrain des effets tout à fait significatifs en matière disolement progressif du Kosovo, dune part par rapport à la Serbie et de la Serbie par rapport à ses possibilités de ravitaillement et dapprovisionnement venant des pays voisins ou par la mer, dautre part. Il y a donc une très forte pression qui sexerce de façon continue et qui va continuer de sexercer sur les capacités à durer.
Vous le savez, lun des axes dattaque choisi a été la capacité de raffinage et de stockage des carburants. Nous considérons quactuellement, par rapport aux capacités de stockage national, les résultats sont déjà extrêmement significatifs et quils vont peser dans des délais courts - je parle au plan national - sur la capacité de la Serbie et de la R.F.Y. à disposer de suffisamment de carburant. Il est vrai que loutil militaire serbe dispose de capacités de stockage militaire mais qui nont pas lampleur des capacités nationales. En revanche, elles sont plus réparties. Et je vous indique que nous avons commencé déjà depuis une semaine à engager systématiquement tous les lieux de stockage de carburant militaire au Kosovo en priorité mais également aux abords immédiats du Kosovo. Et nous continuerons cet effort parce quil est clair quune armée mécanisée et blindée ne peut pas se passer du carburant et quavec des pénuries de carburant, on peut contraindre ces forces à des attitudes beaucoup plus statiques et qui dit statiques dit exposition aux frappes.
Donc, il y a une forte corrélation entre les efforts dattrition que nous menons et la capacité des forces sur le terrain. De la même façon, les ruptures dans les lignes de communication, et elles sont de plus en plus importantes entre Serbie et Kosovo, par une action systématique sur les ponts, vont poser des problèmes de mobilité, des problèmes de ravitaillement des forces et même de renforcement en unité si le pouvoir serbe y songeait. Nous avons donc une action qui est déjà fort bien engagée sur lisolement du Kosovo en matière de capacité opérationnelle.
Pour ce qui concerne laction contre les forces elles-mêmes, sur le terrain, au Kosovo, nous lavons déjà dit et je le répète ici, cest une action qui est forcément progressive, difficile mais nous avançons. Le commandant dopération de lOTAN estime quil se situe au-dessus de 10 à 15% de destruction des potentiels de combat. Je ne peux pas vous donner plus dinformation. Dailleurs, à un degré de précision supérieure, ces informations ne mappartiennent pas mais sachez que nous avons obtenu des résultats sur le terrain aussi bien contre des systèmes sol - air qui constituent toujours notre objectifs, SA6, SA3, que sur des systèmes blindés, mécanisés ou dappui dartillerie. Nous engageons nos moyens systématiquement et avec une permanence qui va être sans cesse accrue, nous allons passer progressivement en jour/nuit complet, en appui au sol sur le Kosovo. Jour, nuit sans interruption. Et ceci explique dailleurs les renforcements en moyens. Je ne peux pas vous donner le détail des moyens qui vont être amenés en supplément sur le théâtre. Sachez quils vont concourir directement à une capacité dassurer une permanence dappui au sol 24 heures sur 24 au Kosovo, sur tout mouvement de force ou sur toute force déployée repérée, même en posture défensive. Nous avons attaqué des positions défensives, notamment sur des régions à proximité de nos détachements. Sans vous donner un bilan détaillé, sachez que nous obtenons des résultats sur ces troupes au sol.
Ce sont des résultats difficiles parce que cette armée, comme je lai déjà dit, est parfaitement rodée au camouflage, à la prudence, au changement dattitude, au machiavélisme. Il est clair que les mouvements cessent lorsquils détectent une présence davion en attente de strike au-dessus du territoire. Cela dit, larrêt des mouvements est aussi un handicap pour eux. Il est clair que le camouflage est dans lensemble bien pratiqué, encore que cette armée nest pas à labri dun certain nombre derreurs, vous verrez que certaines cibles ne sont pas dun camouflage extraordinaire ou alors elles nont pas eu de chance, cest-à-dire quelles sont arrivées à un endroit juste au moment où elles navaient pas eu le temps daménager leur position. Vous le verrez dans des bandes vidéos dans un instant. Mais je pense que de toute façon, cette destruction progressive est irréversible. Elle va aller en saccroissant et nous aurons, progressivement, une capacité à empêcher tout mouvement au Kosovo, de force supérieure à quelques blindés.
Nous cherchons à empêcher MILOSEVIC de concentrer ses forces au Kosovo sur tel ou tel point, sinon il court le risque dune frappe sur cette concentration. Et actuellement déjà, il ny a plus de concentration du niveau de la compagnie au Kosovo. Voilà ce que je voulais vous donner comme information sur ces frappes. Je voudrais que le colonel PUGET vous présente maintenant deux vidéos filmées par des appareils français en missions.
COLONEL PUGET (EMA)
Le résumé filmé suivant vous montre la façon dont nous engageons nos moyens aériens contre les forces serbes en action au Kosovo. Nos avions qui participent sont soit des Jaguar, une patrouille légère de deux Jaguar, soit des Super Etendard. Actuellement, cest une patrouille légère de Jaguar que vous voyez oeuvrer. Un avion fait la désignation, cest-à-dire quil recherche lobjectif. Il est aidé par un contrôleur en vol qui nous dit ce quil a repéré sur la zone. Les objectifs que vous voyez ici sont des pièces dartillerie serbes qui sont au Kosovo. Le pilote de lavion désignateur laser cherche la pièce la mieux appropriée en fonction de sa visibilité et des éventuels dommages collatéraux quil pourrait infliger. Et une fois quil a sélectionné sa cible, il la désigne et le deuxième avion, lavion tireur, va larguer ses bombes sur lobjectif. Le contrôleur en vol a donné lautorisation de tir, nous allons maintenant voir la passe de désignation de lavion. Il a choisi cette pièce dartillerie parmi les six pièces qui sont présentes sur le site et lavion qui le suit équipé de ses bombes va donc les larguer pour atteindre cet objectif avec toute la précision qui permet la désignation laser. Vous allez voir que les bombes vont au but. Actuellement, cest donc le film de lavion désignateur. La partie de film suivante, cest la passe de tir effectuée de la même façon par les Super Etendard de laéronavale. Dans cette phase, lavion désignateur séloigne alors que la bombe est toujours en vol et dans quelques secondes, les bombes vont atteindre leur objectif. Maintenant, vous allez voir la passe de tir telle quelle est réalisée par le Super Etendard ou de façon équivalente par le Jaguar. Les avions sont en haute altitude et larguent leurs bombes à destination de lobjectif et les bombes sont ensuite guidées par le rayon laser. Vous pouvez apercevoir en bas de lécran une explosion causée par une des attaques précédentes. Toutes ces missions sont réalisées à des altitudes de sécurité aussi bien pour lavion qui fait la désignation laser que pour lavion que vous avez vu précédemment qui fait le tir de la bombe.
GÉNÉRAL KELCHE
Le seul commentaire que je voudrais ajouter à ces images, cest que, comme vous lavez vu notamment sur la première séquence, il y a une prise de risque importante de la part de lappareil désignateur dans la mesure où il a consenti tout un tour dhorizon sur linventaire des cibles mais également tout lenvironnement alentour pour sassurer quil était bien sur lobjectif qui convenait et qu il ny avait pas de risque de dommages collatéraux. Il est clair que cette attitude na été rendue possible que parce que lenvironnement lui-même de lobjectif qui avait été choisi et qui devait être engagé le permettait. Et il est clair quil y a dautres séquences où le pilote a moins de temps pour reconnaître, identifier, ajuster son tir.
ALAIN RICHARD
Je voudrais ajouter un certain nombre dindications sur la situation aujourdhui, la plus difficile, celle des déplacés et des réfugiés. Je lévoque sous deux angles. Dune part, ce qui a été fait par nos soldats à lintérieur des dispositifs de lAlliance pour le soutien et la sécurisation des déplacés dans les deux pays qui en ont reçus le plus, lAlbanie et la Macédoine.
Je voyais hier nos soldats en Macédoine et ils me rendaient compte de tout leffort quils avaient fourni très rapidement pour donner les premiers soutiens et les premiers appuis logistiques à la masse de déplacés qui se sont trouvés concentrés et en situation de très grande précarité à leur entrée en Macédoine, les difficultés de la coopération et de létablissement de rapports avec le comité macédonien et puis larrivée progressive des intervenants humanitaires de plein exercice, et la transmission du relais qui est maintenant quasiment achevée.
Et puis en Albanie, la décision que nous avons prise les premiers, vous le savez, de monter un pont aérien par héliportage et ensuite les différentes actions qui ont été menées pour établir un canal darrivées des personnes déplacées vers des zones urbanisées où les groupes de réfugiés peuvent progressivement se stabiliser.
Je voudrais ensuite évoquer le sort des personnes déplacées au Kosovo même. Je voudrais insister sur les indications que nous avons pu donner déjà en cours de semaine dernière, la très grande dispersion de ces personnes déplacées, nous avons intensifié leffort de renseignement et de recherche dinformation sur cette situation : nous nidentifions pas de concentration massive de personnes déplacées. Les indices que nous pouvons recueillir et recouper portent à chaque fois sur des groupes de personnes qui sont dans des espaces naturels, le plus souvent dans des zones boisées, par groupe de quelques centaines qui, pensons-nous, sont le plus souvent de gens expulsés, évincés dun village et qui ont choisi de rester ensemble. Nous avons aussi, à la fois par des témoignages recoupés des réfugiés une fois arrivés à lextérieur, ainsi que par dautres indications que nous pouvons collecter sur place au Kosovo, de multiples indices de pressions de toutes sortes exercées par les forces yougoslaves contre les déplacés et nous avons eu à plusieurs reprises des indices de véhicules militaires accompagnant des convois ou des groupes de déplacés.
Nous avons donc sur la demande du Président de la République et du Premier ministre en fin de semaine, entrepris détudier des largages de moyens humanitaires pour ces personnes déplacées au Kosovo, malgré les obstacles, et militaires et matériels. Nous nignorons pas les risques de dispersion de cette aide mais notre choix a été de nexclure aucun moyen concret de venir en aide à ces groupes de déplacés dispersés sur le territoire du Kosovo et nous développons depuis la fin de semaine dernière des contacts avec nos alliés pour rendre possible cette action de largage.
Nous sommes aussi très conscients du problème de stabilité des deux pays daccueil principaux, lAlbanie et la Macédoine. Cest la raison pour laquelle nous avions donné notre accord lautre semaine, au montage de la force « Abri Allié » et nous participons maintenant aux discussions de mise en forme de cette force qui vont se conclure, je pense, dans les tous prochains jours. Nous savons bien quil y a eu des réactions diverses de la part du monde humanitaire à linstallation, en tout cas à la décision de création de cette force.
Mais nous savions, beaucoup de ceux qui sont ici savaient aussi, que, en particulier le nord-albanais était une zone de non droit dans laquelle les risques de pression et datteintes de toutes sortes à lintégrité et à la sécurité des réfugiés étaient intenses et il fallait donc bien, quun dispositif de sécurisation se mette en place. Les indications que jai eues pendant le week-end et ce matin, sur des rackets ou des extorsions visant les réfugiés nont pas été une révélation pour tous ceux qui avaient déjà analysé la situation sur place.
Mais en parlant de stabilité des pays voisins, je veux dun mot souligner la résolution des européens dapporter un soutien sur le plan économique et financier aux deux pays qui sont en même temps frappés par des perturbations de leur environnement économique et social, lAlbanie et la Macédoine. Jen reparlais hier soir encore avec mon collègue le ministre de la Défense macédonien qui se trouve avoir été premier ministre et avoir une assez grande expérience en matière économique. Je lui donnais toute assurance et je compte en reparler avec mes collègues du gouvernement dès aujourdhui, de ce que les décisions prises maintenant par lUnion européenne pour assurer un soutien de la vie économique de ce pays, seraient suivies deffet de manière suffisamment rapide. Je crois que nous devons rester en dialogue attentif avec ces pays et cest ce qui fait tout lintérêt de la proposition de rencontre pendant le sommet de lAlliance en fin de semaine, qui a été émise par les autorités françaises et qui, je crois, va déboucher.
Je voudrais simplement revenir dun mot, en conclusion sur la clarté et lunicité de lobjectif que nous poursuivons : le droit de vivre en paix, en sécurité pour lensemble des Kosovars au Kosovo. Je voudrais rappeler que cet objectif recueille un soutien largement majoritaire dans notre représentation nationale et parmi les citoyens français comme dailleurs les citoyens de la plupart des pays européens. Que maintenant, la loi qui simpose à nous, cest celle de la continuité et de la ténacité pour nous rapprocher de cet objectif en poursuivant laction de frappes aériennes qui, jen suis persuadé, reste le plus court chemin pour créer les bases de la solution politique.
ALEXANDRE KONDRACHOV (ITAR-TASS)
Monsieur le Ministre, Monsieur le Général, je voudrais vous prier de mexpliquer, peut-être pas la tactique opérationnelle, mais les problèmes stratégiques de la concentration de vos efforts au Kosovo. Si la guerre dure et si vous continuez à concentrer des frappes sur le Kosovo, alors, le retour des réfugiés sera impossible. La France et lOTAN se prononcent pour le retour des réfugiés mais en même temps, vous faites tout, en détruisant des villes, des sites, pour que les réfugiés ne puissent pas rentrer. Et Pristina est anéantie.
ALAIN RICHARD
Merci de cette question, elle me permet de fournir deux ou trois indications simples.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 27 avril 1999)