Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à France 2 le 19 avril 1999, sur l'accueil de réfugiés kosovars en France et la fermeture de frontières vers la Macédoine.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - Charles Josselin, vous êtes le ministre délégué, chargé entre autre de lAction humanitaire. Il y a 348 réfugiés du Kosovo en France. Prévoyez-vous dautres arrivées ?
R - Oui, au fur et à mesure que des volontaires se manifesteront, que des procédures didentification pourront être accomplies, que lon pourra vérifier que toute la famille peut être accueillie. Ils le seront dans les mêmes conditions quhier. Cest-à-dire, dabord un séjour dans un centre dhébergement collectif, capable de procéder à un bilan de santé, à un suivi psychologique dont ils ont besoin avant dêtre accueillis par leurs familles - sils en ont en France - ou les familles françaises dont les capacités daccueil auront été vérifiées auparavant par les agents de la direction de lAction sanitaire et sociale. Voilà la procédure. Mais, je voudrais faire observer que, pour linstant, les volontaires qui se manifestent sont sans doute moins nombreux que ceux que la générosité des Français avaient pu laisser espérer.
Q - Ces familles dont vous parlez sont évidemment présentes sur le plateau, aussi bien des familles du Kosovo, que des familles françaises, prêtes à accueillir des réfugiés. Mais auparavant je vous propose de faire le point avec les envoyés spéciaux de la rédaction de France 2....
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Monsieur le ministre, quel est votre sentiment sur le point de vue de Belgrade, rapporté par Jacques merlino : deux poids, deux mesures ?
R - Je crois que nous payons tout de même le prix de notre immobilité lorsque les Croates étaient victimes. Et quaujourdhui il y a peut-être une sorte de banalisation de ce type de pratiques que pour peu on trouverait normale. On ne peut quévidemment protester avec la plus grande violence, et nous y trouvons la preuve que cest bien la bataille de la démocratie, contre une forme de barbarie, et que nous avons une obligation de résultats.
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Q - Ce premier témoignage fait apparaître tout le paradoxe de cette situation. Vous nêtes vous ministre et vous responsables des organisations humanitaires évidemment pas spécialisés dans les questions militaires. Mais cest le paradoxe. Lintervention de lOTAN dure depuis 26 jours, Milosevic est toujours au pouvoir et cet exode massif.
R - Je ne voudrais pas quau terme dune telle démonstration ce soit lOTAN qui soit reconnue coupable et Milosevic innocent. Jai un peu peur, mais pour autant il appartient évidemment à ceux dont cest la compétence de sexpliquer sur la manière dont les choses ont été conduites et décidées. Mais, jai du mal à imaginer quautant dintelligences réunies, au sein de lensemble des forces alliées aient délibérément fait le choix de se tromper, à la fois sur la première phase des frappes, je rappelle quil sagissait dattaquer les moyens de défense aériens de M. Milosevic. Ensuite sur la seconde phase, il sagissait de sattaquer à ce qui alimente à la fois la machine militaire, la machine de répression, en attendant dautres moyens qui sont à létude, même sils ne sont pas aujourdhui à lordre du jour. Je crois quil faut que M. Milosevic sache - comme je le disais à linstant - que lOTAN ne peut pas perdre cette bataille, mais nous aimerions la gagner plus vite, pour éviter en effet davantage de souffrance, et gagner du temps par rapport à ces réfugiés que nous avons vus à linstant.
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Q - Avant de parler des réfugiés, de ce quil faut faire pour eux, un mot sur - là cest une contradiction - le reproche fait aux Serbes davoir laissé partir, forcé à partir des milliers et des milliers des centaines de milliers de réfugiés. Et on apprend quil y a, ou quil y aurait fermeture des frontières, pourquoi à votre avis ?
R - Jhésite à le dire, mais il me semble que cest presquun jeu auquel se livrent les autorités serbes qui sarrangent pour provoquer des effets de bouchon, ferment les frontières, et obligent les réfugiés à refluer. Cest ainsi que des colonnes annoncées, disparaissent. On évoquait les missions de reconnaissance photographique par les avions français. Elles ont eu lieu, et cest ainsi quon a pu voir disparaître en quelque sorte, la longue colonne quon attendait à Blace en particulier, il y a maintenant une semaine. On na pas dinformation véritable, sur le nombre de réfugiés Kosovars qui tournent en quelque sorte au Sud du Kosovo à la recherche dune frontière. Je voudrais simplement si vous me permettez, dire un chiffre : il y avait trois millions et demi dAlbanais, compte tenu des départs depuis de longs mois en Albanie. On peut penser quils sont 3 800 000. 350 000 réfugiés, cest à peu près comme si la France recevait entre 8 millions et 9 millions de réfugiés. Cest simplement un ordre de grandeur que je voulais vous donner.
Q - Ce qui est absolument énorme.
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Que pensez-vous de lanalyse que nous venons dentendre ?
R - Je pense que lhistoire retiendra que le plus grand péché de Milosevic aura été de couper les Serbes du reste du monde. Je regrette beaucoup que nous nayons pas de possibilité déchanger des dialogues.
Q - Est-ce que vous essayez de le faire ? Tout simplement aussi bien les politiques que les humanitaires ?
R - Chaque fois que loccasion mest donnée de rencontrer des Serbes, jessaie de les sortir de cet enclavement, dans lequel ils sont entrés et que le nationalisme crée chaque fois cette espèce dautisme vis-à-vis du reste du monde. On évoquait tout à lheure labsence, le silence des intellectuels, sur cette question. Je crois quil y a un écrivain serbe, M. Abari, qui vit actuellement au Canada, qui disait à la fois sa fierté dêtre Serbe et sa honte pour ce que Milosevic fait actuellement avec les Serbes en quelque sorte. Jespère que nous arriverons plus tard à la fois à aider lAlbanie, la Macédoine et le Kosovo à se reconstruire. Jespère bien que la relation ancienne, quavait la France avec la Serbie, pourra aussi être renouée. Cela me paraît tout à fait essentiel, mais on narrive malheureusement pas, à cause dun système de communication extraordinairement fermé, on le disait tout à lheure, à entrer en communication avec les Serbes, à faire en sorte quils partagent les mêmes données que nous, pour essayer de faire avancer un peu le dialogue.
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Q - Nous avons vu, nous avons entendu les réfugiés qui sont à Lyon. Nous avons entendu les témoignages de Charles Josselin qui nous indiquent que dautres réfugiés arriveront. Vous évaluez le nombre de ceux qui arriveront ? 340 sont aujourdhui en France.
R - Cest difficile. La France sest refusée, à afficher un chiffre, on naime pas trop les quotas dans ce domaine. Il y a déjà quelques demandes, qui se manifestent et nous préférons, les accueillir de cette manière, que les laisser, comment dire, manipuler par les filières clandestines, qui essaient comme le disait tout à lheure, le directeur de « France Terre dAsile », de les faire venir dautres manières. Cest plutôt à partir de lAlbanie, que quelques cas nous sont signalés, mais je rappelle quand même que la volonté forte des Kosovars est de rester en Albanie, en Macédoine pour pouvoir rentrer le plus vite possible au Kosovo . Ce qui renvoie, mais on le verra peut-être tout à lheure, à la question majeure, de laide que lon peut apporter à ces pays, pour permettre aux Kosovars davoir un peu de temps avant de rentrer chez eux.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 1999)