Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de commencer en partageant avec vous une conviction, profonde, qui va peut-être surprendre. La zone euro traverse aujourdhui lune des crises les plus graves depuis plusieurs décennies. Mais jai la conviction quelle émergera de cette crise plus forte, parce que nous choisissons de la rendre plus intégrée, et que cest à cette condition quelle délivrera sa promesse.
La zone euro va profondément se transformer, dans les années à venir. Linconfort vient de ce que nous ne connaissons pas encore les contours finaux de cette mutation. Mais chacun peut voir que le statu quo nest pas à lordre du jour.
Les fondateurs de lUnion Economique et Monétaire nous ont légué une entreprise dune ambition extraordinaire, mais fondamentalement inachevée. Linstabilité financière, la croissance atone, lendémie du chômage, nous imposent de faire franchir à leur projet une nouvelle étape décisive. Cest ce à quoi je vais memployer, dans les prochains mois, avec votre soutien.
Je voudrais revenir aujourdhui brièvement sur quelques marqueurs de laction gouvernementale dans le champ économique européen lan passé, avant dévoquer les priorités de la France pour la zone euro, que chacun ici aura à porter.
1. Un bref coup dil sur lannée passée, donc. Jen retiens trois choses.
a. La première, cest que le pire de la crise est derrière nous. Si nous continuerons à assurer lavenir des Etats sous programme et si nous ne devons pas penser quil ny a plus de crise dans la zone euro, nous sommes sortis de la crise de la zone euro. Bref, le « doute existentiel » de la zone euro nest plus dactualité. Cela ne veut pas dire que nos efforts doivent se relâcher, mais quils doivent à présent porter dabord sur une nouvelle priorité : la croissance.
Cet objectif de retour de la croissance nest pas hors de portée : les signaux encourageants, sils ne dessinent pas encore une véritable reprise en zone euro, nen sont pas moins là. La zone euro est sortie de récession au trimestre dernier, après six trimestres de croissance négative consécutifs. Tous nos efforts doivent à présent tendre vers lamplification de ce mouvement, et je dirai dans quelques minutes quelles voies la France veut explorer dans cette perspective.
b. Deuxième marqueur : linflexion du débat économique international, qui remet progressivement la croissance en son cur. Cest une victoire de la France, à laquelle vous avez travaillé : elle est capitale. Le Pacte de Croissance, négocié par le Président de la République, François Hollande, en juin 2012, a permis dafficher cette ambition, poursuivie avec constance depuis : celle de redéfinir les paramètres du débat. Début août encore, le FMI publiait des recommandations invitant à continuer le rééquilibrage du rythme de réduction des déficits et de soutien à lactivité. Mais cest bien le report de la cible de 3% de déficit nominal dun ou deux ans pour plusieurs Etats 2 ans pour la France par la Commission, qui est la manifestation la plus spectaculaire de cette percée de nos idées, la plus grande victoire de notre action européenne aussi.
Remettre la croissance au cur de lEurope est un enjeu qui prend une acuité particulière alors que se profilent les élections de 2014. Même le Président de la Commission, José Manuel Barroso, en est convenu: « Tout en pensant que la politique daustérité est fondamentalement juste, je pense quelle a atteint ses limites. Pour réussir, une politique ( ) doit bénéficier aussi dun minimum de soutien politique et social ». Jy vois le signe dune prise de conscience que, si lEurope continue à être perçue comme punitive, la désertion de nos concitoyens à son égard samplifiera. LEurope doit aussi donner des gages despoirs et élaborer des moyens de préparer lavenir : ils sont encore trop balbutiants.
c. Troisième marqueur de ces dernier mois, la France a affirmé sa méthode sur la scène européenne :
- Cette méthode repose sur une exigence : jouer le jeu communautaire. Lintérêt commun européen est défini au terme dun compromis négocié : il fallait renouer avec cette tradition, jouer le jeu de la méthode communautaire, respecter les institutions et leur rôle, plutôt que de privilégier un jeu intergouvernemental qui nest garant que des intérêts individuels. Jean Monnet lavait dit avec une infinie justesse en 1950 : « Nous sommes là pour accomplir une uvre commune, non pour négocier des avantages, mais pour rechercher notre avantage dans lavantage commun ». Cest ce que nous avons fait en plaidant pour une application raisonnée, dans le contexte actuel, de la règle des 3%, que la Commission européenne a finalement prise en compte.
- Cette méthode puise à la source de lEurope, qui se fonde à mes yeux sur deux piliers, « le pardon et la promesse », pour reprendre les mots inspirés dHannah Arendt. Le pardon, cest savoir réintégrer à la communauté ceux qui se sont perdus ; au cas despèce cela nous renvoie à une exigence de solidarité dans lUnion il est utile de sen souvenir lorsquon sinterroge par exemple sur la rétroactivité du Mécanisme Européen de Stabilité. La promesse, cest ne jamais perdre de vue que lEurope sest construite en offrant un horizon meilleur à ses citoyens. La police des déficits ne pourra jamais occulter la perspective dun rebond même si elle reste nécessaire aussi aux yeux de ceux qui ont fait des efforts pour y parvenir.
- Cette méthode prend acte dune vérité fondamentale : la zone euro nest pas une coopération renforcée comme les autres, elle nest pas une nouvelle corde à larc de lEurope, elle est une mutation fondamentale de son ADN. Leuro, cest une responsabilité commune, ce sont des interdépendances, un changement fondamental dans la façon de faire de la politique économique, un symbole, une identité, de la politique, du vouloir-vivre ensemble, de la citoyenneté. Cest pour cela que le plan de la France en zone euro est un plan global. Nous navons jamais recherché les rustines: nous voulons privilégier une approche systémique, au bénéfice de tous les Etats membres, qui enraye la contagion et qui réunifie lUnion monétaire, car cest le prolongement direct de notre intérêt propre dans une zone euro totalement interdépendante.
En termes concrets, alors, quel contenu allons-nous donner à nos initiatives ces prochains mois ?
2. Pour schématiser, disons que notre action va sarticuler autour de deux grandes priorités : relancer la croissance, et créer les nouveaux instruments nécessaires pour répondre aux vulnérabilités de lUnion Economique et Monétaire.
a. Stimuler la croissance en ouvrant un maximum de fronts possibles, donc : cest ma toute première priorité européenne, sous lautorité du Président de la République et du Premier ministre.
i. Avant de pouvoir accélérer, il faut dabord enlever le pied du frein : cest pour cela quil faut desserrer autant que possible la contrainte, par ailleurs salutaire, du redressement des comptes. Par rapport aux Etats-Unis et au Japon, lEurope présente à la fois la croissance la plus faible, le chômage le plus élevé, mais aussi les déficits les plus bas, et un excédent commercial. Tous ces signes pointent dans la même direction : la consolidation budgétaire est nécessaire, mais elle doit aller au bon rythme au regard de la conjoncture. Elle doit permettre la croissance la plus élevée possible.
Lenjeu est peut-être moins central quil ne létait ces deux dernières années, car dans les pays du Sud, le gros de lajustement budgétaire a été accompli. Et même en France, sil se poursuivra en 2014, la plus grande part de leffort sur le déficit structurel est derrière nous, après les choix exigeants de 2012 et 2013.
Mais, sur le chemin qui reste à parcourir pour assainir les finances, nous devons trouver collectivement le bon rythme, même si léquation est complexe et évolutive. La France restera en tout cas fidèle à sa méthode : celle de la négociation, du jeu collectif, et du refus de la sécession unilatérale.
ii. Lever le pied du frein, mais aussi créer les conditions dun retour durable de la croissance : cela implique de corriger les déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro, et de rétablir les canaux de financement de léconomie.
Corriger les déséquilibres macroéconomiques en zone euro implique que chacun fasse ses devoirs. Les germes de la crise nétaient pas uniquement budgétaires, ils ont pris des formes différentes selon les Etats : bulle immobilière, surchauffe, dégradation de la compétitivité, fragmentation du marché du travail, perte de substance industrielle, faiblesse des rentrées fiscales, compression des salaires Autant de défis propres à chaque pays, mais qui doivent tous être relevés. Pour sa part, le gouvernement a entamé un effort déterminé pour rétablir la compétitivité et les canaux de la croissance potentielle en France : cest le sens du pacte pour la compétitivité, de la réforme du marché du travail, de la réforme des retraites, ou de la recherche dune plus grande efficacité de laction publique.
En parallèle, nous devons nous assurer que les entreprises pourront sauter dans le train en marche lorsque léconomie repartira : cest pour cela que la France veut rétablir les canaux de financement de léconomie.
Beaucoup a déjà été fait au plan national sur ce point. Je pense à la création de la Banque Publique dInvestissement, qui a fait des émules en Europe, ou à la loi bancaire, qui a aussi beaucoup inspiré les travaux européens
Restait à tracer les prolongements européens de cette initiative :
- Premier axe de réforme: construire une Union bancaire véritablement globale. Lenjeu est de rétablir le rôle du secteur bancaire dans le financement de l'économie et de linvestissement, et de mettre fin à la fragmentation financière au sein de lUnion Economique et Monétaire. Il nest pas satisfaisant que dans des Etats qui participent à la même union monétaire, les conditions de financement des entreprises soient à ce point divergentes or sans financement, pas de croissance.
- Jean-Pierre Jouyet, le Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations, en dira sans doute un mot, mais lune des opportunités que nous explorons aussi, cest de créer des synergies systématiques entre les acteurs publics nationaux et la Banque Européenne dInvestissement. A loccasion des premières Assises européennes du financement des PME que jai organisées fin juin, bpifrance et la BEI ont ainsi signé une convention par laquelle la BEI va mobiliser 1,2 milliards deuros dans des opérations conjointes apportant des capacités de financement supplémentaires à nos PME. Dix jours auparavant, la CDC et la BEI avaient renforcé leurs actions communes de financement de projets dinvestissements en France, dans les transports en commun ou le très haut débit. En attendant, la BEI a dores et déjà engagé en 2013 des financements à léconomie française représentant 6,4 Mds. Nous sommes donc très proches de lobjectif de 7 Mds par an sur les 3 prochaines années (contre 4,5 Md pour 2012), grâce à laugmentation de capital décidée en juin 2012.
- Enfin, il nous reste à inventer de nouvelles solutions. De premières décisions encourageantes ont été prises, comme lélaboration de nouveaux instruments financiers de partage des risques entre la Commission européenne et la BEI pour inciter le secteur privé et les marchés de capitaux à investir dans les PME. Dautres, plus précises, sont attendues au Conseil Ecofin de septembre. Je crois fermement pour ma part quune nouvelle étape du financement des entreprises européenne doit souvrir à cette occasion, avec une pleine mise en uvre des décisions, comme convenu, pour janvier.
Des progrès décisifs ont été faits, ces derniers mois, pour faire progresser le financement de léconomie européenne, et pour construire lUnion bancaire en particulier. La supervision intégrée devait être opérationnelle courant 2014. Un accord a été trouvé sur les règles communes pour la résolution des crises bancaires, qui harmonise les pratiques des Etats de la zone euro, quil sagisse de la protection des contribuables ou de la liste des contributeurs à solliciter dans de pareils cas. Ces règles prévoient la possibilité de faire intervenir, in fine, le Mécanisme Européen de Stabilité en recapitalisation directe des banques pour soulager des Etats qui, parce quils ont besoin de soutenir des établissements financiers en faillite, déstabiliseraient leurs finances publiques. Des avancées sont attendues prochainement sur le Mécanisme Unique de Résolution, qui sera larbitre unique en zone euro chargé dappliquer ces règles de résolution et garantira que le traitement dune défaillance bancaire soit le même, quel que soit lEtat où la banque se trouve. La crise a crée de nouvelles frontières au sein de lUEM, à commencer par une grande fragmentation financière : lUnion bancaire va permettre de les faire disparaître.
Lenjeu à présent est de tenir le cap, alors que lUnion bancaire heurte les sensibilités de souveraineté nationale dimportants Etats de la zone euro. On a beaucoup accusé la France de timidité, de réticence à une intégration plus avancée. En réalité, sur les sujets qui, comme lUnion bancaire, impliquent de faire vivre cette notion de « souveraineté partagée », la France a été plus quallante : volontaire, motrice, force de proposition et dinnovation.
b. Dans les prochains mois et les prochaines années, nous aurons, enfin, à créer de nouveaux instruments pour répondre aux vulnérabilités de lUnion Economique et Monétaire. Cest-à-dire à compléter lUEM, à bâtir son versant économique, dont on mesure aujourd'hui lincomplétude face au versant monétaire.
Deux remarques préalables sur ce point :
- Dabord, on dit beaucoup que la zone euro a manqué dinstruments pour répondre à la crise : en vérité, les insuffisances de lUEM remontent bien au-delà de 2008. Si elle avait correctement fonctionné, les déséquilibres que jévoquais bulle immobilière en Espagne etc. ne se seraient jamais formés. Le défaut de gouvernance, de coordination économique, remonte donc loin.
- Deuxième remarque : les évolutions que propose la France ne sont que la conséquence logique des transferts consentis par les Etats de la zone euro lorsquils ont créé la monnaie unique. Si lon a une seule politique monétaire mais 17 ou 18 politiques économiques, le hiatus est réel, et il faut bien trouver les outils dajustement cyclique pour absorber des crises asymétriques dans la zone.
- Troisième remarque : nous ne redonnerons pas de sens à la construction européenne simplement avec lUnion bancaire cruciale mais aride et encore moins avec le renforcement inconditionnel des contrôles mutuels. Il faut remettre de la chair sur le projet communautaire, avec de nouveaux leviers de politique économique véritablement européenne. Jacques Delors le disait avec justesse : « Le droit ne peut pas remplacer la politique. Les règles ne fondent pas une vision. La contrainte ne peut pas remplacer lélan ».
Cest dans ce contexte que la France promeut des solutions qui redonnent un sens politique à lUEM, et surtout la parachèvent :
- Un budget pour la zone euro, distinct du budget européen à 28, tout dabord, avec fonction contra-cyclique en raison de ses ressources, fiscales, et de ses dépenses, elles aussi sensibles au cycle. Ce budget financerait des actions dans les domaines clés de la protection sociale, comme un socle de financement de lindemnisation chômage en zone euro. Il permettrait ainsi dexprimer une solidarité entre ses membres et de donner corps à lEurope sociale, tout en étant un outil puissant de stabilisation macroéconomique, première réponse à un ralentissement de lactivité.
Je nignore pas les réticences de nombreux partenaires sur ce sujet. Une grande partie de lopinion notamment redoute quun budget européen ne prolonge « lesprit de facilité » qui a nourri la crise, ou quil ne masque des transferts permanents. Nous devons élaborer des réponses qui rassurent sur la conversion des Etats de la zone euro à une discipline effective et des réformes structurelles, dans le cadre dun compromis global où les mécanismes de solidarité et de mutualisation des risques ont toute leur place.
- En parallèle, il faut redonner de la lisibilité aux institutions communautaires, chargées de la sauvegarde de notre intérêt commun. Cest pour cela que la France a proposé une chambre de la zone euro au sein du Parlement européen, pour colégiférer dans lintérêt de lUEM, ainsi que la création dun « ministre des finances » de la zone euro un Président permanent et exclusif de lEurogroupe qui incarne clairement la fonction exécutive.
Quon me comprenne : lapproche est pragmatique, il ne sagit pas de sabîmer dans de grands desseins de révision des traités, mais simplement de constater que les problèmes de stabilité économique et financière rencontrés par la zone euro appellent une clarification et des adaptations institutionnelles.
Il a énormément été question de la zone euro ces derniers mois, et lEurope des 28 est un peu passée au second plan. Il ne sagit pas doublier cette grande Europe, qui a toute sa place sur les questions environnementales, commerciales, de défense, de marché intérieur et pour permettre à lEurope de peser dans son voisinage et sur la scène internationale. Il sagit simplement de faire le constat que la zone euro est le creuset naturel dune solidarité accrue, et den tirer les conséquences.
Construire lUnion Economique et Monétaire a toujours été une entreprise délicate et risquée. La crise nous aura peut-être permis de mieux comprendre quelle est à la fois conforme à notre idéal, et à notre intérêt, que nous devons plus que jamais nous fonder sur nos interdépendances plutôt que sur nos intérêts respectifs.
Les élections européennes qui se profilent sont justement loccasion davoir un débat poussé et informé sur la nécessaire évolution du statu quo. En matière dapprofondissement économique, en matière de réflexion institutionnelle, que nous ne devons pas nous interdire si elle est une réponse aux attentes des citoyens, ces élections sont pour nous loccasion de refuser de resservir aux citoyens français et européens lEurope quils ont connue, sans faire leffort dimagination des solutions pour dessiner lEurope que nous voulons. Pour ma part, je resterai profondément engagé dans ce chantier européen, et je compte sur tout votre appui, toute votre implication et votre expertise, pour que nos idées continuent à progresser auprès de nos partenaires européens.
Source http://www.pierremoscovici.fr, le 29 août 2013
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de commencer en partageant avec vous une conviction, profonde, qui va peut-être surprendre. La zone euro traverse aujourdhui lune des crises les plus graves depuis plusieurs décennies. Mais jai la conviction quelle émergera de cette crise plus forte, parce que nous choisissons de la rendre plus intégrée, et que cest à cette condition quelle délivrera sa promesse.
La zone euro va profondément se transformer, dans les années à venir. Linconfort vient de ce que nous ne connaissons pas encore les contours finaux de cette mutation. Mais chacun peut voir que le statu quo nest pas à lordre du jour.
Les fondateurs de lUnion Economique et Monétaire nous ont légué une entreprise dune ambition extraordinaire, mais fondamentalement inachevée. Linstabilité financière, la croissance atone, lendémie du chômage, nous imposent de faire franchir à leur projet une nouvelle étape décisive. Cest ce à quoi je vais memployer, dans les prochains mois, avec votre soutien.
Je voudrais revenir aujourdhui brièvement sur quelques marqueurs de laction gouvernementale dans le champ économique européen lan passé, avant dévoquer les priorités de la France pour la zone euro, que chacun ici aura à porter.
1. Un bref coup dil sur lannée passée, donc. Jen retiens trois choses.
a. La première, cest que le pire de la crise est derrière nous. Si nous continuerons à assurer lavenir des Etats sous programme et si nous ne devons pas penser quil ny a plus de crise dans la zone euro, nous sommes sortis de la crise de la zone euro. Bref, le « doute existentiel » de la zone euro nest plus dactualité. Cela ne veut pas dire que nos efforts doivent se relâcher, mais quils doivent à présent porter dabord sur une nouvelle priorité : la croissance.
Cet objectif de retour de la croissance nest pas hors de portée : les signaux encourageants, sils ne dessinent pas encore une véritable reprise en zone euro, nen sont pas moins là. La zone euro est sortie de récession au trimestre dernier, après six trimestres de croissance négative consécutifs. Tous nos efforts doivent à présent tendre vers lamplification de ce mouvement, et je dirai dans quelques minutes quelles voies la France veut explorer dans cette perspective.
b. Deuxième marqueur : linflexion du débat économique international, qui remet progressivement la croissance en son cur. Cest une victoire de la France, à laquelle vous avez travaillé : elle est capitale. Le Pacte de Croissance, négocié par le Président de la République, François Hollande, en juin 2012, a permis dafficher cette ambition, poursuivie avec constance depuis : celle de redéfinir les paramètres du débat. Début août encore, le FMI publiait des recommandations invitant à continuer le rééquilibrage du rythme de réduction des déficits et de soutien à lactivité. Mais cest bien le report de la cible de 3% de déficit nominal dun ou deux ans pour plusieurs Etats 2 ans pour la France par la Commission, qui est la manifestation la plus spectaculaire de cette percée de nos idées, la plus grande victoire de notre action européenne aussi.
Remettre la croissance au cur de lEurope est un enjeu qui prend une acuité particulière alors que se profilent les élections de 2014. Même le Président de la Commission, José Manuel Barroso, en est convenu: « Tout en pensant que la politique daustérité est fondamentalement juste, je pense quelle a atteint ses limites. Pour réussir, une politique ( ) doit bénéficier aussi dun minimum de soutien politique et social ». Jy vois le signe dune prise de conscience que, si lEurope continue à être perçue comme punitive, la désertion de nos concitoyens à son égard samplifiera. LEurope doit aussi donner des gages despoirs et élaborer des moyens de préparer lavenir : ils sont encore trop balbutiants.
c. Troisième marqueur de ces dernier mois, la France a affirmé sa méthode sur la scène européenne :
- Cette méthode repose sur une exigence : jouer le jeu communautaire. Lintérêt commun européen est défini au terme dun compromis négocié : il fallait renouer avec cette tradition, jouer le jeu de la méthode communautaire, respecter les institutions et leur rôle, plutôt que de privilégier un jeu intergouvernemental qui nest garant que des intérêts individuels. Jean Monnet lavait dit avec une infinie justesse en 1950 : « Nous sommes là pour accomplir une uvre commune, non pour négocier des avantages, mais pour rechercher notre avantage dans lavantage commun ». Cest ce que nous avons fait en plaidant pour une application raisonnée, dans le contexte actuel, de la règle des 3%, que la Commission européenne a finalement prise en compte.
- Cette méthode puise à la source de lEurope, qui se fonde à mes yeux sur deux piliers, « le pardon et la promesse », pour reprendre les mots inspirés dHannah Arendt. Le pardon, cest savoir réintégrer à la communauté ceux qui se sont perdus ; au cas despèce cela nous renvoie à une exigence de solidarité dans lUnion il est utile de sen souvenir lorsquon sinterroge par exemple sur la rétroactivité du Mécanisme Européen de Stabilité. La promesse, cest ne jamais perdre de vue que lEurope sest construite en offrant un horizon meilleur à ses citoyens. La police des déficits ne pourra jamais occulter la perspective dun rebond même si elle reste nécessaire aussi aux yeux de ceux qui ont fait des efforts pour y parvenir.
- Cette méthode prend acte dune vérité fondamentale : la zone euro nest pas une coopération renforcée comme les autres, elle nest pas une nouvelle corde à larc de lEurope, elle est une mutation fondamentale de son ADN. Leuro, cest une responsabilité commune, ce sont des interdépendances, un changement fondamental dans la façon de faire de la politique économique, un symbole, une identité, de la politique, du vouloir-vivre ensemble, de la citoyenneté. Cest pour cela que le plan de la France en zone euro est un plan global. Nous navons jamais recherché les rustines: nous voulons privilégier une approche systémique, au bénéfice de tous les Etats membres, qui enraye la contagion et qui réunifie lUnion monétaire, car cest le prolongement direct de notre intérêt propre dans une zone euro totalement interdépendante.
En termes concrets, alors, quel contenu allons-nous donner à nos initiatives ces prochains mois ?
2. Pour schématiser, disons que notre action va sarticuler autour de deux grandes priorités : relancer la croissance, et créer les nouveaux instruments nécessaires pour répondre aux vulnérabilités de lUnion Economique et Monétaire.
a. Stimuler la croissance en ouvrant un maximum de fronts possibles, donc : cest ma toute première priorité européenne, sous lautorité du Président de la République et du Premier ministre.
i. Avant de pouvoir accélérer, il faut dabord enlever le pied du frein : cest pour cela quil faut desserrer autant que possible la contrainte, par ailleurs salutaire, du redressement des comptes. Par rapport aux Etats-Unis et au Japon, lEurope présente à la fois la croissance la plus faible, le chômage le plus élevé, mais aussi les déficits les plus bas, et un excédent commercial. Tous ces signes pointent dans la même direction : la consolidation budgétaire est nécessaire, mais elle doit aller au bon rythme au regard de la conjoncture. Elle doit permettre la croissance la plus élevée possible.
Lenjeu est peut-être moins central quil ne létait ces deux dernières années, car dans les pays du Sud, le gros de lajustement budgétaire a été accompli. Et même en France, sil se poursuivra en 2014, la plus grande part de leffort sur le déficit structurel est derrière nous, après les choix exigeants de 2012 et 2013.
Mais, sur le chemin qui reste à parcourir pour assainir les finances, nous devons trouver collectivement le bon rythme, même si léquation est complexe et évolutive. La France restera en tout cas fidèle à sa méthode : celle de la négociation, du jeu collectif, et du refus de la sécession unilatérale.
ii. Lever le pied du frein, mais aussi créer les conditions dun retour durable de la croissance : cela implique de corriger les déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro, et de rétablir les canaux de financement de léconomie.
Corriger les déséquilibres macroéconomiques en zone euro implique que chacun fasse ses devoirs. Les germes de la crise nétaient pas uniquement budgétaires, ils ont pris des formes différentes selon les Etats : bulle immobilière, surchauffe, dégradation de la compétitivité, fragmentation du marché du travail, perte de substance industrielle, faiblesse des rentrées fiscales, compression des salaires Autant de défis propres à chaque pays, mais qui doivent tous être relevés. Pour sa part, le gouvernement a entamé un effort déterminé pour rétablir la compétitivité et les canaux de la croissance potentielle en France : cest le sens du pacte pour la compétitivité, de la réforme du marché du travail, de la réforme des retraites, ou de la recherche dune plus grande efficacité de laction publique.
En parallèle, nous devons nous assurer que les entreprises pourront sauter dans le train en marche lorsque léconomie repartira : cest pour cela que la France veut rétablir les canaux de financement de léconomie.
Beaucoup a déjà été fait au plan national sur ce point. Je pense à la création de la Banque Publique dInvestissement, qui a fait des émules en Europe, ou à la loi bancaire, qui a aussi beaucoup inspiré les travaux européens
Restait à tracer les prolongements européens de cette initiative :
- Premier axe de réforme: construire une Union bancaire véritablement globale. Lenjeu est de rétablir le rôle du secteur bancaire dans le financement de l'économie et de linvestissement, et de mettre fin à la fragmentation financière au sein de lUnion Economique et Monétaire. Il nest pas satisfaisant que dans des Etats qui participent à la même union monétaire, les conditions de financement des entreprises soient à ce point divergentes or sans financement, pas de croissance.
- Jean-Pierre Jouyet, le Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations, en dira sans doute un mot, mais lune des opportunités que nous explorons aussi, cest de créer des synergies systématiques entre les acteurs publics nationaux et la Banque Européenne dInvestissement. A loccasion des premières Assises européennes du financement des PME que jai organisées fin juin, bpifrance et la BEI ont ainsi signé une convention par laquelle la BEI va mobiliser 1,2 milliards deuros dans des opérations conjointes apportant des capacités de financement supplémentaires à nos PME. Dix jours auparavant, la CDC et la BEI avaient renforcé leurs actions communes de financement de projets dinvestissements en France, dans les transports en commun ou le très haut débit. En attendant, la BEI a dores et déjà engagé en 2013 des financements à léconomie française représentant 6,4 Mds. Nous sommes donc très proches de lobjectif de 7 Mds par an sur les 3 prochaines années (contre 4,5 Md pour 2012), grâce à laugmentation de capital décidée en juin 2012.
- Enfin, il nous reste à inventer de nouvelles solutions. De premières décisions encourageantes ont été prises, comme lélaboration de nouveaux instruments financiers de partage des risques entre la Commission européenne et la BEI pour inciter le secteur privé et les marchés de capitaux à investir dans les PME. Dautres, plus précises, sont attendues au Conseil Ecofin de septembre. Je crois fermement pour ma part quune nouvelle étape du financement des entreprises européenne doit souvrir à cette occasion, avec une pleine mise en uvre des décisions, comme convenu, pour janvier.
Des progrès décisifs ont été faits, ces derniers mois, pour faire progresser le financement de léconomie européenne, et pour construire lUnion bancaire en particulier. La supervision intégrée devait être opérationnelle courant 2014. Un accord a été trouvé sur les règles communes pour la résolution des crises bancaires, qui harmonise les pratiques des Etats de la zone euro, quil sagisse de la protection des contribuables ou de la liste des contributeurs à solliciter dans de pareils cas. Ces règles prévoient la possibilité de faire intervenir, in fine, le Mécanisme Européen de Stabilité en recapitalisation directe des banques pour soulager des Etats qui, parce quils ont besoin de soutenir des établissements financiers en faillite, déstabiliseraient leurs finances publiques. Des avancées sont attendues prochainement sur le Mécanisme Unique de Résolution, qui sera larbitre unique en zone euro chargé dappliquer ces règles de résolution et garantira que le traitement dune défaillance bancaire soit le même, quel que soit lEtat où la banque se trouve. La crise a crée de nouvelles frontières au sein de lUEM, à commencer par une grande fragmentation financière : lUnion bancaire va permettre de les faire disparaître.
Lenjeu à présent est de tenir le cap, alors que lUnion bancaire heurte les sensibilités de souveraineté nationale dimportants Etats de la zone euro. On a beaucoup accusé la France de timidité, de réticence à une intégration plus avancée. En réalité, sur les sujets qui, comme lUnion bancaire, impliquent de faire vivre cette notion de « souveraineté partagée », la France a été plus quallante : volontaire, motrice, force de proposition et dinnovation.
b. Dans les prochains mois et les prochaines années, nous aurons, enfin, à créer de nouveaux instruments pour répondre aux vulnérabilités de lUnion Economique et Monétaire. Cest-à-dire à compléter lUEM, à bâtir son versant économique, dont on mesure aujourd'hui lincomplétude face au versant monétaire.
Deux remarques préalables sur ce point :
- Dabord, on dit beaucoup que la zone euro a manqué dinstruments pour répondre à la crise : en vérité, les insuffisances de lUEM remontent bien au-delà de 2008. Si elle avait correctement fonctionné, les déséquilibres que jévoquais bulle immobilière en Espagne etc. ne se seraient jamais formés. Le défaut de gouvernance, de coordination économique, remonte donc loin.
- Deuxième remarque : les évolutions que propose la France ne sont que la conséquence logique des transferts consentis par les Etats de la zone euro lorsquils ont créé la monnaie unique. Si lon a une seule politique monétaire mais 17 ou 18 politiques économiques, le hiatus est réel, et il faut bien trouver les outils dajustement cyclique pour absorber des crises asymétriques dans la zone.
- Troisième remarque : nous ne redonnerons pas de sens à la construction européenne simplement avec lUnion bancaire cruciale mais aride et encore moins avec le renforcement inconditionnel des contrôles mutuels. Il faut remettre de la chair sur le projet communautaire, avec de nouveaux leviers de politique économique véritablement européenne. Jacques Delors le disait avec justesse : « Le droit ne peut pas remplacer la politique. Les règles ne fondent pas une vision. La contrainte ne peut pas remplacer lélan ».
Cest dans ce contexte que la France promeut des solutions qui redonnent un sens politique à lUEM, et surtout la parachèvent :
- Un budget pour la zone euro, distinct du budget européen à 28, tout dabord, avec fonction contra-cyclique en raison de ses ressources, fiscales, et de ses dépenses, elles aussi sensibles au cycle. Ce budget financerait des actions dans les domaines clés de la protection sociale, comme un socle de financement de lindemnisation chômage en zone euro. Il permettrait ainsi dexprimer une solidarité entre ses membres et de donner corps à lEurope sociale, tout en étant un outil puissant de stabilisation macroéconomique, première réponse à un ralentissement de lactivité.
Je nignore pas les réticences de nombreux partenaires sur ce sujet. Une grande partie de lopinion notamment redoute quun budget européen ne prolonge « lesprit de facilité » qui a nourri la crise, ou quil ne masque des transferts permanents. Nous devons élaborer des réponses qui rassurent sur la conversion des Etats de la zone euro à une discipline effective et des réformes structurelles, dans le cadre dun compromis global où les mécanismes de solidarité et de mutualisation des risques ont toute leur place.
- En parallèle, il faut redonner de la lisibilité aux institutions communautaires, chargées de la sauvegarde de notre intérêt commun. Cest pour cela que la France a proposé une chambre de la zone euro au sein du Parlement européen, pour colégiférer dans lintérêt de lUEM, ainsi que la création dun « ministre des finances » de la zone euro un Président permanent et exclusif de lEurogroupe qui incarne clairement la fonction exécutive.
Quon me comprenne : lapproche est pragmatique, il ne sagit pas de sabîmer dans de grands desseins de révision des traités, mais simplement de constater que les problèmes de stabilité économique et financière rencontrés par la zone euro appellent une clarification et des adaptations institutionnelles.
Il a énormément été question de la zone euro ces derniers mois, et lEurope des 28 est un peu passée au second plan. Il ne sagit pas doublier cette grande Europe, qui a toute sa place sur les questions environnementales, commerciales, de défense, de marché intérieur et pour permettre à lEurope de peser dans son voisinage et sur la scène internationale. Il sagit simplement de faire le constat que la zone euro est le creuset naturel dune solidarité accrue, et den tirer les conséquences.
Construire lUnion Economique et Monétaire a toujours été une entreprise délicate et risquée. La crise nous aura peut-être permis de mieux comprendre quelle est à la fois conforme à notre idéal, et à notre intérêt, que nous devons plus que jamais nous fonder sur nos interdépendances plutôt que sur nos intérêts respectifs.
Les élections européennes qui se profilent sont justement loccasion davoir un débat poussé et informé sur la nécessaire évolution du statu quo. En matière dapprofondissement économique, en matière de réflexion institutionnelle, que nous ne devons pas nous interdire si elle est une réponse aux attentes des citoyens, ces élections sont pour nous loccasion de refuser de resservir aux citoyens français et européens lEurope quils ont connue, sans faire leffort dimagination des solutions pour dessiner lEurope que nous voulons. Pour ma part, je resterai profondément engagé dans ce chantier européen, et je compte sur tout votre appui, toute votre implication et votre expertise, pour que nos idées continuent à progresser auprès de nos partenaires européens.
Source http://www.pierremoscovici.fr, le 29 août 2013