Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la politique de défense de la France, à Pau le 10 septembre 2013.

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Circonstance : Universités de d'été de la Défense, à Pau (Pyrénées-Atlantiques) les 9 et 10 septembre 2013

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Depuis un an, les enjeux de défense et de sécurité nationale n’ont pas cessé d’être au cœur de l’actualité. S’il importe de prendre de la hauteur pour préparer l’avenir, comme ces Universités nous y ont invités tout au long de ces deux jours, l’actualité nous rappelle la nécessité d’analyser constamment et de comprendre le paysage extrêmement mouvant de notre environnement stratégique.
Notre politique de défense se construit ainsi dans le temps long, celui de nos ambitions et de nos capacités, mais elle se réalise dans le présent, dans ce qu’il a de complexe, d’incertain, parfois d’inacceptable.
Le 21 août dernier, une attaque avec agents chimiques a fait sans doute plus d’un millier de morts dans la banlieue de Damas.
Avec cette action, Bachar el Assad a franchi un nouveau seuil dans sa pratique de la terreur et dans la négation du droit.
Ce n’est pas seulement un palier nouveau dans l’escalade de la violence en Syrie. C’est un changement d’échelle dans le recours de Bachar El Assad au chimique, jusque-là testé par le régime de façon très limitée et difficile à détecter, mais nous l’avons établi.
C’est un tabou reconnu au plan international qui a été violé. Un tabou vieux de cent ans, celui de l’emploi d’armes qui nous projettent au-delà même de la guerre.
En le brisant, le régime de Damas défie la communauté internationale dans ses fondements. Il fait peser, sur la stabilité du Proche-Orient, puis du Moyen-Orient, puis sur la sécurité internationale, une menace à laquelle je ne vois pas de précédent depuis de longues années.
Parce que le sujet, c’est la prolifération. Parce que la prolifération chimique en acte crée un précédent atroce au cœur de l’une des régions les plus instables du monde.
Parce que nous ne pouvons accepter sans réagir quelque brèche que ce soit dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, reconnue comme une nécessité de sécurité collective au plan mondial, notamment par la résolution 1540 du Conseil de sécurité du 28 avril 2004 (pour qui elle constitue « une menace pour la paix et la sécurité internationales »), et dans notre propre politique de défense sans discontinuer, sous tous les Gouvernements de la France depuis le Livre blanc de 1994.
Parce que, en dernière analyse, la prolifération des armes de destruction massive est une menace pour notre propre sécurité nationale, la sécurité de la France et de l’Europe, qui peut être menacée par la déstabilisation du Proche-Orient, comme par l’encouragement donné par Assad à d’autres proliférateurs, étatiques ou non.
L’attaque du 21 août interpelle la France dans les responsabilités qui sont les siennes. Face au régime syrien, nous nous tenons prêts à agir.
J’observe, comme vous tous ce matin, que la proposition faite hier soir par la Russie a suscité un grand intérêt. Elle mérite un examen précis et nous semble pouvoir avancer dès lors que certaines conditions, qui ont été énoncées par le ministre des Affaires étrangères, seraient remplies : engagement à mettre sous contrôle puis détruire l’arsenal chimique ; résolution contraignante du Conseil de sécurité ; traduction des responsables de l’attaque du 21 août dernier devant la Cour pénale internationale.
Si de tels développements se produisent effectivement et rapidement, nous pourrons constater que c’est la combinaison, choisie par le Président de la République, de menaces de sanctions et de pression militaire crédible, destinées à mettre fin à l’impunité du régime, qui aura porté ses fruits.
Sans revenir sur les discussions qui ont eu lieu ces derniers jours au Parlement, ni anticiper les décisions à venir du Président de la République et de nos principaux partenaires, je voudrais ajouter un mot sur la crise syrienne au regard des orientations de notre politique de défense.
A la suite du Livre blanc, la loi de programmation militaire va notamment renforcer notre capacité à prendre l’ascendant sur des forces étatiques, par des moyens de très haute technologie – moyens de renseignement, de ciblage, de frappe à distance ou encore de guerre électronique. Cette aptitude à faire face aux « menaces de la force » est au cœur de notre autonomie stratégique.
C’est cette autonomie stratégique qui nous permet de parler d’une voie forte sur le dossier syrien, de dialoguer avec les Etats-Unis dès la conception et la planification de l’action et peut-être d’intervenir demain.
C’est cette autonomie stratégique que nous avons voulu préserver et développer dans la future loi de programmation. Seule une poignée de pays dans le monde dispose de capacités de renseignement, de planification, de dissuasion et d’action autonomes. La France en fait partie.
Être autonome, je le précise, ne veut pas dire agir seul. Le principe d’autonomie stratégique ne s’oppose pas à l’action en coalition ; c’est au contraire l’une de ses conditions primordiales. L’action en coalition appelle en effet des acteurs responsables, capables d’anticiper, de faire des propositions et de prendre l’initiative lorsque c’est nécessaire. C’est le sens de la relation stratégique qui existe entre la France et les Etats-Unis. Et c’est le sens de l’autonomie stratégique à laquelle nous attendons tant de prix.
Au-delà de la Syrie, les événements de ces douze derniers mois, au plan opérationnel, autorisent le même constat.
Je pense d’abord à l’Afghanistan. Lorsque nous nous étions réunis l’an dernier à Brest, le désengagement de nos forces était entamé. Nous redoutions alors les menaces militaires et les risques logistiques qui entouraient une manœuvre complexe et difficile. Un an après, cette manœuvre est achevée. Elle a été menée avec un professionnalisme, une détermination et un sang-froid que je veux saluer. La réussite de cette manœuvre hors du commun souligne une fois de plus l’excellence de nos armées – nos moyens de renseignement, nos capacités logistiques et l’aguerrissement de nos soldats ont pris ici une part décisive.
Je pense évidemment aussi au Mali. Il y a un an, la menace djihadiste sur le Sahel occupait déjà nos esprits. Tombouctou et Gao, tout le Nord et plus du Mali étaient occupés par des groupes djihadistes qui semblaient régner en maîtres et instauraient un régime oppressant. Qui aurait alors imaginé, un an après, un pays rendu à son intégrité territoriale, des djihadistes considérablement affaiblis, des élections présidentielles déjà réalisées et un processus de réconciliation, certes délicat, mais déjà engagé grâce aux accords de Ouagadougou ? L’installation d’Ibrahim Boubacar Keïta comme Président d’un Mali rendu à sa pleine souveraineté, moins de sept mois après le début de l’opération SERVAL, est davantage qu’un symbole.
L’articulation entre l’action militaire, le rétablissement de l’ordre constitutionnel, le processus de paix et la reconstruction a été notre préoccupation constante. Je tiens à ce moment de mon intervention à rendre tout particulièrement hommage aux hommes et aux femmes de l’armée de terre, qui nous accueille ici à Pau. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de m’entretenir avec eux sur le terrain, de l’Amettetaï à Gao. J’en retiens une légitime fierté : ce sont des hommes et des femmes exceptionnels
L’analyse du Livre blanc, d’ailleurs élaborée dans le même temps, me semble là aussi pertinente. Devant cette fois les « menaces de la faiblesse », celles d’un Etat en difficulté grave, à la merci de groupes armés et fanatisés, l’intervention de la France en gestion de crise s’est révélée pertinente, depuis la réactivité permise par l’emploi des forces spéciales et de notre dispositif pré-positionné, jusqu’à la maîtrise dans la durée de larges espaces physiques, en passant par l’entretien de liens étroits avec la population et les acteurs locaux.
Que ce soit en Afghanistan, au Mali, peut-être demain en Syrie, ailleurs encore, la qualité de nos armées permet à la France de tenir son rang, politique et stratégique, comme bien peu de pays dans le monde sont capables de le faire. Cette excellence, garante de notre autonomie stratégique, repose sur une vision de notre environnement, sur des capacités, mais aussi sur une volonté politique, celle du Président de la République, qui a pris des décisions majeures en tant que chef des armées. Décision d’accélérer le calendrier du retrait de nos forces d’Afghanistan. Décision d’intervention éclair au Mali contre un offensive djihadiste imprévue et sans précédent, qui menaçait d’installer aux portes de l’Europe un foyer de terrorisme international. Décision, encore, d’être à la pointe du combat contre ceux qui n’ont pas hésité à déchaîner l’horreur d’une attaque chimique sur des hommes, des femmes, des enfants, et qui pourraient recommencer demain si rien n’était fait pour les en empêcher.
Le Président de la République a pris une autre série de décisions, qui concernent cette fois un temps plus long. De l’élaboration du Livre blanc à la préparation de la loi de programmation militaire, il y avait un défi majeur, celui de l’adaptation de notre politique de défense, des menaces d’aujourd’hui aux guerres de demain. Pour relever ce défi, dans un contexte budgétaire lui-même exceptionnellement difficile, le Président de la République s’est prononcé sur quatre grandes orientations, qui seront au cœur des débats parlementaires de cet automne.
En premier lieu, la décision a été prise de sanctuariser notre effort de défense, en dépit de la contrainte financière considérable qui s’exerce sur le budget de l’Etat. En reconduisant le budget du ministère à son niveau actuel, c’est-à-dire 31,4 Mds€, puis en actant une hausse à compter de 2016, le Président de la République a marqué et répété une priorité dont ne bénéficie pas la plupart des ministères. La raison en est simple, mais je crois qu’elle mérite d’être rappelée : c’est là un effort que la Nation consent, non pas pour ses armées en elles-mêmes, mais parce qu’elles sont garantes de la sécurité du pays.
Au sein de ce cadre financier, qui atteint 190 Mds€ sur les six années de la programmation, des ressources exceptionnelles viennent compléter les ressources strictement budgétaires, à hauteur de 6,1 Mds€. En effet, j’ai voulu que soit garanti à notre défense un niveau de ressources ambitieux et réaliste à la fois. Ambitieux, par la trajectoire que le Président de la République a arrêtée. Réaliste, par les différentes assurances que nous avons souhaité prendre dans la loi, en diversifiant donc les ressources, en faisant le choix de la transparence sur les origines des ressources exceptionnelles – c’est la première fois –, enfin en explicitant plusieurs mécanismes de sauvegarde. L’enjeu, c’est la sincérité de cette programmation.
Deuxième grande orientation, maintenir la France au premier rang stratégique. L’ambition s’énonce clairement : conforter notre capacité de dissuasion, qui est une des clés de l’autonomie stratégique ; garantir notre capacité à intervenir dans l’ensemble des situations où nos intérêts de sécurité et nos responsabilités internationales pourraient être mis en jeu. La capacité à remplir simultanément les trois missions fondamentales, définies par le Livre blanc, répondait déjà à cette ambition : la protection de notre territoire et de notre population, la dissuasion nucléaire, et l’intervention extérieure pour des missions de guerre comme de gestion de crise. Et grâce au niveau de ressources que je viens d’évoquer, nous sommes l’un des rares pays dans le monde à pouvoir les assurer ensemble.
Aujourd’hui, vous me permettrez d’insister sur la manière dont cette deuxième grande orientation est prise en compte dans le projet de loi de programmation militaire, d’abord par la préparation opérationnelle, ensuite par les programmes industriels.
La préparation opérationnelle est un enjeu majeur de la future programmation. L’excellence de nos armées, leur crédibilité, en découle directement. Depuis 2011 en particulier, nous observons pourtant une baisse des activités opérationnelles. Quelles qu’en soient les raisons – épuisement des stocks, vieillissement des parcs nécessitant un entretien coûteux, arrivée de nouveaux matériels à coûts d’activité et maintenance encore supérieurs–, nous entendons y mettre un terme. Le contexte financier ne doit pas conduire à dégrader le niveau de préparation d’une armée professionnelle. Ce niveau sera donc maintenu puis relevé. Et j’ai engagé avec les chefs d’états-majors et le DGA une réflexion tous azimuts pour répondre au défi de la baisse tendancielle que je dois constater.
Les équipements, quant à eux, font l’objet d’un effort conséquent. Alors qu’en 2013, 16 Mds€ leur ont été consacrés, au cours de la future programmation, ce montant sera en constante progression. En 2019, il atteindra 18,2 Mds€. Grâce à ce niveau de crédits, le renouvellement de nos équipements sera assuré, même si cela ne peut se faire au rythme, irréaliste, préconisé avant la crise par la précédente loi. Ce niveau de crédits bénéficiera donc à nos forces, à travers un grand nombre de programmes, mais il bénéficiera aussi à l’ensemble de notre base industrielle et technologique de défense.
C’est la troisième grande orientation, l’impératif industriel. 4 000 entreprises, dont une majorité de PME/ETI ; 165 000 emplois directs, qui sont autant d’emplois hautement qualifiés et donc peu délocalisables ; un chiffre d’affaires global d’environ 15 Mds€, dont 30 à 40% est réalisé à l’export… Depuis que j’ai pris mes fonctions, je crois que ce sont les chiffres que je trouve vraiment important de rappeler. Aujourd’hui, en effet, les industries de défense sont à la fois l’une des conditions de notre autonomie stratégique par l’autonomie qu’elle confère à notre politique d’acquisition d’équipements dans les domaines les plus sensibles ; elles sont l’un des moteurs les plus dynamiques de la compétitivité de notre économie ; elles représentent l’un des atouts importants dont nous disposons pour l’équilibre de la balance de nos comptes publics, grâce aux exportations ; elles constituent enfin un domaine d’excellence pour l’emploi. Il importe au Gouvernement qu’elles le demeurent.
C’est pourquoi l’impératif industriel est au cœur du projet de loi de programmation militaire, par les crédits consacrés à l’investissement que je viens d’évoquer ; par l’effort substantiel en matière de R&T, qui sera en hausse pour s’élever à 730 M€ par an en moyenne annuelle sur la durée de la programmation ; par l’accroissement du soutien aux PME-PMI-ETI innovantes, à travers le pacte défense PME ; par le dispositif RAPID, qui se voit pérennisé et renforcé…
Quatrième et dernière grande orientation, tirer le meilleur parti de nos alliances et de notre choix en faveur de la construction européenne. Je pense à l’Alliance atlantique, où nous ne devons jouer sans complexe un rôle actif et favorable à l’affirmation des Européens dans le lien transatlantique. Je pense aussi, bien sûr, à la relance de l’Europe de la défense elle-même. C’est plus qu’une conviction personnelle, c’est un constat raisonné, et partagé par un nombre croissant de mes homologues. L’Union européenne a besoin d’appuyer sa force de frappe économique sur des ressorts politiques et stratégiques pour demeurer la deuxième puissance mondiale. Face aux contraintes budgétaires, de plus en plus fortes pour tous, face au coût croissant des équipements et des opérations militaires, l’autonomie stratégique de chacun des Etats européens doit être repensée, dans une certaine mesure, au sein d’une communauté de destin, où l’on partage une histoire et un avenir communs, des intérêts et des valeurs.
A la suite du Livre blanc, le projet de loi de programmation militaire donne donc un signal fort. L’essentiel des programmes menés dans le cadre de coopérations européennes vont en effet être préservés, tandis que d’autres seront lancés. Au-delà, c’est l’échéance du Conseil européen de décembre qui doit retenir notre attention. Voilà cinq ans que la réunion des chefs d’état et de gouvernement n’avait plus porté sur les questions de défense, alors même qu’elles sont au cœur de leurs mandats respectifs. C’est là une occasion unique d’investir les cadres multinationaux comme des alternatives crédibles au décrochage stratégique, par des projets concrets, qui portent dans les trois domaines - opérationnel, capacitaire et industriel. Je sais que vous en avez parlé à l’occasion de ces Universités, et qu’un certain nombre d’entre vous sont animés des mêmes convictions. Pour les faire vivre, vous me trouverez toujours à vos côtés.
Ces quatre grandes orientations, sur l’effort de défense, sur notre rang stratégique, sur la base industrielle et sur l’Europe de la défense, constituent le socle du renouvellement de notre politique de défense. Car l’enjeu n’était pas seulement d’adapter l’outil aux circonstances, mais bien de le concevoir à long terme, de le préparer aux guerres de demain, aux menaces du futur.
Dans cette perspective, le Livre blanc et le projet de loi de programmation militaire impriment plusieurs inflexions majeures à notre politique de défense. Ces inflexions n’intéressent pas seulement les six années de la programmation, mais les quinze ans de notre horizon stratégique et l’avenir au sens le plus plein. Vous me permettrez d’en souligner trois.
Je voudrais d’abord revenir sur notre stratégie militaire, et les principes que nous avons introduits pour bâtir le nouveau modèle de nos armées : la différenciation et la mutualisation. C’est une remarque personnelle, mais je trouve que la grande portée de ces principes n’a pas été suffisamment soulignée.
D’abord, la différenciation. Il s’agit, je le rappelle, de concevoir, équiper et entraîner nos forces en fonction des missions spécifiques qu’elles sont appelées à remplir. Par rapport aux principes qui ont guidé le Livre blanc de 2008, dans la foulée de la professionnalisation de 1997-2002, c’est une mutation importante.
Avant 1996, nous disposions d’un outil militaire qui se trouvait pour l’essentiel organisé dans la perspective d’un affrontement unique et extrême face aux Soviétiques et au Pacte de Varsovie. A partir de 1996, nous avons développé un instrument militaire conçu pour des affrontements de haute intensité, tout en l’utilisant de manière croissante dans des opérations extérieures de gestion de crises. C’est cette évolution qui a conduit à retenir explicitement, en 2008, un principe général de polyvalence des forces. Toutes devaient être capables de s’engager dans l’ensemble des missions, dont la diversité commençait à s’imposer comme un fait stratégique majeur. Mais la polyvalence avait un coût élevé; elle avait aussi ses limites au plan de la stratégie. Les forces conçues pour la projection dans des conflits de haute intensité ne sont pas forcément, en effet, les mieux adaptées à la gestion de crise ou à la protection du territoire national et de ses approches.
La différenciation des forces prend en compte l’analyse des conflits dans leur diversité et des moyens adaptés qu’ils requièrent. Les crises dont j’ai essayé de tirer les enseignements tout à l’heure ne disent pas autre chose. Face au régime de Damas, dans l’éventualité d’une intervention, nous avons besoin de forces de haute technologie et de haute puissance, fortement intégrées, capables d’atteindre très précisément le but des opérations symétriques (d’Etat à Etat), qui est de détruire les forces adverses le plus rapidement possible. En parallèle, comme l’Afghanistan et le Mali nous l’ont confirmé, nous avons aussi besoin de forces à la configuration différente, aptes à contrôler dans la durée de vastes espaces physiques, aptes à agir dans des situations délicates, au milieu des populations. Ce qui importe ici, c’est le nombre et la qualité de nos soldats, c’est le renseignement d’origine humaine et la maîtrise des effets. C’est tout le sens du principe de différenciation.
Je ne m’étends pas sur la mutualisation, sinon pour dire qu’elle est un maître-mot de notre programmation : entre nos forces, pour consacrer certaines de nos capacités les plus rares à diverses missions ; entre Européens, pour optimiser les capacités des Etats membres, spécialement dans les domaines où nos moyens sont lacunaires, comme le transport aérien, le ravitaillement en vol, l’aéronavale, les satellites ; entre services de renseignement, pour la mise en commun et là encore l’optimisation de moyens technique et humains rares et coûteux de recueil de renseignements.
Deuxième évolution majeure, le renforcement de nos capacités de renseignement, notamment spatiales et aéroportées, qui vont atteindre un niveau inédit, et la prise en compte de la cyberdéfense, au double plan de la stratégie et des capacités.
Sur le renseignement, je veux sans cesse rappeler, avec le Président de la République, que c’est une des clés de notre autonomie stratégique. Nous avons souhaité confirmer et amplifier la priorité qui lui est accordé dans notre stratégie de défense et de sécurité nationale. La programmation en porte le témoignage, avec la livraison de deux satellites MUSIS, la réalisation du système satellitaire d’écoute CERES, la fourniture, enfin, de drones MALE et de drones tactiques, le renforcement des moyens techniques mutualisés de la DGSE et de la DRM, mais également le renforcement des ressources humaines des services.
Concernant la cyberdéfense, notre volonté est claire : il s’agit d’une nouvelle donne stratégique et nous devons en prendre toute la mesure. L’interconnexion des systèmes d’information numérisés a créé dans nos sociétés des vulnérabilités nouvelles, qui n’ont pas été accompagnés d’un effort simultané de protection. Le cyberespace est devenu un champ de confrontations à part entière, où des stratégies nouvelles se déploient déjà. Il est vital pour la France et pour l’Europe de rester à hauteur. L’enjeu n’est plus seulement le risque de déni d’accès ou d’espionnage. Ce qui est désormais en cause, c’est la capacité de prise de contrôle à distance ou même de destruction d’infrastructures vitales pour notre pays, sans parler de la sécurité de moyens de défense eux-mêmes. En la matière, nous nous engageons donc dans la voie d’une politique ambitieuse, avec un accroissement des moyens humains, le renforcement de la sécurité des systèmes d’information de l’Etat sous l’autorité des services spécialisés du Premier Ministre, le développement de compétences scientifiques, technologiques et industrielles, la mise en place de capacités militaires, défensives et offensives…
Troisième et dernier tournant que je voudrais évoquer, parce qu’il est également au cœur de la préparation de l’avenir, l’évolution du cadre juridique de notre défense. Le projet de loi de programmation militaire innove en effet en adaptant le droit aux défis d’aujourd’hui et en le préparant à ceux de demain.
Le cadre des activités de renseignement évoluera, avec de nouvelles possibilités pour nos services, mais aussi, en contrepartie, un contrôle renforcé, en particulier du Parlement.
De même, la cyberdéfense connaîtra son premier cadre législatif vraiment développé avec la loi de programmation, qui organise la capacité du Gouvernement à imposer des règles aux opérateurs, comme la faculté qui lui est conférée de concevoir et exécuter des ripostes en cas d’agression informatique.
D’autres outils juridiques sont mis en place, à la demande du Président de la République, pour éviter une judiciarisation inutile de l’action des militaires en opérations extérieures.
L’objectif n’est pas de consacrer une immunité pénale exceptionnelle au profit des militaires. Il s’agit de faire prendre en compte, par le droit, la réalité de ce qu’est un conflit armé et une situation de combat, dans la procédure comme dans l’appréciation des juges du fond, . Il s’agit de trouver un compromis, entre un droit pénal d’exception qui est celui du temps de guerre, et le droit commun qui est adapté au temps de paix. Sur certains aspects, ce droit commun se trouve aujourd’hui en décalage avec les réalités des conflits dans lesquels nos militaires sont prêts à donner leur vie comme d’ailleurs à donner la mort.
Voilà, en quelques mots, les lignes de force de notre politique de défense, telle qu’elle se construit dans le temps long, pour donner à la France, dans le temps beaucoup plus court et mouvant de l’actualité, tous les moyens de protéger ses intérêts de sécurité comme d’assumer ses responsabilités internationales.
Si j’ai toute confiance dans le projet que nous avons élaboré ces derniers mois avec les chefs d’états-majors et les principaux responsables du ministère, je n’ignore pas, dans un contexte général pesant, les difficultés qui sont devant nous. Ces difficultés, je veux les voir comme autant de défis devant lesquels vous me trouverez toujours lucide et résolu.
Difficultés financières. Entre le report de charges du ministère, qui dépasse les 3 Mds€, les anticipations exagérément optimistes de la loi votée précédemment et les conséquences financières d’incidents comme Louvois qui perdurent, la gestion des prochains mois s’annonce particulièrement ardue.
Difficultés dans l’organisation et l’application des réformes. Il n’est pas d’autre ministère qui ait connu autant de réformes depuis 1997. Aujourd’hui, je veux dire que des réformes sont nécessaires, mais que certaines, par le passé, ont été appliquées de façon trop brutale, sans la claire conscience des améliorations à en attendre. Je pense à la mise en place des bases de défense, qui a généré des complications parfois considérables dans la vie quotidienne des forces. Je pense aussi, évidemment, au système des soldes que je viens de citer.
Difficultés pour les hommes et les femmes de la défense. Je sais que bien des interrogations ou des doutes se répandent, - sur la soutenabilité de la programmation, l’avenir de telle ou telle unité, l’avenir du métier lui-même parfois. Sur nos choix pour cet avenir, je viens de m’exprimer, j’espère vous avoir fait partager ma détermination. Sur la déflation des effectifs, chacun a conscience de l’ampleur du défi que représente sa poursuite. 10 175 emplois vont être supprimés au titre de la précédente programmation, et 23 500 le seront au titre du nouveau Livre Blanc. C’est un effort considérable. Nous en connaissons la nécessité, mais nous en mesurons aussi le prix, après les réductions que le ministère a déjà connues. Mais nous ne ferons rien de façon aveugle, ni sans écouter les demandes légitimes.
Je n’ignore pas, encore, la nécessité de moderniser le ministère, en particulier celle de simplifier et alléger les structures de soutien, d’environnement, d’administration, d’états-majors, au bénéfice des forces ; et de garantir une claire répartition des responsabilités, dont, à défaut, la dilution est garante de mauvaise gestion.
Je n’ignore pas, enfin, la nécessité absolue de ne pas casser un ensemble qui a fait ses preuves sur le terrain, dans des adaptations qui sont nécessaires, mais qui, si elles étaient mal conduites, pourraient nous être fatales.
Sur ces difficultés, comme sur le reste, je veux tenir un discours de vérité. Vérité sur les défis qui sont les nôtres ; vérité aussi sur la méthode qui sera toujours la mienne.
Je veux d’abord sortir du déni de réalité. C’est bien la démarche du Gouvernement, notamment par le choix de ressources adaptées et raisonnables dans le contexte que l’on connaît et les différents mécanismes de sauvegarde qui viennent garantir la sincérité de cette programmation.
Je veux aussi prendre le temps. J’ai évoqué l’essoufflement des structures, des personnes, après tous les efforts qu’on leur a demandés. D’autres sont encore nécessaires, mais j’ai décidé qu’une période d’analyse fonctionnelle précéderait les nouvelles réductions. L’objectif n’est pas de rechercher des coupes purement arithmétiques. Il est d’atteindre un modèle qui soit plus simple, davantage cohérent.
Je veux surtout écouter, laisse toute leur place au dialogue et à la concertation, celle-ci devant d’ailleurs sans doute être rénovée. Le dialogue, ce n’est pas un impératif de communication de crise ; c’est une méthode de travail sur la durée. Aujourd’hui, je suis d’ailleurs heureux de retrouver nombre de mes interlocuteurs réguliers –parlementaires, industriels, journalistes, experts, partenaires étrangers… Je crois que nous conviendrons aisément que le dialogue qui nous réunit est un moteur puissant pour nos actions respectives. C’est particulièrement vrai concernant les défis que je viens d’évoquer.
En matière de restructurations, je suis bien placé pour connaître toute l’importance du dialogue avec les élus locaux, comme avec les personnels. Parce que notre objectif est de préserver au maximum les liens qui unissent les armées et les territoires, nous serons toujours à l’écoute de ceux qui les font vivre au quotidien.
Dans la même logique, le dialogue et la concertation doivent permettre d’accompagner les déflations d’effectifs à venir, et de faire émerger des évolutions positives pour la condition du personnel de la défense et la condition militaire en particulier. Celle-ci, comme le rappelle la loi de programmation, est un élément constitutif de la capacité opérationnelle elle-même de nos forces.
Tenir un discours de vérité, prendre le temps de l’analyse, écouter, laisser toute sa place au dialogue et à la concertation, et toujours témoigner aux hommes et aux femmes de la défense le respect que nous devons à leur engagement, voilà comment j’entends relever ces défis.
Puisque c’est la ville de Pau, terre d’élection des parachutistes et plus largement de l’armée de Terre, qui nous accueille cette année, vous me permettrez de formuler quelques remarques pour finir sur la place de l’armée de Terre dans les évolutions de notre politique de défense.
Il y a un an, certains experts ont pu diagnostiquer le déclin de forces terrestres devant des conflits modernes qui ne les concerneraient plus qu’à la marge. On connaît la suite de l’histoire. Notre intervention au Mali a rappelé, s’il en était besoin, non seulement toute la pertinence de l’emploi des forces terrestres, sur un large spectre de missions, mais encore l’excellence de notre armée de Terre.
Les forces terrestres sont donc essentielles pour notre défense. C’est l’analyse qui est faite par le Livre blanc, et c’est le sens du projet de loi de programmation militaire, qui marque plusieurs priorités, en termes d’équipements, en termes de préparation opérationnelle, qui leur bénéficieront directement.
Je l’ai dit tout à l’heure, notre stratégie militaire connaît une mutation majeure avec le principe de différenciation. Ce principe est spécialement pertinent pour l’armée de Terre. L’engagement terrestre est en effet marqué, de manière toute particulière, par la distinction entre les hypothèses d’affrontement avec des forces étatiques, rares, mais que nous devons envisager, et les crises nombreuses, toujours délicates, au contact des populations, dans lesquelles nos forces ont acquis une réputation méritée.
Ces deux types d’opérations n’épuisent d’ailleurs pas les missions de l’armée de Terre. Je veux notamment mentionner l’importance de la protection du territoire, qu’il s’agisse des missions courantes remplies dans le cadre de Vigipirate, de l’intervention en cas de crise ou de catastrophe naturelle sur le territoire ou encore des missions de souveraineté outre-mer, assurées par des unités qui ont elles aussi leurs spécificités.
C’est pourquoi, en tout cas, l’armée de Terre s’articulera désormais selon deux grandes composantes, pour un total de 66 000 hommes de la Force Opérationnelle Terrestre. D’une part, une capacité de coercition, sur la base de deux brigades blindées, qui bénéficieront cette année des livraisons des derniers VBCI et, à terme, de la rénovation programmée des chars Leclerc. D’autre part, une capacité de gestion de crise, qui reposera en particulier sur les brigades multirôles et les brigades légères, qui verront leurs véhicules renouvelés grâce au programme Scorpion que je lancerai dès l’année prochaine.
Plus largement, c’est tout un pan de nos forces terrestres qui sera renouvelé. Je pense au lancement cette année du programme du missile MMP. Je pense à l’acquisition de drones tactiques, à l’arrivée des hélicoptères Tigre et NH90. Je pense aussi au programme de radio tactique Contact, à l’achat d’une nouvelle série de véhicules logistique de type PPT. Et je pense encore au programme emblématique de renouvellement des FAMAS.
Il y a la stratégie, il y a les équipements, mais il y a aussi l’identité. Les hommes et les femmes sont au cœur de chacune de nos armées, mais je crois pouvoir dire qu’ils occupent, au sein de l’armée de Terre, une place singulière. Cette singularité nous renvoie aux principes fondamentaux de la guerre – qu’il s’agisse de combattre au ras du sol, au plus près de l’ennemi, ou bien d’aller au contact des populations, de leur venir en aide. Pour que les hommes et les femmes demeurent au cœur des forces terrestres, au cœur de nos armées, je sais toute l’importance de la préparation opérationnelle et de la condition militaire. J’en ai parlé. Ce sont nos priorités pour les mois et les années qui viennent.
L’armée de Terre est donc tournée vers l’avenir. Ces Universités d’été aussi. Retenu à Paris par l’actualité syrienne, je regrette de n’avoir pu y passer plus de temps. Je veux néanmoins remercier les organisateurs de ces journées, qui ont permis, cette année encore, aux principaux acteurs de notre communauté de défense de se retrouver, à distance de leurs activités respectives, pour échanger analyses et idées, et préparer ainsi les décisions de demain en matière de défense.
Demain, nous y sommes. C’est pourquoi ces échanges étaient particulièrement précieux cette année, à quelques semaines de l’ouverture des débats parlementaires sur le projet de loi de programmation militaire. Dans cette perspective, je souhaite que la communauté de défense, dont le cœur est ici, se mobilise largement. Si j’ai toute confiance dans le projet que nous portons, c’est ensemble que nous le ferons réussir, dans l’intérêt de la France et le respect de celles et ceux qui la servent si bien.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 11 septembre 2013