Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Madame la Sénatrice,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'être ce soir parmi vous pour clôturer ce forum thématique, qui s'inscrit dans le cadre du grand débat sur l'avenir de l'Europe, lancé par le président de la République et le Premier ministre, en avril dernier, à la suite du Conseil européen de Nice.
Je tiens d'abord à remercier et à féliciter Yves Cochet pour avoir réussi à organiser ce forum en un temps record, alors même qu'il prenait ses nouvelles fonctions avenue de Ségur.
Avant même d'en venir au fond de vos réflexions, je souhaite souligner que vos travaux alimenteront naturellement la réflexion en cours sur l'avenir de l'Europe. Un groupe de personnalités a été désigné par le président de la République et le Premier ministre pour assurer la synthèse du débat dans la perspective du Conseil européen de Bruxelles-Laeken, en décembre prochain. Les chefs d'Etat et de gouvernement devront alors préciser comment ce débat s'organisera et se poursuivra à partir de 2002, en vue d'aboutir à la refonte de l'architecture européenne, en 2004, dans le cadre d'un traité constitutionnel. Mme Françoise Crouigneau a suivi vos travaux et les intégrera évidemment à la synthèse en cours d'élaboration.
En tout état de cause, le débat ne saurait se clore ou se conclure aujourd'hui. Au-delà de l'échéance du prochain Conseil européen en décembre, notre ambition est bien de stimuler le débat sur l'Europe, notre avenir, pour créer un véritable espace démocratique européen. Il faut aussi espérer que les échéances politiques de l'année prochaine permettront aux enjeux européens d'occuper la place qu'ils méritent dans la confrontation démocratique des idées. Je vous appelle donc à rester impliqués.
J'en viens maintenant à la substance de vos travaux, organisés autour de deux tables rondes, consacrées au rôle de l'Europe comme aiguillon dans la promotion des politiques environnementales d'une part, aux réformes institutionnelles souhaitables pour assurer une meilleure prise en compte des exigences du développement durable dans les politiques communautaires, d'autre part.
Ma conviction est qu'il y a là un vaste champ de réflexions pour les années qui viennent. En effet, je crois que la problématique environnementale agit comme un bon révélateur des performances européennes en termes d'action publique mais aussi des freins mis à l'approfondissement de l'action européenne.
Des performances incontestables, en effet, car l'Union européenne a su légiférer dans le domaine de l'environnement. Trop même, disent certains, parfois bruyamment, en faisant parfois une lecture un peu étriquée de la subsidiarité pour contester la légitimité de l'Union européenne à légiférer en matière d'éco-étiquetage des denrées alimentaires, de traçabilité, de protection des espèces animales ou des sites naturels. Sans m'appesantir sur ces sujets, qui justifieraient chacun une journée entière de réflexion, je crois que les différentes institutions de l'Union - le Conseil, la Commission, le Parlement européen - ont fait preuve d'esprit de responsabilité en légiférant abondamment dans le domaine de la protection de l'environnement, sans activisme, mais en développant progressivement une conception "intégratrice" de la protection de l'environnement, c'est-à-dire allant de l'amont - la défense de la nature, la prévention des pollutions de toutes natures -, à l'aval, c'est-à-dire bien souvent ce qui se trouve dans le panier du consommateur. Au plan des méthodes, l'Union a su combiner prévention, incitation, travail normatif, contractualisation avec les Etats membres ou les acteurs de terrain.
Bref, l'Union européenne a su faire preuve, dans le domaine de l'environnement, à la fois d'une volonté d'enrichir constamment le contenu de ses politiques et d'une réelle plasticité dans ses modes d'action.
Cet acquis est précieux. Il constitue un socle solide pour bâtir une société de bien-être et de mieux-vivre. Du reste, les pays d'Europe centrale et orientale, candidats à l'adhésion, ne s'y sont pas trompés et soulignent à l'envi les difficultés juridiques, et surtout pratiques, d'une reprise rapide de l'acquis communautaire. Bien évidemment, il ne pouvait pas y avoir réellement de négociations de fond sur le contenu de cet acquis, au-delà de celles portant sur l'octroi de périodes de transition. Il va de soi que les Quinze seront très vigilants quant à la conformité de la législation des pays candidats aux normes communautaires en vigueur lors de l'entrée dans l'Union. Les opinions publiques des Quinze ne comprendraient pas qu'il en soit autrement. En soulignant leur attachement à un bien public européen, au double sens politique et économique de ce terme, elles rendent un hommage à ce qui a été accompli par l'Union dans le domaine environnemental depuis 40 ans.
Au-delà de ce défi à la fois immédiat et permanent de l'élargissement dans le domaine particulier qui nous intéresse aujourd'hui, je crois que l'Union aura à faire face dans les années qui viennent à deux défis essentiels qui supposent une réflexion institutionnelle préalable.
Le premier défi consiste à passer progressivement d'une logique de politique environnementale à une logique de développement durable. Dans ce domaine, je pense que nombreux sont les Etats membres à avoir pris une longueur d'avance sur l'Union européenne comme ensemble politique organisé. Les préoccupations environnementales sont intégrées à la plupart des décisions publiques chez nous comme chez la plupart de nos voisins. Lorsque la prise en compte des préoccupations environnementales est jugée insuffisante, ce n'est plus une découverte, ex-post, mais bel et bien le résultat d'une décision publique globale assumée dans toutes ses composantes. Au plan communautaire, nous sommes encore loin d'une telle organisation et d'une telle transparence des choix publics. De nombreux enjeux environnementaux cruciaux débordent largement du cadre des travaux sectoriels du Conseil "environnement". Je pense, par exemple, aux réglementations dans le domaine des transports ou bien aux questions de précaution et de sécurité alimentaire. Ma conviction est que les questions environnementales sont éminemment transversales et mettent en jeu simultanément les compétences de plusieurs formations du Conseil. Par conséquent, si nous voulons dépasser les appels constants, mais parfois un peu rituels, du Conseil à promouvoir les politiques de développement durable, pour passer à une action plus concrète, il nous faudra revoir les méthodes de travail, notamment en décloisonnant ses différentes formations du Conseil. Les conclusions du Conseil européen de Göteborg constituent un premier pas dans cette direction, et aussi un encouragement à aller au-delà dans le cadre des rendez-vous prochains de l'Union.
Le deuxième défi majeur devant nous met en jeu la capacité d'action extérieure de l'Union européenne.
En effet, l'environnement est un défi global, que nous devons situer au centre du modèle de mondialisation maîtrisée que nous souhaitons promouvoir. Les pollutions ne connaissent pas les frontières géographiques. L'intensification des courants d'échanges rend insuffisant un concept de précaution ou de sécurité alimentaire purement européen. Par conséquent, dans ce domaine de l'environnement encore plus que dans d'autres, l'efficacité de l'action communautaire sera jugée autant à notre capacité d'action autonome qu'à notre capacité à influencer les modes de production dans le reste du monde, dans un sens plus favorable à la préservation de l'éco-système.
Dominique Voynet, lorsqu'elle était dans ces murs, avait engagé une réflexion substantielle pour tracer les contours de propositions européennes en vue d'un véritable système de gouvernance mondiale dans le domaine de l'environnement. Depuis lors, le Premier ministre comme le président de la République ont eu l'occasion de se prononcer en faveur de la création d'une autorité mondiale de l'environnement. Une première étape indispensable devrait consister à assurer une meilleure articulation entre les règles du commerce international et les accords multilatéraux sur l'environnement. Comme vous le savez, il s'agit là d'un élément de position essentiel dans le mandat élaboré par le Conseil en vue des futures négociations de l'OMC. L'Union a refusé de transiger sur cette question à Seattle en novembre 1999. Et, dans quelques jours, à Doha, l'Union réaffirmera avec force ses convictions dans ce domaine. Pour être tout à fait franc, je ne suis pas certain que le travail de conviction soit encore achevé à l'extérieur des frontières communautaires. Mais nous devons enregistrer avec satisfaction que cette préoccupation est clairement identifiée, chez nos partenaires extérieurs, comme une condition essentielle de notre acceptation d'une nouvelle phase d'approfondissement du libre-échange.
Au-delà des échéances immédiates de la Conférence de Doha, la crédibilité des propositions européennes est, bien sûr, fondée largement sur les réalisations concrètes opérées à l'intérieur de nos frontières. L'Union devra donc continuer à nourrir son ambition d'une meilleure gouvernance mondiale des biens environnementaux à partir de sa propre capacité d'action interne. Il y a là incontestablement un champ de réflexion essentiel pour l'avenir de l'Europe, appréhendé simultanément sous sa double face de puissance publique à l'intérieur de nos frontières et de puissance politique à l'extérieur de nos frontières.
Au-delà de ces considérations de portée générale, je suis heureux que nous puissions, après cette journée sur un thème objet de tant d'attentes de la part de nos concitoyens, verser vos travaux au débat sur le futur de l'Europe, dont le premier rendez-vous est fixé en décembre au Conseil européen de Bruxelles-Laeken, et qui se poursuivra jusqu'en 2004.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2001)