Entretiens de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec le quotidien "Le Parisien" et "Judaïque FM", le 6 septembre 2001, sur la conférence mondiale de l'ONU sur le racisme, l'assimilation du sionisme au racisme par des délégations et la question de réparations de l'esclavagisme.

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Média : Judaïques FM - Le Parisien

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC "LE PARISIEN"
Q - Pourquoi la France a-t-elle menacé de quitter la Conférence de Durban sur le racisme ?
R - Il n'est pas question pour la France de cautionner l'assimilation que certains veulent faire entre sionisme et racisme, ni la tentative de banaliser la Shoah en mettant par exemple le mot Holocauste au pluriel. Ce serait une insulte à l'Histoire. Cela ne veut pas dire que la France est indifférente aux souffrances du peuple palestinien.
Q - Comment les choses ont-elles dérapé ?
R - Il y a eu une confusion, tout à fait regrettable, entre deux événements, certes liés, mais qui sont distincts : le forum des ONG (organisations non gouvernementales) d'une part, la conférence intergouvernementale de l'autre. Le forum s'est conclu par une déclaration extraordinairement dure à l'encontre d'Israël. Cela a donné la tonalité de toute la conférence, alors même qu'elle ne faisait que commencer. Voilà pourquoi j'ai regretté le départ trop rapide des Etats-Unis et d'Israël.
Q - Comment expliquer cette dérive des ONG ?
R - Il y a un problème de fond touchant à leur représentativité. Il existe des ONG de toute nature, avec des ambitions et des arrière-pensées politiques extrêmement diverses. Certaines sont véritablement indépendantes. D'autres sont liées à certains Etats, voire à certains intérêts. On a parlé de 3000 ONG présentes à Durban. Coordonner leur action, empêcher les dérives, pour garder l'objectif (la lutte contre le racisme) était très difficile. Les grandes ONG comme la Fédération internationale des Droits de l'Homme (FIDH) ou Amnesty International se sont désolidarisés du forum.
Q - L'Afrique réclame des "excuses" pour l'esclavagisme?
R - Le choix du mot (regrets ou excuses) importe moins que de savoir au nom de qui on les présentera. S'il s'agit d'exprimer la responsabilité de tous, nous sommes d'accord. On ne peut pas incriminer tel ou tel Etat. Les Européens n'ont pas été les seuls à pratiquer l'esclavage ou à en tirer profit. Il faut donc globaliser cette responsabilité en exorcisant ainsi le passé. Ensuite, on abordera l'avenir. Mais davantage sous l'angle de l'accroissement de la solidarité internationale au bénéfice des pays qui ont subi l'esclavage et le colonialisme. Car, imaginer une identification juridique et économique des victimes et du montant des dommages ferait le bonheur des cabinets d'affaires anglo-saxons, mais n'améliorerait évidemment pas la situation des peuples en difficulté./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 septembre 2001)
ENTRETIEN AVEC "JUDAIQUES FM"
Q - Merci d'être avec nous ; la France a menacé hier de quitter la conférence de Durban si l'assimilation entre sionisme et racisme était maintenue dans la résolution finale. Qu'en est-il à présent ?
R - La nuit dernière a été riche en avancées. Il est incontestable que la mise en garde que le Premier ministre a adressé hier à l'occasion du Conseil des ministres où Hubert Védrine et moi-même avons commenté la conférence de Durban aura produit ses effets et en tout cas, aura contribué à faire prendre conscience à nos interlocuteurs des risques qu'ils prenaient de faire échouer Durban s'ils maintenaient cette position, pour nous, totalement inacceptable.
Le texte de la présidence sud-africaine qui a été présenté aux petites heures de l'aube, de ce point de vue et concernant la partie relative au Proche-Orient est pour nous désormais tout à fait acceptable. Reste à savoir si, en fin de conférence, des amendements pourraient venir le dénaturer, auquel cas, nous nous y opposerions totalement.
Pour l'instant, la France reste à Durban, et c'est aussi le point de vue de la majorité des délégations européennes, nous en sommes satisfaits puisque nous voulions que la cohésion européenne puisse s'affirmer à Durban. Autrement dit, ce matin, ce sont plutôt de bonnes nouvelles qui nous arrivent et nous sommes heureux de voir que notre détermination aura à cet égard.
Q - A propos de la proposition sud-africaine sur le Proche-Orient qui a été apparemment acceptée comme base de discussion...
R - Pardonnez-moi de vous interrompre, mais non seulement, il n'y est plus question de faire assimilation entre sionisme et racisme, il n'est plus question, comme je le disais hier d'insulter l'Histoire en mettant holocauste au pluriel, on fait référence à l'Holocauste, il n'y a pas d'ambiguïté, on y dénonce de manière équilibrée, ce qui est normal, l'antisémitisme d'une part et l'islamophobie de l'autre. Si on fait référence à la situation difficile du peuple palestinien, si on y évoque le droit du peuple palestinien à l'autodétermination et à un Etat, on y évoque aussi le besoin de sécurité des Etats de la région, y compris Israël. Sur l'ensemble des points que nous avions mis en avant et qui pour nous étaient vraiment tout à fait nodaux, le résultat est, pour l'instant, positif.
Q - Au nom de la délégation française, vous avez réaffirmé cette position : "il y a une facette de notre Histoire qui a dépassé en horreur, en ampleur en abjections érigées en système, c'est la Shoah, nier le caractère unique de ce crime contre l'humanité serait faire insulte à ses victimes et trahir l'Histoire. L'antisémitisme qui l'a engendré appelle une condamnation implacable à la moindre résurgence." Ce sont vos mots. Cette déclaration a-t-elle été une réaction à la suite de ce qui s'est passé à Durban ?
R - Il est incontestable que, comme cette déclaration a été mise au point en tenant compte des derniers développements et en particulier de l'atmosphère rencontrée à Durban, c'était en effet en réaction à cela mais c'était également la position de fond que la France avait tenu à affirmer tout au long de la préparation. Et il est vrai que la phase préparatoire nous a créé un certain nombre d'inquiétudes. Mais si l'atmosphère à Durban a été marquée par un forum des ONG où l'expression était particulièrement dure, violente, nous avons dès le départ bien voulu marquer qu'il ne fallait pas confondre ce forum des ONG, dont certaines notamment françaises, et non des moindres, se sont désolidarisées et la conférence inter-étatique qui vient après. Je crains qu'il n'y ait eu confusion, que la relation que les médias ont faite de ce forum a pu aussi entretenir entre ce moment de la rencontre d'une société civile extraordinairement complexe, difficile parfois à déchiffrer et la conférence inter-étatique qui est en réalité aujourd'hui, au cur du travail de notre délégation.
Q - Avez-vous eu l'impression, comme nous, ici, sur cette radio que c'était plus une conférence contre Israël que contre le racisme en fin de compte ?
R - Je crois que l'actualité du Proche-Orient a beaucoup changé depuis 5 ans, je rappelle que cette conférence a été acquise dans son principe il y a 5 ans déjà, au moment où le processus de paix pouvait créer de légitimes espoirs. Aujourd'hui, l'actualité est venue contredire cet optimisme et nul doute que certains ont voulu utiliser l'actualité pour saisir Durban comme une occasion de dénoncer Israël et d'aller au bout de cette logique, et ce n'est pas, vous le savez, notre position. Il reste que nous ne nous sommes pas inscrits dans une logique d'échec, nous savions que ce serait difficile mais nous avons voulu aller jusqu'au bout d'une réussite possible, de façon que Durban qui était une grande occasion de mobilisation universelle contre le racisme ne soit pas manquée. Nous avons encore une chance d'y arriver.
Q - Qu'est-ce qui a fait pencher la balance d'après vous ?
R - Je pense qu'il y a eu des réactions occidentales, la France y a contribué, il y a eu aussi une prise de sensibilité sans doute du groupe africain, avec lequel nous avons voulu garder un dialogue très serré. J'ai de mon côté réuni les délégations francophones, beaucoup de délégations africaines que nous avons mis en quelque sorte devant leurs responsabilités. Disant que s'ils voulaient parler du racisme, s'ils voulaient que nous parlions du passé puisque c'est une question importante pour vous, alors aidez-nous à éviter le blocage que représentait le Proche-Orient. Je pense que cette relation que nous avons voulu très serrée avec les pays africains a eu aussi son effet./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 septembre 2001)