Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à "Itélé" le 23 septembre 2013, sur la politique industrielle de la France.

Prononcé le

Média : Itélé

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Vous publiez chez FLAMMARION “La bataille du made in France”, votre grande bataille depuis plus d’un an maintenant. Bruce vous interrogera amplement sur le livre tout à l’heure, et il commence par la première question.
BRUCE TOUSSAINT
Première question d’actualité, bien sûr, regardez le triomphe d’Angela MERKEL, Arnaud MONTEBOURG, c’est à la Une du FIGARO, c’est aussi à la Une des ECHOS, c’est à la Une de toute la presse allemande ; c’est une bonne nouvelle la victoire d’Angela MERKEL ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, nous adressons les félicitations à madame MERKEL. Les Allemands ont choisi, de même que quand les Français choisissent, ils choisissent souverainement. La responsabilité commune que nous avons est de réorienter l’Europe, de faire en sorte que cette région, qui est la seule zone en récession du monde, redevienne une zone de croissance. Et donc il y a un certain nombre de décisions à prendre. La responsabilité de la France et de l’Allemagne est considérable.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous les esquissez ces décisions dans ce livre, elles ne sont pas celles du programme d’Angela MERKEL, un euro moins fort, un peu de protectionnisme aux frontières, ce n’est pas le programme sur lequel elle a été élue hier ; vous êtes battu d’avance ?
ARNAUD MONTEBOURG
Pourtant, il y dans le programme de madame MERKEL la remontée des salaries, c’est-à-dire finalement, la stimulation à nouveau dans la zone euro, à partir des excédents allemands.
CHRISTOPHE BARBIER
Elle le fera si elle est en grosse coalition avec le SPD, est-ce que vous encouragez vos amis socio-démocrates allemands à entrer au gouvernement en coalition ?
ARNAUD MONTEBOURG
En tout cas, ce que je sais, c’est qu’elle l’a mis dans son propre programme, ce n’est pas à moi de dire qui doit faire les coalitions au Parlement et au gouvernement allemands. En revanche, elle a mis dans son programme les salaires minima, la remontée des salaires, et c’est un point très important, parce que l’Allemagne a des excédents, et c’est un pays où les salariés sont, dans certains secteurs, dans certaines zones géographiques, très pauvres.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu’on n’a pas perdu plus d’un an à attendre la désignation de cette chancelière finalement reconduite, pour relancer la construction européenne ?
ARNAUD MONTEBOURG
D’abord, on n’a pas attendu, on se bat pour réorienter l’Union européenne…
CHRISTOPHE BARBIER
Avec quels résultats depuis un an !
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, les résultats, c’est les résultats de ce qu’est aujourd’hui devenue l’Union européenne, un monstre paralytique, et qui a besoin du leadership de deux pays, qui s’appellent la France et l’Allemagne, et le débat n’est pas institutionnel. Le débat, il est économique. Nous avons une Commission européenne qui a multiplié les plans d’austérité. Nous sommes favorables à la remise en ordre des comptes publics et des finances publiques, ce qu’on appelle le sérieux budgétaire, mais pas au point de tuer la croissance, ça, c’est ce qu’on appelle l’austérité.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous décrivez dans le livre vos longues nuits de combat avec la Commission européenne, notamment avec Karel De GUCHT, le commissaire au Commerce, aux échanges. Ce combat, est-ce qu’il serait plus facile s’il y avait par exemple Pierre MOSCOVICI comme commissaire européen, il en a esquissé le désir ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, écoutez, moi, je ne fais pas le casting de la Commission européenne, ce que je sais, c’est que cette Commission européenne, dirigée par monsieur BARROSO n’a pas fait un bilan… n’a pas laissé un bilan estimable…
CHRISTOPHE BARBIER
On en change dans huit mois, ça tombe bien !
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, ça tombe bien, et j’invite tous les dirigeants européens à se méfier de la colère des peuples européens par rapport aux contreperformances de l’Union européenne. Ça fait maintenant cinq ans qu’il y a eu l’effondrement de LEHMAN BROTHERS. Où sont les résultats de l’Union européenne dans la reprise économique ? C’est le cas au Japon, c’est le cas en Angleterre, qui n’a pas l’euro. C’est le cas aux Etats-Unis d’Amérique. Regardez comment les pays émergents eux-mêmes, et partout dans le monde, ont su stimuler la croissance. Il y a des questions à se poser.
CHRISTOPHE BARBIER
La colère, on la voit en France, de la part des Français contre François HOLLANDE, par sondages interposés quand même, alors que MERKEL est plébiscitée ; quel contraste !
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, d’accord, mais enfin, les déterminants français et les déterminants allemands ne sont pas les mêmes, je vous rappelle que nous avons hérité d’un pays quand même quasi-ruiné, 1.800 milliards de dettes, il faut les rembourser. Je suis désolés, mais c’est ça les conséquences du Sarkozysme. Et nous avons à remettre en ordre les finances publiques, rétablir en même temps la compétitivité de notre économie, parce que notre économie, elle est en train de descendre par rapport à la compétition mondiale. Pourquoi ? Parce que personne ne s’en est occupé pendant ces dernières années.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors François HOLLANDE et vous, vous vous en êtes occupés à Florange, ça n’a pas marché, vous racontez en détail dans le livre le bras de fer au sommet de l’Etat à ce sujet. François HOLLANDE ira-t-il à Florange jeudi ? On en attend la confirmation ce matin.
ARNAUD MONTEBOURG
Mais je l’ignore, donc vous lui demanderez.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous l’ignorez ou on a peur au sommet de l’Etat de retourner à Florange, qui est le signe d’un échec ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez, je vous donne mon point de… je ne sais pas, voilà. Donc si je suis invité, j’irai. Moi, je n’ai peur de rien, Monsieur BARBIER, voilà. Donc s’il faut aller à Florange, j’irai, même tout seul, je peux y aller, on va discuter. Mais il n’y a pas que Florange, vous savez, dans ce pays…
CHRISTOPHE BARBIER
Oui, il y a HEULIEZ par exemple qui sera peut-être liquidée aujourd’hui…
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, il y a aussi CLESTRA, il y a aussi GENERAL MOTORS Alsace…
CHRISTOPHE BARBIER
Oui, il y a les bonnes nouvelles, bien sûr, mais il y a aussi…
ARNAUD MONTEBOURG
Ben alors, mais comment se fait-il, Monsieur BARBIER, alors que j’ai 951 dossiers, vous êtes capable d’en trouver deux, vous avez des radars capables d’aller un peu en dessous de vos habitudes !
CHRISTOPHE BARBIER
Parce que vous serez toujours jugé par les Français sur ce que vous n’avez pas réussi à faire, donc…
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, “jugé par les Français”, jugé…
CHRISTOPHE BARBIER
HEULIEZ…
ARNAUD MONTEBOURG
Est mis en évidence un certain nombre de points par vous qui sont parfaitement malhonnêtes !
CHRISTOPHE BARBIER
HEULIEZ aujourd’hui, vous êtes prêt à y aller, vous êtes prêt à mettre de l’argent public, à aider ?
ARNAUD MONTEBOURG
HEULIEZ, ça fait trois fois qu’on a aidé…
CHRISTOPHE BARBIER
Ça ne marche plus ?
ARNAUD MONTEBOURG
C’est une entreprise qui a des difficultés, nous ne sommes pas là pour mettre des ressources rares dans des entreprises qui n’ont pas d’avenir. Si chez HEULIEZ, nous arrivons à trouver des solutions avec des pourvoyeurs d’ordres, des commandes, cela sera très facile. Or, le problème aujourd’hui, c’est que nous n’arrivons pas avec cette entreprise à trouver et garantir un avenir avec des commandes. S’il y a des commandes, pour nous, il n’y a pas de difficulté.
CHRISTOPHE BARBIER
On ne peut la nationaliser, comme vous vouliez le faire pour Florange, l’automobile électrique, c’est la vie ?
ARNAUD MONTEBOURG
Mais Florange est une entreprise… d’abord, ce n’est pas une entreprise, c’est un établissement…
CHRISTOPHE BARBIER
HEULIEZ ?
ARNAUD MONTEBOURG
Florange…
CHRISTOPHE BARBIER
Florange.
ARNAUD MONTEBOURG
Etait une entreprise qui garantissait de la rentabilité.
CHRISTOPHE BARBIER
Là, HEULIEZ, non ? Vous ne mettrez pas d’argent public, ce n’est pas possible ?
ARNAUD MONTEBOURG
Mais nous ne sommes pas… enfin, écoutez, il y a déjà de l’argent public, il y en a eu encore dernièrement.
CHRISTOPHE BARBIER
Faut-il écouter les auto-entrepreneurs, qui disent : si ça continue, eh bien, on arrêtera, on déposera notre bilan, on ne peut pas supporter la réforme du gouvernement ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, je crois qu’il faut trouver un équilibre entre les risques que pointent les artisans, qui existent, ce sont une économie, je rappelle que les artisans, c’est un million, finalement, c’est un million d’entreprises, donc c’est la première entreprise de France. Donc il faut quand même aussi les écouter, et les auto-entrepreneurs, qui ont une nécessité très importante, puisque, finalement, ils permettent des nouveaux parcours, de la part d’un certain nombre de personnes qui sont, soit, privées d’emploi et qui veulent se lancer dans l’entreprise.
CHRISTOPHE BARBIER
Il faut négocier, négocier pour…
ARNAUD MONTEBOURG
Trouver un équilibre.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous décrivez à la fin de votre livre les 34 plans industriels que vous avez lancés avec François HOLLANDE, il y a quelques jours. Les chefs de chantier de ces 34 plans ne sont toujours pas désignés, y a-t-il des désaccords entre Fleur PELLERIN et vous, entre le reste de Bercy et vous ?
ARNAUD MONTEBOURG
Non, non, ils sont désignés. Ils seront connus bientôt.
CHRISTOPHE BARBIER
L’équipe sera complète… ?
ARNAUD MONTEBOURG
Elle est complète, elle est complète, depuis longtemps d’ailleurs.
CHRISTOPHE BARBIER
Si François HOLLANDE se représente en 2017, est-ce qu’il faudra faire quand même une primaire à laquelle par exemple vous pourriez participer ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien écoutez, nous n’en sommes pas là…
CHRISTOPHE BARBIER
Non, mais enfin, un président sortant, c’est quelque chose quand même !
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, nous n’en sommes pas là, et par ailleurs, la question des primaires ne se pose que quand il y a le choix, or, on a décidé d’ouvrir le choix, s’il y a un président sortant, je pense qu’on évitera d’ouvrir le choix.
CHRISTOPHE BARBIER
Comment ferez-vous entendre votre voix politique, plus originale ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je n’en suis pas là, excusez-moi, je suis à la tâche, je n’en suis pas à déjà préparer les élections suivantes…
CHRISTOPHE BARBIER
Quand vous déclariez…
ARNAUD MONTEBOURG
Je vous rappelle que ça fait seulement dix-huit mois que nous sommes au pouvoir. Donc votre question est un peu trop… comment on dit… vous avez dit bouillante…
CHRISTOPHE BARBIER
Anticipée !
ARNAUD MONTEBOURG
Bouillante, c’est vous le bouillant dans l’histoire !
CHRISTOPHE BARBIER
Quand vous dites hier : les courants au PS, c’est fini, il faut supprimer ceux qui demeurent, est-ce que ce n’est pas incarner la solitude de la voix politique que vous représentez ?
ARNAUD MONTEBOURG
Non, mais écoutez, bon, d’abord, de quoi me parle-t-on ? On me dit : où est votre courant ? Je dis : écoutez, on a autre chose à faire que de faire des courants, les courants n’intéressent personne, en revanche, on a besoin de débats d’idées.
CHRISTOPHE BARBIER
Et la gauche…
ARNAUD MONTEBOURG
Ça, c’est plus utile !
CHRISTOPHE BARBIER
Et la gauche de la gauche, Jean-Luc MELENCHON et ses amis, ils sont perdus pour toujours ou un jour, il faudra les réconcilier avec le PS ?
ARNAUD MONTEBOURG
Moi, je pense qu’il est nécessaire de rassembler toutes les gauches. Donc je crois que, il est nécessaire aussi que tout le monde mette un peu d’eau dans son vin. Jean-Luc MELENCHON peut utilement mettre de l’eau dans son vin.
CHRISTOPHE BARBIER
La dernière question de cette première partie vient des réseaux sociaux.
BRUCE TOUSSAINT
Absolument, Arnaud MONTEBOURG, on va parler longuement tout à l’heure, vers 08h15, du fameux « made in France », puisque c’est le thème de votre livre. Il y a une première question comme un lever de rideaux à cette partie, qui est très intéressante, simple et intéressante, vous allez voir : on veut bien les acheter – nous dit Georges HERMANN, sur Tweeter – on veut bien les acheter, nous, les produits français, mais il n’y a que des produits chinois sur le marché, on les trouve où, Monsieur le Ministre, question posée par ce téléspectateur ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, d’abord, merci Monsieur de vous intéresser à cette question, puisque c’est notre responsabilité, qui d’ailleurs n’est pas la même selon les moyens dont on dispose, mais tout le travail, ce n’est pas seulement d’amener les consommateurs à s’intéresser à l’origine des produits, mais aussi aux producteurs à relocaliser des activités. Et nous avons – c’est vrai – en France un mouvement minoritaire pour l’instant, mais très prometteur, de relocalisations d’activités, dans tous les secteurs. Et d’ailleurs, chaque semaine, vous avez des informations qui tombent dans le monde économique, vous avez telle entreprise a décidé de relocaliser en France, pourquoi ? Parce qu’il y a un marché qui est en train de se lever et de naître ; donc dans l’agroalimentaire, 95% est made in France. Il faut quand même le savoir. Premièrement. Deuxièmement, dans un certain nombre de secteurs, c’est le cas de l’équipement ménager, il y a eu des défaites et des bérézina considérables face à la puissance asiatique. C’est à nous de reconstituer un certain nombre de nos capacités par l’innovation. Les 34 plans industriels ont cet objectif.
BRUCE TOUSSAINT
Alors, vos questions directes à Arnaud MONTEBOURG, qui vous répondra, comme il vient de le faire, sur le mot clef, que vous connaissez maintenant, le mot clef de l’émission, sur Tweeter. Et on retrouve le ministre du Redressement productif dans quelques minutes sur I TELE.
[08h15]
BRUCE TOUSSAINT
Arnaud MONTEBOURG, invité spécial d’ITELE ce matin, il est 8 heures et quart, merci d’être avec nous, merci à vous de répondre à nos questions, aux questions aussi de Nicolas BOUZOU, notre « monsieur éco » ce matin. Alors le livre s’appelle « La bataille du made in France ». J’ai envie de dire que votre combat a commencé avec une marinière, il se poursuit avec ce livre, la marinière d’ailleurs vous ne regrettez pas, on vous a posé la question mille fois…
ARNAUD MONTEBOURG
Non, c’est un acte d’engagement personnel, un citoyen décide d’afficher le fait qu’il participe à cette oeuvre de reconstruction. C’est une cause nationale…
BRUCE TOUSSAINT
Mais ça vous obsède parce qu’il paraît que même votre téléphone est bleu blanc rouge, il a une coque bleu blanc rouge.
ARNAUD MONTEBOURG
Je suis un patriote monsieur TOUSSAINT, je crois qu’on peut être fiers de ce qu’on fait dans notre pays. Et d’ailleurs comme disait Romain GARY : le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres. Donc je ne suis pas nationaliste, je suis un patriote, et sur le terrain économique et industriel, nous avons beaucoup de choses à dire au reste du monde. Et nous avons déjà beaucoup pu faire…
BRUCE TOUSSAINT
Oui, au reste du monde.
ARNAUD MONTEBOURG
Les technologies, les inventions, des créations industrielles extraordinaires, les Français ne connaissent pas assez ces motifs de fierté.
BRUCE TOUSSAINT
C’est un combat…
ARNAUD MONTEBOURG
C’est ce que je rappelle dans ce livre.
BRUCE TOUSSAINT
C’est un combat noble mais au fond, qui est contre le « made in France », vous vous mettez tout le monde dans la poche en faisant ça !
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Excusez-moi, il faut déjà le mener, on a perdu l’habitude du combat en politique… enfin si, c’est des luttes de pouvoir, mais le combat pour une cause nationale où tout le monde peut se donner la main pour atteindre un but collectif. Je crois que c’était très important que chaque français puisse se situer dans cette bataille.
BRUCE TOUSSAINT
Alors justement une bataille, pourquoi une bataille, vous parlez dès le début du bouquin d’ailleurs… la bataille du rail, vous citez des grands exemples historiques, la bataille de France, contre qui on se bat ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois déjà qu’on doit apprendre à se donner la main et à s’entraider, c’est ça une bataille, c'est-à-dire qu’on n’est pas seuls, on n’est pas seuls contre le reste du monde, on est ensemble en train de reconstruire nous-mêmes notre appareil économique et industriel. Donc c’est déjà le combat dans nos têtes, c'est-à-dire croire que nous pouvons réussir, voilà. Nous n’avons pas d’ennemis, même si la guerre économique mondiale qui existe fait beaucoup de morts, ils s’appellent les chômeurs, ils s’appellent les usines qui ferment, et je fais partie de ceux qui sont – comme beaucoup de Français – sur ce front-là, c'est-à-dire vous avez dans de nombreux territoires des entreprises qui ont fermé, ces salariés invisibles dont on ne parle jamais qui perdent leur emploi, qui n’ont généralement pas de syndicats pour les défendre…
BRUCE TOUSSAINT
Justement…
ARNAUD MONTEBOURG
Nous sommes à leur côté.
BRUCE TOUSSAINT
Ne craignez-vous pas Arnaud MONTEBOURG que ce combat au fond soit secondaire, le combat aujourd’hui c’est avoir un boulot, c’est payer son loyer, c’est… est-ce que ce combat-là n’est pas un combat trop éloigné de la réalité ?
ARNAUD MONTEBOURG
C’est le combat pour l’emploi, c’est le même, quand vous consommez différemment en faisant attention à ce que vous faites, lorsque vous êtes un entrepreneur et que vous dites « je ne vais plus produire en Chine ou à 10.000 km mais je vais produire sur le territoire français », vous participez à la bataille du « made in France ». Donc finalement, vous préparez les emplois de vos enfants, du vôtre, de vos voisins, de vos amis. Et c’est finalement ce que font tous les pays et les grandes nations industrielles, ils se sont entraidés pour arriver à avoir une base productive très solide.
BRUCE TOUSSAINT
Il faut changer les mentalités, il faut avoir confiance en nous, c’est ce que vous expliquez, mais alors attention c’est du MONTEBOURG, donc ça cogne aussi, ça cogne sur l’OMC, ça cogne sur la Commission européenne, ça cogne sur la direction du Trésor. Là, on peut bouger ça, on peut changer ça ?
ARNAUD MONTEBOURG
On est là pour ça, les responsables politiques que nous sommes, nous sommes là justement pour changer les choses. Donc tout ce que nous, nous appelons finalement « les corps intermédiaires », c'est-à-dire ceux qui ne prennent pas les responsabilités politiques, tous les responsables politiques sont sanctionnés un jour, ils se font battre aux élections, mais les hauts responsables de l’administration qui sont toujours là, qui mènent toujours finalement la même inspiration dans leur vision politique, eux ne subissent jamais de mise en responsabilité. Mon rôle est de mener le débat en disant : écoutez ! Il y a des positions qui ont été défendues à l’intérieur de l’administration qui nous ont menées à cette situation de quasi-ruine de notre économie…
BRUCE TOUSSAINT
Donc vous…
ARNAUD MONTEBOURG
Nous sommes la lanterne rouge de l’Europe…
BRUCE TOUSSAINT
Donc vous menez la guerre de l’intérieur !
ARNAUD MONTEBOURG
C’est une bataille dans les têtes. A force de soutenir les services plutôt que l’industrie, l’économie financière plutôt que l’économie industrielle, les banques plutôt que le secteur productif, nous en sommes arrivés à la situation d’appauvrissement qui est celle de notre pays aujourd’hui.
BRUCE TOUSSAINT
Je voudrais vous montrer des réactions parce qu’il y a beaucoup, beaucoup de messages sur ITELE.FR, sur les réseaux sociaux vous concernant et concernant le combat que vous menez. Regardez par exemple le tweet de Maxime qui dit : n’est-il pas dangereux de prôner Arnaud MONTEBOURG le « made in France », alors qu’il est aujourd’hui impossible de fabriquer un produit 100 % français. Voilà un truc qu’on entend souvent, on dit « ça n’existe pas le 100 % français », c’est vrai ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
C’est faux. D’abord, la plupart des produits alimentaires sont fabriqués sur place, et je voudrais dire que notre objectif n’est pas de tenir finalement quelque chose d’irréalisable, qui serait de mettre 100 % de « made in France » dans tout ce que nous consommons, c’est absurde…
BRUCE TOUSSAINT
Oui !
ARNAUD MONTEBOURG
Mais il s’agit d’augmenter la part du « made in France » dans tout ce que nous produisons, y compris d’augmenter la part du « made in France » lorsque nous vendons au reste du monde. Nous sommes trop rétrécis pour assurer la prospérité et le pain quotidien de nos concitoyens. Et nous ne sommes pas condamnés à acheter du low-cost qui arrive par porte-conteneur depuis la Chine. Nous pouvons nous… nous avons des capacités technologiques, industrielles pour produire sur place ce qu’il est inutile d’acheter à 10.000 km.
BRUCE TOUSSAINT
Nicolas BOUZOU a une question concrète à vous poser concernant un des grands enjeux industriels des 10, 15, 20 prochaines années.
NICOLAS BOUZOU
Eh oui ! Est-ce que la bataille pour le « made in France » ne serait pas considérablement facilitée si le gouvernement ouvrait la porte à l’exploitation du gaz de schiste, comme sont en train de le faire de plus en plus de pays, qui suivent d’ailleurs le type de stratégie que vous appelez de vos voeux !
ARNAUD MONTEBOURG
Le problème de l’exploitation du gaz de schiste, c’est que ça fait des dégâts sur l’environnement, et je pense que les Américains s’en mordront les doigts quand ils verront qu’ils auront irrémédiablement pollué leurs sous-sols. Donc en l’état des techniques, le président de la République a tranché, est-ce que cela peut évoluer ? C’est à lui qu’il faut le demander, c’est lui le chef de l’Etat.
BRUCE TOUSSAINT
On connaît le fond de votre pensée, vous l’avez déjà exprimé…
ARNAUD MONTEBOURG
L’essentiel… l’essentiel c’est que vous me la prêtiez , mais je vous donne l’état de la décision publique en France.
BRUCE TOUSSAINT
Mais attendez ! Pour que ce soit clair encore une fois, pour ceux qui nous regardent, pourquoi ça serait mieux le gaz de schiste…
NICOLAS BOUZOU
Dans certains pays comme aux Etats-Unis par exemple, où on a un vrai mouvement de réindustrialisation y compris dans l’automobile, on sait que parmi d’autres facteurs l’exploitation du gaz de schiste a été l’un des éléments positifs. C’est d’ailleurs pour ça que de plus en plus de pays y viennent tout en sachant – parce que vous avez tout à fait raison – qu’il y a une véritable inconnue sur les effets à long terme, il y a un arbitrage.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous avons, nous, veillé à ce que le prix de l’énergie – puisque c’est de cela dont vous parlez – soit le plus bas possible et le plus compétitif. Nous veillons grâce finalement à la rente nucléaire à ce que finalement les industries électro-intensives, c'est-à-dire celles qui utilisent beaucoup d’énergie pour produire, ne soient pas trop maltraitées dans le système productif français. Donc finalement, nous veillons comme d’autres pays à ce que nos coûts de production, coûts du travail, coûts du capital, coûts de l’énergie ne soient pas trop élevés. Est-ce que c’est suffisant ? A l’évidence, nous avons encore des efforts à faire.
BRUCE TOUSSAINT
Arnaud MONTEBOURG, vous êtes avec nous depuis plusieurs minutes maintenant, même avec Christophe BARBIER tout à l’heure à 7 heures 40, on va regarder le vote qui se poursuit sur ITELE.FR concernant une question encore une fois très concrète, qui concerne des consommateurs au fond : êtes-vous prêts à payer plus cher des produits « made in France » ? Alors je ne sais pas si c’est votre intervention qui fait un petit peu monter peut-être… je vois un sourire de contentement…
ARNAUD MONTEBOURG
Non, pas du tout, cette enquête a déjà eu lieu monsieur TOUSSAINT…
BRUCE TOUSSAINT
Je sais mais…
ARNAUD MONTEBOURG
Elle a déjà eu lieu dans des conditions tout à fait fiables, c'est-à-dire sur des échantillons représentatifs de la population…
BRUCE TOUSSAINT
Là c’est un éclairage !
ARNAUD MONTEBOURG
Le CREDOC a fait des études ainsi que les instituts de sondages, 77 % des Français sont prêts à payer un peu plus cher leur effort patriotique, c'est-à-dire un effort destiné à soutenir l’appareil productif français, et notamment nos propres emplois, c'est-à-dire quand on est consommateur, on pense aussi à l’emploi. Et donc on est facteurs de croissance de notre propre pays, et non pas d’appauvrissement de notre propre pays.
BRUCE TOUSSAINT
Arnaud MONTEBOURG, dernière question…
ARNAUD MONTEBOURG
Je rappelle une chose, un pays qui ne produit ou ne produit plus est dans la main des autres pays qui, eux, produisent. Et c’est pour cela qu’avec le président de la République, on a présenté 34 plans industriels, ça a pour but de nous positionner dans la mondialisation pour reprendre des parts de marché dans le monde, là où le gâteau va augmenter, donc de créer des emplois en France. Et d’ailleurs les évaluations de McKINSEY, qui est un cabinet conseil qui nous a aidés à bâtir cette stratégie, nous espérons en 10 ans 475.000 emplois supplémentaires, soit renforcés, soit créés. Nous en avons perdu 750.000 en 10 ans parce qu’on a laissé faire. Donc c’est la fin de cette attitude qu’est le laisser-faire. On dit « le marché va s’en occuper », le marché il ne s’occupe de rien, il nous détruit.
BRUCE TOUSSAINT
Le combat d’Arnaud MONTEBOURG pour le « made in France » bien sûr, c’est… regardez ce livre chez FLAMMARION, merci d’être venu nous en parler. A propos du « made in France », il y a des basketteurs français qui ont fait une très, très belle performance hier en devenant champions d’Europe…
ARNAUD MONTEBOURG
Très forts, très forts…
BRUCE TOUSSAINT
Bon ! Il y a la moitié… enfin il y a les ¾ de l’équipe qui jouent aux Etats-Unis, mais bon ! Ce n’est pas grave, ils sont bien français, on était contents de pouvoir pousser ce cocorico ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 septembre 2013