Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec RTL le 4 octobre 2013, sur la politique de défense.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez présenté hier les restructurations de l’armée française pour la période 2014-2019. Après avoir supprimé 54.000 postes entre 2008 et 2013, l’armée va perdre dans les 5 prochaines années 23.500 postes, 7.800 dès 2014. Les hommes politiques stigmatisent volontiers les plans sociaux présentés par les chefs d’entreprise, c’est pourtant ce que vous faites Jean-Yves Le DRIAN. Quelle est la légitimité de ce plan social ?
JEAN-YVES LE DRIAN
D’abord je prépare l’armée de demain pour qu’elle soit en mesure d’assurer la protection des Français faces aux nouveaux risques à l’horizon 2020.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous faites…
JEAN-YVES LE DRIAN
C’est le sens de la loi de programmation.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ce sont les déficits qui…
JEAN-YVES LE DRIAN
C’est le sens de la loi de programmation. Et une armée, ce n’est pas uniquement des effectifs, la qualité d’une armée ne se juge pas à son nombre, la qualité d’une armée se juge à des effectifs équipés et à des effectifs entraînés. Et c’est la logique qui domine la loi de programmation militaire que je mets en œuvre, c'est-à-dire qu’au cours des années qui viennent nous allons équiper, renforcer, moderniser l’ensemble de nos capacités…
JEAN-MICHEL APHATIE
On a l’impression…
JEAN-YVES LE DRIAN
Que nous allons permettre à ce que l’entraînement des forces soit beaucoup plus performant et beaucoup plus soutenu, cela grâce à un budget sanctuarisé sur les années 2014-2019.
JEAN-MICHEL APHATIE
On a l’impression…
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous sommes en train de préparer…
JEAN-MICHEL APHATIE
On a l’impression Jean-Yves Le DRIAN…
JEAN-YVES LE DRIAN
L’armée de demain…
JEAN-MICHEL APHATIE
On a l’impression…
JEAN-YVES LE DRIAN
Aux grands risques qui sont devant nous, qui ont changé par rapport aux risques…
JEAN-MICHEL APHATIE
Bien sûr.
JEAN-YVES LE DRIAN
Anciens.
JEAN-MICHEL APHATIE
On a l’impression Jean-Yves Le DRIAN que vous ne modernisez pas l’armée, mais que vous adaptez l’armée aux contraintes budgétaires.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce n’est pas le cas…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourtant…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je modernise l’armée parce qu’il nous faut des forces nouvellement équipées, modernisées, capables d’intervenir, capables d’être présentes sur un certain nombre de théâtres d’intervention extérieurs, et capables d’assurer en même temps la protection des Français et la protection de notre territoire. Et cela…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous préservez certains investissements ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et cela amène…
JEAN-MICHEL APHATIE
Les budgets de fonctionnement le sont moins…
JEAN-YVES LE DRIAN
Et cela nous amène à faire en sorte que les capacités, les équipements modernes soient au rendez-vous, et cela amène – à budget sanctuarisé – à un certain nombre de mesures de déflation pour permettre une armée plus compacte, plus performante, plus efficace et c’est l’horizon que je donne à nos forces. On n’est pas dans la situation…
JEAN-MICHEL APHATIE
L’armée… l’armée…
JEAN-YVES LE DRIAN
De la guerre froide, les menaces ont changé…
JEAN-MICHEL APHATIE
L’armée…
JEAN-YVES LE DRIAN
Et il faut s’y adapter.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bien sûr, il faut toujours s’adapter aux risques qui changent…
JEAN-YVES LE DRIAN
Eh oui ! Mais c’est une nécessité parce que c’est notre sécurité.
JEAN-MICHEL APHATIE
On a l’impression… on ne pénètre pas facilement le monde militaire, on en parle un petit peu quand on perçoit… excusez-moi, je voudrais juste terminer…
JEAN-YVES LE DRIAN
Pardon, excusez-moi.
JEAN-MICHEL APHATIE
On en parle quand on perçoit quelques mouvements d’humeur, on a quand même l’impression que parmi les officiers aujourd’hui, peut-être les hommes de troupe aussi, la colère, l’amertume, la tristesse de voir les plans à répétition de diminution de moyens pour l’armée suscitent un état d’esprit qui n’est pas très positif !
JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez ! Moi je vais souvent dans les forces, je suis allé plusieurs fois en Afghanistan, plusieurs fois au Mali. J’y rencontre des militaires fiers de ce qu’ils font, fiers de la confiance que leur font les Français, je constate d’ailleurs que l’image de nos armées dans l’opinion n’a jamais été aussi forte…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais inquiets ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je sais aussi qu’il y a des inquiétudes, les inquiétudes c’est… elles sont doubles. Elles sont d’une part sur la lisibilité, quel est le plan à long terme ? Eh bien ! Il est là, nous avons prévu un programme d’investissement et un maintien des capacités d’entraînement très significatif. On commande du matériel nouveau très régulièrement, qui permettront à nos forces d’être beaucoup plus performantes, cela ils le savent. Et puis il y a une incertitude qui était liée à des dérèglements, des dysfonctionnements internes auxquels je suis en train de procéder, parce qu’il faut remettre de l’ordre dans… en particulier le système des soldes qui a perturbé beaucoup les militaires de base, et je reconnais qu’il y a eu là un dysfonctionnement majeur que j’ai trouvé en arrivant et que j’essaie…
JEAN-MICHEL APHATIE
On peut parler d’une forme de désarroi chez les militaires ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et que j’essaie de remettre en œuvre.
JEAN-MICHEL APHATIE
On peut parler d’une forme de désarroi aujourd’hui chez les militaires ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne le crois pas, je trouve au contraire qu’il y a une tonicité, une fierté. Et j’ai auprès de moi des chefs militaires qui ne regardent pas dans le rétroviseur, qui sont tout à fait déterminés à construire l’armée de demain, qui sera – à la fin du processus que j’ai engagé – la première armée d’Europe.
JEAN-MICHEL APHATIE
Marine Le PEN…
JEAN-YVES LE DRIAN
Et il y aura 242.000 militaires en 2019, avec des équipements renouvelés et des capacités d’intervention nouvelles. Donc je ne suis pas moi dans l’inquiétude, je suis dans l’adaptation de nos armées aux enjeux et aux défis de demain pour assurer la sécurité des Français.
JEAN-MICHEL APHATIE
Marine Le PEN disait à votre place hier : aujourd’hui, on ne pourrait pas mener l’opération au Mali à cause de toutes ces contraintes…
JEAN-YVES LE DRIAN
Marine Le PEN n’a pas de compétence particulière dans ce domaine-là. Dans le…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais elle a tort ou elle a raison ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Elle a complètement tort. Dans le dispositif que je propose, on renforce au contraire nos capacités d’intervention, à la fois en moyens… regardez, je viens de recevoir – au nom des armées française – avant-hier un nouvel avion de transport qui s’appelle l’A400M qui va être basé à Orléans, il y en aura 15 au cours de la loi de programmation, bientôt 35. Ces avions-là, ils sont beaucoup plus performants que ceux qu’on a eus aujourd’hui au Mali, et ils renforceront nos capacités. Donc demain, on sera à même de mener une ou deux opérations du Mali en même temps, parce que nos armées seront renforcées dans leur qualité et leurs performances.
JEAN-MICHEL APHATIE
Orange par exemple, la ville d’Orange perd ses légionnaires, 1er régiment étranger de cavalerie, le manque à gagner pour la ville est estimé à 40 millions d’euros, l’Etat peut compenser tout ou partie de ce…
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui !
JEAN-MICHEL APHATIE
Manque à gagner ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi, je comprends les préoccupations des élus d’Orange, leur perturbation. J’ai été pendant longtemps maire d’une ville qui a subi des restructurations, ce n’est pas facile. Je fais simplement observer qu’à Orange sera maintenu sur la durée une base aérienne importante, qui gardera la présence très significative de l’armée dans cette ville. Mais pour ce qui concerne l’immédiateté, nous avons prévu un plan d’accompagnement des collectivités concernées très significatif et qui leur permettra, je pense, de rebondir, d’aller de l’avant à partir d’une situation…
JEAN-MICHEL APHATIE
Quelle enveloppe vous consacrez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
150 millions d’euros, ce qui n’est pas rien. Je fais remarquer aussi qu’il n’y a que 2 suppressions de sites…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pour l’instant, en 2014…
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour 2014. Je suis très précautionneux…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y en aura sans doute dans les années qui vont suivre…
JEAN-YVES LE DRIAN
Sur les choix que je fais, et j’essaie d’éviter au maximum les fermetures de sites. Il y en a 2 en 2014, on en annonçait une dizaine, il n’y en a que 2.
JEAN-MICHEL APHATIE
Les crises, elles s’accumulent, donc il faut un outil militaire, après le Mali c’est la Centrafrique qui est l’objet de beaucoup d’inquiétudes. Peut-on imaginer…
JEAN-YVES LE DRIAN
La Centrafrique c’est une situation…
JEAN-MICHEL APHATIE
Peut-on imaginer une intervention…
JEAN-YVES LE DRIAN
C’est une situation épouvantable, ce pays n’a jamais eu de stabilité, aujourd’hui nous sommes en situation de non-Etat, il y a des bandes qui s’écharpent mutuellement, il y a une situation humanitaire catastrophique…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous envisagez une intervention ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il n’y a plus d’autorité… les pays africains voisins se sont regroupés pour créer une force qui s’appelle « la MISCA ». Nous souhaitons que cette force soit validée par les Nations Unies pour permettre une opération de maintien de la paix. Le président de la République a saisi les Nations Unies de ce drame, et s’il y a validation par les Nations Unies, la France aidera les forces africaines à intervenir.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous les aiderez logistiquement ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Même de manière pré-opérationnelle.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez demandé la permission avant de venir Jean-Yves Le DRIAN au Premier ministre ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez ! A chaque fois que j’interviens quelque part, je le fais savoir et au président de la République et au Premier ministre depuis que je suis en fonction.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et on vous a donné le feu vert pour venir ce matin ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je n’ai jamais eu d’interdiction.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 octobre 2013