Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La succession des crises internationales traversées ces dernières années, ces derniers mois, vient brutalement rappeler à la réalité ceux qui vivent encore dans la croyance de la« fin de l'histoire » et de la guerre devenue « improbable », ou qui se laissent abuser par la situation privilégiée d'espace pacifié dans laquelle ils se trouvent.
La France, pour ce qui la concerne,n'a jamais cessé d'être vigilante et de prendre ses responsabilités, lorsque cela devenait nécessaire, à fortiori à l'heure de la mondialisation.
Vous le savez, elle les a prises sur le Mali. Elle les a prises sur la Syrie, au cœur de l'une des zones les plus périlleuses pour la sécurité internationale, où l'emploi de l'arme chimique parle régime contre la population civile violait délibérément les régimes de non-prolifération et les lois internationales qui représentent des acquis majeurs pour l'humanité depuis les conflits qui ont ensanglanté le XXe siècle.
Aujourd'hui, nous savons bien que d'autres enjeux se dessinent, qui appellent de notre part engagement ou vigilance pour notre sécurité ou pour la paix internationale : en République Centrafricaine, au Proche et au Moyen-Orient, dans les espaces maritimes menacés par la piraterie, pour ne citer que quelques exemples.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
L'enjeu du projet de loi de programmation militaire qui vous est soumis découle directement de l'expérience de ces derniers mois, comme de la tradition de la Ve République en matière de défense nationale. Comment garantir les capacités militaires qui nous permettront d'être à la hauteur, demain comme aujourd'hui, de nos intérêts de sécurité, ceux de la France et ceux de l'Europe auxquels nous sommes intimement liés, comme des responsabilités internationales qui sont les nôtres de par l'histoire et notre place au Conseil de sécurité?
En 2013, cette question majeure se présente à nous avec une gravité particulière.
Les menaces qui pèsent sur notre sécurité collective évoluent rapidement, dans le sens d'un durcissement de notre environnement stratégique et d'une diversification des risques d'atteinte au potentiel de la Nation. En même temps, la pression de la dette publique atteint des niveaux inconnus jusque-là, sous le coup des crises économiques qui se sont succédé depuis 2008. Chacun conviendra que c'est, pour la France, un autre enjeu de souveraineté.
Et je sais gré au Sénat d'avoir engagé de longue date une réflexion sur cette question et préparé la programmation militaire avec un soin tout particulier : voilà qui a donné et, j'en suis convaincu, donnera à nos débats une tonalité constructive dont je me réjouis, compte tenu de l'enjeu, compte tenu aussi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, des attentes de la communauté de défense qui observe et attend notre discussion de ce jour.
On a beaucoup glosé sur cette tension entre impératif militaire et impératif budgétaire. Pourtant, elle se résout d'elle-même :sans contrôle de la dette de l'Etat, qui ne voit qu'il ne saurait y avoir de maîtrise de nos choix stratégiques ?
Dans les grandes orientations qu'il a arrêtées pour le renouvellement de notre politique de défense, à travers le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le Président de la République a fait un double choix. Celui de notre autonomie stratégique et celui de notre souveraineté budgétaire. L'une ne va pas sans l'autre.
Pour faire des économies faciles,nous aurions pu chercher à occulter tout un pan de notre environnement stratégique. Ou prononcer des renoncements spectaculaires à certaines de nos responsabilités hors du territoire, comme certains nous y incitent. Telle n'est pas notre conception de la préparation de l'avenir pour la défense de la France. Au contraire : nous nous sommes tenus à un principe de stricte sincérité dans la description des menaces, comme dans la définition des moyens pour y faire face.
Le premier pilier de notre politique de défense et de sécurité nationale est le maintien d'un effort de défense significatif. Ce projet de loi de programmation militaire propose donc, à l'encontre de bien des prévisions, de maintenir notre budget au niveau actuel,c'est-à-dire 31,4 milliards d'euros courants, cela pendant trois ans. Dans un deuxième temps, entre 2016 et 2019, ce budget augmentera progressivement, pour atteindre 32,5 milliards d'euros courants. Les crédits budgétaires progresseront en valeur dès 2016, puis en volume à compter de 2018. Les ressources programmées sur la période 2014-2019 totalisent ainsi 190 milliards exprimés en euros courants. Sans pouvoir atteindre les niveaux devenus si vite irréalistes de la programmation 2009-2014, cet arbitrage est une décision politique forte.
Pour garantir ce niveau de ressources, mais aussi pour que la défense participe au redressement des comptes publics, des ressources exceptionnelles viennent compléter les ressources budgétaires, à hauteur de 6,1 milliards d'euros sur la période,c'est-à-dire 3% des ressources totales.
Mais notre engagement en matière de ressources exceptionnelles s'accompagne d'une vraie transparence. C'est pourquoi, cette fois-ci, les origines de ces ressources sont explicitées dans le rapport annexé au projet de loi. Je les rappelle brièvement : il s'agit de l'intégralité du produit de cession d'emprises immobilières du ministère de la défense ; d'un nouveau programme d'Investissements d'avenir, financé par le produit de cessions de participations d'entreprises publiques, au profit de l'excellence technologique des industries de défense ; du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences comprise entre les fréquences 694 MHz et 790 MHz ;enfin, des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquence déjà réalisées lors de la précédente programmation.
Une clause de sauvegarde volontariste complète cet énoncé, qui permettra de mobiliser d'autres ressources exceptionnelles, en particulier des cessions d'actifs, si le produit ou le financement de celles que je viens d'évoquer s'avère insuffisant. En sens inverse, si le montant des ressources disponibles devait excéder les 6,1 Mdeuros prévus, la Défense pourra en bénéficier à hauteur de 0,9 Mdeuros supplémentaires. Votre Commission, unanimement, a souhaité que la clause de sauvegarde sur cet ensemble de recettes soit introduite dans le dispositif même de la loi, le Gouvernement s'est volontiers rallié à cette suggestion.
Notre démarche, c'est donc de garantir à notre défense un niveau de ressources ambitieux et réaliste à la fois. Ambitieux, par la trajectoire que le Président de la République a arrêtée. Réaliste, parce que ce niveau de ressources est compatible avec la loi de programmation des finances publiques et que les ressources extra-budgétaires reposent sur des engagements politiques inscrits dans la loi que vous allez voter et dont la représentation nationale pourra contrôler l'application avec des pouvoirs renforcés, nous le verrons au cours du débat.
Parce que ce niveau de ressources est le plus équilibré possible, nous avons souhaité l'employer au mieux. La nouvelle stratégie militaire, adoptée dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, y concourt au premier chef.
Cette stratégie clarifie d'abord les trois missions fondamentales qui sont celles de nos armées : protéger le territoire et la population, assurer la dissuasion nucléaire, et intervenir à l'extérieur du territoire national, que ce soit en gestion de crise ou en situation de guerre. Sur la base de ces trois missions, et des scénarios d'engagement les plus probables pour les quinze ans qui viennent, nous avons redéfini les contrats opérationnels assignés à nos forces par le chef de l'Etat et le Gouvernement. La programmation financière comme en matière de ressources humaines en découle directement.
Concernant la protection permanente du territoire et de la population, outre les moyens pour la surveillance aérienne et maritime, les contrats opérationnels prévoient une mobilisation des forces terrestres jusqu'à 10 000 hommes, en renfort des forces de sécurité intérieure. Ces contrats sont inchangés par rapport au précédent Livre blanc. Nous y avons cependant ajouté une dimension nouvelle : la prise en compte de la posture de cyberdéfense, désormais indispensable compte tenu du niveau de la menace exercée à l'encontre des intérêts du pays.
En matière d'interventions extérieures, nos forces devront constituer en permanence un élément d'intervention d'urgence de l'ordre de 5 000 hommes, incluant une force interarmées de réaction immédiate de 2 300 hommes. Pour les missions de gestion de crise internationale, nous prévoyons de pouvoir, en outre, engager jusqu'à 7 000 hommes au total, répartis sur trois théâtres extérieurs,ainsi que des unités navales dont un groupe Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC), et une douzaine d'avions de combat. Pour les opérations de guerre et de coercition majeure, nos armées vont conserver la capacité d'entrée en premier dans les trois milieux, terrestre, naval et aérien, avec les moyens de commandement correspondants ; nous pourrons dans ce cadre projeter : des forces spéciales significatives ; jusqu'à deux brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes des forces terrestres ; 45 avions de combat ; et un groupe aéronaval.
Sur la mission de dissuasion, je veux dire ici qu'elle demeure, avec ses deux composantes, un élément majeur de notre stratégie. Le Livre blanc l'a confirmé,cette capacité est adaptée à l'environnement stratégique dans lequel nous évoluons et à celui que nous prévoyons pour les prochaines années. Tant qu'il existe des armes nucléaires dans le monde, tant que la prolifération des armes de destruction massive est un risque avéré, tant que les risques de chantage contre nos intérêts vitaux demeurent, la dissuasion est l'une des garanties fondamentales de notre liberté d'appréciation, de décision et d'action. C'est un fait que certains déplorent : il est bien difficile de le nier.
Peu de nations dans le monde ont la capacité d'assurer simultanément ces trois missions, en engageant de tels moyens matériels et humains. Peu, de même, sont en mesure d'appuyer leur force militaire sur une industrie figurant parmi les premières dans le monde. C'est le cas de la France, et notre démarche vise à consolider cet ensemble.
Bien sûr, c'est une loi d'équilibre, mais je ne vois nulle trace, dans les objectifs et la stratégie exposés dans ce projet de loi de programmation militaire, du déclassement stratégique évoqué par certains. En 2019, si nous suivons cette trajectoire, non seulement nous nous maintiendrons parmi les premiers dans le monde, mais nous serons au premier rang stratégique en Europe.
Cette autonomie stratégique nous offre une capacité d'initiative, qui est une des clés de la politique du Président de la République. Elle nous crée aussi des responsabilités, nous les exercerons. Etre autonome, d'ailleurs, cela ne veut pas dire être seul. Notre stratégie intègre ainsi la mobilisation de nos alliances.
Il y a d'abord l'Europe, à laquelle ce projet de loi de programmation militaire s'attache, puisque nous avons systématiquement préservé tous les programmes menés en coopération européenne(FREMM, A400M, NH90, TIGRE, MUSIS, SAMP/T) ; nous prévoyons d'en lancer deux autres (l'ANL et le SLAMF, le système de lutte anti-mines futur). La mutualisation européenne est aussi un leitmotiv de ce projet, spécialement pour des capacités clés comme le transport aérien, le ravitaillement en vol, la capacité aéronavale, l'espace militaire,la logistique ou la formation. Plus largement, nous abordons le prochain Conseil européen de décembre avec l'ambition d'en faire un moment important pour la prise en compte de la défense par le collectif des chefs d'Etat et de Gouvernement et donner une impulsion politique et pragmatique dans les domaines capacitaires, opérationnels et industriels.
Il y a ensuite l'Alliance atlantique,et nous voyons la pleine participation de la France dans les structures de commandement, comme le complément naturel de notre démarche européenne :ce sera précisément l'occasion de développer notre vision, celle des Européens,au sein de l'Alliance.
Il y a enfin tous les partenariats stratégiques que la France noue à travers le monde, avec des interlocuteurs historiques mais aussi des puissances nouvelles, de premier rang. Nous devons pouvoir aussi appuyer sur eux notre stratégie de défense.
Pour détailler cette stratégie dans un cadre budgétaire que nous avons ajusté au mieux, nous avons marqué un certain nombre de priorités, à commencer par la préparation opérationnelle et l'équipement des forces.
Priorité, d'abord, à l'entraînement et à l'activité des forces. La valeur de nos soldats, qui se sont illustrés à de nombreuses reprises ces derniers mois, en est la conséquence directe. Sans préparation opérationnelle efficace et suffisante, il n'y a pas de capacité militaire à la hauteur, ni d'armée professionnelle crédible.
Or, depuis 2010, à l'exception des opérations extérieures, a été constaté un fléchissement de l'activité opérationnelle. Comme le montrent les rapports de votre Commission en charge de la défense, il s'explique de diverses manières : l'épuisement des stocks dans lesquels nos armées ont dû puiser ces dernières années, le vieillissement des parcs, mais aussi, simultanément, l'arrivée de matériels de nouvelle génération dont le coût d'utilisation et d'entretien est considérablement plus élevé. Tout cela se cumule. D'une façon générale, le contexte financier a pesé sur l'activité et l'entraînement, alors même qu'ils revêtent un caractère prioritaire.
La présente programmation vise à maîtriser puis inverser cette évolution, en maintenant puis redressant peu à peu le niveau de préparation opérationnelle. Ainsi, les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur, pour s'établir à un niveau moyen de 3,4 milliards d'euros courants par an sur la période, contre 2,9 Mdeuros en LFI 2013. Notre préoccupation, ce n'est pas d'avoir une « Grande Armée » sur le papier, c'est de pouvoir disposer, chaque fois qu'ils doivent s'engager, de soldats bien entraînés et équipés. C'est la priorité qui justifie toutes les autres.
Priorité, ensuite, aux équipements. Là encore, je veux souligner l'effort important qui va être réalisé, puisque nous prévoyons que les crédits d'équipement soient en hausse régulière au cours de la période 2014-2019. En 2013, 16 milliards d'euros ont été consacrés aux équipements, l'effort s'élèvera à 17,1 milliards d'euros en moyenne annuelle sur l'ensemble de la période, pour atteindre 18,2 milliards d'euros en 2019.Malgré la contrainte qui pèse sur le budget, tous les grands programmes déjà lancés sont maintenus, et une vingtaine de nouveaux sont lancés.
Pour m'en tenir à l'année 2014,seront ainsi commandés ou lancés, parmi beaucoup d'autres, les avions ravitailleurs MRTT, les drones tactiques et MALE - enfin ! -, les pods de désignation laser du Rafale, les véhicules du programme SCORPION, le quatrième sous-marin Barracuda, le système satellitaire CERES... Dans le même temps, les livraisons elles-mêmes sont préservées, avec, toujours pour 2014, le satellite franco-italien de télécommunications spatial SICRAL, 1 frégate FREMM, 4hélicoptères Tigre, 7 hélicoptères NH90, 11 avions RAFALE, 4 avions A 400M, 60missiles de croisière navals MDCN, 77 véhicules VBCI...
Au-delà, sur l'ensemble de la période couverte par la loi de programmation militaire, un grand nombre d'équipements seront livrés. Parmi ceux-ci, en application du principe de différenciation, certains illustrent plus particulièrement notre capacité à prendre part à un conflit majeur : les prochains Rafale bien sûr, les 6 frégates de premier rang FREMM, 16hélicoptères TIGRE. Le porte-avions Charles de Gaulle, qui va connaître un arrêt technique majeur (ATM), concourt également à cette capacité d'entrée en premier. La rénovation des chars Leclerc, quant à elle, sera aussi programmée au cours de cette période.
D'autres livraisons viendront plus directement conforter nos capacités de gestion de crise. Je pense aux 92 véhicules blindés VBMR débutant le remplacement des VABs actuels, aux 42 hélicoptères NH90, Terre et Marine, ou à nos capacités logistiques avec 8 bâtiments de soutien BSAH. Parmi ces équipements, bien sûr,un certain nombre sera polyvalent. C'est ainsi que nous recevrons, sur cette période, 2 satellites du programme MUSIS, mais également 450 missiles moyenne portée (MMP), les 2 premiers MRTT, 13 avions A400M... A ces livraisons, il faut ajouter les rénovations des Atlantique 2, des Mirage 2000D, et des frégates Lafayette.
On le voit bien, nous avons fait des choix et, en particulier, nous avons choisi d'écarter les scénarios de rupture dans nos capacités, militaires et industrielles. Ces scénarios, je pense que personne ne les soutiendrait ici.
Notre objectif commun est de préparer nos armées à mener les guerres de demain et faire face aux menaces du futur. Dans cette perspective, concernant les équipements, nous avons donc défini un équilibre entre des investissements majeurs pour l'avenir et des livraisons préservées, selon le rythme permis par l'enveloppe financière arrêtée et la contribution de la défense au redressement des comptes publics.
Nous avons, de plus, choisi de mettre en œuvre des principes de mutualisation et de différenciation pour l'ensemble de ce modèle d'armée présenté dans le Livre blanc et le rapport annexé à la loi de programmation. Ils constituent un tournant et doivent permettre d'optimiser nos moyens.
J'ajoute un troisième choix, qui me tient à cœur et concourt très directement à la préparation de l'avenir : la poursuite et même le renforcement d'un effort substantiel en Recherche & Technologie. C'est un objectif majeur de ce projet de loi de programmation militaire, avec des crédits consacrés aux études amont qui représenteront plus de 730 millions d'euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019, c'est-à-dire en hausse par rapport à la période précédente. Pour ne citer qu'un exemple, le projet de drone de combat futur (l'UCAV) se voit doter de crédits de plus de 700 Mneuros.
Ces crédits d'études et recherche bénéficieront donc à l'avenir de l'aéronautique de combat, mais aussi au renouvellement des deux composantes de la dissuasion, à la lutte sous-marine,dans le domaine terrestre à la poursuite des efforts sur la protection des combattants et des véhicules, ainsi qu'au renseignement, à la cyberdéfense ou à l'espace, pour ne citer que quelques exemples.
Cet effort tourné vers les équipements, qu'il s'agisse de livraisons préservées, de programmes lancés ou de recherches engagées, en s'appliquant à nos forces, bénéficiera aussi directement à nos industries de défense, dont aucun des neuf secteurs majeurs n'est tenu à l'écart.
Ces industries, en effet, sont au cœur de l'autonomie stratégique que nous recherchons. Mais avec 4 000 entreprises, dont une majorité de PME/ETI, avec 165 000 emplois directs,hautement qualifiés et donc peu délocalisables, avec un chiffre d'affaires global d'environ 15 milliards d'euros, dont 30 à 40 % réalisé à l'exportation,elles sont aussi un extraordinaire moteur pour notre économie, un formidable levier pour l'emploi et la compétitivité. A ce titre, elles sont placées au cœur de ce projet de loi de programmation militaire, qui prépare l'avenir en même temps qu'il préserve l'essentiel.
Voilà comment se présente, dans ses grandes lignes, le renouvellement de notre politique de défense tel que nous le proposons pour les six ans qui viennent, avec la perspective à quinze ans tracée par le Livre blanc. A ce titre, ce projet de loi est un texte fondamental.
Mais il l'est aussi à un deuxième titre. Il comporte en effet une dimension normative, qui nous a beaucoup mobilisés, avec vos Commissions, et qui constitue un autre volet de la préparation de l'avenir. Il pose en effet un cadre législatif dans trois domaines majeurs pour nos armées et, au-delà, pour la sécurité nationale :le renseignement, la cyberdéfense, enfin les droits des personnels. Chacun de ces trois axes d'effort imprime une marque particulière au projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
Le renseignement est aujourd'hui l'une des clefs de voûte de notre autonomie stratégique. Le projet de loi définit un équilibre politique clair entre d'une part l'accroissement des moyens, techniques, humains et juridiques des services, et d'autre part le renforcement légitime, souhaité par le Gouvernement comme par vos Commissions,du contrôle parlementaire de cette activité.
Concernant les moyens, l'effort sera amplifié, après bien des retards accumulés pour notre équipement, avec trois priorités : l'imagerie (livraison des satellites CSO du programme MUSIS,livraison des drones MALE et tactiques), le renseignement d'origine électromagnétique (réalisation du système satellitaire d'écoute CERES,réalisation des charges utiles pour aéronefs et pour drones), les moyens techniques mutualisés d'interception et la création nette de postes au profit de la DCRI, de la DGSE et de la DRM.
En contrepartie de cet effort, le projet de loi organise un net renforcement du contrôle des services de renseignement. A la suite du Livre blanc, qui a conforté le rôle du coordonnateur national placé auprès du Président de la République, il prévoit en effet la mise en place d'une fonction d'inspection des services, qui pourra être actionnée par le Premier ministre et les ministres en charge du renseignement.
Surtout, instruit par les premières années d'expérience de la délégation parlementaire au renseignement, il préconise un saut qualitatif important dans les compétences de contrôle de l'activité gouvernementale exercée par celle-ci. Elle se voit pour la première fois reconnaître explicitement cette fonction de contrôle, dans un cadre respectueux des prérogatives du pouvoir exécutif, tel que le trace le Conseil constitutionnel. Elle aura la capacité de connaître l'ensemble de la dépense publique dans ce domaine sensible, notamment elle intégrera désormais en son sein une formation spécialisée pour le contrôle de l'utilisation des fonds spéciaux, prenant la place de l'actuelle commission de vérification. Elle aura connaissance des principaux documents d'orientation gouvernant l'activité des services. Elle pourra régulièrement dialoguer avec les directeurs des services sur la mise en œuvre de leur mission.
Mais si le cadre normatif évolue,c'est aussi pour offrir de nouvelles possibilités aux services. Plusieurs dispositions visent ainsi à améliorer leurs outils de travail, au soutien de leurs missions de lutte contre le terrorisme et contre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Je ne saurais assez insister devant vous sur l'importance de ces décisions, alors que le risque pour le pays et sa population est particulièrement élevé, à l'heure où est engagée une action résolue contre les groupes djihadistes violents, du Pakistan jusqu'aux rives de l'Afrique occidentale et de la Méditerranée.
Ainsi en est-il de l'accès aux fichiers de police administrative et judiciaire, ou de la création de la banque de données passagers, dite « PNR », fournies par les compagnies aériennes, dans le cadre d'un projet européen qu'il est essentiel pour notre sécurité de faire aboutir. Ainsi en est-il aussi des propositions de vos Commissions que le Gouvernement a décidé de soutenir concernant le recueil contrôlé des données de connexion ou la géolocalisation.
L'importance du renseignement justifie tout à fait le désir de votre Commission des affaires étrangères et de la défense de préciser encore dans le rapport annexé certaines des décisions qui lui sont spécialement consacrées et qui revêtent un caractère hautement prioritaire.
Il en va de même pour la cyberdéfense, à laquelle cette programmation consacre des développements particulièrement importants. De fait, tandis que la vulnérabilité de l'appareil d'Etat et des entreprises croît au même rythme que la dépendance de la Nationaux systèmes d'information, le cyberespace est devenu un champ de confrontation à part entière. C'est un enjeu absolument stratégique dont nous devons nous saisir.
C'est pourquoi, ce projet de loi adapte notre droit, pour la première fois dans une telle mesure, aux nouveaux défis que posent au pays la menace cyber. Il établit ainsi la compétence du Gouvernement pour imposer des règles aux opérateurs, en explicitant, dans le code de la défense, les responsabilités du Premier ministre et les moyens de ses services en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information stratégiques.
Au-delà de ces évolutions normatives,le projet prévoit le développement de nos capacités militaires et non militaires, défensives mais aussi offensives, la mise en place d'une chaîne opérationnelle, centralisée au niveau du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées, ainsi qu'un renforcement des moyens humains. Plusieurs centaines de spécialistes seront ainsi recrutés. Un effort financier significatif, enfin, permettra l'acquisition de nouveaux équipements, mais aussi la réalisation d'études amont.
Bien sûr, pour réaliser ces priorités dans la loi, avec celles que j'ai évoquées tout à l'heure, tout en assumant la gamme de missions que j'ai décrites, le ministère de la défense doit par ailleurs consentir des économies, sur le fonctionnement, sur les effectifs, lamasse salariale, les coûts de structure. Elles garantissent l'équilibre global de la programmation militaire.
Je n'ai jamais caché que, dans un contexte marqué déjà par plusieurs déflations successives depuis 1995, ces économies seraient difficiles à réaliser et appelleraient de notre part des efforts d'accompagnement, d'analyse et d'explications auprès des personnels tout particulièrement.
Au titre de la présente LPM,23 500 emplois seront supprimés, en plus des 10 500 qui étaient déjà inscrits dans la loi précédente, concernant les années 2014-2015. Ces déflations sont cohérentes avec les choix opérationnels que nous avons effectués, notamment les nouveaux contrats opérationnels des armées ; mais elles reposent aussi sur un effort important à effectuer dans notre administration au sens large, pour réduire ses coûts de fonctionnement et une structure qui demeure encore, dans bien des domaines, lourde, complexe et non optimisée par rapport à nos besoins.
La réorganisation qu'impliquent ces diminutions d'effectifs reposera donc sur quelques principes simples et un dispositif d'accompagnement de grande ampleur sur lequel je veillerai personnellement. De quoi s'agit-il ?
1. la priorité sera donnée et maintenue aux forces opérationnelles, pour la capacité à remplir les missions redéfinies par le Président de la République ;
2. la simplification et la clarification de l'organisation seront partout recherchées, ce qui peut conduire à des modifications comme celle qui se profile pour la chaîne des soutiens jusqu'aux bases de défense, avec le concours et l'appui de tous les responsables militaires et civils du ministère ;
3. la diminution de l'environnement, de l'administration et des soutiens bénéficiera d'une analyse fonctionnelle préalable, qui est déjà lancée et qui guidera mes choix ; je n'entends pas procéder de manière arithmétique ni automatique ;
4. le personnel doit être pleinement informé ; un effort important de communication interne sera engagé ; dans le même esprit, nous venons de lancer, à la demande du Président de la République, un chantier important, la rénovation de la concertation militaire. La pleine implication du commandement et le strict respect de l'obéissance hiérarchique ne s'opposent pas à l'entretien des différentes formes de dialogue- bien au contraire. A la demande du Président de la République, j'ai saisi l'ensemble des chefs militaires et acteurs du dialogue dans les armées pour que des propositions soient élaborées pour la 90e session du Conseil supérieur de la fonction militaire, en décembre prochain.
5. le personnel doit bénéficier des dispositions d'accompagnement social autorisant les départs, lorsqu'ils sont nécessaires,dans de bonnes conditions ; c'est l'objet des mesures figurant dans le projet de loi, telles que les pécules, l'accès à la pension du grade supérieur,la promotion fonctionnelle, qui n'est pas, chère Mme Demessine, l'ancien conditionnalat, ou encore les dispositifs de disponibilité rénovée ; dans le même esprit et pour les mêmes finalités, nous renforcerons la politique de reconversion pour les militaires et le reclassement dans la fonction publique pour les agents du ministère, - une habilitation à agir par ordonnance vous est demandée à ce dernier titre ;
6. au total, un plan d'accompagnement de près d'1 Mdeuros - 933 Mneuros exactement - est prévu pour les outils financiers d'incitation à la mobilité et au départ ;
7. concernant les restructurations, mon objectif est de préserver au maximum les liens qui relient les armées et les territoires. Mais notre objectif est aussi, pour les sites qui seront amenés à fermer, de permettre une transition dans les meilleures conditions possibles. Pour ce faire, un accompagnement économique est inscrit dans le projet de loi,qui tire les enseignements des précédentes restructurations. Désormais, contrela dérive de l'éparpillement, les actions de l'Etat seront davantage concentrées, avec 150 millions d'euros au total pour les territoires les plus affectés. Ce plan sera complété par un dispositif d'aide des PME, appuyé sur la Banque publique d'investissement.
Dans un ministère dont la solidité doit être à toute épreuve, je sais que de telles évolutions, qui visent précisément à asseoir notre politique de défense sur des bases plus solides, peuvent néanmoins générer des inquiétudes et des fragilités transitoires.
Au demeurant, vous aurez relevé combien ce projet de loi de programmation militaire défend la singularité du soldat aujourd'hui. Il le fait en mettant en place, comme l'avait souhaité le Président de la République, divers outils juridiques simples, permettant d'éviter une judiciarisation inutile de l'action des militaires engagés en opération extérieure. C'était un engagement, remarqué et attendu, du Président de la République après plusieurs affaires qui pouvaient donner le sentiment d'une remise en cause du cœur du métier militaire et de l'acte d'engagement comme de commandement en opération.
L'objectif ici, ce n'est pas de consacrer une quelconque immunité pénale au profit des militaires, encore moins de priver les familles de leurs droits, qu'il s'agisse de l'accès à l'information, à la justice ou à la réparation. Ces droits, et notamment celui d'être dûment informé des circonstances dans lesquelles leurs proches ont pu être touchés, seront scrupuleusement respectés, voire accrus par les dispositions d'accompagnement que prennent le ministère et les armées.
Il s'agit simplement de faire prendre en compte, par le droit pénal, la réalité de ce qu'est un conflit armé, dans lequel nos militaires sont prêts à donner leur vie comme d'ailleurs à infliger la mort.
Il s'agit d'inscrire aujourd'hui dans notre droit, tant au plan des procédures que sur le fond de la qualification des actes, les spécificités des situations d'action au combat, alors que nos sociétés voient le recours juridictionnel tellement se développer.
Ces propositions ont été préparées en bonne intelligence entre mon ministère et les services de la Garde des Sceaux, auxquels je veux ici rendre hommage. Je souhaite vivement qu'elles recueillent un large soutien de la représentation nationale.
Je saisis cette occasion,aussi, pour rendre hommage solennellement avec vous aux sept militaires tombés au combat dans l'opération Serval, et à leurs quarante camarades gravement blessés. Ils témoignent des dangers, de l'engagement et du dévouement si particulier pour le pays que représente leur métier. Nous leur devons la reconnaissance de la Nation.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Un projet de loi de programmation militaire est par définition perfectible, et je sais gré à la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat d'avoir contribué à l'améliorer de façon significative, tout comme je remercie les Commissions des lois et de Finances de leur apport très significatif à la maturation de ce débat et du texte qui en résultera.
Ce travail, vous l'avez entrepris voilà déjà deux ans ; si bien qu'avec les réflexions préparatoires, la participation de trois d'entre vous à la Commission du livre blanc, votre contribution à la conception de la programmation, et maintenant votre marque sur le texte lui-même, je crois pouvoir dire que ce texte est le fruit d'une démarche largement partagée, qui donne tout son sens au choix du Sénat pour l'examen en première lecture, et je m'en félicite.
Vous me permettrez, ici, de rendre un hommage tout spécial au président - et rapporteur - Jean-Louis Carrère, ainsi qu'à ses vice-présidents Jacques Gautier et Daniel Reiner, mais également au président de la Commission des Lois, Jean-Pierre Sueur, et au rapporteur pour avis de la Commission des Finances, Yves Krattinger. Tous se sont mobilisés pour améliorer le projet d'une façon remarquable. Qu'ils en soient très sincèrement remerciés.
Au terme de ces travaux, je crois pouvoir soutenir que nous avons défini un projet équilibré, qui permettra de conforter notre autonomie stratégique et notre ambition européenne, tout en contribuant au renforcement de notre souveraineté budgétaire. Lorsque je regarde autour de nous, en Europe et sur la scène internationale, et cela sans sentiment de supériorité qui serait déplacé, je trouve que cette situation n'est pas si fréquente. J'ajoute que, si ce projet de loi de programmation vise en premier lieu nos moyens militaires, ses enjeux débordent souvent le champ de la défense et s'étendent nettement à celui de la sécurité nationale, dont je partage la responsabilité avec le ministre de l'Intérieur.
En confirmant spécifiquement le maintien de notre effort de défense, le Président de la République a souligné que c'était là un effort que la Nation consentait, non pas pour les armées en elles-mêmes, mais pour sa propre sécurité. Aujourd'hui, j'ai toute confiance dans la Représentation nationale pour confirmer cette ambition, dans l'intérêt de la France et le respect de celles et ceux qui la servent avec courage, professionnalisme et dévouement.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 23 octobre 2013