Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "France Inter" le 14 octobre 2013, sur la situation économique de la France, sur la garantie bancaire de l'Etat au groupe PSA.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Vous publiez cette semaine un livre qui fait un premier bilan de votre action à la tête du ministère de l’Economie et des Finances : « Combat, pour que la France s’en sorte » chez FLAMMARION. L’actualité d’abord, Brignoles, l’élection d’un conseiller général du Front National, enjeu local ou message national ?
PIERRE MOSCOVICI
Il y a une donnée locale, ce n’était pas la première fois qu’il y avait un conseiller général FN à Brignoles. Il y a bien sûr aussi un message national et c’est un message qui est préoccupant pour ceux qui sont amoureux de la démocratie, parce que – moi je n’hésite pas à le dire – quand un parti est europhobe, quand il est islamophobe, quand il est hostile à la mondialisation, quand il préfère la préférence nationale à tous, c’est un parti dont les racines puisent dans l’extrême droite assurément. Et en même temps, c’est vrai qu’il y a une inquiétude qui s’exprime à travers ça, une crainte de beaucoup de Français que la France ne soit plus ce qu’elle est, une crainte pour eux-mêmes, une attente de résultat économique, tout ça nous devons l’entendre, nous devons réagir, nous devons répondre. Et pour moi répondre, c’est d’abord continuer à développer une stratégie économique qui produit ses résultats. La France…
PATRICK COHEN
Oui, des résultats que les Français ne voient pas, parce que vous l’écrivez dans votre bouquin, il y a une rupture avec les gouvernants et pour renouer la confiance, il faut des résultats. Et pour l’instant…
PIERRE MOSCOVICI
J’arrive du Fonds monétaire international où pendant 4 jours se sont tenues à Washington les assemblées générales du Fonds monétaire international, c’est la Banque mondiale. J’y avais déjà été il y a 6 mois, j’y avais été il y a 1 an, c’était à Tokyo. Et moi, je suis frappé du fait que le regard porté sur l’Europe d’une part, sur la France d’autre part a changé. Il y a 1 an, quand j’allais dans ces assemblées, on disait « est-ce que l’euro va survivre, est-ce que la Grèce va partir, est-ce que Chypres va s’effondrer », et la France était regardée comme un patient ou un malade qu’il fallait surveiller. Mais aujourd’hui, 1 an après, l’euro… eh bien ! Regardez son intégrité, l’Europe s’est stabilisée et la France a des performances économiques meilleures que celles qui étaient prévues, y compris d’ailleurs par nous-mêmes avant l’été…
PATRICK COHEN
Une majorité de français pense qu’ils sont toujours en pleine crise.
PIERRE MOSCOVICI
Mais je comprends ça parce que ça fait 5 ans que ça dure, parce que le chômage est à un niveau trop élevé, parce que les inégalités se sont accrues. Et en même temps, je suis obligé de le dire, obligé et pas malheureux, c’est vrai que la France est en train de retrouver une croissance plus significative, nous sommes sur un rythme d’ores et déjà de 1 % par an, ce qui n’est pas suffisant mais…
PATRICK COHEN
Ça sera 0,2 pour cette année.
PIERRE MOSCOVICI
0,2 pour cette année, nous sommes déjà – si on défalque le 1er trimestre de cette année – sur un rythme annuel de 1 % par an. Et donc nous avons eu 0,5 % au 2ème trimestre 2013, nous aurons probablement – c’est ce que dit l’INSEE – 0,4 % au dernier trimestre de cette année. Non ! Il y a eu reprise en France, elle est indéniable, il faudra sans doute quelques mois pour qu’on la perçoive, quelques semaines peut-être pour qu’on la perçoive, certains la perçoivent déjà. Mais moi ce que je veux dire, c’est que ce pays est un pays fort, c'est que la France est une économie solide, c‘est que nous méritons la confiance, et commençons par avoir confiance en nous-mêmes. Quand je vais au FMI, je suis le ministre des Finances de la 5ème puissance économique du monde, de la 2ème économie d’Europe. La France est un pays créatif, un pays innovant, un pays qui a un bon système éducatif, un très fort système universitaire, une main d’oeuvre très qualifiée. Et donc moi je pense qu’il faut vraiment que nous soyons conscients que la politique que suit le gouvernement c’est une politique qui permet à l’investissement de repartir, qui permet au pouvoir d’achat de se développer, cette politique produit ses résultats.
PATRICK COHEN
C’est ce que Philippe LEFEBURE appelait tout à l’heure la « Méthode Coué », passage obligé, formule obligée de tout ministre de l’Economie et des Finances, c'est-à-dire…
PIERRE MOSCOVICI
Non, c’est…
PATRICK COHEN
Une sorte d’optimisme forcé pour que la confiance puisse revenir chez ceux qui vous entendent ?
PIERRE MOSCOVICI
En l’occurrence, je sais tout ce qu’il reste à faire, je ne suis pas du tout dans l’autosatisfaction, c’est très dur la situation de la France en crise, et être ministre de l’Economie et des Finances c’est se battre en effet, d’où le titre de mon livre « Combat », combat pour que la France s’en sorte, combat pour que la croissance revienne, combat pour que l’investissement reparte, combat pour que les entreprises de ce pays aillent mieux et combat pour l’emploi. Non ! Je ne suis pas du tout là-dedans. En même temps, quand se produit ce qui est en train de se produire, c'est-à-dire que l’économie repart, que l’économie reprend, que l’économie va mieux, franchement pourquoi ne pas le dire. J’entendais Bruno Le MAIRE hier qui critiquait mes propos, en disant que c’était je ne sais quelle élucubration, moi je voudrais d’ailleurs que la droite…
PATRICK COHEN
Il a dit qu’il était effaré par…
PIERRE MOSCOVICI
Que la droite, que l’UMP ne soit pas sans arrêt en train de saper le moral des Français, et qu’on soit capables de se rassembler sur le redressement du pays, parce que c’est ça qui compte.
PATRICK COHEN
C’est la droite qui plombe le moral des Français ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, ce n’est pas… ce que je veux dire c’est que quand arrive une reprise – et elle est là – plutôt que de dire « non, non, ça n’existe pas », plutôt que d’aller fouailler les inquiétudes ou les angoisses ou les craintes du déclassement, il faut se mobiliser, tout le pays doit se mobiliser. Le redressement du pays, le redressement de ses finances publiques, le redressement de son appareil productif, le redémarrage de l’investissement, voilà ce qui doit nous mobiliser. Et je voudrais qu’on ait aussi une droite responsable, parce que si tout le monde est en train de se déplorer, si on n’est pas capables de se mobiliser, alors à ce moment-là c’est vrai, beaucoup d’électeurs se tournent vers le Front National qui est le réceptacle de toutes les inquiétudes. La France se redresse.
PATRICK COHEN
Pierre MOSCOVICI, on parle de PEUGEOT CITROEN et de ce groupe chinois DONGFENG qui pourrait devenir le premier actionnaire de PSA devant la famille PEUGEOT, à quelles conditions l’Etat français pourrait-il laisser faire ?
PIERRE MOSCOVICI
Je ne vais pas faire ce genre de commentaire ici. Ce que je veux dire simplement c’est que l’Etat ne se désintéresse pas de PEUGEOT, de PSA, il l’a montré. Il y a quelques mois, nous avons accordé ce qu’on appelle « une garantie d’Etat » pour soutenir la banque de PSA Finance, ce qui permet de vendre des voitures, de financer l’expansion du groupe, il y a un comité de garantie, et donc nous sommes investis là-dedans. PEUGEOT, ce n’est pas un mystère, est en train de chercher des partenariats industriels, il en a déjà construits d’ailleurs avec 2 grands partenaires, avec GENERAL MOTORS, constructeur américain, avec DONGFENG, constructeur chinois. Ce qui compte c’est en effet que PSA puisse – pour consolider sa situation – nourrir, travailler…
PATRICK COHEN
Modifier…
PIERRE MOSCOVICI
Développer ces partenariats…
PATRICK COHEN
Son actionnariat.
PIERRE MOSCOVICI
Non, c’est exactement le contraire de ce que je vous dis…
PATRICK COHEN
L’actionnariat n’est pas en question aujourd’hui ?
PIERRE MOSCOVICI
Le préalable… la situation financière de PSA n’est pas une situation qui est une situation de difficulté, ça a été montré il y a quelques mois. Ce que je dis c’est que ce qui doit précéder tout, c’est la réflexion industrielle, c’est les partenariats industriels, c’est la production. Vous savez, je connais bien cette entreprise, il se trouve que je suis moi-même élu du pays de Montbéliard, où dans ma circonscription il y a une usine qui s’appelle « le centre de production de PSA » à Sochaux et donc, nous suivons ça de près. Mais ce qui compte avant tout, c’est la logique industrielle.
PATRICK COHEN
Bon ! Vous ne confirmez pas le scénario d’une entrée conjointe des Chinois et de l’Etat français dans le capital de PSA ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, non, je vous dis que ce qui doit tout précéder, ce qui doit être le préalable de tout, c’est la logique industrielle.
PATRICK COHEN
Mais il y avait bien des représentants de votre administration en Chine ce week-end !
INTERVENANT
Il y a bien une banque d’affaires MERRILL LYNCH qui vous conseille sur ce dossier !
PIERRE MOSCOVICI
Mais encore une fois je vous l’ai dit, nous sommes tout à fait investis dans le sort de cette entreprise. Je vous rappelle que nous avons accordé une garantie, nous le gouvernement mais nous l’Etat, nous les Français de 7 milliards d’euros à la banque PSA Finance, pour que celle-ci puisse – alors qu’elle était menacée – continuer d’avoir accès au marché et permettre le développement de ce groupe, l’irrigation de ses structures productives.
PATRICK COHEN
Et ça pourrait aller plus loin !
PIERRE MOSCOVICI
Je viens de vous répondre.
PATRICK COHEN
Pas vraiment.
PIERRE MOSCOVICI
Tout à fait.
PATRICK COHEN
Non, je ne crois pas…
PIERRE MOSCOVICI
Complètement.
PATRICK COHEN
Mais c’est dommage parce qu’on attend un communiqué de PSA ce matin qui va préciser les choses, donc c’est dommage que vous ne vouliez pas aller plus loin sur…
PIERRE MOSCOVICI
Non, non, je vous assure, ne prenez pas les choses comme ça parce qu’on parle tout de même de société cotée, et on parle de l’avenir industriel d’une très grande entreprise qui emploie près de 100.000 personnes en France. Et c’est à ça que je pense, et je pense avant tout encore une fois au partenariat industriel, c’est ça qu’il faut consolider. Je rappelle qu’ils existent déjà et qu’ils peuvent peut-être se développer, et avec GENERAL MOTORS et avec DONGFENG.
PATRICK COHEN
Les collectivités locales dépensent trop, la dérive financière continue, va redire la COUR DES COMPTES dans un rapport très attendu qui sera publié ce matin. Elle a raison Pierre MOSCOVICI ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez ! Dans ce pays de toute façon, nous sommes engagés dans un processus de modernisation de l’action publique, et il est nécessaire… avec Bernard CAZENEUVE demain, je présenterai le projet de loi de finance à l’Assemblée nationale. Et ce projet, il est basé… il est tourné vers la croissance et l’emploi, il est basé avant tout et surtout sur le fait que nous devons faire des économies dans les dépenses publiques. Il y aura 15 milliards d’euros d’économie qui seront proposés pour l’année 2014, qui se répartiront à 9 milliards pour l’Etat dont les collectivités locales, en tout cas les concours que nous leur apportons ; et 6 milliards pour la Sécurité sociale. Et donc cet effort, qui est un effort d’évaluation d’abord, de modernisation ensuite, il doit toucher tous les niveaux d’action publique et il doit le faire pour quoi, pour améliorer la qualité des services publics…
PATRICK COHEN
Est-ce qu’il faut limiter…
PIERRE MOSCOVICI
Pas seulement pour réduire le déficit.
PATRICK COHEN
L’autonomie financière des collectivités locales ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, je pense qu’il faut rester dans un pays dans lequel la décentralisation respire. Vous savez, j’ai moi-même présidé une collectivité locale et je sais à quel point…
PATRICK COHEN
Elle respire mais elle coûte cher, d’après beaucoup de rapports.
PIERRE MOSCOVICI
Je sais à quel point elles sont nécessaires aussi… les collectivités locales, l’investissement. Ne soyons pas dans la caricature de nos collectivités locales, il y a là des élus qui se dévouent au bien commun, il y a surtout une action très importante pour le tissu économique. Et si on veut résister à la crise, il faut aussi des collectivités locales solides. Cela dit, elles ne doivent pas non plus échapper à cette logique de bonne gestion.
PATRICK COHEN
Et comment on fait alors, on les responsabilise ?
PIERRE MOSCOVICI
Encore une fois… ben oui, c’est la responsabilisation et c’est aussi le fait que dans le cadre – encore une fois – des économies que j’évoquais, l’Etat fait supporter à l’ensemble des niveaux d’action publique la politique économique qui est nécessaire.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 octobre 2013