Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à France 2 le 12 mai 1999, sur l'éventualité d'un retrait des forces serbes au Kosovo et sur le bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Nous allons revenir sur la situation dans la République Fédérale Yougoslave. Slobodan Milosevic a dit quil allait se retirer en partie du Kosovo mais, daprès les informations que vous avez, il ny aurait pas de retrait visible ?
Alain RICHARD (ministre de la Défense)
Il ny a pas de signes concrets. Sil sagit de la part du pouvoir serbe dune démarche qui permette de commencer à engager une véritable discussion, il a le droit de le faire, et nous le souhaitons. Mais il faudrait quil donne les moyens de vérifier, cest-à-dire quil y ait des observateurs et des vérificateurs qui permettent de constater quil y a des troupes à un endroit et quelles sortent du Kosovo. Il na pas engagé cette démarche. Nous devons considérer quil sagit simplement dune tentative de manoeuvre afin de rompre notre détermination. Or, nous devons au contraire la maintenir.
Françoise LABORDE
Sil y avait des retraits sans vérification, quest-ce que cela pourrait être ?
Alain RICHARD
Par exemple, il pourrait évacuer une partie du matériel que nous avons détruit.
Françoise LABORDE
Ce serait du nettoyage plutôt que des retraits ?
Alain RICHARD
Nous nexcluons pas, par principe, que le pouvoir serbe fasse des actes qui permettent dentrer dans une discussion sur la solution politique mais il faut que ce soient de vrais actes.
Françoise LABORDE
Mais, à partir du moment où le retrait est vérifié, que peut-il se passer à ce moment ?
Alain RICHARD
Le Premier ministre la évoqué la semaine dernière à lAssemblée Nationale. Cela avait donné lieu à des questions mettant en cause le choix restreint des conditions. Cela veut simplement dire que les points concrets, cest-à-dire le retrait des forces, larrêt des exactions contre les Kosovars et un début de retour des Kosovars, peuvent se discuter avec un calendrier. On attend la mise en oeuvre des conditions que nous voulons remplir, pour que les Kosovars puissent revenir en sécurité au Kosovo. Il y a un calendrier avec, dun côté et de lautre, des mesures de ralentissement ou de modération.
Françoise LABORDE
Cela veut-il dire que lon peut aujourdhui enfin discuter, ou envisager de discuter, avec Milosevic en dépit de tout ce que lon a pu dire sur lui ?
Alain RICHARD
Les deux choses sont dun niveau différent. Si on ne discutait quavec des personnages insoupçonnables dans les relations internationales, cela retirerait beaucoup de possibilités.
Françoise LABORDE
Oui, on naurait pas beaucoup dinterlocuteurs.
Alain RICHARD
Il faut que la justice internationale fasse son travail. La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine, madame Arbourg et moi-même en avons parlé. Nous donnerons les moyens au Tribunal International de recueillir des preuves. Dautre part, les hommes politiques doivent définir une solution politique avec ceux qui ont aujourdhui le pouvoir en Yougoslavie, ou sans eux, si lon peut faire passer cette solution par les Nations Unies. Ils doivent obliger Milosevic à appliquer ces conditions. Mais sil y a, du côté du pouvoir serbe, une démarche vérifiable dobservation dune partie de ses obligations, on en tiendra compte.
Françoise LABORDE
Vous avez le sentiment que Milosevic est moins à son aise en raison des frappes de lOTAN et, peut-être, dune opposition interne un peu plus vigoureuse quelle ne la jamais été ?
Alain RICHARD
Jai tout entendu depuis le début de cette opération. Aujourdhui, lopinion publique, nos observateurs et nos partenaires du débat politique se réhabituent à ce quest un conflit, à sa durée, à ses étapes et son évolution. Si « fêlures » il y a dans lopinion serbe, nous devons les regarder avec prudence. Mais il est en effet certain quune partie de la population serbe se rend aujourdhui compte que laventure nationaliste quelle a soutenue, produit des effets qui lui sont désastreux, au lieu quil ne sen produise simplement chez leurs voisins.
Françoise LABORDE
Concernant la destruction de lambassade de Chine, comment est-il possible quaient lieu des choses semblables ? Daniel Cohn-Bendit disait, de façon un peu ironique, quil fallait peut-être offrir des plans de Belgrade plus récents à lOTAN.
Alain RICHARD
Les gens qui agissent, ne sont pas surpris de ce genre daccident. Chaque fois que lon fait quelque chose de complexe et qui dure des semaines, on a le risque statistique de commettre une erreur plus grave que les autres. Les alliés ont probablement engagé 3 000 ou 4 000 objectifs de frappe depuis un mois et demi. Nous nous sommes lourdement trompés sur le choix dun de ces 4 000 objectifs.
Françoise LABORDE
Lexpression « dommage collatéral » vous exaspère ?
Alain RICHARD
Non. Je ne lemploie pas personnellement et je la conteste. Il y a des erreurs dans lapplication de la force mais nous vivons dans des démocraties, et avons choisi demployer la force face à la violence politique. Naturellement, cela est critiquable. On commet des erreurs dans lapplication de la force mais ne pas lemployer face à la violence politique que lon voyait se dérouler, aurait été plus quune erreur : cela aurait été un crime.
Françoise LABORDE
Comment faire pour calmer les Chinois ?
Alain RICHARD
Il faudra tenir compte de leur mécontentement et de leur critique qui est tout à fait légitime. Cela dit, ils savent ce que signifie lemploi de la force.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 1999)