Texte intégral
Q - Y a-t-il eu versement d'une rançon de 20 millions d'euros, la somme dont on vient de parler, rançon qui aurait été payée, soit par la France, soit par Areva ?
R - Nous avons trois principes.
Le premier : la France n'abandonne jamais ses ressortissants. Il y a des services, il y a le Quai d'Orsay, il y a d'autres personnes qui travaillent, et même dans les circonstances les pires, on n'abandonne personne.
Le second principe : vous l'avez rappelé, la France ne paie pas de rançon, je suis clair et net. C'est la consigne qu'a donnée le président de la République et elle est respectée.
Q - Vous parlez de l'État français ou bien de l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire qu'aucun argent n'a été versé aux ravisseurs ?
R - Pour ce qui dépend de l'État français, il n'y a pas d'argent versé.
Q - Il n'y a donc pas d'argent public versé ?
R - Absolument.
Q - Mais peut-être de l'argent privé ?
R - Non, il n'y a pas eu d'argent public versé.
En même temps, on va parler de l'intervention de M. Issoufou, le président du Niger dans un instant, il est évident qu'il a des connexions. Mais pour ce qui est du gouvernement et de ses responsables, il n'y a pas d'argent versé.
Le troisième principe : c'est un point très important, et j'en ai acquis l'expérience, vous vous rappelez que l'on a libéré les Moulin-Fournier, il faut chercher l'efficacité mais être extrêmement discrets avant et après. Sinon, cela se retourne contre nous.
Q - Monsieur Fabius, on imagine bien qu'il y a des contreparties, les islamistes ne libèrent pas les otages contre rien.
R - La question peut être posée par chacun : pourquoi ont-ils été libérés maintenant ?
Je pense qu'il y a deux ou trois raisons qui sont claires.
Premièrement, il y a un travail de fourmi depuis des années. C'est aujourd'hui la libération et c'est une joie formidable, mais il faut savoir qu'il y a des services qui y travaillent depuis des années.
Deuxièmement, vous savez que nous avons engagé une partie extrêmement dure au Mali et, du coup, une partie des terroristes ont été neutralisés. Ce qui les a placés dans une situation beaucoup plus difficile pour garder les otages, c'est clair.
Troisièmement, l'intervention du président Issoufou, qui a des connexions que nous n'avons pas.
Et c'est l'ensemble de tout cela qui a permis la libération.
Q - Vous ne dites rien sur les contreparties matérielles. Par exemple, on a parlé de l'impunité d'un chef islamiste que l'on aperçoit dans notre précédent sujet. Confirmez-vous cette information ?
R - Je ne la confirme pas. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a des discussions - ce qui ne veut pas dire versement de rançon - qui portent sur les conditions politiques, qui peut porter aussi, mais pas dans cette affaire-là, sur la libération de prisonniers. Il est certain qu'il y a toute une série de discussions évidemment, ce n'est pas une opération du Saint-Esprit.
Q - Vous avez voyagé cette nuit avec les otages, vous avez passé de longues heures avec eux. Vous ont-ils raconté leurs conditions de détention ? Étaient-elles particulièrement difficiles ?
R - Oui, mais tout d'abord, revenons sur le point que vous avez souligné : c'est vraiment une joie formidable. On n'a pas tant de bonnes nouvelles, on a là une extraordinaire nouvelle pour les familles, pour les otages et je pense que tous les Français la reçoivent comme telle.
J'ai été frappé lorsque nous les avons réceptionnés hier. Il faut imaginer ce que c'est, pendant trois ans ! Deux d'entre eux avaient des nouvelles, ils écoutaient RFI, mais les deux autres n'en ont eu aucune, réellement aucune. C'est-à-dire qu'ils ne savaient rien, contrairement à ce que l'on a pu raconter car on a dit beaucoup de sottises.
Ces personnes, qui étaient séparées et qui maintenant sont regroupées, arrivent par hélicoptère et tombent sur une forêt de journalistes avec des flashs partout. C'est ce qui explique, cela a pu surprendre certains, le fait qu'ils avaient un foulard. J'en ai discuté dans l'avion, notamment avec M. Féret, qui me disait qu'il n'était pas encore prêt. C'est comme si on était dans une bulle de laquelle il faut sortir et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ne se sont pas exprimés. S'ils veulent s'exprimer, ils le feront, bien sûr.
Q - C'est ce qui explique leur air qui a pu être perçu comme un air presque abattu ce matin ?
R - Leur famille disait «fermé ». Ce n'est pas fermé, je ne pourrais pas trouver les mots qu'ils m'ont dit eux-mêmes, mais on ne passe pas, comme cela, immédiatement, du fait d'avoir été à l'extérieur du monde pendant trois ans et, tout d'un coup, dans une conversation de salon, ce n'est pas possible.
Q - Ils ne vous ont pas semblé brisés sur le plan psychologique ?
R - Ce sont des gens forts et sages. M. Larribe commençait à parler de sa propre histoire, c'est un géologue. M. Dole, qui est costaud, qui fait 1m95, qui est jeune, est très sage. M. Féret est également sage, M. Legrand aussi.
Mais il leur faut du temps pour se recomposer. Et c'est cela que nous avons fait : c'est-à-dire que, cet après-midi, ils sont allés faire un examen médical et ils avaient l'air en bonne forme ; ce soir, la famille ; demain, il y a ce que l'on appelle le débriefing. Et puis, petit à petit, les choses vont se faire.
Encore une fois, vous ne passez pas de l'ombre totale à une espèce de surexposition comme cela, facilement.
Q - Justement, on va s'intéresser un petit peu à l'après. Savez-vous combien de temps ils vont rester encore à Paris ? Normalement, ils rentrent chez eux demain soir ?
R - Oui, on leur a laissé toute liberté. Il faut quand même qu'ils aient le temps de la désescalade.
Et puis, il y a un problème dont nous avons discuté avec eux dans l'avion, qui vous concerne, c'est la médiatisation. Il est difficile de ne faire aucun média mais, eux veulent être au calme. Donc, je ne sais pas ce qu'ils feront, mais ils veulent être au calme. Et puis, ils pensaient toujours, et j'ai trouvé cela extrêmement généreux, à ceux qui restaient encore otages. Parce que l'on en a encore sept.
Q - Nous allons, en effet, parler des autres otages. Il y en a encore sept, quatre en Syrie, un au Nigeria et deux au Mali. Certaines familles, Laurent Fabius, se disent que, parfois, il y a deux poids, deux mesures entre ceux qui sont soutenus par de grands groupes et les autres. Que leur répondez-vous, Laurent Fabius ?
R - Je comprends tout à fait leur état d'esprit, mais il faut qu'elles sachent, je le leur ai dit, qu'il y a des dizaines de fonctionnaires, de personnes en France et à travers le monde, qui travaillent tous les jours pour essayer de libérer leurs proches. La France n'abandonne aucun des siens.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2013