Texte intégral
Je vous dirai simplement que cette réunion a répondu aux attentes que j'avais exprimées avant-hier et hier. J'avais estimé qu'il n'y avait plus de raison maintenant de retarder cette réunion, qu'elle avait été bien préparée, notamment par la réunion lundi des directeurs politiques. Ce qui s'est passé à l'heure du déjeuner a montré que c'était le cas.
Nous avons franchi une étape : c'est la première fois depuis le début des frappes qu'une réunion a permis aux ministres américain, russe, français, britannique, allemand, italien, canadien et japonais de travailler ensemble à la solution de la question du Kosovo. C'est pour cela que c'est une étape très importante. C'est également une étape très importante bien sûr parce que cela nous a permis d'adopter des principes qui sont dans la cohérence et dans la continuité des cinq points que vous connaissez tous.
A partir de là, nous avions un cheminement à accomplir qui était de confirmer et de préciser l'accord entre les Occidentaux sur ce qui doit devenir ensuite une résolution du Conseil de sécurité, mais aussi de confirmer et de préciser cet accord avec les Russes. Si nous n'avions pas franchi cette étape là, nous ne pouvions pas atteindre la suivante, qui est celle de la résolution, après quoi viendra le moment de sa mise en oeuvre. Nous avons donc franchi, pour la préparation de cette solution, une étape importante aujourd'hui. Maintenant comme vous avez lu les textes et déjà entendu les explications de M. Fischer, qui a présidé cette réunion, le mieux est que je réponde à vos questions.
Q - A combien estimez-vous le travail nécessaire restant pour arriver à une résolution ?
R - C'est impossible à estimer. Je reprendrai à mon compte la réponse de Joschka Fischer, qui dit que nous souhaitons pouvoir arriver le plus vite possible, le plus tôt possible, à une résolution. Une résolution du Conseil de sécurité adoptée sous le chapitre VII et qui endossera et adoptera les principes du règlement politique au sens le plus large du terme, c'est l'étape suivante. Ceci comportant la force nécessaire et cette présence internationale - vous avez vu le texte - et civile et de sécurité. Le mot sécurité a été adopté, comme il a été indiqué tout à l'heure, d'abord parce qu'il y a deux pays dans ce groupe des huit qui ne sont pas membres de l'OTAN, d'autre part parce que ce mot sécurité englobe toutes les formes de sécurité, notamment militaire. C'est le point qui nous reste à préciser, et sur lequel nous allons travailler.
Q - Monsieur le Ministre, en attendant que cette résolution du Conseil de sécurité soit au point, considérez-vous que ce G7+1 d'aujourd'hui donne davantage la main aux Russes pour convaincre le président Milosevic ?
R - Je ne présenterais pas les choses comme cela. D'abord "en attendant" est une forme trop passive par rapport à ce qui va se passer. Nous allons dès maintenant préparer cette résolution. Je suis sûr que les directeurs politiques profitent de cet instant déjà pour avoir des échanges sur la suite. Nous préparons la suite, c'est-à-dire que nous travaillons à partir de ce texte à la préparation d'une résolution à partir des cinq points que vous connaissez. A partir de ce texte, il s'agit de bâtir maintenant non seulement une résolution à la fois claire dans les principes et précise dans la mise en oeuvre, mais aussi un processus de mise en oeuvre. Nous y travaillons.
Nous n'avons pas besoin à ce stade de nous poser la question de savoir ce qui se passe entre Belgrade et nous. C'est une discussion, c'est un travail qui a lieu au sein du G8, au sein des partenaires du Groupe de contact, au sein des membres permanents du Conseil de sécurité. Il ne faut pas perdre de vue la chronologie vers la recherche de cette solution. Je pense que la communauté internationale sera naturellement renforcée dans l'ensemble de ses actions, sur le plan politique, sur le plan de la légalité internationale, sur le plan de la justesse de son effort, par la résolution qui est maintenant notre objectif.
Q - Monsieur le Ministre, il semble que la Russie ait fait de fortes concessions aujourd'hui ?
R - Les Russes ont montré, pas seulement aujourd'hui, mais depuis une quinzaine de jours à travers des déclarations et des prises de position, soit du président Eltsine, soit de M. Tchernomyrdine, soit du ministre Ivanov qui était là aujourd'hui, qu'elle avait la volonté de participer activement à une solution. Sinon d'ailleurs la réunion d'aujourd'hui n'aurait pas pu se tenir, M. Ivanov n'aurait pas été là et nous n'aurions pas pu adopter ensemble ce texte fort et clair sur la suite. Donc, en effet, la réponse à votre question est oui. Je veux souligner simplement que ce qui s'est passé aujourd'hui est la confirmation d'un mouvement que nous avons observé déjà depuis quelques jours.
Q - Il n'a pas mentionné un accord de la part de Belgrade, l'accord reste à discuter certainement ?
R - Nous n'avons pas à nous poser cette question à ce stade de notre travail. Naturellement si Belgrade annonçait demain une acceptation des principes et du début de la mise en oeuvre, cela changerait les choses. Mais nous n'avons pas besoin de nous poser cette question et nous n'allons surtout pas nous laisser paralyser par cette interrogation au stade du travail, où nous sommes, puisque je le répète, il faut consolider l'accord entre Occidentaux, élargir cet accord aux Russes, le transformer en une résolution au Conseil de sécurité. Nous avons à partir de là une posture extraordinairement renforcée pour atteindre la solution qui est notre objectif depuis le début.
Q - Y aura-t-il une répartition des rôles entre l'ONU et l'OTAN ? Et est-ce que les Russes exigent toujours un accord préalable de Belgrade sur une force internationale ?
R - A l'époque de Rambouillet, c'est la condition qu'ils mettaient pour participer eux-mêmes à d'éventuelles forces, ce qui était le complément logique de l'accord politique, mais qui n'a pas été atteint. Ma réponse est un peu la même en réalité, c'est-à-dire que là-dessus ce qui a lieu, ce ne sont pas des réflexions mais c'est déjà du travail. Il y a un échange, il y a une réflexion sur les deux à la fois, sur comment combiner dans cette future force, dans ce que nous appelons "présences de sécurité" - et vous voyez qu'il y a un "s" à présence pour distinguer la forme civile et la forme sécurité - l'ensemble des aspects militaires et autres, qui doivent apporter les garanties indispensables. Un travail a commencé, vous le savez : il s'agit de combiner la présence de pays de l'OTAN, la présence des Russes, la présence d'autres, qui peuvent être d'autres pays membres permanents du Conseil de sécurité, d'autres pays de la région et la catégorie autre est elle-même diverse et ouverte. Il s'agit à la fois d'assurer leur présence dans cette force à créer et en même temps l'efficacité de cette force.
Nous travaillons déjà sur son fonctionnement, sur la chaîne de commandement, sur ce qu'on appelle "l'affaire de la clé". Nous ne voulons pas de double clé, qui avait montré en Bosnie sa nocivité, puisque cela a paralysé le système. Cette question, comme l'a dit Joschka Fischer tout à l'heure, n'est pas encore résolue. Maintenant, c'est l'étape suivante, nous nous mettons à travailler là-dessus.
Quant à votre seconde question, vous pouvez noter vous-mêmes, vous pouvez observer que les Russes n'ont pas posé de condition préalable supplémentaire pour venir à cette réunion et pour adopter ce texte avec nous. Concluez vous-mêmes.
Q - A-t-on parlé d'une pause dans les frappes ? Les Russes en ont-ils fait la demande ?
R- Les Russes n'en ont pas fait la demande préalable, sinon cette réunion n'aurait pas eu lieu. S'ils en avaient fait la demande préalable, nous ne pourrions pas dire maintenant que nous allons passer à l'étape suivante, qui est de préparer la résolution et donc de résoudre l'ensemble des questions plus précises qui restent à résoudre pour mettre en oeuvre les principes qui sont rappelés dans ce texte. Il n'y a pas de préalable russe, il n'y pas de blocage russe sur ce plan.
Quant à la question de la pause ou de la suspension, elle n'a pas fait l'objet d'une discussion. Comme M. Fischer l'a dit très clairement tout à l'heure, il n'y a pas d'accord à ce stade entre les Occidentaux et les Russes sur les modalités, les conditions, le moment où cette pause pourrait intervenir.
Q - Donc en toute logique, les bombardements vont continuer ce soir ?
R - La réunion d'aujourd'hui n'a pas pour but de régler la situation d'aujourd'hui, ou de changer la situation d'aujourd'hui. Nous travaillons sur la sortie, nous travaillons sur la solution, nous travaillons sur la suite, ce sont deux rythmes différents.
Q - Avez-vous évoqué une clef de répartition des réfugiés entre les différents pays ?
R - Non, d'ailleurs vous savez que la France a récusé dès l'origine cette notion de clef de répartition, qui avait été présentée dans un contexte peu favorable, puisque à l'époque on voyait bien qu'il s'agissait de faire partir, peut être en les bousculant, des personnes en réalité déportées, qui arrivaient en Macédoine, que la Macédoine ne pouvait pas garder. C'est un problème qui avait été sans doute mal posé, on n'a jamais réutilisé cette notion de clef.
Ce qui est vrai, c'est que les uns et les autres, les pays européens et bien d'autres d'ailleurs, se sont engagés depuis à accueillir le mieux possible tous ceux qui le souhaitent. Mais il faut faire attention à ne pas infliger à ces personnes, tellement traumatisées déjà, de nouveaux malheurs si on les faisait partir sans qu'ils le souhaitent vraiment. En même temps, il faut faire en sorte qu'elles n'aient pas à rester dans la région, comme une immense majorité d'entre elles le souhaite, dans des conditions insupportables. Aujourd'hui tout cela est clarifié : on accueille dans les différents pays ceux qui le demandent et qui le souhaitent en essayant de faire en sorte d'accueillir dans chaque pays ceux qui ont déjà un lien sous une forme ou sous une autre avec le pays pour faciliter leur insertion.
Vous savez que la France est, je crois, au troisième rang maintenant, après l'Allemagne qui est très très très loin depuis ces dernières années, puisque les drames n'ont pas commencé il y a un mois et demi. L'Allemagne a des chiffres très élevés depuis longtemps. Ensuite il y a la Turquie, ensuite il y a la France.
D'autre part, il y a l'action sur le terrain qui est complémentaire. Il faut que nous aidions l'Albanie et la Macédoine à faire face à cette situation. Vous avez pu voir comment les efforts multilatéraux et nationaux, de mieux en mieux coordonnés, ont pris de l'ampleur et ont atteint le niveau considérable. Mais cela n'a pas été un objet de discussion sauf un échange de quelques minutes. Vous savez qu'il fallait rester attentif à apporter à la Macédoine et à l'Albanie l'aide dont ces pays ont besoin pour faire face.
Q - A-t-on envisagé de mettre Milosevic en accusation devant la Cour internationale de La Haye. Cette question a-t-elle été évoquée ?
R - Cette question n'a pas été traitée, mais j'ai reçu Mme Arbour ce matin à Paris juste avant de venir. M. Richard et moi-même avons eu une séance de travail avec elle, et nous avons passé en revue tous les points de coopération entre la France et le Tribunal, comme d'ailleurs l'on fait tous les pays dans lesquels elle se rend tour à tour. Je rappellerai là-dessus ce qui a été dit à plusieurs reprises, notamment par le Premier ministre : ce sont des responsabilités distinctes. Il y a la responsabilité des gouvernements engagés dans la recherche et la mise en oeuvre d'une solution pour l'aide au Kosovo ; il y a d'autre part la responsabilité du Tribunal et notamment de son procureur. Nous coopérons avec le Tribunal et nous aidons le procureur à faire son travail, à rassembler des éléments, à rassembler des preuves. Nous aidons le Tribunal en ce qui concerne son fonctionnement, mais c'est sous sa responsabilité propre que des décisions judiciaires proprement dites doivent être prises. Ce sont des démarches distinctes, mais comme l'a dit à plusieurs reprises le Premier ministre, ce sont évidemment des démarches appelées à se rejoindre un jour.
Q - Dans le deuxième point, vous avez appelé à un retrait des forces militaire, de police et paramilitaire du Kosovo, vous avez renoncé à toutes les forces, est-ce que cela veut dire qu'un début de retrait est suffisant ?
R - Pourquoi vous dites "renoncer", vous comparez à quel autre texte des huit ?
Q - J'ai cru comprendre qu'au cours des conversations on avait parlé de "withdraw from Kosovo of all military, police and so on...
R - Mais il n'y a pas eu d'autre texte des huit avant, donc on ne peut pas avoir renoncé à quoi que ce soit par définition. C'est le premier texte des huit qui concerne ce point et il est parfaitement cohérent avec tout ce qui a été dit avant, il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus. Le retrait des forces, c'est une question qui se présente différemment par rapport à Rambouillet, où nous étions dans un contexte différent. Il avait été prévu pour chacune des catégories de forces un plafond résiduel, que l'on pouvait accepter dans l'hypothèse d'un accord politique qui n'a pas eu lieu.
Q - Donc le retrait est intégral ?
R - Pour parler très franchement, ce point n'a jamais été débattu, ni tranché. Puisque nous nous situons dans la perspective de l'autonomie, donc du maintien de l'autonomie et de la souveraineté de la Yougoslavie, le point c'est de savoir sous quelle forme pourrait se manifester demain encore cette souveraineté yougoslave. Mais c'est une autre question que celle des forces. Et ce sont des questions que nous aurons à traiter après, puisque nous avançons étape après étape pour construire cette solution ; pour aboutir à une résolution au sein du Conseil de sécurité.
Q - Quelle est votre réflexion là-dessus ?
R - C'est trop tôt pour en parler. Nous sommes dans des réflexions préliminaires. Mais cela n'a pas de rapport avec la question des forces.
Q - Faites-vous une différence entre le niveau de sécurité pendant la période intérimaire - pendant laquelle il y aura une sorte d'administration internationale - et le niveau de sécurité après cette période ?
R - C'est trop tôt pour répondre à une question de ce type parce que nous n'en sommes même pas à la période intérimaire. Nous ne sommes pas au moment où le Conseil de sécurité aura pu confier cette administration à telle ou telle entité. Vous savez que nous avons proposé que ce soit l'Union européenne, en coopération avec l'OSCE qui le fasse. La durée n'est pas fixée, si tant est qu'une durée soit fixée ; même ce point n'est pas tranché. Donc a fortiori c'est tout à fait impossible de se transporter au-delà de cette période, pour le moment.
Il n'y a pas d'antagonisme entre le maintien de la souveraineté d'un pays, en l'occurrence la Yougoslavie, avec le fait que la sécurité soit exercée pour toutes les raisons que l'on connaît bien par une force internationale.
Quant à l'évolution dans le temps, on verra, on n'en est pas là. Il s'agit d'aboutir à la solution, de la mettre en oeuvre et de créer dans le Kosovo de demain une sécurité suffisante et suffisamment crédible pour qu'elle apparaisse durable et bien installée, pour qu'à ce moment là les réfugiés, les déportés, reprennent confiance et rentrent. Donc, prenons les problèmes les uns après les autres.
Q - La composition de la force internationale a-t-elle été discutée aujourd'hui ?
R - Non, j'ai déjà répondu à une question là-dessus. Cela n'a pas été discuté, c'était mentionné comme un sujet sur lesquels nous allons devoir travailler dans l'étape dans laquelle nous entrons maintenant, avec en perspective la résolution au sein du Conseil de sécurité, que nous souhaitons aussi rapide que possible. J'ai indiqué qu'il y avait un travail de réflexions qui a commencé sur la combinaison, la composition, le fonctionnement, le commandement. Mais ce sont des questions qui ne sont pas encore tranchées. Pas tranchées, cela ne veut pas dire qu'il y a un blocage non plus, cela veut encore moins dire qu'il y a un recul par rapport à un moment où elle n'était pas tranchée du tout. Cela veut dire simplement qu'on avance, qu'on progresse, étape après étape, et nous avons commencé à transformer les principes de base en un processus.
Q - Les Chinois sont-ils susceptibles de bloquer vos efforts, d'entraver vos efforts à un certain point, quel est le contact entre le G8 et les Chinois dans la préparation de la résolution du Conseil de sécurité ?
R - Nous avons eu les uns et les autres - les pays qui sont ici - des contacts réguliers avec les Chinois. Les Chinois sont informés des efforts qui sont faits, de la solution qui est envisagée, du projet de résolution. Mais la question de savoir quelle serait l'attitude de la Chine, pour le moment n'a pas été posée, ou n'a pas eu à être posée puisque nous étions encore trop loin de la perspective de cette résolution pour que cette question puisse être abordée utilement. Mais nous avons confiance dans la sagesse chinoise.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 1999)