Interview de M. Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, à "France 2" le 6 novembre 2013, sur le projet de loi sur l'économie sociale, et sur le malaise économique et social notamment en Bretagne.

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Média : France 2

Texte intégral

ROLAND SICARD
Avant de parler de la loi sur l'économie sociale et solidaire que vous présentez aujourd'hui, on va revenir sur la colère des bonnets rouges Bretons, ils lancent un ultimatum au gouvernement, ils veulent la suppression pure et simple de l'écotaxe. Est-ce que le gouvernement peut encore céder ?
BENOIT HAMON
Eh bien il faut dire : ultimatum sinon quoi ? Sinon on casse ? Si c'est cela, la violence ça ne donne pas des droits, ça ne donne pas des droits à un chantage sur le gouvernement.
ROLAND SICARD
On a pu avoir cette impression, parce que les premières manifestations étaient violentes et le gouvernement a suspendu l'écotaxe ?
BENOIT HAMON
Le gouvernement a tenu compte de ce qu'était l'expression, une expression très forte, d'ailleurs mesurée dans les sondages, des Bretons après ce qui s'est passé dans la casse sociale dans l'agroalimentaire en ajournant l'écotaxe, et en disant : ce sujet on va en discuter, il faudra trouver demain des recettes pour consolider les infrastructures bretonnes, parce qu'il y a des besoins d'argent public. En Bretagne on sait ce que c'est l'argent public quand il faut soutenir le prix du lait, quand il faut soutenir les productions agricoles, quand il faut venir en aide comme nous venons de le faire à un travers un plan pour l'agroalimentaire à des entreprises qui se sont cassées la figure en raison, eh bien, de marchés qui sont des marchés difficiles dans l'agroalimentaire – et c'est incontestable – c'est compliqué pour des industries agroalimentaires bretonnes d'être compétitives par rapport à des abattoirs allemands où 80% des salariés sont payés entre 3 et 7 euros de l'heure. Donc, face à cela, nous on mène l'offensive sur le terrain européen, on essaie d'apporter des réponses. Mais ce que quelques…
ROLAND SICARD
L'Europe...
BENOIT HAMON
Quelques représentants…
ROLAND SICARD
Parenthèse sur la subvention des exportations de volailles, l'Europe a dit non ?
BENOIT HAMON
Non ! Mais elle ne peut pas dire oui à tout, tout de suite, mais en tout cas nous on mène le combat pour faire en sorte que demain on puisse avoir des débouchés à nos productions. Mais je retiens aussi que vous me parlez de cet ultimatum, je vois que quelques représentants de ceux qui ont manifesté posent un ultimatum, il faut aussi dire que demain il y aura besoin d'argent public, il y aura besoin d'argent public pour la Bretagne, mais cet argent public on va le prendre où ? Dans les caisses de l'Etat ! Mais on ne va pas prendre aux Picards, aux Normands, aux Aquitains, tout ça… j'écoute les discours, moi, d'un certain nombre de ces responsables qui viennent du monde patronal, qui viennent du monde agricole, pour demander qu'on supprime tout de suite l'écotaxe sinon je ne sais pas quoi, peut-être de la casse, de la violence, mais je dis : nous, nous avons invité au dialogue, nous avons invité au dialogue parce qu'on veut trouver des solutions et qu'on se préoccupe de l'intérêt de la France…
ROLAND SICARD
Autrement dit, le gouvernement ne cédera pas…
BENOIT HAMON
Mais on est…
ROLAND SICARD
Aujourd'hui ?
BENOIT HAMON
C'est sur la table aujourd'hui et on ne dit pas : aujourd'hui vous prenez des décisions qui sont conformes à ce qu'on exige, sinon on pourrait mener des actions qui sont des actions violentes, moi vis-à-vis de la violence quelle qu'elle soit ou qu'elle s'exprime, qui que ce soit qui exerce cette violence à l'égard de la puissance publique, à l'égard des autres Français, eh bien cette violence elle doit être condamnée, il n'y a pas de droit qui naisse du fait qu'on est violent. Voilà !
ROLAND SICARD
Vous êtes Breton ?
BENOIT HAMON
On n'a pas plus de droit que les…
ROLAND SICARD
Vous êtes Breton ?
BENOIT HAMON
Oui ! Je suis Breton, oui.
ROLAND SICARD
Est-ce que vous comprenez cette colère particulière des Bretons ?
BENOIT HAMON
Mais je comprends la colère et le mécontentement des Bretons, comme je comprends la colère et le mécontentement de tous les Français qui voient une usine qui ferme, et ma responsabilité c'est de penser à l'intérêt de la France - comme la responsabilité du Premier ministre et du Président de la République – et c'est de ne pas dissocier l'intérêt des Bretons qui serait celui différent de l'intérêt des Provençaux ou des Alsaciens, d'abord parce que nous sommes Français et nous sommes Français confrontés à quoi ? A des problèmes de compétitivité de notre économie ! Mais est-ce qu'aujourd'hui l'intérêt de la France c'est de répondre oui à la demande d'un certain nombre de chefs d'entreprise qui disent : il faut baisser le coût du travail et le diviser par deux pour qu'on puisse embaucher chez nous au même tarif que les Allemands quand ils embauchent un Roumain ou un Bulgare à 3 euros de l'heure, est-ce que c'est ça l'intérêt de la France ?Est-ce que l'intérêt des Bretons c'est de suivre ces petits patrons qui demandent cela ? Je ne le crois pas ! Et je pense qu'il n'y a pas forcément les mêmes intérêts chez ceux qui manifestent, et ma responsabilité comme membre de ce gouvernement c'est d'entendre le mécontentement, c'est de dire : il faut venir à la table que vous a proposé le Premier ministre parce qu'il y aura des solutions qui seront recherchées mais qu'on ne peut pas accepter ce précédent qui serait : plus on casse, plus on a de chance d'obtenir satisfaction, parce qu'à ce moment-là ça va être dans ce pays le chaos et la responsabilité du gouvernement elle est vis-à-vis du droit de faire respecter le droit, ce qui n'empêche pas de chercher des solutions. Et moi je me sens comme Breton mais comme citoyen Français très touché par ce qui se passe en Bretagne, mais pas qu'en Bretagne, et je regarde tout ce qui se passe sur le territoire français et je ne fais pas de privilège à la Bretagne parce que je suis né en Bretagne, que je suis Breton et de parents Bretons. Voilà !
ROLAND SICARD
Alors, la loi sur l'économie sociale et solidaire, vous la présentez aujourd'hui…
BENOIT HAMON
Oui !
ROLAND SICARD
C'est quoi d'ailleurs l'économie sociale et solidaire ?
BENOIT HAMON
Alors en chiffre c'est 2 millions 400.000 salariés en France, ce n'est pas rien, ce sont toutes les associations qui embauchent, ce sont toutes les coopératives, toutes les mutuelles, toutes les fondations. Qu'est-ce qu'elles ont en commun ? Ces entreprises, quand elles réalisent des profits, des bénéfices, elles ne servent pas ces bénéfices… ces bénéfices ne servent pas à rémunérer sous forme de dividende un actionnaire, ils sont réinjectés dans l'entreprise elle-même et c'est ce modèle qu'on appelle privé non lucratif que nous voulons valoriser par la loi sur l'économie sociale.
ROLAND SICARD
Qu'est-ce que la loi va changer, justement ?
BENOIT HAMON
Eh bien elle va permettre au secteur de changer d'échelle ! On va permettre à ces coopératives, ces associations qui parfois sont petites - une association ça peut être une petite association de soutien scolaire qui embauche 2 Emplois d'avenir près de chez vous pour aider vos enfants - mais ça peut être aussi la CROIX ROUGE, ça peut être le premier laboratoire pharmaceutique privé non lucratif GENETHON BIOPROD qui est leader mondial sur les thérapies génétiques - vous les connaissez c'est l'AFM TELETHON avec lequel FRANCE TELEVISIONS est partenaire et qui est le premier laboratoire pharmaceutique non lucratif de l'économie sociale et solidaire - ça peut être une grande mutuelle auprès de laquelle vous avez une complémentaire santé, pour tous ceux-là nous allons leur donner des moyens financiers mais aussi des moyens réglementaires de pouvoir changer d'échelle, grandir et donc développer l'ESS qui est un modèle tempérant, passionnant.
ROLAND SICARD
Il y a une mesure, il y a une mesure que conteste le patronat, c'est la cession des entreprises de moins de 5 ans aux salariés, les patrons devront prévenir 2 mois avant, pourquoi ?
BENOIT HAMON
Eh bien parce que nous considérons aujourd'hui que laisser disparaître chaque année 50.000 emplois dans des PME en bonne santé – je ne parle pas d'une PME qui n'a plus de marché – une PME en bonne santé qui ferme parce qu'il n‘y a pas de repreneur, c'est un gaspillage, un gâchis invraisemblable dans un pays qui connaît plus de 3 millions de chômeurs, on ne laisse pas disparaître 50.000 emplois comme ça. Et pourquoi il n'y a pas de repreneur ? Souvent parce qu'on ne pense pas que, dans son entreprise, les cadres, les salariés pourraient être les meilleurs repreneurs d'une entreprise qu'ils connaissent bien puisqu'ils y travaillent et ce que nous allons créer c'est un droit pour que tous les salariés dans les entreprises de moins de 50 salariés sachent que leur entreprise est à vendre - parce que souvent quand leur entreprise est à vendre ils sont à vendre aussi puisqu'ils sont dans l'entreprise – qu'ils le sachent et qu'ils puissent avoir le temps de formuler une offre pour être les repreneurs. SI grâce à cette mesure on sauve quelques milliers au début, voire quelques dizaines de milliers d'emplois, eh bien non seulement c'est bon économiquement mais c'est utile socialement parce qu'on aura démontré qu'un progrès social : la formation des salariés, eh bien ça sert aussi l'emploi et le maintien de l'activité.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 novembre 2013