Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec Europe 1 le 26 novembre 2013, sur l'abandon du système Louvois de réglement des soldes des militaires, la situation en Centrafrique et sur la loi de programmation militaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral


JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'abord un problème qui a l'air accessoire à certains, mais qui a provoqué beaucoup de manifestations, le système Louvois, qui doit régler chaque mois les soldes de 140 000 soldats, qui a accumulé des dysfonctionnements, provoqué la colère des familles, que décidez-vous, pour ou contre Louvois, si vous avez la réponse ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, j'ai décidé d'abandonner le système Louvois, et je l'expliquerai aux forces de la Brigade alpine en particulier, dans quelques jours, à Grenoble, parce que ce sont eux qui m'avaient indiqué les débuts du désastre qu'est ce dispositif.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Désastre ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Désastre, je n'hésite pas à dire le mot, vraie catastrophe, indigne d'un pays comme le nôtre, un dispositif qui a été mis en oeuvre dans la précipitation, dans la confusion, qui a été mis en oeuvre alors qu'on a supprimé l'ancien dispositif sans vérifier si le nouveau marchait, ce qui a abouti à des situations extrêmement pénibles.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire on avait mis l'informatique, oublié l'humain ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On a mis l'informatique avant même de mettre…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les comptables quoi !
JEAN-YVES LE DRIAN
Tout de suite, on a supprimé le dispositif antérieur avant que ça marche, donc, inévitablement, il n'y a pas eu d'expérimentation, il n'y a pas eu d'essai, tout ça s'est fait avec une volonté d'aboutir très vite, de supprimer des emplois très vite, et en réalité ça s'est traduit par des difficultés majeures pour nos soldats, qui un mois recevaient double de solde, le mois suivant pas de solde du tout, c'était devenu complètement erratique et ça a rendu très pénible la situation des familles et je comprends qu'il y ait eu de la colère. Donc j'ai décidé d'arrêter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour les militaires c'est un système spécifique, on ne va pas dire qui est responsable, on a cru comprendre, mais Louvois a été imaginé vers les années 96 et créé en 2010 par votre prédécesseur Hervé MORIN. Et Louvois, ce n'était pas réparable ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce n'était pas… on a essayé, on a essayé. Dès que j'ai pris conscience de la gravité de la situation, au mois de septembre de l'année dernière, en me rendant dans les unités, de la Brigade alpine précisément, on a essayé de, d'abord de compenser, de mettre en place un dispositif…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ça n'a pas marché.
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour ne pas pénaliser les soldats, les militaires, pendant 1 an, ça n'a pas marché parce que dès qu'on trouvait une panne, un mois, le mois suivant une autre panne se déclenchait, donc il faut arrêter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce que vous créez ? Vous créez un nouveau dispositif…
JEAN-YVES LE DRIAN
On va remettre en place un dispositif plus robuste, un dispositif qui va être préparé avec beaucoup de vigilance, qui va être expérimenté et qui va se mettre en place dans les mois qui viennent, mais il faudra un gros travail de préparation, je n'ai pas l'intention de recommencer la très mauvaise expérience que je viens de vivre. Je ne veux pas, sur ce point, ajouter de la polémique à la catastrophe, j'assume l'héritage, même s'il est difficile.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN, le Premier ministre du Centrafrique, qui était hier à Paris, au Quai d'Orsay, annonce 800 soldats français supplémentaires, bientôt, pour le Centrafrique, vous confirmez le chiffre ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez, la République centrafricaine est dans un état très grave, c'est un Etat en voie d'effondrement et il ne faudrait pas que le pays lui-même s'effondre. Il y a des exactions, des massacres, un chaos humanitaire qui s'accompagne d'un effondrement sécuritaire, une situation…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous aussi, vous dites on est près du génocide ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Une situation tellement grave que le président de la République en a saisi les Nations Unies au mois de septembre dernier, et il va y avoir une résolution des Nations Unies dans quelques jours…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Début décembre.
JEAN-YVES LE DRIAN
Dans quelques jours, qui va prévoir l'agenda pour faire en sorte que le calme, l'ordre, la sérénité, si c'est possible, reviennent sur ce territoire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne m'avez pas répondu, combien de soldats ?
JEAN-YVES LE DRIAN
La France, dans cette affaire, accompagnera une force africaine, qui est déjà en cours de constitution, composée d'éléments militaires venus des pays voisins pour faire en sorte que ce massacre arrête et qu'on soit…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne me répondez pas, autour de combien de soldats ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et qu'on soit en situation de rétablir l'ordre et la sérénité, et la France appuiera cette mission africaine, de l'ordre d'un millier de soldats pour une opération, qui n'a rien à voir avec le Mali. Au Mali il y avait une attaque de groupes jihadistes, terroristes, pour transformer le Mali en un Etat terroriste, là c'est l'effondrement d'un Etat, mais c'est aussi une tendance à l'affrontement confessionnel qui se prépare, et il faut…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pourquoi y aller nous, pourquoi la France encore ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Parce que la France a des responsabilités internationales, parce que la France est membre du Conseil de sécurité, parce que la France a une histoire avec la République centrafricaine, et parce que les Nations Unies nous demandent de le faire, mais nous le ferons en appui et non pas entrer en premiers comme nous avons pu le faire pour le Mali, et pour une période brève, parce qu'il faut rétablir l'ordre…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Brève, de combien, brève ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est de l'ordre de 6 mois à peu près, pour que ce pays puisse retrouver sa dignité et sa sérénité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La France n'ira pas seule…
JEAN-YVES LE DRIAN
Non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a un sommet qui va réunir les 6 et 7 décembre à Paris les Etats africains, est-ce que vous dites que l'opération se fera avant Noël ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne vais pas vous donner les dates.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais dites, si c'est avant Noël, autant le dire.
JEAN-YVES LE DRIAN
L'agenda sera déterminé par le Conseil de sécurité des Nations Unies qui va se réunir au début décembre pour fixer ce calendrier, il importe que nous soyons présents.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dernière question là-dessus. Est-ce qu'il s'agit de maintenir, comme avant, comme avant, en poste un président et un Premier ministre, même s'il vient à Paris, qui s'entretuent, qui sont des criminels et des corrompus ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Le Premier ministre et le président DJOTODIA ont été… sont des autorités de transition, autorités qui ont du mal à faire vivre un Etat qui s'effondre, ces autorités sont provisoires et seront remplacées. Elles ont été mises en place par les chefs d'Etat des pays africains voisins, elles ont une mission courte, pour que la sérénité et la démocratie reviennent dans ce pays.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ils partiront. Les députés examinent aujourd'hui la Loi de Programmation Militaire pour les prochaines années, 2014/2020, chaque fois que Bercy a besoin d'argent, soit il augmente les impôts, soit il réduit le budget de la Défense. Est-ce que vous êtes sûr que votre budget sera sanctuarisé ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui. L'engagement du chef de l'Etat a été très clair.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais il y a souvent Bercy et Matignon qui passent derrière.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais le texte que je proposerai ce soir aux députés présente toutes les garanties pour assurer la sanctuarisation de ce dispositif, 190 milliards d'euros sur 6 ans, c'est un montant important, mais c'est aussi un montant nécessaire pour que la France assure sa sécurité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça fait 31,4 milliards par an, 33 milliards la formation professionnelle. Sur EUROPE 1, Jean-Yves LE DRIAN, vous aviez promis ici des drones, vous attendiez l'accord du Congrès américain, si je me souviens bien, pour en acheter un ou deux. Est-ce que c'est fait ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Les deux premiers drones seront livrés avant la fin de l'année au Sahel, j'ai pris des engagements, je les tiens, et la Loi de Programmation Militaire prévoit 10 drones supplémentaires, sur la durée, pour assurer une sécurité du renseignement pour notre pays. On a bien vu dans l'opération du Mali que nous avions besoin de ces machines, pour des raisons que je n'explique pas encore, la France n'en possédait pas, l'Europe n'était pas en mesure de les produire, donc nous avons dû les acheter aux Etats-Unis, en attendant, je l'espère, un drone européen de nouvelle génération, dans les années qui viennent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Deux systèmes de drones, c'est-à-dire deux drones par système, c'est-à-dire quatre drones.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce sont des drones d'observation, qui ont pour objectif de regarder, de surveiller, les espaces sensibles, comme le Sahel l'est devenu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce sont des drones…
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce ne sont pas des drones de combat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas tueurs, ce ne sont pas des drones tueurs.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce sont des drones d'observation, et ce sont des drones pour les renseignements.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tout neufs ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Absolument.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Une ou deux questions politiques. Le Premier ministre impose au président de la République une réforme fiscale, dont il ne veut pas. Il inverse, le Premier ministre, un rapport d'autorité, est-ce que c'est durable longtemps, Monsieur le menhir breton, comme on dit ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Menhir breton… je pense que le président de la République et le Premier ministre sont en phase, il importe qu'il y ait une clarification fiscale qui se fasse. Le Premier ministre a engagé un travail lourd, je pense qu'il va y aboutir, en tout cas il prend les moyens pour cela, il importe qu'il y ait une plus grande lisibilité, une plus grande justice fiscale en France. C'est un chantier lourd, un chantier de longue durée, qui est engagé aujourd'hui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui protège aujourd'hui, y compris de lui-même, votre ami le président de la République, qui a l'air bien seul, même s'il consulte beaucoup, etc., la machine « hollandaise » a l'air bloquée, paralysée, par le doute, qui ose lui dire la vérité, et quelle vérité vous lui dites, vous ?
JEAN-YVES LE DRIAN
A chaque fois que j'ai eu à faire prendre des décisions sur le secteur dont j'ai la charge j'ai constaté qu'il y avait à la tête de l'Etat un homme d'Etat, ça a été le cas pour l'Afghanistan, ça a été le cas pour le Mali, ça a été le cas pour la Syrie…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Plus pour l'extérieur…
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est le cas pour l'Iran…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On vous parle de l'intérieur.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça sera le cas pour la République centrafricaine.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un homme d'Etat pour l'intérieur.
JEAN-YVES LE DRIAN
En ce qui concerne mes responsabilités, François HOLLANDE est un vrai chef d'Etat.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 novembre 2013