Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la réforme du statut d'inspecteur du travail et la législation sociale, Paris le 3 décembre 2013.

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Circonstance : Remise du diplôme d'inspecteur aux inspecteurs élèves du travail à Paris le 3 décembre 2013

Texte intégral


Je suis heureux de vous rencontrer et de remettre le diplôme d'inspecteur du travail à votre promotion des inspecteurs élèves sortant de l'INTEFP.
J'ai tenu à être présent parmi vous pour marquer l'importance que j'attache à cette cérémonie dans le contexte de la réforme en cours. Vous avez passé la dure épreuve de l'INTEFP, celle de la formation indispensable et celle de l'examen.
- Permettez-moi, en premier lieu, de vous féliciter d'être tous au rendez-vous de la sortie.
- Je me réjouis par ailleurs de voir la règle de parité entre les femmes et les hommes respectée dans cette promotion.
- Vous êtes aussi plusieurs à être issus de la voie interne, voie essentielle de promotion sociale que nous conserverons.
- Je n'oublie pas également que quatre d'entre vous viennent de la classe préparatoire intégrée mise en place par l'INTEFP.
Il est décisif que le corps d'inspecteur du travail soit un corps ouvert sur le monde dans toute sa diversité, comme il est dans cette dernière promotion.
J'en profite pour remercier l'INTEFP, son directeur Bernard Bailbé, et toute son équipe – que vous avez dû faire souffrir maintes fois durant ces mois de formation, et qui vous l'a sans doute bien rendu ! La séparation lui apportera sans doute un certain soulagement mais aussi une vague nostalgie. Le métier de former est un art difficile, particulièrement pour cette fonction et dans cette période. L'INTEFP sait y répondre avec efficacité et qualité.
1. Un métier d'histoire et d'actualité
Vous avez choisi de faire carrière dans un métier et une institution qui ont été importants à chaque période de notre histoire sociale.
Alors que nous nous approchons de l'année du centenaire, il me paraît important de me remémorer avec vous le contexte de 1914, pour puiser dans l'histoire une partie du sens de notre présent. Vous le savez, la Grande Guerre prend à contrepied le ministère du Travail l'obligeant à mettre en sommeil le droit du travail. La protection du travailleur est alors jugée hors de propos dans les souffrances. Dépassé et démembré, le ministère du Travail cède. Mais le ministre de l'armement, le socialiste Albert Thomas, s'empare de ce champ et prend le contre-pied des débuts de la guerre pour faire avancer de manière décisive la législation sociale. Quelle est sa conviction ? C'est en organisant le placement des chômeurs, en développant une négociation collective quasiment inexistante et en octroyant des droits sociaux que peut être réalisé l'effort de guerre. Autrement dit, la qualité sociale – toute relative qu'elle soit en temps de mobilisation nationale – n'est pas l'inverse de la performance. Au contraire, elle en est la condition première. Alors je fais le lien avec le présent. Point de guerre, mais une tentation de négliger le social au nom d'une soi-disant performance. Eh bien non, aujourd'hui comme hier, la performance passe par la qualité sociale !
Et hier tout autant qu'aujourd'hui l'inspecteur du travail est et restera déterminant pour notre monde du travail, que ce soit sur le champ de ce même travail ou dans celui de l'emploi.
2. Le sens et les enjeux du métier d'inspecteur
Ce métier – votre métier – d'inspecteur du travail, si particulier dans l'administration française, sans doute le seul à être régi par une convention internationale, est le produit de notre histoire. Je ne résiste pas à un nouveau détour d'histoire : citer un rapport du BIT datant de 1981 qui observe « qu'on attend de l'inspecteur du travail français, tel que l'histoire l'a situé au carrefour de l'activité économique et de la vie sociale, qu'avec une maîtrise permanente et un sens aigu des relations humaines il « dise le droit » dans la pratique quotidienne ; qu'il soit, sans être le plus souvent un technicien, à l'écoute des progrès de la technique et des risques qu'elle engendre ; qu'il se montre apte au raisonnement économique dans l'exercice des fonctions de conciliateur ; qu'il assume des responsabilités économico-politiques qui l'éloignent de sa vocation première de protecteur du travailleur ; qu'il se montre un administrateur avisé car des tâches de gestion lui seront parfois déléguées par l'administration centrale ; et enfin, à toutes ses aptitudes, on trouvera normal qu'il ajoute celle d'être le conseiller naturel des employeurs, des travailleurs, et de leurs organisations, l'éducateur lorsque la loi est nouvelle, le vulgarisateur lorsque l'application est complexe, sans que jamais, s'altèrent l'autorité et l'indépendance nécessaires à l'exercice de ses fonctions principales dont la phase la plus délicate est sans conteste son action répressive. »
Il y a dans cette observation sur l'inspecteur du travail de section faite par une institution aussi respectable que le BIT, une description – et une actualité – de toutes les attentes avec ses ambigüités pour ne pas dire ses contradictions, de la société française vis-à-vis de l'Etat et de l'inspection du travail. En même temps, nous saisissons toute la complexité de ce métier en section sur lequel près de la moitié d'entre vous seront affectés.
- C'est un métier difficile. Dans le champ du travail, la matière est étendue et complexe. Vous le savez, la conception généraliste qui caractérise notre pays – et que nous maintenons – oblige à maîtriser un domaine large et des règles aussi nombreuses que changeantes.
- Un métier difficile, aussi, car l'inspecteur est au contact permanent des acteurs des entreprises qui peuvent être en conflit.
- C'est encore un métier exigeant. Dès votre prise de poste, vous êtes titulaires de pouvoirs juridiques, pouvoirs de décision ou celui de relever des infractions par procès verbal, qui nécessitent de faire des choix parfois délicats ou épineux.
- Un métier exigeant aussi car, il est au cœur du monde du travail grâce à sa territorialité, c'est l'autre grande caractéristique de système français. L'inspecteur fait l'objet chaque jour de sollicitations multiples de la part des salariés, de leurs représentants ou des employeurs. Devant la multitude de missions et l'importance sans fin de la demande sociale, à qui doit-on répondre ? C'est là tout l'enjeu du métier. Je veux vous dire ce soir ma confiance et ma certitude que vous saurez vous acquitter de votre mission.
Le rapport du BIT de 1981 ne parle pas d'emploi et la formation professionnelle. Ces champs se sont ajoutés à votre tâche. En effet, nos services sont en première ligne sur les plans de sauvegarde de l'emploi avec ses dimensions économiques et sociales fortes, sans parler de ses aspects territoriaux. Les récentes évolutions législatives ont modifié nettement la posture de nos services qui n'est plus seulement de gérer des mesures ou des règles mais d'accompagner les acteurs de l'entreprise.
Autre enjeu supplémentaire, outre l'extension de la complexité et du domaine d'action, l'apparition de nouveaux acteurs. En matière d'insertion, par exemple, le rôle d'assemblage et d'impulsion que nous voulons développer pour assumer la responsabilité de l'Etat s'inscrit dans l'intervention d'une multitude d'acteurs et des financeurs comme la Région, les Départements et collectivités, les partenaires sociaux mais aussi des opérateurs, depuis le principal qu'est Pôle emploi jusqu'aux opérateurs plus spécialisés que sont par exemple les missions locales.
3. Un métier dans la réforme, une institution dans le changement
Alors j'en viens à la réforme en cours de l'inspection du travail. Son sens est clair :
- En matière d'emploi et la formation professionnelle, l'Etat, en charge de la politique de l'emploi, doit définir ses priorités dans chaque région en cohérence avec les autres acteurs. Le service public de l'emploi doit être modernisé. Les services de l'emploi doivent travailler de façon plus collective au sein des Direccte, des pôles 3 E, pour renforcer les liens entre l'emploi et la création d'activité, c'est-à-dire le développement économique. Renforcer les liens, cela doit aussi se faire entre le niveau régional et le niveau territorial, comme entre la dimension travail (pôle T) et la dimension emploi (pôle 3 E). Pourquoi, parce qu'avoir un emploi ne suffit pas, il faut que ce soit un bon emploi. J'ajoute que pour ce qui est de la formation professionnelle, le rôle régalien de l'Etat sera renforcé par l'extension des pouvoirs des services de contrôle.
- Le système d'inspection lui-même doit évoluer pour mieux faire face aux enjeux du monde du travail. Evoluer, cela signifie :
- renforcer ses compétences en transformant progressivement les postes d'agents de contrôle en postes d'inspecteurs du travail. Nous avons commencé ce mouvement par une première promotion de 130 contrôleurs. C'est une vraie promotion sociale.
- Etendre ses pouvoirs sur le plan pénal, la mise en place de sanctions administratives et l'extension de la procédure d'arrêt de travaux. Les réactions récentes d'organisations patronales montrent que ce volet – pour moi essentiel– aura un certain effet sur l'effectivité du droit du travail.
- Modifier son organisation pour la rendre plus collective et ciblée sur un petit nombre de priorités pour renforcer l'efficacité et changer les pratiques déviantes des entreprises. C'est pour cela que nous faisons les unités de contrôle qui conserveront l'approche territoriale et généraliste. C'est aussi pour cela que nous mettons en place les unités de contrôle régionales sur le travail illégal, les réseaux régionaux sur des risques professionnels, ou le groupe national de contrôle, d'appui et de veille. Cela ne signifie pas qu'en dehors de ce petit nombre de priorités qui relèveront de l'ordre public, l'inspecteur n'aura pas à traiter de la demande sociale.
Cette réforme, c'est le sens du progrès. Je sais que ce changement fait débat au sein des services et sans doute entre vous. Vous pouvez être interrogatifs et même critiques. Ce débat est légitime et nécessaire, et je l'ai voulu. Dès lors qu'il se tient dans des formes respectueuses pour tous. Depuis l'été 2012, nous avons organisé ce débat pour que l'inspection se confronte avec l'extérieur, qu'elle ne reste pas sur son pré carré, pour que les agents de toutes catégories échangent entre eux aussi sur leur utilité sociale, sur leur rôle, sur leurs modes d'intervention. Je veux une inspection ouverte sur son monde, une inspection qui soit force de proposition et acteur du changement dans les entreprises pour faire avancer le progrès social.
Je le redis avec force, l'indépendance des agents de l'inspection du travail – qui résulte de la convention de l'OIT et est reconnue comme un principe général de notre droit par les plus hautes autorités judiciaires de notre pays – sera respectée. Au-delà de cet argument juridique fort, ce principe sera appliqué tout simplement parce qu'il en va de l'efficacité et de l'identité même de l'inspection du travail.
Je m'attache à défendre l'inspection à chaque fois qu'elle est attaquée et je continuerai à le faire. Chaque agression d'un agent atteint l'ensemble du service. Mais, j'insiste sur ce point : la responsabilité engage.
- Elle engage chaque agent,
- Elle engage chacun d'entre vous.
- Elle engage aussi le corps de l'inspection. Bien entendu, vous aurez comme fonctionnaires, à respecter les obligations de la Fonction publique. Qui dit responsabilité dit déontologie. La déontologie fixe les principes sur lesquels la responsabilité se fonde. L'inspection doit s'appliquer aussi un ensemble de devoirs professionnels qui se construisent autour de règles et de valeurs partagées. Cette déontologie protège contre les risques d'arbitraire comme elle protège les agents eux-mêmes.
Votre nomination arrive bien. Vous allez être plongés dans les réflexions en cours dans les Direccte qui construisent les services et les métiers de demain. Vous pourrez contribuer ainsi à leur édification et à leur modernisation. Je compte sur vous pour être acteurs du changement à l'intérieur de nos services pour que l'inspection du travail et les services de l'emploi soient pleinement porteurs des changements qu'attend la société française.
Nous avons besoin de vous pour rendre le ministère du travail plus fort.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 6 décembre 2013