Texte intégral
THOMAS SOTTO
L'interview politique d'EUROPE 1, Jean-Pierre ELKABBACH vous recevez ce matin le ministre de l'Education nationale, Vincent PEILLON. Messieurs, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour vous aussi, c'est la rentrée. Vous avez revêtu votre tenue de combat pour réduire le décrochage au collège et au lycée. Bienvenu, Vincent PEILLON, bonjour.
VINCENT PEILLON
Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En 2013, vous avez donc raccroché, avec vos équipes, assez de jeunes exclus, pour promettre un objectif plus ambitieux pour 2014. Des chiffres ?
VINCENT PEILLON
Oh, les chiffres, ils sont... il y a à peu près 140 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire, on le sait, sans qualification, sans diplôme. C'est un désastre, c'est 25 % d'une génération, et on sait qu'ils seront, vous me parliez du chômage tout à l'heure, deux fois plus au chômage que les autres. Et ils ont des destins qui sont des destins brisés. Je considère, mais toute la communauté, éducative, nous avons la franchise, la loyauté de dire « nous sommes responsables de cette situation ». Ce n'est pas eux qui sont fautifs, c'est le système qui les produit. C'est un échec considérable. Vous avez vu PISA il y a quelques temps, et donc les chiffres, le président de la République nous avait demandé de diviser par deux, dans le quinquennat, j'avais fixé comme objectif la première année, 20 000, en raccrocher 20 000, nous avons pu raccrocher cette année 23 000 et peut-être un peu plus de 30 000 si on considère la totalité des actions que nous déployons. Donc, des jeunes, qui avaient quitté le système et que nous avons ramenés dans une formation, un apprentissage en lycée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, 30 000 en 2013 et comme objectif pour 2014 ?
VINCENT PEILLON
23 000, plus ceux qui sont pris en charge, et je veux monter, l'objectif était de 20 000, passer à 25 000 pour l'année qui vient.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi on les appelle des décrocheurs et pas des décrochés ?
VINCENT PEILLON
Vous avez raison...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Des blessés du système.
VINCENT PEILLON
Mais c'est vous qui avez raison, je n'aime pas ce terme de décrocheur, d'ailleurs, et c'est ce que je vous disais à l'instant, je considère que le premier acte était que les uns et les autres nous prenons conscience de notre responsabilité sur la nature de l'école. Mais permettez-moi de dire une chose, ça ça concerne, c'est comme si vous voulez une prise en charge de quelqu'un qui serait déjà malade, c'est donc de la réparation. Il est parti, il est absent, il n'est plus là...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et on va le chercher...
VINCENT PEILLON
On va le chercher.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va l'identifier, on va le chercher, on va l'appeler, on va le prendre, un par un.
VINCENT PEILLON
Voilà, il faut le faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça c'est magnifique.
VINCENT PEILLON
Voilà, mais la grande tâche, c'est de tarir la source, c'est la prévention...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui.
VINCENT PEILLON
Et ça c'est la refondation de l'école.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous dites que les enseignants qui n'ont pas su les raccrocher ou les garder, ne sont pas forcément innocents, parce qu'ils sont généralement épargnés, et vous vous interrogez sur le système éducatif qui est défaillant. Vous dites, vous, qu'il est défaillant, puisqu'il fabrique chaque année 140 000. Vous, vous faites, je ne dis pas du bricolage, vous en sauvez, 25 000, 30 000, c'est formidable, mais les autres 110 000 ?
VINCENT PEILLON
Bien entendu...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi on les fabrique, chaque année ?
VINCENT PEILLON
Oui, bien entendu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La faute à qui ?
VINCENT PEILLON
La faute à des décennies de laisser aller sur l'école, et en particulier les dix dernières années. La priorité fixée par le président de la République, c'est-à-dire la refondation de l'école de la République, qui va nous mettre à faire des choses quand même élémentaires, une formation des enseignants, c'était peut-être quand même utile, une formation...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce que vous avez du mal à faire, parce que l'école, ou les écoles de profs que vous essayez d'ouvrir pour apprendre à enseigner, on voit bien que cette bonne volonté de votre part n'est pas récompensée, elle n'attire pas, elle ne marche pas.
VINCENT PEILLON
Elles attirent 50 % en plus de candidats aux postes de professeurs, en deux ans, c'est un très grand succès pour le pays. Est-ce que ce pays va être à un moment capable de travailler ses dossiers, de s'intéresser aux choses fondamentales et de reconnaitre, comme vous le matin...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous dites ça aussi aux enseignants ?
VINCENT PEILLON
Mais bien entendu, je leur dis bravo, et je dis bravo à la jeunesse française, qui est venue s'inscrire pour devenir professeur, le plus beau métier du monde, alors que tous les adultes étaient là à dire : c'est épouvantable, ils ne veulent pas, les jeunes ne veulent pas travailler, le métier de prof ceci. Eux, ils sont présents, au rendez-vous de la refondation de l'école.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vincent PEILLON le raccommodeur ou le raccrocheur en chef de l'école, comment vous allez passer à 25, 30 000 l'année prochaine ?
VINCENT PEILLON
Comment ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment vous préviendrez, vous ferez de la prévention pour ces décrochages ?
VINCENT PEILLON
Alors, sur le décrochage, les systèmes « Focal », c'est comme ça que ça s'appelle, marchent bien, on va les amplifier, on mobilise tout le monde, les entreprises, les centres d'apprentissage, les lycées expérimentaux, je rends hommage à Martin HIRSCH, l'Agence du service civique et je serai tout à l'heure avec son successeur, François CHEREQUE, et en même temps, notre souci c'est évidemment de tarir la source, ça c'est la refondation complète de l'école, c'est les programmes, c'est la formation des enseignants, c'est le temps scolaire, c'est la lutte contre le harcèlement...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne parlez pas du rythme scolaire.
VINCENT PEILLON
C'est le temps scolaire, on ne pouvait pas être le seul pays du monde à avoir le plus mauvais temps scolaire, qui comme toujours s'analyse...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça continu en 2014, même s'il y a des réticences, des résistances.
VINCENT PEILLON
Ça continue, mais ça s'accomplit définitivement, c'est-à-dire que tous les enfants, à la rentrée 2014, auront classe le mercredi matin, du meilleur temps pour apprendre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'essentiel, vous dites, votre budget, Monsieur le Ministre de l'Education nationale, c'est 64 milliards environ, 1 million de fonctionnaires. Le président de la République promet la réduction et demande la réduction des dépenses publiques, quelle sera votre contribution à cet effort ?
VINCENT PEILLON
C'est une contribution qui joue sur tous les éléments qui sont les nôtres, alors c'est un peu technique, ça s'appelle le « hors titre 2 », et tous les grands opérateurs...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Combien ? Quoi ?
VINCENT PEILLON
Par exemple l'ONISEP, le CNDP, c'est 6 à 7 %, c'est les subventions que j'accorde à beaucoup d'associations, donc l'Education nationale, contrairement à ce que j'entends, participe, sauf pour le recrutement des fonctionnaires, puisque nous avons cette priorité, pour encadrer les élèves, participe de l'effort de la Nation.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand le racisme devient aussi courant, qu'il remplit les salles, Bruno LE MAIRE estime que la France a failli en matière d'éducation. C'est peut-être de sa part un mea culpa, mais c'est en même temps une sacrée critique du système. Est-ce que vous êtes d'accord au moins avec cela ?
VINCENT PEILLON
Ma tâche c'est de faire comprendre que la refondation de l'école, qui sera la refondation de la République elle-même, c'est pas une tâche simplement technique, nous portons des valeurs. La république se construit autour de valeurs, c'est pour ça que dès le début j'ai souhaité l'enseignement de la morale laïque...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, d'accord, d'accord...
VINCENT PEILLON
Que j'ai mis en place la charte de la laïcité...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, que tant de jeunes, pardon, que tant de jeunes puissent rire des délires de Dieudonné M'BALA M'BALA, ils ne savent pas de quelle tragédie il s'agit.
VINCENT PEILLON
Non non non non non...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Hier, on a appris qu'il y avait deux lycéens de Montgeron-Essonne...
VINCENT PEILLON
Jean-Pierre ELKABBACH, c'est une facilité !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui on été brièvement gardé à vue avant-hier...
VINCENT PEILLON
Vous vous accordez des facilités !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas du tout !
VINCENT PEILLON
Ce n'est pas plus les jeunes que les vieux, et les vieux ont une responsabilité...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais à l'école...
VINCENT PEILLON
J'ai 12 millions d'élèves qui font cette rentrée, il y a deux élèves qui ont failli. Laissez-nous nous en occuper plutôt que d'en faire la Une de tous les journaux. C'est plus intéressant de parler des vrais sujets, quand on est un adulte...
Brouhaha
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'ils doivent être sanctionnés ?
VINCENT PEILLON
Ils le sont, ils le sont déjà.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et est-ce que tout ceux qui feront la même chose, seront l'objet d'une sévérité exemplaire ?
VINCENT PEILLON
Mais vous êtes quelqu'un de cultivé, vous savez que l'on apprend par imitation, et plus on fera la Une des journaux sur deux élèves sur 12 millions qui ont fait une faute, plus on donnera aux autres, l'envie de faire la même chose pour qu'on parle d'eux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La faute à qui ?
VINCENT PEILLON
La faute à vous !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non.
VINCENT PEILLON
Il faut arrêter...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La faute à qui ?
VINCENT PEILLON
Il faut arrêter chaque fois de prendre les mauvais exemples, il y a assez de gens qui font bien, et je vous le dis, que ce soit pour les mamans accompagnatrices, que ce soit pour ces signes, nous, nous voulons l'école de la République. Je suis intransigeant dans l'école, chacun le sait, sur les valeurs de la laïcité, mais je veux en même temps, que ce soit pour les adultes eux-mêmes, un comportement, une exigence, et donc...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui...
VINCENT PEILLON
Et donc cessons les faits divers, cessons de montrer ce qui ne marche pas...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pourquoi ? Mais comment des faits divers, ce sont des faits de grave atteinte à la morale et à l'éthique républicaine, que dans certaines écoles de la République on ne puisse pas enseigner la Shoah, le racisme, il y a quelque chose qui ne va pas très bien dans les écoles de la République et dans la République elle-même.
VINCENT PEILLON
Alors, si c'est ça, vous avez raison, mais ça n'est pas ça. Et c'est bien ce qui est inscrit dans la charte de la laïcité. Je ne tolèrerai pas que dans aucune école, aucun professeur puisse être en difficultés, sur un apprentissage quel qu'il soit, l'évolution ou évidemment la Shoah. Et je vous le dis, ça ne se produira pas. Mais ce que je voudrais aussi, c'est que nous montrons que nous soyons capables de montrer, dans les exemples que nous avons donnés à la jeunesse, qu'il y a des tas de gens très bien, qu'il faut honorer...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien.
VINCENT PEILLON
... mais pas chaque fois, quand il y a un problème sur un ensemble de choses, le monter...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il ne fallait pas faire de la publicité à monsieur Dieudonné M'BALA M'BALA, pas... peut-être appliquer la loi, sans faire tout un cinéma sur les circulaires qui ne seront probablement pas tout-à-fait appliquées.
VINCENT PEILLON
Il y a une nécessité d'intervenir. Pour ce qui est l'école, vous savez, je l'ai demandé souvent, vous le savez, je veux qu'elle soit un sanctuaire dans lequel les principes de la République s'appliquent...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n'est pas encore le cas.
VINCENT PEILLON
Absolument, et que pour cela, je demande aussi que l'on fasse attention à ne pas chaque fois mettre en exergue...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dernière question.
VINCENT PEILLON
Je vous en prie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que vous êtes un politique. Lors de vos voeux, vous avez dit aux enseignants : nous avons encore beaucoup de choses à faire ensemble. Est-ce que ce n'est pas un mensonge, puisque vous serez tête de liste aux européennes dans quatre mois, et à ce moment-là, si vous êtes élu et que vous êtes sommé de choisir, est-ce que vous restez à l'Education, ou est-ce que vous partez ?
VINCENT PEILLON
Je ne serai pas sommé de choisir, j'ai un choix à faire, mais l'école c'est ma vie, ça n'a pas commencé simplement comme ministre, et je voudrais le dire, le « nous » que j'emploie en permanence, c'est un nous pour tout le monde, vous êtes tous des enfants de l'école de la République...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, d'accord, ça...
VINCENT PEILLON
Elle n'est pas ma propriété...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord.
VINCENT PEILLON
Donc je continuerai. Ma tâche, elle est exaltante !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous continuerez quoi, comme ministre ?
VINCENT PEILLON
Mais bien entendu, comme ministre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui député européen ?
VINCENT PEILLON
Non, comme ministre, je l'ai dit à de nombreuses reprises...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et le cumul des mandats ?
VINCENT PEILLON
Il n'y a pas de cumul des mandats. Vous voyez, il y a un problème d'instruction civique, c'est pour ça que je la remets en place. Il n'y a pas de cumul des mandats, d'ailleurs depuis 97 je n'ai jamais cumulé un mandat, on était deux ou trois dans le...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça sera l'occasion à partir de la fin de l'année.
VINCENT PEILLON
Mais il n'y a pas de mandat, puisque vous démissionnez immédiatement, comme le font tous les ministres dans les postes de député. C'est la même chose. Ce que vous acceptez pour les députés français, vous ne le comprenez pas pour les députés européens. C'est assez compliqué...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous pouvez mener les deux combats en même temps.
VINCENT PEILLON
Non, l'action sur la campagne, oui, mais après vous n'avez pas les deux fonctions en même temps.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ah...
VINCENT PEILLON
Mais si vous voulez qu'on fasse...
THOMAS SOTTO
On a compris.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On en reparlera
VINCENT PEILLON
... cette explication, on la fera avec plaisir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
... et assez longuement. Merci d'être venu, Vincent PEILLON.
THOMAS SOTTO
Une fois élu au Parlement, il démissionne pour reprendre sa place de ministre, et puis...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il va faire campagne, et il y a beaucoup de choses dans le Sud-est.
THOMAS SOTTO
Et il va faire campagne. Merci beaucoup, Vincent PEILLON, d'être venu ce matin, sur EUROPE 1.
VINCENT PEILLON
Merci à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci Jean-Pierre ELKABBACH, on vous retrouve demain matin, à 08h20.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 janvier 2014