Texte intégral
Je suis heureux de vous recevoir ici, rue de Grenelle, pour vous adresser mes meilleurs vux, et saluer avec vous le commencement d'une année nouvelle. Je vous parlerai aussi de 2013 mais comme l'attente et l'espoir l'emportent toujours sur le souvenir d'une année déjà derrière nous, je veux d'abord dire « vive 2014 ».
« Forces vives », disais-je à votre endroit, vous qui prenez une part éminente dans la vie du pays. Ce serait une vue bien limitée que de contenir l'image de la France à son Etat, son appareil institutionnel et ses corps constitués : notre pays déborde ces institutions, et c'est heureux.
Vous représentez des associations, des syndicats, des organisations qui animent la vie du pays, qui expriment une part de sa réalité, de ses aspirations. Votre présence, aujourd'hui, atteste du fait que cette expression est écoutée, doit être écoutée, et même attentivement.
« Vive 2014 », je le redis, et « adieu 2013 », année sur laquelle il a flotté un parfum comment dirais-je de frustration dans un pays qui donne parfois l'impression de peiner à s'aimer lui-même. Tous, nous avons vu fleurir ici ou là les commentaires acerbes de ceux qui voudraient faire de la France l'Allemagne ou la Grande-Bretagne ;
- Ceux qui voient la France comme un vieux pays archaïque et irréformable, « une bombe à retardement », « un pays qui chute » ;
- Ceux pour qui le jeu de massacre du dénigrement est une « rente médiatique », les prophètes du « notre pays décroche »,
- Et presque pire encore, ceux qui ne voient aucune alternative à la doxa libérale qui pourtant nous a conduit dans bien des impasses
Je ne veux pas polémiquer. Chacun regardera, par delà les taux de chômage ou les indices de moral des ménages, l'état réel des pays concernés, de la précarité à la fécondité, de la créativité à la productivité, du coût du travail au dialogue social. Chacun a ses atouts, nos amis britanniques ou nos amis allemands en ont, mais notre pays aussi en a aussi, et de solides ! C'est un sujet que j'ai souvent abordé avec mon homologue allemande, Ursula von der Leyen, désormais première femme à occuper le poste de ministre de la Défense. [ ]
Chacun a ses atouts, et chacun a ses faiblesses qu'il faut corriger.
Je sais qu'il reste beaucoup à faire, dans chacun de nos pays, beaucoup à faire en France. Ce n'est pas l'affaire seulement du Gouvernement, c'est l'affaire de tous, et au premier chef des forces vives ici réunies.
De 2013, je retire une certitude. On ne réforme pas un pays au bulldozer en criant « rupture, rupture, rupture » : c'est le meilleur moyen pour que rien ne change. Non :
- on réforme AVEC et pas contre les premiers intéressés ;
- on réforme en pariant sur l'intelligence collective des acteurs que vous êtes ;
- on réforme par le dialogue social, qui n'efface pas les divergences d'intérêts et les conflits ils existent - mais qui permet de les dépasser ;
- on réforme avec le temps de ce dialogue, qui n'est pas un temps perdu mais un temps gagné, vous en avez fait encore la démonstration en 2013 Ce temps nécessaire, vous le savez comme moi, n'est pas toujours bien accepté par nos concitoyens, par les chômeurs impatients de retrouver le chemin de l'emploi, par les salariés préoccupés de leur pouvoir d'achat, par les entreprises inquiètes d'une conjoncture difficile et en attente de simplifications et de réformes. C'est pourquoi nous avons le devoir de trouver le bon équilibre entre la réponse à cette urgence sociale et économique, et la conception de réponses durables, en profondeur, refondatrices, dont notre pays a besoin.
2013 llustré parfaitement cette recherche d'équilibre :
- D'un côté, nous avons mobilisé pour parvenir à retourner la courbe du chômage une politique de l'emploi extraordinairement active, basée sur de nouveaux outils comme les Emplois d'Avenir ou la Garantie jeunes, ou sur des formes existantes d'emplois aidés dont nous avons amélioré la qualité et la durée, ou sur des mobilisations partenariales comme nous l'avons fait ensemble sur les 30 000 formations prioritaires.
- De l'autre côté, 2013 a été exceptionnellement riche de ce que l'on appelle parfois des « réformes structurelles » mais que je préfère appeler des changements en profondeur, durables, des nouveaux équilibres « gagnant-gagnant » (gagnant pour la compétitivité de l'économie et des entreprises, gagnant pour l'emploi, gagnant pour le progrès social) :
- Sécurisation de l'emploi, avec l'accord du 11 janvier puis la loi du 14 juin, et les débuts de son application depuis le 1er juillet
- Contrat de génération avec la loi du 1er mars, traduction de l'accord d'octobre 2012
- Qualité de vie au travail, avec l'accord du 19 juin et ses prolongements
- Création du compte de prévention de la pénibilité, après le rapport Moreau, la concertation retraite, la loi bientôt promulguée une vraie révolution sur un sujet agité depuis plus de 10 ans mais jamais résolu
- Formation professionnelle avec l'accord du 14 décembre, un projet de loi au conseil d'Etat depuis quelques jours,
- Démocratie sociale, avec enfin un processus pour établir la représentativité patronale, avec enfin un mode de financement des organisations syndicales et professionnelles clair, transparent, juste, détaché des organismes gérés
- Combat contre les fraudes au détachement, pour une directive européenne d'application ambitieuse et exigeante que nous avons obtenue grâce à une position extrêmement ferme dans la négociation
- Refonte, là encore en profondeur, de notre système d'inspection du travail, pour l'adapter aux enjeux nouveaux du monde du travail, renforcer ses compétences, ses pouvoirs, l'efficacité de son organisation
Je pourrais encore allonger cette liste, parler réforme de l'insertion par l'activité économique, parler PPL sur les reprises de sites rentables, parler travail du dimanche, parler sauvetage de l'AFPA, parler égalité professionnelle, parler grande conférence sociale, etc mais je m'arrête là car vous avez compris le sens général de mon message :
- Notre pays peut avancer, trouver de nouveaux équilibres dynamiques
- Il peut le faire en visant des résultats à court terme, il peut le faire aussi en visant des résultats à plus long terme, des changements profonds
- Il peut le faire en prenant le temps du dialogue, de la concertation, de la négociation,
- Mais il peut le faire vite, et bien : même si tout n'est pas parfait, tout n'est pas réussi, regardez ce que nous avons fait, ensemble, en seulement une petite année !
Votre serviteur, avec tout le Gouvernement, avec les équipes de ce ministère -des directions, de Pôle emploi- a mené en 2013, et va mener en 2014 -avec vous toujours- ces grands chantiers. Des chantiers de transformation et de progrès, pour l'emploi, pour la compétitivité économique et sociale (qui vont de pair), pour la sécurisation professionnelle, pour la qualité du travail.
Je n'ignore pas le niveau de défiance colossal de nos concitoyens vis-à-vis de la politique. C'est aussi à cela que nous devons répondre, en affirmant une crédibilité, une continuité, une cohérence. Que chacun range ses « big bangs », car ils ne changeront rien ainsi. Nous transformerons par le dialogue, en construisant une démocratie sociale active, avec des acteurs légitimes et représentatifs.
Ce sera à nouveau le cas en 2014, vous l'avez compris.
Et 2014, ce sera encore et toujours une priorité, une exigence, une bataille mère de toutes les batailles : inverser durablement la courbe du chômage ! Une inversion engagée à la fin de 2013, pour qui veut bien regarder les chiffres avec sérieux et rigueur, et même engagée depuis 6 mois pour les jeunes. Je veux y revenir un instant, même si j'ai l'impression de m'être si souvent exprimé sur cette ambition.
Par la politique de l'emploi comme par la politique de croissance, nous nous battons farouchement contre des ennemis parfois invisibles et qui nous dépassent : la conjoncture, le moral des entrepreneurs, les fermetures d'usines, le déficit de formation des travailleurs, la difficulté des employeurs à formaliser les compétences qu'ils recherchent, l'absence de visibilité. Nous ne promettons pas des miracles, mais le volontarisme d'une mobilisation de tous. Cette mobilisation nous lui avons donné un nom : l'inversion de la courbe du chômage.
Je le redis, une fois encore : ce n'est pas un pari, une pièce jetée en l'air. Ce n'est pas plus un serment ce ne serait pas prendre les Français au sérieux. C'est un engagement, dans le sens premier du terme, celui de toutes nos forces engagées et mises au service d'un objectif ! Je dis bien de toutes nos forces : l'inversion de la courbe est votre affaire comme elle est la nôtre, elle sera votre succès comme elle sera le nôtre.
C'est maintenant qu'il faut que chacun s'engage, et pour commencer résiste à la tentation des postures ou des excuses faciles. Les uns dans le coût du travail qui serait excessif, ou dans l'épaisseur du code du travail ; les autres dans l'assimilation des adaptations parfois nécessaires à une « casse sociale ». Chaque sujet peut être légitimement regardé, mais nous ne pouvons en rester à ces postures.
Je le dis à tous avec beaucoup d'amitié et nul ne peut me suspecter de vouloir discréditer les partenaires sociaux : nous pouvons réussir ensemble sans pour autant partager les mêmes intérêts. Les libéraux ont tort de dire que « tout le monde est dans le même bateau ». Moi, j'assume d'être un social-démocrate et je dis à l'inverse qu'il faut être différents pour trouver des compromis.
Voilà l'appel de 2014 qui nous est lancé, pouvoirs publics, organisations syndicales et patronales comme à toutes les forces vives.
Nous aurons beaucoup d'occasions de nous retrouver en 2014, pour nouer comme le Président de la République nous y a invite un véritable « pacte de responsabilité ». Il ne m'appartient pas d'en développer les prémisses le Président de la République le fera lui-même dans les prochains jours- mais nous y trouverons, comme dans la démarche de remise à plat fiscale engagée par le Premier Ministre, comme dans la feuille de route de la Grande Conférence Sociale que je porte, le même esprit de dialogue social qui nous a animé depuis 18 mois.
2014, ce sera aussi l'année de la mise en uvre d'un certain nombre des outils nouveaux que nous avons créés. Je pense au compte de prévention de la pénibilité qui devra être opérationnel à la fin de l'année, et je sais que certains d'entre vous sont inquiets de notre capacité à le mettre en uvre avec la simplicité requise : ce sera l'un de nos grands défi 2014. Autre défi, la loi sur la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale, qui sera présentée au conseil des ministres le 22 janvier prochain à peine 6 semaines après l'ANI, un genre de nouveau record mondial ! Loi qui sera ensuite votée, dans les deux chambres, pour la fin du mois de février, et nous aurons un immense chantier de mise en uvre opérationnelle pour que le Compte Personnel de Formation soit lui aussi opérationnel à la fin de l'année.
Je ne développe pas, là encore, tous les autres chantiers de l'année qui s'ouvre, de la future PPL sur le combat contre les fraudes au détachement à la future PPL sur les stages, de la future loi sur le travail du dimanche à la négociation sur l'assurance chômage et ses suites, de la mise en uvre de la « garantie jeunesse » européenne au futur plan santé au travail à construire en 2014, etc
Je voudrais terminer sur un mot de vision lointaine, à l'horizon d'une décennie plutôt que d'une année. Nous parlons sans cesse de modèle social et j'ai utilisé moi-même cette expression. L'enjeu aujourd'hui est d'en définir le contenu, qui n'est plus celui d'hier, mais qui n'est pas non plus ce que le libéralisme voudrait nous imposer.
Ma vision du modèle social français demain ou après demain est la suivante : là où la protection sociale s'est construite hier sur des carrières stables et continues, la discontinuité s'est imposée progressivement. Nous changeons d'emploi, d'entreprise, de régime de retraite, que ce soit voulu ou subi. Notre effort doit désormais se porter sur les transitions et les changements de situations pour que les formes de sécurité et de protection sociale ne s'interrompent jamais. Par sécurité et protection sociale, il faut entendre la poursuite des droits à la retraite, mais aussi la conservation des droits formation, de la mutuelle, la mémoire de la pénibilité des tâches exercées par exemple. Car c'est justement au moment des transitions qu'il faut pouvoir avoir recours à tout ce qui fait la protection.
Demain, c'est là que doit être notre effort, dans une protection sociale attachée à la personne et diffusant tout ses effets dans les moments de transition, de sorte que plus personne ne se sente jamais abandonné. Voilà une « politique de dignité » autant qu'une révolution copernicienne. Elle a commencé. Le compte personnel de formation en est le meilleur exemple. C'est le travail d'une décennie mais nous avons défini ce que doit être le modèle social à la française.
Alors, au final, je suis persuadé que c'est ainsi que nous vaincrons définitivement le chômage : en l'effaçant dans une trajectoire continue de sécurité et de protection sociale qui parvienne à séparer l'inactivité momentanée de la perte de statut, de droits, d'utilité, d'accès à la protection sociale et de sortie du monde du travail, qu'induit le chômage. Oui, le chômage devra demain s'effacer dans la sécurisation de l'emploi, des personnes, couvertures sociales et des compétences. Nous finirons, j'en suis persuadé, par le prouver demain, ou après demain.
Je finis avec le principal : mes vux pour vous, pour chacune et chacun d'entre vous.
Dans ce ministère plus que dans tout autre, l'humain est au cur de tout, et ce moment des vux est l'occasion de l'affirmer particulièrement.
Chacune et chacun d'entre vous, au-delà de ses fonctions, de ses mandats, de son rôle dans notre jeu social, a sa propre vie, ses proches, ceux et celles qu'il aime et qui l'aiment, ses passions, ses blessures parfois.
Alors pour chacune et chacun d'entre vous personnellement, avec toute ma sincérité, et toute mon amitié, « d'homme à homme » (ou « à femme »), je vous souhaite une belle année 2014, heureuse, souriante, dense, chaleureuse, pleine de réussites individuelles et collectives.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 10 janvier 2014