Texte intégral
Q - Après l'élection de Ehud Barak, la France a réaffirmé sa détermination et sa disponibilité pour aider la relance du processus de paix. Quelles sont les mesures que vous comptez entreprendre dans les prochains jours avec vos partenaires américains, russes et arabes ?
R - Historiquement, la France a joué un rôle de premier plan pour que le processus de paix devienne concevable, à une époque où c'était impensable, et pour les uns et pour les autres. A chaque étape, ensuite, la France a été là en lançant des idées, en préparant l'évolution des esprits, en habituant les Israéliens et les Palestiniens à se reconnaître comme étant des interlocuteurs. La France a soutenu tout ce qui s'est passé à Oslo, à Madrid, tout le travail qui a été fait par le gouvernement Rabin/Pérès. De même elle a encouragé depuis des années et des années l'évolution positive et constructive de l'OLP et tout ce qui était conduit par Yasser Arafat.
C'est d'ailleurs pour cela que la France est un des pays qui avait été le plus déçu par le blocage du processus de paix qui avait été mis en oeuvre par M. Netanyahou qui, d'ailleurs, avait appliqué son programme en faisant cela, puisque, en quelque sorte, il l'avait annoncé à l'avance. Il disait qu'il continuait, mais à force d'obstructions, d'entraves, de complications et d'accords non appliqués, finalement, le processus était complètement arrêté. De fait, après que les électeurs israéliens ont écarté massivement M. Netanyahou pour un certain nombre de raisons - dont le processus de paix, mais aussi pour d'autres raisons internes à Israël -, nous avons éprouvé un sentiment de très grande joie et de grande espérance par rapport à l'action qui peut être conduite maintenant par M. Barak.
Je dirai qu'il faut lui laisser quand même un minimum de temps pour s'organiser. Il a commencé à prendre des contacts pour savoir quel type de gouvernement il va constituer. Vous savez que compte tenu de la composition de la Knesset, il a le choix entre au moins trois hypothèses. Il faut aussi savoir quel est ce gouvernement, comment il est composé, comment il est soutenu à la Knesset, pour savoir quelle sera exactement sa ligne. Mais on sait qu'il se place dans la continuité de l'action de M. Rabin et qu'il sera pour la défense des intérêts israéliens, dans la négociation qui va maintenant reprendre, un négociateur exigent et difficile. Il défendra ses intérêts, c'est normal, mais qu'en même temps il le fera avec le désir de trouver une solution, donc d'avancer. C'est toute la différence entre un processus qui était complètement bloqué et un processus qui va reprendre, même s'il est difficile. C'est ce sur quoi se fonde l'espoir dont nous parlions.
Par rapport à cela, je ne peux que confirmer la disponibilité de la France à chaque étape. Nous sommes désireux et décidés à jouer le rôle le plus utile possible dans la relance de ce processus. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que nous allons d'abord réactiver nos relations avec le gouvernement israélien. Elles n'ont jamais cessé naturellement, mais elles sont plus ou moins confiantes, plus ou moins chaleureuses et surtout plus ou moins constructives et productives, selon les contextes politiques. Dès que le gouvernement israélien sera constitué, je prendrai contact avec mon homologue - je ne sais pas qui il sera - pour voir sous quelle forme nous pouvons travailler ensemble. Je souhaite que ce soit de la façon la plus étroite et la plus intense. Je verrai avec lui à ce moment-là s'il peut venir en visite à Paris, ou si j'irai le voir, nous nous mettrons d'accord à ce moment-là. Je rappelle que dès la proclamation des résultats, le président Chirac a d'ailleurs invité M. Barak à venir à Paris à un moment qui n'est pas fixé et qui reste à convenir.
Naturellement, ceci se complétera par la poursuite de la relation très intense que nous avons avec les responsables palestiniens, que ce soit là-bas, ici, ou ailleurs dans le monde. C'est maintenant une relation continue et forte : entre la France et les responsables palestiniens, il s'est noué, au fil des années une relation de travail et d'amitié qui est appelée à avoir une très grande importance dans la phase qui vient, à la fois en ce qui concerne l'organisation du côté palestinien et la négociation qui s'annonce pour le statut final.
Je n'oublie pas non plus les autres volets. M. Barak a fait des annonces en ce qui concerne le retrait au Sud-Liban. Dans cette dimension, dans cette configuration sensible de relations entre Israël, la Syrie et le Liban, je considère que la France peut jouer un rôle particulièrement utile, à chacun des pays concernés pour qu'il trouve une bonne solution stable et durable à ce problème qui les oppose aujourd'hui.
Q - Il a parlé de retrait, mais il n'a pas mentionné l'application de la résolution 425.
R - D'une façon générale, M. Barak n'a pas été extrêmement précis. C'était une campagne électorale : il a donné des orientations qui tranchaient suffisamment par rapport à son prédécesseur pour que les électeurs puissent faire un choix clair, puisque l'on a parlé de raz-de-marée contre M. Netanyahou, et même temps pour M. Barak. Sur ce point, comme sur le processus de paix, il n'a pas été extrêmement détaillé parce que ce n'était pas son rôle et pas le moment. La discussion va commencer après.
Q - Son discours a quand même changé après les élections, puisqu'il a dit : "pas de retour aux frontières de 1967, la colonisation reste telle quelle, pas d'Etat palestinien puissant". Donc, il a quand même changé son discours. Ce sont des dirigeants qui ont exprimé une grande inquiétude dans la région, justement sur les propos qu'il a tenus après son élection.
R - Il faut se concentrer sur l'essentiel. Le processus de paix israélo-palestinien était bloqué à force d'entraves, à force d'astuces politiciennes, à force d'engagements non tenus, etc. Là, les conditions sont réunies pour que ce processus reprenne. Lorsque M. Barak se réfère à M. Itzhak Rabin, cela a un sens précis. On ne peut pas en conclure que l'accord va être fait aisément, que les négociations à mener entre les responsables israéliens et palestiniens sur le statut final vont se passer sans difficultés en huit jours. Personne ne peut penser cela. Il y a des questions véritablement complexes qui placeront les uns et les autres devant des choix historiques très sensibles, avec des répercussions internes. Ils auront à un moment donné à prendre leurs responsabilités.
Ce sera un processus de négociations délicat, avec sans doute des blocages à nouveau, mais ce n'est pas du tout la même chose, selon que l'on est dans un processus de négociations difficiles, avec des points de vues exigeants, surtout peut-être à la veille de la reprise ou que l'on est dans un processus qui n'existe plus. C'est le jour et la nuit entre les deux.
Quant au volet israélo-syro-libanais, il n'y avait pas de blocage de processus car en réalité il n'y avait pas de processus du tout. Il y avait des déclarations unilatérales, marginales. Sur ces points, les conditions sont réunies pour qu'il y ait une vraie reprise, mais reprise cela ne veut pas dire solution par miracle.
Q - Notamment sur ces deux volets, comment concevez-vous cette reprise. Par exemple, les Syriens insistent sur le fait que les négociations doivent reprendre là où elles se sont arrêtées ?
R - Il y a un dialogue de sourds depuis longtemps entre les Israéliens et les Syriens disant tous deux : "il faut reprendre le dialogue là où il s'est arrêté", mais sans avoir du tout la même conception du point où il s'est arrêté. La France n'est pas un protagoniste direct. Ce n'est pas la France qui négocie avec Israël, la Syrie, les Palestiniens ou autres. La France est un pays ami, un pays qui a des relations étroites et fortes avec l'ensemble des protagonistes. C'est le seul pays, je pense, qui a des relations aussi anciennes, aussi étroites, aussi actuelles en même temps, avec une confiance éprouvée au fil du temps et des épreuves. Par conséquent, elle peut être, pour chacun d'entre eux un partenaire, un ami, un pays qui est là pour accompagner les évolutions et, dans les moments difficiles, pour fournir des garanties. Nous sommes dans une position spéciale, mais nous ne sommes pas le pays négociateur en direct, donc ce n'est pas à nous de trancher à la place des responsables directs, par exemple la façon dont ils négocient, les points sur lesquels ils négocient, les conclusions auxquelles ils arrivent. Nous faisons partie d'un environnement et d'un accompagnement qui se veut à la fois stimulant et amical.
Q - Vous êtes bien d'accord que le principe de "la terre contre la paix" qui a été adopté à Madrid est toujours là ?
R - Nous nous référons naturellement à ce qui a été agréé, adopté, à Madrid comme à Oslo et c'est à partir de là qu'il faut travailler. Ce qui nous importe dans la phase actuelle, ce n'est pas de nous comporter en "notaire" sur tel ou tel point, ni d'un côté, ni de l'autre. Ce qui nous importe, c'est d'avoir une diplomatie française qui, croyez-le bien, sera extrêmement présente et active et qui soit utile à la reprise du processus de paix, utile aux différents protagonistes, et pour les aider, dans la mesure où ils le souhaitent - mais je crois qu'ils le souhaiteront - à franchir les moments difficiles des négociations qui reprendront.
Q - Après la réunion du G8, et en vue des démarches et contacts politiques russes et autres, où en est l'option politique pour sortir de la crise du Kosovo ?
R - Tous les contacts politiques et diplomatiques qui ont lieu en ce moment à propos du Kosovo ont comme objet central la mise au point d'une résolution qui devrait être adoptée par le Conseil de sécurité. C'est une exigence pour nous.
La résolution doit comprendre les différents éléments de la solution, c'est-à-dire aussi bien la mise en oeuvre des principes de base - qui ont été exprimés par les alliés, repris par le Secrétaire général des Nations unies et exprimés également par la réunion récente des ministres du G8 -, c'est-à-dire : l'arrêt des exactions, le retrait des troupes, la proclamation du droit au retour des réfugiés, le début de la mise en oeuvre de ce principe, l'acceptation du règlement politique pour le Kosovo et la présence d'une force internationale assurant, demain, la sécurité de ce Kosovo, à la fois pour que l'administration civile nouvelle se mette en place, et, en même temps, pour que les réfugiés aient suffisamment confiance pour rentrer. Voilà les principes sur lesquels nous travaillons. Ce travail est assez avancé. Il a lieu entre les Occidentaux et avec les Russes. On peut parler d'une négociation entre les Occidentaux et les Russes, mais il n'y a pas de négociations avec Belgrade. Il s'agit, pour le Conseil de sécurité, de mettre au point le dispositif général de la solution. Naturellement, c'est dans ce contexte que nous examinerons la suspension des frappes aériennes qui suppose qu'il y ait un accord complet sur la solution à mettre en oeuvre et une acceptation de ces principes par les autorités de Belgrade. C'est ce qui est attendu depuis des semaines maintenant.
Il y a eu il y a deux jours une déclaration qui a retenu l'intérêt. Pour la première fois, des officiels à Belgrade indiquaient que la Yougoslavie pouvait travailler sur la base du communiqué du G8, tout en faisant certaines réserves que peut-être M. Tchernomyrdine a éclaircies lors de sa visite hier à Belgrade - mais je ne le sais pas encore. C'est un élément qui a donc attiré l'attention, mais qui a été, en même temps, examiné avec une extrême prudence, parce que jusqu'ici, tous les gestes, toutes les ouvertures de Belgrade se sont révélés être des pseudo mouvements. Il faut vraiment mettre en oeuvre l'ensemble de ces principes pour atteindre l'objectif de l'ensemble de cette opération qui est de rétablir au Kosovo une situation de liberté et de sécurité afin que les personnes chassées puissent rentrer et qu'une société kosovare pluraliste puisse se reconstruire, sous la protection d'une administration internationale, sous la protection d'une force. L'administration internationale devra être, selon nous, confiée par le Conseil de sécurité à l'Union européenne qui en serait le coeur. Mais l'Union européenne travaillerait bien sûr avec l'OSCE, le HCR, les autre organisations.
Sur tous ces points, nous sommes, entre Occidentaux, tout à fait d'accord sur ce qu'il faut mettre dans la résolution du Conseil de sécurité. Par contre, pour nous mettre complètement d'accord avec les Russes, il y a encore un gros travail devant nous et quelques points qui demeurent extrêmement difficiles. Ce qui fait que je ne peux absolument pas dire de combien de temps nous avons encore besoin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 1999)