Texte intégral
Monsieur le Directeur de l'Institut diplomatique,
Monsieur l'Ambassadeur
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis heureuse d'être en votre compagnie ici, dans la prestigieuse «École diplomatique de Rio Branco», à l'occasion du lancement de la «Semaine de la francophonie» au Brésil.
Je suis française, vous le savez, et peut-être davantage encore du fait des nombreuses années durant lesquelles j'ai vécu éloignée de la France, en Irlande. Et, comme toute française, je suis gourmande : gourmande de mots, de belles tournures de phrase, gourmande d'idées qui s'expriment avec panache. Et pour débuter mon propos, je ne résiste pas au plaisir de reprendre ce que disait Léopold Sedar Senghor, grand poète et premier président du Sénégal dans une conférence donnée à l'université Laval en 1966 intitulée «La Francophonie comme culture» : Senghor a eu des mots magiques pour décrire sa relation au français et à la Francophonie.
Le grammairien qu'il n'a jamais cessé d'être se fait poète de la langue lorsqu'il évoque sa première rencontre avec le français, à l'âge de sept ans : «c'était pour moi musique et charme. La beauté du français, sa poésie, ne vient pas du pouvoir imaginant des mots, qui se sont dépouillés du concret et de leurs racines ; elle vient de la musique des mots et des phrases, des vers et des versets : de leur rythme et de leur mélodie». Et cette langue de la logique universelle nouée autour des conjonctions, liant les propositions entre elles et les subordonnant, de s'assouplir dans la coordination et la juxtaposition.
La francophonie c'est bien évidemment d'abord une langue en partage ; c'est aussi une vision commune de principes et de valeurs universels. Bref, une communauté de destin assumée et épanouie...
L'organisation de la communauté francophone a connu plusieurs étapes. Elle débute avec l'Agence de coopération culturelle et technique en 1970, qui rassemblait une vingtaine de pays représentatifs de quatre continents, dans lesquels la langue française était pratiquée et enseignée.
Ses membres fondateurs posent alors les jalons de ce qui allait devenir l'Organisation internationale de la Francophonie dont le siège est à Paris.
Elle regroupe désormais 57 États membres et 20 observateurs. Le noyau initial, principalement composé d'États africains, a été rejoint depuis par des pays de tous les continents, dont quinze appartenant à l'Union européenne.
Les adhésions récentes du Qatar, membre associé, et de l'Uruguay, observateur, illustrent et consacrent l'attractivité de l'OIF sur la scène internationale.
L'OIF met en oeuvre la coopération multilatérale francophone au côté de quatre opérateurs :
- l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF)
- TV5Monde, la chaîne internationale de télévision
- l'Association internationale des maires francophones (AIMF)
- l'Université Senghor d'Alexandrie
La Francophonie dispose aussi d'un organe consultatif : l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF).
La Conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, communément appelée «Sommet de la Francophonie», est l'instance suprême de la Francophonie. Elle se réunit tous les 2 ans. Le premier Sommet s'est tenu à Versailles en 1986 ; le prochain aura lieu à Dakar en novembre.
Mes Chers Amis,
Comme le rappelait le président Hollande à Kinshasa en 2012, parler le français, c'est une façon de penser, de concevoir le monde. C'est un message de liberté. C'est en français que les révolutionnaires de 1789 ont proclamé, et donc écrit, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. C'est en français, en 1948, au lendemain de la seconde guerre mondiale, qu'a été rédigée la Déclaration universelle des droits de l'Homme. C'est en français que s'exprimaient les combattants africains pour l'indépendance, ceux qui refusaient la souffrance des peuples asservis. «La langue française, disait Léopold Sedar Senghor, ce merveilleux outil trouvé dans les décombres du régime colonial.».
Au-delà de l'outil qu'est la langue commune, la francophonie est bien aussi, et surtout, un espace de valeurs partagées.
Façonnée par les peuples, les intellectuels et les artistes, portée par des gouvernements et des responsables politiques partageant des idéaux communs, la francophonie est aujourd'hui un forum où se défendent l'état de droit, et la démocratie. Et, au cours des dernières années, notamment sous l'impulsion de ma collègue au gouvernement Yamina Benguigui, ministre déléguée à la francophonie, elle est également devenue un espace de défense et de promotion des droits des femmes.
Ces valeurs et ces nouvelles exigences ont fait évoluer les objectifs de la francophonie :
- la lutte contre les trafics (de drogues, d'armes, d'êtres humains) ;
- la contribution commune au règlement des crises ;
- la promotion de la démocratie, les droits de l'Homme, le pluralisme, le respect de la liberté d'expression ;
- le développement, c'est-à-dire d'abord la préservation de notre planète, la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, la solidarité à travers la mise en place de financements innovants ou la transparence dans les échanges et dans les investissements des entreprises...
Voilà les thématiques sur lesquelles nous essayons d'avancer, ensemble, entre pays francophones.
Les objectifs du prochain Sommet illustrent bien l'évolution de l'institution.
Les autorités sénégalaises souhaitent que la Déclaration de Dakar aboutisse à des «objectifs contraignants» dans le cadre d'une «gouvernance mondiale solidaire et humaine».
La place du français comme langue de valeur et de progrès ; la diversité culturelle et linguistique ; l'économie et le développement ; le développement durable ; l'affirmation de la diplomatie francophone dans le domaine de la paix et de la sécurité ; le renforcement des médias francophones ; la stratégie jeunesse comme «vecteur de paix et de solidarité»... seront au centre des discussions.
La France pour sa part, conjointement avec ses partenaires, continuera à défendre le volet politique de la Francophonie, notamment l'assistance aux pays en crise et en sortie de crise : soutien aux processus électoraux, aux efforts de dialogue et de réconciliation... À titre d'exemple, l'OIF est active au Mali, elle prépare un plan d'actions en RCA ; elle a été très présente dans la préparation des élections à Madagascar (aide à la rédaction de la législation électorale notamment) et va y poursuivre ses efforts de coopération.
Au service des valeurs et des principes qu'elle défend, la francophonie s'efforce par ailleurs de développer un «magistère d'influence» auprès de ses membres comme des organisations internationales. Elle a ainsi obtenu le statut d'observateur lors du sommet de Deauville lorsqu'il s'est agi de mobiliser la communauté internationale au lendemain des printemps arabes. Enfin, elle produit régulièrement des contributions à l'occasion des sommets du G 20.
Pour conforter ses programmes de coopération et trouver de nouvelles ressources, la francophonie s'est engagée dans la recherche de partenariats auprès des Nations unies, de l'Union européenne, de la Banque mondiale et des banques régionales de développement.
La francophonie ne souhaite pas pour autant devenir un bailleur de fonds multilatéral...Son objectif est de mener à bien des projets pilotes qui trouvent un relais auprès des bailleurs institutionnels avant une généralisation dans l'ensemble de l'espace francophone. C'est ainsi qu'elle a pu concrétiser les programmes de formation à distance, les campus numériques, la promotion des langues locales et du français dans l'enseignement primaire ou encore soutenir les industries culturelles du Sud.
Pour défendre ces valeurs et maintenir la cohésion de son action, des personnalités reconnues au plan international : Boutros Boutros-Ghali puis Abdou Diouf ont incarné la Francophonie. Je tiens ici à leur rendre un hommage appuyé, notamment Abdou Diouf qui achèvera cette année son troisième et dernier mandat à la tête de l'OIF.
La francophonie est une institution en mouvement, qui s'adapte aux réalités du monde, à l'image d'autres communautés linguistiques auxquelles appartient le Brésil.
Les valeurs universelles portées par les peuples francophones sont aussi celles des communautés lusophones et hispanophones. Cette réalité est d'ailleurs rappelée à chaque rencontre des secrétaires généraux des trois espaces linguistiques latins, qui ne cessent d'affirmer qu'une alternative existe à un monde uniforme. Et c'est à l'occasion de la dernière de ces rencontres que le président Abdou Diouf a eu cette formule pleine de sens : «cet espace de coopération entre les trois aires linguistiques représente le cadre idéal de la mobilisation permanente en faveur du multilinguisme. Aucun espace géolinguistique ne peut relever seul le défi du maintien du multilinguisme».
Cette communauté de vue, nous devons la mettre au service du multilinguisme dans les enceintes internationales et dans le monde.
La mondialisation a en effet pour revers de s'accompagner d'une tendance à l'uniformisation y compris linguistique. Or l'affirmation de nouvelles puissances globales - je pense bien entendu au Brésil - et l'émergence de nouveaux pays dessinent un monde de diversité qui offre une chance à la diversité culturelle et au pluralisme linguistique.
Dans ce contexte, la langue française offre d'indéniables perspectives...
La francophonie bénéficie en effet du dynamisme démographique de ses membres et des sociétés francophones, comme en Afrique sub-saharienne pour ne citer que ce seul exemple. Trente-deux pays ont fait du français une langue officielle, première ou deuxième langue dans l'ensemble des forums diplomatiques internationaux. Et le tiers des pays membres des Nations unies sont membres de l'Organisation internationale de la Francophonie !
Cependant, malgré ces tendances encourageantes, l'anglais s'impose chaque jour davantage. Cela est particulièrement sensible au sein des organisations internationales. La résignation n'est pas pour autant de mise.
Dans ce contexte, les liens entre la francophonie et les autres aires linguistiques doivent et peuvent être renforcées.
C'est d'ailleurs dans les pays de langue latine que les produits culturels français trouvent le plus de débouchés après l'espace francophone. Et c'est dans les pays de langue latine, comme le Brésil, le Mexique, l'Espagne ou le Portugal, que l'on apprend le plus le français. Songez que sur les 10 pays où nos Alliances et Instituts français ont le plus d'élèves, cinq sont de langue latine. Les deux plus grandes Alliances françaises sont celles de Bogota et de Lima et le premier réseau par le nombre d'élèves est au Brésil.
Forts de ce constat, nous soutenons le rapprochement entre la francophonie et la «Communauté des pays de langue portugaise» (la CPLP), mais aussi avec l'«Organisation des États Ibéro-américains pour l'éducation, la science et la culture», afin de dégager des positions communes sur la diversité culturelle et le multilinguisme.
N'oublions pas que la francophonie «c'est aussi cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre, cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire». Ces mots de Senghor restent d'une étonnante actualité... et nous avons indéniablement un commun intérêt à promouvoir la diversité linguistique et culturelle. Alors que l'anglais s'impose comme standard international, nous partageons la préoccupation de développer un espace culturel mondial caractérisé par le pluralisme.
C'est cette mutualisation des efforts, la concertation et cette convergence pour un monde de diversité autour de valeurs partagées que je souhaitais mettre en exergue à l'occasion de l'ouverture de cette semaine de la francophonie au Brésil.
Je sais combien les diplomates brésiliens, que j'ai plaisir à rencontrer lors de mes déplacements ou à Paris, sont bien préparés, donnent de leur pays une image positive et promeuvent avec talent les positions de leur gouvernement dans les fora internationaux. Bientôt, vous exercerez d'éminentes responsabilités au service de la diplomatie de votre grand pays et je me réjouis que vous puissiez le faire aussi en français. Songez que la francophonie, rassemblera à l'horizon de 2050 plus de 700 millions de locuteurs. 80 % d'entre eux seront en Afrique.
Sachons ensemble défendre le multilinguisme et la diversité culturelle. Nous nous comprenons mieux en parlant la langue de l'autre et nous en sommes collectivement que plus forts.
Je terminerai par ces mots de Boutros Boutros-Ghali, l'ancien Secrétaire général des Nations unies qui a dit un jour que «la francophonie sera subversive et imaginative, ou ne sera pas» : à vous qui entamez votre carrière, c'est cette vision d'une diplomatie sachant sortir des sentiers battus et trop convenus, qui fait preuve parfois d'audace au service d'idéaux et de valeurs universelles, que j'aimerais vous passer comme idée essentielle de ce qu'est la francophonie !
Je vous remercie pour votre patiente écoute.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2014