Texte intégral
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un honneur et un plaisir pour moi que d'être, ici, parmi vous, au milieu de tant d'amis, cet après-midi. Je remercie la Fondation Friedrich Ebert et la Fondation Jean Jaurès, qui constituent la cheville ouvrière et l'âme du Forum franco-allemand, de m'avoir invité à clore cette troisième session du Forum.
Vous êtes rassemblés, depuis deux jours, autour du thème de "l'exigence du développement durable dans la société européenne". Vos travaux ont été ouverts hier par une discussion entre Lionel Jospin et Gerhard Schröder. La présence du Premier ministre et du chancelier a témoigné, de manière éclatante, de la place qu'occupe cette notion de développement durable dans notre vision du monde et la culture politique qui nous inspire.
Vous vous êtes penchés, plus particulièrement aujourd'hui, sur les multiples facettes de cette problématique, en matière de politique des transports ou de l'énergie, comme dans les domaines de la protection des consommateurs ou de l'agriculture. Le champ de vos réflexions, très large, me semble bien traduire l'ambition qui est derrière ce concept mais aussi les difficultés à l'appréhender.
Permettez-moi donc, tout d'abord, - en clôture de ces travaux, auxquels je n'ai malheureusement pas pu assister - de revenir d'un mot sur quelques définitions.
Depuis le Sommet de la Terre, à Rio, en 1992, le développement durable est devenu un leitmotiv repris à l'unisson par les gouvernements, les grandes institutions internationales et les représentants de la société civile. Pourtant, je ne suis pas certain que cette notion soit encore bien assumée, dans toute son étendue.
Trop souvent, elle se réduit à la seule dimension environnementale - presque conservatoire, je ne dis pas conservatrice - du développement, alors que les aspects économiques et sociaux sont passés sous silence. Il y a là un malentendu, sans doute à l'origine de beaucoup de réticences, en particulier de la part des pays du Sud, qui y voient un "luxe de pays riches" ou des contraintes supplémentaires pesant sur leur propre décollage. Cette perception explique vraisemblablement le timide bilan que la communauté internationale risque d'afficher, l'an prochain, à l'occasion du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesbourg.
Il est donc impératif de poursuivre l'effort d'explication et de promotion politique de ce concept, parallèlement à l'examen des stratégies pratiques susceptibles de conduire à cette approche globale du développement, qui est au cur même de la notion de développement durable.
Tout part, en effet, du constat que nous vivons sur une planète aux ressources limitées et que la mondialisation a fait définitivement basculer dans l'ère des interdépendances. Il n'est plus possible de croire que nos décisions n'ont de conséquence que pour nous-mêmes et d'espérer être en mesure de relever, un par un et chacun de son côté, les défis auxquels nous sommes tous confrontés. C'est bien là le sens de la globalisation, qui accroît la complexité des problèmes et des politiques destinées à les résoudre. La dégradation de l'environnement, la cohésion de nos sociétés mise à mal, la perte de repères identitaires, le creusement des écarts de développement, voilà autant d'effets induits par une mondialisation qui serait abandonnée aux seules forces du marché.
Une réflexion sur la méthode s'avère donc indispensable. Les décideurs, qu'ils soient publics ou privés, doivent être conscients de leur responsabilité et agir en conséquence : c'est l'impératif de "gouvernance". Leur action doit pouvoir s'insérer dans un ensemble de règles et de disciplines, agréées par tous et définies à la lumière d'un sens de l'intérêt général exprimé à l'échelle de la planète : c'est l'exigence de régulation.
J'ai la conviction que nul autre acteur que l'Union européenne ne paraît, aujourd'hui, mieux à même d'uvrer en faveur de la gouvernance et de la régulation mondiales. C'est sur ce point que je veux concentrer mes propos.
1/ Le projet européen porte en lui les éléments constitutifs et les ressorts du développement durable.
Il importe, en premier lieu, de remonter aux origines mêmes de l'Union européenne et à la fameuse méthode Monnet. Afin d'enraciner la paix sur notre continent, les Etats fondateurs ont pris le parti de lier leur destin, en s'appuyant sur des valeurs communes, celles de la démocratie et des Droits de l'Homme, et en développant des solidarités concrètes. Grâce à des transferts de ressources, dans le cadre d'une politique de redistribution, destinée à favoriser la cohésion économique et sociale, cette approche s'est révélée particulièrement fructueuse.
A force de volonté, la mutualisation des intérêts entre les Etats membres a en effet favorisé l'émergence d'une capacité à relever ensemble des défis communs. Il en est résulté une dynamique profondément intégratrice, qui constitue à la fois le moteur et l'originalité de la construction européenne. Cette dynamique est d'autant plus remarquable que la mise en uvre des politiques communes appelle à l'ouverture de nouveaux champs de coopération.
C'est ainsi que la constitution d'un marché unique en Europe et la réalisation de la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, a rendu nécessaire l'évolution d'un simple instrument monétaire commun, le SME, vers une monnaie unique. A son tour, l'euro ne pouvait constituer une fin en soi, mais avait vocation à devenir un instrument au service de la croissance et de l'emploi. Le pas a été franchi à Amsterdam, en juin 1997, où les Européens - très largement à l'initiative du gouvernement de Lionel Jospin - ont fourni à l'Union les bases nécessaires à la conduite d'une véritable politique sociale et de l'emploi. Des lignes directrices pour l'emploi ont ainsi pu être adoptées par le Conseil européen spécial de Luxembourg, en novembre 1997. Puis, cette démarche a été approfondie pour aboutir, à Lisbonne, en mars 2000, à l'élaboration d'un cadre de référence globale pour la stratégie économique et sociale de l'Union.
Mais, parce que la construction d'un espace de paix et de prospérité n'a de sens que s'il est possible d'en garantir la pérennité, il fallait encore aller plus loin. Aussi les Européens, qui sont bien placés pour connaître les limites de l'exploitation des ressources naturelles, ont-ils décidé, à Göteborg, en juin 2001, de se doter d'une stratégie explicite de développement durable, reposant sur un équilibre entre les trois dimensions économique, sociale et environnementale. En mars prochain, à Barcelone, les modalités de mise en uvre de cette stratégie devraient être précisées, au moyen notamment d'une série d'indicateurs qui permettront d'en vérifier constamment les effets.
En définitive, comme vous le voyez, le développement durable est désormais partie intégrante de la démarche de l'Union européenne, avec l'ambition de concilier croissance et efficacité économique, progrès social et protection de l'environnement.
2/ Mais cette démarche trouve aussi, bien sûr, son prolongement dans les relations que l'Europe entretient avec le reste du monde.
Dès le départ, les Européens se sont attachés à ne pas tenir les pays tiers à l'écart du modèle de solidarité qu'ils avaient défini pour eux-mêmes. Une politique active de coopération au développement de la Communauté remonte aux origines mêmes de la construction européenne.
Il n'est donc pas surprenant que nous fournissions, aujourd'hui encore, près de la moitié de l'effort mondial d'aide publique au développement et que nous ayons établi des relations avec toutes les régions du monde. En toute logique, l'Union a fini par affirmer sa vocation à mener une action extérieure globale, en instituant, à Maastricht, une Politique étrangère et de sécurité commune.
Notre approche est inséparable de la conception que nous nous faisons de notre continent. Je songe à notre préférence pour le partenariat et le multilatéralisme, plutôt que pour l'exercice unilatéral de la conditionnalité. Je pense, bien entendu, à notre action en faveur des Droits de l'Homme, de la démocratie et de l'Etat de droit. J'ai également à l'esprit l'attention portée à la dimension sociale du développement et notre aspiration à un ordre mondial plus équitable.
Dissipons cependant les malentendus. Il ne s'agit pas pour l'Union d'imposer son modèle. Il s'agit, bien au contraire, de répondre à ce que j'appellerai un "désir d'Europe", qu'il est impossible d'ignorer et qui se manifeste notamment par l'attraction exercée par la formule d'intégration régionale que représente la construction européenne pour de nombreux pays tiers. Ces pays attendent d'abord de l'Europe qu'elle soit elle-même solidaire et ainsi d'autant plus en position de défendre une mondialisation à visage humain.
Parce que le développement durable exige des solutions planétaires, la stratégie adoptée à Göteborg, que j'évoquais précédemment, comporte une importante dimension externe. L'Union s'est clairement fixé comme objectif de l'intégrer dans sa coopération bilatérale avec les pays tiers et de se mobiliser pour la faire prévaloir dans le cadre de la concertation internationale. Elle a déjà fourni de multiples gages de son engagement.
J'ai avant tout à l'esprit, évidemment, l'enjeu vital du changement climatique. La détermination des Européens à obtenir la mise en uvre du Protocole de Kyoto a permis de surmonter l'opposition américaine et de parvenir, à Bonn, en août dernier, à un compromis qui préserve l'unique instrument offrant une réponse effective à la menace certaine des gaz à effet de serre. En étant à la tête de ce combat, alors que les Etats-Unis sont tentés de fuir leur responsabilité, l'Union européenne a montré qu'elle savait tirer toutes les conséquences, dans le concert mondial, de ses propres évolutions et montrer l'exemple.
3/ Il convient donc aujourd'hui de poursuivre dans cette voie et de faire avancer la régulation et la gouvernance à l'échelle de la planète.
Je pense évidemment aux terribles attentats qui ont frappé les Etats Unis, le 11 septembre. Un tel déchaînement de haine aveugle, à travers ces actes non signés et accompagnés d'aucune revendication, échappe à tout entendement. Comme l'a souligné Lionel Jospin, aucun désordre du monde ne peut expliquer et, moins encore, justifier le terrorisme. Il ne saurait y avoir d'autre réponse qu'une lutte implacable contre un phénomène d'une absolue barbarie. Pour autant, l'urgence qui s'attache au règlement des problèmes de la planète n'en diminue pas moins, bien au contraire. Il est malheureusement une règle absolue dans l'histoire : partout les déséquilibres économiques accentuent les tensions sociales et les conflits politiques; partout la dégradation des conditions économiques renforce le désespoir et attise la violence. C'est bien pourquoi, l'exigence du développement doit aussi être partie intégrante d'une stratégie destinée à isoler les fanatiques.
Pour que la mondialisation ne produise pas une aggravation des inégalités, sa maîtrise est devenue, plus que jamais, un impératif. Elle doit se traduire par un effort pour doter l'économie mondiale d'un cadre stable et rendre la libéralisation des échanges compatible avec le progrès social et la préservation de la diversité culturelle. Elle doit permettre d'éviter que le jeu des intérêts privés et la loi du profit aboutissent à une dégradation irréversible de l'environnement, au détriment des générations futures. Elle doit enfin donner aux pays du Sud une chance de sortir du sous-développement.
Tels sont les objectifs que poursuit l'Europe en plaidant pour que la prochaine conférence ministérielle de l'OMC ne lance un nouveau cycle de négociations commerciales qu'autour d'un agenda suffisamment large pour intégrer les préoccupations à caractère social et environnemental et tenir compte des difficultés des pays en développement. Une telle approche, qui correspond au mandat que s'était donnée l'Union, avant Seattle, en 1999, est parfaitement cohérente avec la stratégie européenne de développement durable.
L'émergence d'une nouvelle donne mondiale passe incontestablement par la définition de règles acceptées par tous. A cet effet, la concertation multilatérale doit devenir un réflexe et, dans cette perspective, être considérablement renforcée et améliorée, pour favoriser l'émergence d'un consensus fondé sur des compromis négociés, où chacun trouve son compte. L'Union européenne, qui s'est construite sur de tels compromis, y est bien préparée. A contrario, l'unilatéralisme, qui menace directement l'édification d'une société internationale, doit être combattu. A cet égard, l'évolution de l'attitude des Etats Unis est positive, ainsi qu'en témoigne la décision, hautement symbolique, du Congrès de verser, juste après le 11 septembre, une nouvelle tranche des arriérés américains aux Nations unies.
Favorisons aussi un changement d'attitude dans la manière de gérer et d'organiser les activités humaines, dans le sens d'une plus grande transparence et d'une association étroite des milieux directement concernés par les décisions. L'ouverture à la société civile est devenue indispensable. L'efficacité et la proportionnalité des moyens à l'objectif doivent être des préoccupations de tous les instants. Les décideurs, s'ils veulent conserver une légitimité aux yeux des citoyens, doivent être prêts à rendre des comptes (au sens du terme anglais "accountability").
L'Union y travaille, notamment sur la base d'un Livre blanc de la Commission européenne sur la gouvernance. Le grand débat en cours sur l'avenir de la construction européenne, lancé au Conseil européen de Nice, s'inscrit également dans ce mouvement, en permettant un retour à la question fondamentale de la finalité - quelle Europe pour les Européens ? -, ainsi qu'une réflexion sur les moyens de bâtir un véritable espace démocratique à l'échelle de l'Union.
Les événements du 11 septembre ont, enfin, redonné tout son sens à l'action publique. Dans cette période d'incertitude, les citoyens attendent de l'Etat qu'il joue un rôle actif et protecteur, qu'il garantisse le fonctionnement efficace des services publics et qu'il intervienne pour conjurer le ralentissement économique. On parle beaucoup du retour du politique. Cette évolution me paraît ouvrir une fenêtre d'opportunité pour faire avancer la régulation et promouvoir une mondialisation qui soit conforme à l'exigence du développement durable. Et qu'enfin, ce concept ne traduise pas uniquement l'idée que le développement doit être supporté par les hommes et la nature, comme le laisse penser sa traduction de l'anglais ("sustainable") mais qu'il représente aussi ce qui est désirable pour les peuples.
A l'issue de vos travaux, il me semble clair que l'exigence du développement durable est consubstantielle à une certaine vision du monde, à la culture politique dans laquelle nous nous reconnaissons. La tâche devant nous est immense et nous ne devons pas ménager nos efforts. Comme vous l'avez montré, il revient à la France et à l'Allemagne de continuer à jouer, au sein de l'Union européenne, un rôle d'impulsion décisif. Les gouvernements de Lionel Jospin et de Gerhard Schröder, vous le savez, en ont la volonté.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2001)
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un honneur et un plaisir pour moi que d'être, ici, parmi vous, au milieu de tant d'amis, cet après-midi. Je remercie la Fondation Friedrich Ebert et la Fondation Jean Jaurès, qui constituent la cheville ouvrière et l'âme du Forum franco-allemand, de m'avoir invité à clore cette troisième session du Forum.
Vous êtes rassemblés, depuis deux jours, autour du thème de "l'exigence du développement durable dans la société européenne". Vos travaux ont été ouverts hier par une discussion entre Lionel Jospin et Gerhard Schröder. La présence du Premier ministre et du chancelier a témoigné, de manière éclatante, de la place qu'occupe cette notion de développement durable dans notre vision du monde et la culture politique qui nous inspire.
Vous vous êtes penchés, plus particulièrement aujourd'hui, sur les multiples facettes de cette problématique, en matière de politique des transports ou de l'énergie, comme dans les domaines de la protection des consommateurs ou de l'agriculture. Le champ de vos réflexions, très large, me semble bien traduire l'ambition qui est derrière ce concept mais aussi les difficultés à l'appréhender.
Permettez-moi donc, tout d'abord, - en clôture de ces travaux, auxquels je n'ai malheureusement pas pu assister - de revenir d'un mot sur quelques définitions.
Depuis le Sommet de la Terre, à Rio, en 1992, le développement durable est devenu un leitmotiv repris à l'unisson par les gouvernements, les grandes institutions internationales et les représentants de la société civile. Pourtant, je ne suis pas certain que cette notion soit encore bien assumée, dans toute son étendue.
Trop souvent, elle se réduit à la seule dimension environnementale - presque conservatoire, je ne dis pas conservatrice - du développement, alors que les aspects économiques et sociaux sont passés sous silence. Il y a là un malentendu, sans doute à l'origine de beaucoup de réticences, en particulier de la part des pays du Sud, qui y voient un "luxe de pays riches" ou des contraintes supplémentaires pesant sur leur propre décollage. Cette perception explique vraisemblablement le timide bilan que la communauté internationale risque d'afficher, l'an prochain, à l'occasion du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesbourg.
Il est donc impératif de poursuivre l'effort d'explication et de promotion politique de ce concept, parallèlement à l'examen des stratégies pratiques susceptibles de conduire à cette approche globale du développement, qui est au cur même de la notion de développement durable.
Tout part, en effet, du constat que nous vivons sur une planète aux ressources limitées et que la mondialisation a fait définitivement basculer dans l'ère des interdépendances. Il n'est plus possible de croire que nos décisions n'ont de conséquence que pour nous-mêmes et d'espérer être en mesure de relever, un par un et chacun de son côté, les défis auxquels nous sommes tous confrontés. C'est bien là le sens de la globalisation, qui accroît la complexité des problèmes et des politiques destinées à les résoudre. La dégradation de l'environnement, la cohésion de nos sociétés mise à mal, la perte de repères identitaires, le creusement des écarts de développement, voilà autant d'effets induits par une mondialisation qui serait abandonnée aux seules forces du marché.
Une réflexion sur la méthode s'avère donc indispensable. Les décideurs, qu'ils soient publics ou privés, doivent être conscients de leur responsabilité et agir en conséquence : c'est l'impératif de "gouvernance". Leur action doit pouvoir s'insérer dans un ensemble de règles et de disciplines, agréées par tous et définies à la lumière d'un sens de l'intérêt général exprimé à l'échelle de la planète : c'est l'exigence de régulation.
J'ai la conviction que nul autre acteur que l'Union européenne ne paraît, aujourd'hui, mieux à même d'uvrer en faveur de la gouvernance et de la régulation mondiales. C'est sur ce point que je veux concentrer mes propos.
1/ Le projet européen porte en lui les éléments constitutifs et les ressorts du développement durable.
Il importe, en premier lieu, de remonter aux origines mêmes de l'Union européenne et à la fameuse méthode Monnet. Afin d'enraciner la paix sur notre continent, les Etats fondateurs ont pris le parti de lier leur destin, en s'appuyant sur des valeurs communes, celles de la démocratie et des Droits de l'Homme, et en développant des solidarités concrètes. Grâce à des transferts de ressources, dans le cadre d'une politique de redistribution, destinée à favoriser la cohésion économique et sociale, cette approche s'est révélée particulièrement fructueuse.
A force de volonté, la mutualisation des intérêts entre les Etats membres a en effet favorisé l'émergence d'une capacité à relever ensemble des défis communs. Il en est résulté une dynamique profondément intégratrice, qui constitue à la fois le moteur et l'originalité de la construction européenne. Cette dynamique est d'autant plus remarquable que la mise en uvre des politiques communes appelle à l'ouverture de nouveaux champs de coopération.
C'est ainsi que la constitution d'un marché unique en Europe et la réalisation de la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, a rendu nécessaire l'évolution d'un simple instrument monétaire commun, le SME, vers une monnaie unique. A son tour, l'euro ne pouvait constituer une fin en soi, mais avait vocation à devenir un instrument au service de la croissance et de l'emploi. Le pas a été franchi à Amsterdam, en juin 1997, où les Européens - très largement à l'initiative du gouvernement de Lionel Jospin - ont fourni à l'Union les bases nécessaires à la conduite d'une véritable politique sociale et de l'emploi. Des lignes directrices pour l'emploi ont ainsi pu être adoptées par le Conseil européen spécial de Luxembourg, en novembre 1997. Puis, cette démarche a été approfondie pour aboutir, à Lisbonne, en mars 2000, à l'élaboration d'un cadre de référence globale pour la stratégie économique et sociale de l'Union.
Mais, parce que la construction d'un espace de paix et de prospérité n'a de sens que s'il est possible d'en garantir la pérennité, il fallait encore aller plus loin. Aussi les Européens, qui sont bien placés pour connaître les limites de l'exploitation des ressources naturelles, ont-ils décidé, à Göteborg, en juin 2001, de se doter d'une stratégie explicite de développement durable, reposant sur un équilibre entre les trois dimensions économique, sociale et environnementale. En mars prochain, à Barcelone, les modalités de mise en uvre de cette stratégie devraient être précisées, au moyen notamment d'une série d'indicateurs qui permettront d'en vérifier constamment les effets.
En définitive, comme vous le voyez, le développement durable est désormais partie intégrante de la démarche de l'Union européenne, avec l'ambition de concilier croissance et efficacité économique, progrès social et protection de l'environnement.
2/ Mais cette démarche trouve aussi, bien sûr, son prolongement dans les relations que l'Europe entretient avec le reste du monde.
Dès le départ, les Européens se sont attachés à ne pas tenir les pays tiers à l'écart du modèle de solidarité qu'ils avaient défini pour eux-mêmes. Une politique active de coopération au développement de la Communauté remonte aux origines mêmes de la construction européenne.
Il n'est donc pas surprenant que nous fournissions, aujourd'hui encore, près de la moitié de l'effort mondial d'aide publique au développement et que nous ayons établi des relations avec toutes les régions du monde. En toute logique, l'Union a fini par affirmer sa vocation à mener une action extérieure globale, en instituant, à Maastricht, une Politique étrangère et de sécurité commune.
Notre approche est inséparable de la conception que nous nous faisons de notre continent. Je songe à notre préférence pour le partenariat et le multilatéralisme, plutôt que pour l'exercice unilatéral de la conditionnalité. Je pense, bien entendu, à notre action en faveur des Droits de l'Homme, de la démocratie et de l'Etat de droit. J'ai également à l'esprit l'attention portée à la dimension sociale du développement et notre aspiration à un ordre mondial plus équitable.
Dissipons cependant les malentendus. Il ne s'agit pas pour l'Union d'imposer son modèle. Il s'agit, bien au contraire, de répondre à ce que j'appellerai un "désir d'Europe", qu'il est impossible d'ignorer et qui se manifeste notamment par l'attraction exercée par la formule d'intégration régionale que représente la construction européenne pour de nombreux pays tiers. Ces pays attendent d'abord de l'Europe qu'elle soit elle-même solidaire et ainsi d'autant plus en position de défendre une mondialisation à visage humain.
Parce que le développement durable exige des solutions planétaires, la stratégie adoptée à Göteborg, que j'évoquais précédemment, comporte une importante dimension externe. L'Union s'est clairement fixé comme objectif de l'intégrer dans sa coopération bilatérale avec les pays tiers et de se mobiliser pour la faire prévaloir dans le cadre de la concertation internationale. Elle a déjà fourni de multiples gages de son engagement.
J'ai avant tout à l'esprit, évidemment, l'enjeu vital du changement climatique. La détermination des Européens à obtenir la mise en uvre du Protocole de Kyoto a permis de surmonter l'opposition américaine et de parvenir, à Bonn, en août dernier, à un compromis qui préserve l'unique instrument offrant une réponse effective à la menace certaine des gaz à effet de serre. En étant à la tête de ce combat, alors que les Etats-Unis sont tentés de fuir leur responsabilité, l'Union européenne a montré qu'elle savait tirer toutes les conséquences, dans le concert mondial, de ses propres évolutions et montrer l'exemple.
3/ Il convient donc aujourd'hui de poursuivre dans cette voie et de faire avancer la régulation et la gouvernance à l'échelle de la planète.
Je pense évidemment aux terribles attentats qui ont frappé les Etats Unis, le 11 septembre. Un tel déchaînement de haine aveugle, à travers ces actes non signés et accompagnés d'aucune revendication, échappe à tout entendement. Comme l'a souligné Lionel Jospin, aucun désordre du monde ne peut expliquer et, moins encore, justifier le terrorisme. Il ne saurait y avoir d'autre réponse qu'une lutte implacable contre un phénomène d'une absolue barbarie. Pour autant, l'urgence qui s'attache au règlement des problèmes de la planète n'en diminue pas moins, bien au contraire. Il est malheureusement une règle absolue dans l'histoire : partout les déséquilibres économiques accentuent les tensions sociales et les conflits politiques; partout la dégradation des conditions économiques renforce le désespoir et attise la violence. C'est bien pourquoi, l'exigence du développement doit aussi être partie intégrante d'une stratégie destinée à isoler les fanatiques.
Pour que la mondialisation ne produise pas une aggravation des inégalités, sa maîtrise est devenue, plus que jamais, un impératif. Elle doit se traduire par un effort pour doter l'économie mondiale d'un cadre stable et rendre la libéralisation des échanges compatible avec le progrès social et la préservation de la diversité culturelle. Elle doit permettre d'éviter que le jeu des intérêts privés et la loi du profit aboutissent à une dégradation irréversible de l'environnement, au détriment des générations futures. Elle doit enfin donner aux pays du Sud une chance de sortir du sous-développement.
Tels sont les objectifs que poursuit l'Europe en plaidant pour que la prochaine conférence ministérielle de l'OMC ne lance un nouveau cycle de négociations commerciales qu'autour d'un agenda suffisamment large pour intégrer les préoccupations à caractère social et environnemental et tenir compte des difficultés des pays en développement. Une telle approche, qui correspond au mandat que s'était donnée l'Union, avant Seattle, en 1999, est parfaitement cohérente avec la stratégie européenne de développement durable.
L'émergence d'une nouvelle donne mondiale passe incontestablement par la définition de règles acceptées par tous. A cet effet, la concertation multilatérale doit devenir un réflexe et, dans cette perspective, être considérablement renforcée et améliorée, pour favoriser l'émergence d'un consensus fondé sur des compromis négociés, où chacun trouve son compte. L'Union européenne, qui s'est construite sur de tels compromis, y est bien préparée. A contrario, l'unilatéralisme, qui menace directement l'édification d'une société internationale, doit être combattu. A cet égard, l'évolution de l'attitude des Etats Unis est positive, ainsi qu'en témoigne la décision, hautement symbolique, du Congrès de verser, juste après le 11 septembre, une nouvelle tranche des arriérés américains aux Nations unies.
Favorisons aussi un changement d'attitude dans la manière de gérer et d'organiser les activités humaines, dans le sens d'une plus grande transparence et d'une association étroite des milieux directement concernés par les décisions. L'ouverture à la société civile est devenue indispensable. L'efficacité et la proportionnalité des moyens à l'objectif doivent être des préoccupations de tous les instants. Les décideurs, s'ils veulent conserver une légitimité aux yeux des citoyens, doivent être prêts à rendre des comptes (au sens du terme anglais "accountability").
L'Union y travaille, notamment sur la base d'un Livre blanc de la Commission européenne sur la gouvernance. Le grand débat en cours sur l'avenir de la construction européenne, lancé au Conseil européen de Nice, s'inscrit également dans ce mouvement, en permettant un retour à la question fondamentale de la finalité - quelle Europe pour les Européens ? -, ainsi qu'une réflexion sur les moyens de bâtir un véritable espace démocratique à l'échelle de l'Union.
Les événements du 11 septembre ont, enfin, redonné tout son sens à l'action publique. Dans cette période d'incertitude, les citoyens attendent de l'Etat qu'il joue un rôle actif et protecteur, qu'il garantisse le fonctionnement efficace des services publics et qu'il intervienne pour conjurer le ralentissement économique. On parle beaucoup du retour du politique. Cette évolution me paraît ouvrir une fenêtre d'opportunité pour faire avancer la régulation et promouvoir une mondialisation qui soit conforme à l'exigence du développement durable. Et qu'enfin, ce concept ne traduise pas uniquement l'idée que le développement doit être supporté par les hommes et la nature, comme le laisse penser sa traduction de l'anglais ("sustainable") mais qu'il représente aussi ce qui est désirable pour les peuples.
A l'issue de vos travaux, il me semble clair que l'exigence du développement durable est consubstantielle à une certaine vision du monde, à la culture politique dans laquelle nous nous reconnaissons. La tâche devant nous est immense et nous ne devons pas ménager nos efforts. Comme vous l'avez montré, il revient à la France et à l'Allemagne de continuer à jouer, au sein de l'Union européenne, un rôle d'impulsion décisif. Les gouvernements de Lionel Jospin et de Gerhard Schröder, vous le savez, en ont la volonté.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2001)