Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Laurent FABIUS, bonjour, bienvenu.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous l'avez entendu, plus 31.500 chômeurs en février, est-ce qu'on a tout essayé ?
LAURENT FABIUS
La priorité c'est le redressement économique, le résultat est mauvais, il en faut pas cacher les choses, mais je pense qu'on n'a pas d'autres solutions que d'amplifier la compétitivité économique de nos entreprises
CHRISTOPHE BARBIER
Par le pacte de responsabilité c'est univoque ?
LAURENT FABIUS
Oui bien sûr, mais il y a un ensemble si vous voulez, en deux secondes. On constate que la compétitivité de nos entreprises a beaucoup reculé depuis dix ans, c'est un fait, il suffit de regarder la réalité. Si on veut, ce sont les entreprises qui créent les emplois, si on veut que les entreprises créent plus d'emplois, il faut alléger leurs charges, d'où le pacte de responsabilité, mais si on allège les charges, il faut en même temps faire des économies dans la dépense publique et il y a un troisième élément, c'est qu'il faut encourager l'investissement parce que les entreprises qui vont être allégées dans leurs charges elles ne vont pas garder ça pour les dividendes, il faut qu'elles puissent investir. Donc le triangle qui est économie allégement de charge investissement, c'est ça le pacte de responsabilité.
CHRISTOPHE BARBIER
Et si on casse la consommation au passage ?
LAURENT FABIUS
Non je ne pense pas et ce serait une erreur, donc il ne faut pas du tout la casser mais si on arrive à redresser l'emploi, du même coup ça crée du pouvoir d'achat et cela soutient la consommation.
CHRISTOPHE BARBIER
50 accords signés, 18 milliards de contrats, est-ce que notre rapprochement avec la Chine, incarné hier par ce sommet, est une des réponses au chômage ?
LAURENT FABIUS
Oui parce que de très bonnes relations avec la Chine, ce sont des dizaines de milliers d'emplois en France.
CHRISTOPHE BARBIER
Chez nous vraiment ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr. Par exemple vous avez vu qu'il y a une perspective, un marché d'hélicoptères de 1.000 hélicoptères dans les années qui viennent. Une partie va être assemblée en Chine, mais une grande partie est faite en France, dans le Sud de la France. Lorsque AIRBUS passe un contrat de 70 AIRBUS, une partie bien sûr est assemblée à Tianjin, à côté de Pékin, mais une grande partie vient soit des usines françaises, soit des usines allemandes. Et on a étendu la gamme de nos échanges à des nouveaux secteurs, ce qu'on appelle la ville durable, les produits agricoles et alimentaire, la construction, la santé, les services, donc on ne peut pas seulement en France, trouver les occasions des développements, il faut aller de plus en plus à l'étranger, nous avons un déficit considérable avec les Chinois, 26 milliards d'euros par an, c'est énorme, c'est 40% de notre déficit et là avec les excellentes relations nouées sur le plan politique, sur le plan économique, ça doit aider beaucoup notre économie.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais au prix peut-être d'un transfert de technologie, c'est-à-dire que dans 15 ans, dans 20 ans, ils nous piqueront des marchés en vendant leurs hélicoptères fabriqués grâce à notre technologie.
LAURENT FABIUS
Le même raisonnement a été fait il y a une dizaine d'années lorsqu'on a décidé d'implanter AIRBUS à Tianjin et on continue à vendre énormément d'avions en Chine. Alors le cycle est toujours le même, de toutes les manières on ne peut plus aujourd'hui avec les pays émergeants, d'ailleurs déjà émergés, on ne peut plus dire, nous allons vous vendre nos produits et la technologie nous la gardons, il faut partager la technologie mais avoir toujours, d'où la recherche française, une technologie d'avance.
CHRISTOPHE BARBIER
Nous ouvrons aussi le territoire français aux investisseurs chinois, est-ce qu'il n'y a pas un risque de voir nos fleurons passer sous leur contrôle comme le procès en a été fait pour PEUGEOT ?
LAURENT FABIUS
C'est une erreur dans le cas de PEUGEOT, ce serait complètement une erreur de considérer ainsi, PEUGEOT avait de grandes difficultés de marché et de capital. Là l'accord qui a été passé permet à la fois de faire rentrer du capital et d'ouvrir au marché chinois. Là où PEUGEOT gagne de l'argent, c'est sur le marché chinois. Prenons un exemple, le tourisme. Nous avons actuellement 1.500.000 touristes qui viennent en France, chacun d'entre eux, je suis précis, dépense 1.500 euros. Si nous passons de 1.500.000 touristes à 3 millions de touristes, cela nous baisse de 6% le déficit extérieur de la France.
CHRISTOPHE BARBIER
Nous faisons vraiment tout pour les accueillir, notamment en matière de sécurité ?
LAURENT FABIUS
Nous ne faisons pas encore assez. Avec le président de la République nous avons pris une décision, je vais vous en donner la primeur, au mois de janvier. Désormais en Chine, pour les Chinois, les passeports sont délivrés en 48 heures, le nombre des visas délivrés aux Chinois en février, a augmenté de 48%, 48% d'une année sur l'autre
CHRISTOPHE BARBIER
Avec un risque d'immigration clandestine
LAURENT FABIUS
Non les Chinois il n'y en a pas. Chez les Chinois il n'y a aucune immigration clandestine.
CHRISTOPHE BARBIER
La Chine a aussi un rôle géopolitique, elle s'est abstenue à l'ONU dans l'affaire Russie Crimée Ukraine
LAURENT FABIUS
Alors qu'on ne craignait qu'elle vote avec la Russie.
CHRISTOPHE BARBIER
Comment interprétez-vous ce geste ?
LAURENT FABIUS
Nous allons beaucoup discuter avec les dirigeants chinois, leur position est la suivante, il y a en Crimée une population russe traditionnelle, il y a des circonstances particulières donc nous n'allons pas voter contre la Russie, mais d'une part nous sommes pour l'intégrité territoriale, or l'intégrité territoriale a été violée par les Russes, deuxièmement, le raisonnement est un peu compliqué, mais il est important, vous savez que les Ukrainiens avaient des armes nucléaires, ils ont accepté de s'en dessaisir
CHRISTOPHE BARBIER
En 94.
LAURENT FABIUS
En 94, à condition d'être protégés dans leur intégrité. Par qui ? Par les Russes, or les Russes non seulement ne les ont pas protégé, mais on annexé une partie du territoire. Ca veut dire donc que c'est un encouragement terrible à tous le pays à dire si on veut garder notre intégrité territoriale, il faut avoir une bombe atomique. Or les Chinois comme nous, sont contre la dissémination nucléaire. Donc qu'il s'agisse de l'intégrité territoriale qui pour les Chinois est un principe absolu, qu'il s'agisse du refus de la dissémination nucléaire, ce qu'ont fait les Russes est dangereux d'où l'abstention des Chinois.
CHRISTOPHE BARBIER
N'a-t-on pas commis une erreur à annuler le G8 de Sotchi ? On aurait discuté avec les Russes à 7 contre un, ils auraient pu reculer.
LAURENT FABIUS
Non je pense qu'on a eu raison, pourquoi ? le G8 c'est un accord sur des normes internationales communes, sur des façons de procéder communes, or ce qu'a fait la Russie en Crimée, c'est une violation des règles internationales, c'est une remise en cause de toutes les frontières, donc il faut marquer le coup, ça ne veut pas dire du tout qu'on rompt les relations avec l'Ukraine, avec la Russie, excusez-moi, nous avons des relations, moi-même je suis souvent au téléphone en ce moment avec mon collègue monsieur LAVROV. Mais il faut aller vers la désescalade et il faut marquer ce que nous n'acceptons pas.
CHRISTOPHE BARBIER
Maintenez-vous votre menace de ne pas livrer aux Russes les navires militaires que nous leur avons vendus ?
LAURENT FABIUS
Alors comment se pose le problème, il y a un contrat commercial qui actuellement est en train de courir et puis, normalement, entre l'acheteur russe et puis le fabricant français et c'est au mois d'octobre que la France devra prendre sa décision d'autorisation ou pas, d'exportation. Mais nous pensons qu'au mois d'octobre, les circonstances auront évolué.
CHRISTOPHE BARBIER
Les circonstances auront évolué, mais est-ce qu'elles seront favorables ? On a l'impression qu'en Ukraine les ultranationalistes sont en train de mettre leur emprise sur le pays.
LAURENT FABIUS
Non je ne crois pas, monsieur IATSEKIOUK, le Premier ministre est un homme très sérieux, il faut aller vers les élections libres, transparentes, présidentielles le 25 mai, à partir du moment où il y aura un nouveau président élu, un nouveau pouvoir légitime, nous nous allons l'aider économiquement, à partir de ce moment-là, l'Ukraine doit pouvoir retrouver des relations normales avec les uns et les autres.
CHRISTOPHE BARBIER
Vladimir POUTINE doit venir en France au printemps, il est toujours le bienvenu ?
LAURENT FABIUS
Oui nous allons en discuter avec les Russes pour savoir si cette visite, à ce moment-là, est opportune ou s'il y a un autre moment qui est plus opportun. De toute les manières il vient en France au mois de juin parce qu'il y a la commémoration de la guerre de 14.
CHRISTOPHE BARBIER
Et de ce côté-là il n'y aura pas de prises d'otages si j'ose dire, de ces commémorations pourtant aux bras des Russes ?
LAURENT FABIUS
Non, non, je crois que c'est un hommage qui doit être rendu aux combattants de l'histoire et c'est tout à fait normal que les différents nations et leurs dirigeants soient là pour rendre hommage et pour dire, plus jamais ça.
CHRISTOPHE BARBIER
Des centaines de condamnations à mort, une candidature présidentielle pour éradiquer le terrorisme, est-ce qu'en Egypte, AL SISSI a votre soutien ?
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas en ces termes que ça se pose, mais vous savez comment tout cela s'est orchestré, d'abord l'élection de monsieur MORSI parfaitement légitime, ensuite une déroute économique épouvantable, une révolte de la population, l'arrivée au pouvoir de monsieur AL SISSI, maintenant une élection présidentielle. A propos des condamnations à mort qui ont été absolument massives, nous disons que ce processus de condamnation en bloc n'est pas acceptable avec nos normes. En même temps pour ce qui est de l'élection présidentielle proprement dite, nous allons voir quels sont les candidats, mais nous souhaitons que très vite on revienne à la feuille de route démocratique.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais notre intérêt c'est quand même l'ordre en Egypte ?
LAURENT FABIUS
La stabilité.
CHRISTOPHE BARBIER
La stabilité. Sanction pour le gouvernement, quelle est votre interprétation du premier tour des municipales ?
LAURENT FABIUS
Je pense qu'elle a été donnée hier au conseil des ministres. J'étais moi à Lyon avec le président chinois donc je n'ai pas participé au conseil des ministres mais j'ai vu ce qui s'y était dit, c'est un avertissement qui a été donné, très clair.
CHRISTOPHE BARBIER
Quel est son sens ?
LAURENT FABIUS
Je vais vous le dire dans un instant, mais ce que je dois vous dire pour en avoir parlé avec le président de la République dès lundi, c'est que l'avertissement il est entendu, il est entendu, donc il y aura des conséquences qui seront tirées dès après le deuxième tour. Maintenant il faut revenir au sens du deuxième tour, il est tout simple et ça m'étonne parfois qu'on ne le dise pas. La question qui est posée aux électeurs dimanche c'est quel est le meilleur maire, c'est ça la question qui est posée
CHRISTOPHE BARBIER
Et pourtant ils envoient un message national.
LAURENT FABIUS
Ils l'ont passé au premier tour et pas seulement un message, avertissement et je vous dis qu'il a été entendu.
CHRISTOPHE BARBIER
On va se retrouver si vous le voulez bien à 8h15 avec Bruce, juste une question : est-ce que j'ai la chance de parler au futur Premier ministre ?
LAURENT FABIUS
Non, un ancien Premier ministre il y a quelques années.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais ça n'empêche pas, au contraire, ça peut peut-être aider un peu d'expérience non ?
LAURENT FABIUS
Non mais, je suis très bien où je suis.
CHRISTOPHE BARBIER
A tout de suite Laurent FABIUS ; on se retrouve à 8h15.
I>Télé 8h15
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS est donc avec nous ce matin, rebonjour.
LAURENT FABIUS
Rebonjour.
BRUCE TOUSSAINT
Le ministre des Affaires étrangères est avec nous pour évoquer toute l'actualité, et vous avez dit une chose avec Christophe il y a quelques minutes, à propos des municipales, vous avez dit que vous aviez parlé avec le président de la République, dès lundi, des résultats du premier tour de ces élections municipales, que l'avertissement c'est votre mot avait été entendu. Diriez-vous que le président a été ébranlé, secoué, par ces résultats ?
LAURENT FABIUS
Non mais il a entendu l'avertissement, d'ailleurs je pense que tout le monde l'a entendu et doit l'entendre. Donc, il en tirera les conséquences après le deuxième tour, mais je disais aussi, parce que je vois les commentaires qui sont fait, le deuxième tour, c'est quand même une question simple, c'est : quel est le meilleur maire ? Ce n'est pas qu'est-ce qu'on pense de tel ou tel problème général. Ça, ça a été passé au premier tour, entendu. Je n'ai pas dit simplement message, j'ai dit avertissement. Mais, maintenant, la question que doivent se poser les électeurs, c'est : quel est le meilleur maire ? Il y a deux candidats, trois candidats, quel est le meilleur maire ?
BRUCE TOUSSAINT
Il y a encore, donc, des villes importantes à sauver, sauvables.
LAURENT FABIUS
Bien sûr, bien sûr.
BRUCE TOUSSAINT
Il n'y aura pas de déroute du PS au second tour, selon vous ? La menace est là.
LAURENT FABIUS
Je ne sais pas, les électeurs sont juges.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'il ne faut pas, quand même, à ces électeurs, leur envoyer, en plus de ce message local, quelques messages nationaux ? On parle par exemple d'un message sur la baisse des impôts.
LAURENT FABIUS
Ecoutez, ce n'est pas mon secteur, mais ça m'étonnerait que l'on prenne de grandes décisions entre aujourd'hui, nous sommes jeudi, et dimanche.
CHRISTOPHE BARBIER
Non, mais des annonces, des promesses, une perspective.
LAURENT FABIUS
Oui, enfin, les promesses, je crois que le gens ont été assez rassasiés de promesses depuis pas mal d'années, donc je crois qu'il faut redonner à ces élections, la question... centrer sur la question « qui est le meilleur maire ? », dire « l'avertissement a été entendu », et puis le président de la République prendra les décisions qu'il doit prendre après.
BRUCE TOUSSAINT
Alors, sur les causes de cette déroute du premier tour, est-ce que vous avez une explication ? Quelle est votre analyse ? La faute à qui, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Oh, il y a certainement un ensemble de causes. Bon, qu'est-ce que l'on peu dire ? Je ne les hiérarchise pas. D'abord la gauche, et le PS, singulièrement, avaient des positions très très fortes, donc évidemment, la redescente est plus rapide. Deuxièmement, les élections de Midterm, comme on dit, sont toujours très compliquées. Troisièmement, il y a eu certainement un avertissement par rapport à la politique gouvernementale, bon, c'est clair. Et puis voilà, ce sont trois causes importantes.
CHRISTOPHE BARBIER
Peut-être aussi...
LAURENT FABIUS
Parfois il y a une certaine usure, aussi, de certains candidats, à droite, à gauche, etc., voilà, c'est quelques causes.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'il n'y a pas une usure du gouvernement, et les Français ont dit « on veut une autre équipe » ?
LAURENT FABIUS
Eh bien, c'est ce que je vous disais, il y a un avertissement, bien sûr, et donc il est entendu et il en sera tenu compte. La modalité exacte, je ne le sais pas. Je crois, si vous voulez, je ne me prononcerai pas du tout sur la question du Premier ministre, on nous pose tout le temps cette question, ce n'est pas mon affaire et c'est au président...
CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes quand même dans ce que l'on appelle en bon français la « short-list ».
LAURENT FABIUS
Ecoutez, je vous ai répondu tout à l'heure. Mais c'est au président, c'est une prérogative du président, faire ce qu'il doit faire. En revanche, sur le gouvernement, je pense qu'il devra être concentré et doublement concentré. Je m'explique, concentré dans les fonctions, dans le nombre, et concentré sur un objectif, qui est celui que l'on a vu tout à l'heure, qui est le redressement économique. Parce que l'emploi, le pouvoir d'achat, etc., tout ça demande... dépend, pardon, de la situation économique, elle doit être redressée, c'est compliqué parce qu'il y a une chute de compétitivité terrible depuis une dizaine d'années, et pour ça, il faut que ce soit l'objectif, j'allais dire, quasiment unique.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est-à-dire qu'il faut renforcer, simplifier Bercy et Grenelle ?
LAURENT FABIUS
Pas seulement Bercy, mais il faut concentrer tout cela, mais pas simplement concentrer les fonctions, mais concentrer l'objectif de la politique. On a commencé à le faire, je pense qu'il faut amplifier ça.
BRUCE TOUSSAINT
Il y a trop de ministres ? Honnêtement.
LAURENT FABIUS
Oui alors ça c'est un débat permanent, moi je suis plutôt partisan d'un allègement.
BRUCE TOUSSAINT
C'est quoi le bon chiffre, s'il y en a ? Ou une fourchette.
LAURENT FABIUS
Il n'y a pas de nombre d'or, mais je pense qu'entre 15 et 20 ça peut fonctionner.
BRUCE TOUSSAINT
Est-ce que les Verts doivent faire partie de ce gouvernement ?
LAURENT FABIUS
Attendez, c'est au président de la République, au Premier ministre, de décider. Moi je suis ministre des Affaires étrangères...
CHRISTOPHE BARBIER
Mais vous avez un souhait, quand même, de voir cette majorité rose/verte, rose/rouge/verte ?
LAURENT FABIUS
Quand on est, j'ai une réponse un peu simple, quand on est dans une situation difficile, la première priorité n'est pas de la rendre plus difficile encore.
CHRISTOPHE BARBIER
François HOLLANDE doit se remanier lui-même, c'est François FILLON qui a dit cela, ce matin, dans LE FIGARO. Que lui répondez-vous ?
LAURENT FABIUS
Oui, c'est une formule qui est souvent utilisée, peut-être même l'ai-je utilisée moi-même il y a quelques années, donc il y a des formules qui reviennent, parfois en boomerang, d'ailleurs. Non, mais écoutez, j'ai dit, déjà, je suis allé plus loin que je voulais, concentrer le gouvernement, doublement le concentrer, à la fois par fonction et par nombre et par tâches, par objectifs.
BRUCE TOUSSAINT
A quoi sert un remaniement ? Je ne vous demande pas de donner des noms ni quoi que ce soit, mais...
LAURENT FABIUS
Ecoutez, non, on verra, on n'en est pas là, en plus moi je suis membre d'une équipe, je ne vais pas me placer dans une situation à contester cette équipe, je ne le ferai pas.
BRUCE TOUSSAINT
Alors, revenons sur les résultats du premier tour des municipales, qui ont été marquées par une forte poussée du Front national. Aujourd'hui, est-ce que vous êtes inquiet, est-ce que vous avez le sentiment, comme le dit Marine LE PEN, que c'est la fin du bipartisme ? Est-ce que le FN est devenu le 3ème parti de France ou le 2ème ex aequo ?
LAURENT FABIUS
Essayons de réfléchir. Pourquoi cette montée, d'idées, que je désapprouve ? Et il faut d'ailleurs que les électeurs fassent très attention, parce qu'une ville qui serait, conditionnel, dirigée par un membre du Front national, c'est une ville qui très probablement va être très mal gérée, c'est l'expérience que nous avons au cours des dernières années, ça a été des catastrophes. Et puis les idées qu'ils professent, sont des idées de ségrégation, qui ne correspondent pas du tout à une ville où il faut au contraire rassembler et que chacun se trouve à sa place. Alors, par rapport à votre question, quelles sont les montées de ce parti ? Les raisons de cette montée, je pense que, d'abord il y a un phénomène dans toute l'Europe, mais en plus, il y a une idée simple et en même temps un peu fausse, nous avons eu la droite, ça n'a pas marché, la gauche c'est très difficile, donc allons essayer ailleurs. J'entends ça quand je discute. Seulement, cet ailleurs ce n'est pas un ailleurs de Nirvana, c'est un ailleurs qui en général signifie mauvaise gestion, ségrégation, difficultés pour la ville, amplification du chômage etc. Bon.
CHRISTOPHE BARBIER
Ça continue à être une mauvaise réponse à des vrais problèmes, comme vous me l'aviez dit il y a longtemps ?
LAURENT FABIUS
Mais, ma formule, elle avait heurté sur le moment mais elle n'était pas fausse, c'est-à-dire que les problèmes sur lesquels surfait à l'époque le Front national, c'est du temps de monsieur LE PEN Père...
CHRISTOPHE BARBIER
Ils sont toujours là.
LAURENT FABIUS
C'était des difficultés de sécurité, etc. et les problèmes existent, mais les réponses n'en son pas, les réponses ne sont pas crédibles, c'est un peu miser sur finalement le malheur des gens. Et je reviens toujours à cette question, simple. Moi même, vous savez, j'ai été maire pendant longtemps, et j'étais encore candidat à cette élection-là, donc je sens les réalités locales. La question c'est, indépendamment des idées politiques, on peut avoir des idées politiques diverses, mais quel est le bon maire ou la bonne maire ? C'est quand même ça la question, parce que les électeurs ils ont avec leur maire une relation particulière, c'est pas la même chose que la grande politique nationale, c'est quelqu'un qui vous représente bien, qui puisse vous écouter, qui puisse être là. Souvent, moi, quand j'étais maire, je recevais des gens dans mon bureau, et on parlait de choses et d'autres, et à la fin, on me disait « au revoir docteur ». Bon, donc il y a cette dimension-là, le maire c'est un médiateur de sa commune, et il y a des... je pense que parmi mes amis, de la gauche, il y a beaucoup de femmes et d'hommes qui ont vraiment de grandes qualités pour faire ça.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que le Front républicain, c'est vraiment encore une solution efficace contre le Front national ? Quand vous voyez votre candidate à Fréjus, qui s'est battue pour faire 15 %, son retrait est arithmétiquement inutile, et la pauvre, elle était en larmes parce qu'elle ne siègera même pas dans l'opposition au Conseil municipal pour essayer de bloquer les actions éventuelles du FN.
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas facile comme question. Moi je ne veux pas jouer sur les mots mais je pense qu'il s'agit plutôt d'une défense républicaine que d'un front républicain. Ce n'est pas simplement une nuance de langage. Le front, ça donne l'impression que tout le monde est mélangé et que finalement on veut aller, droite et gauche ensemble, pour gagner. Ce n'est pas le sujet. Le sujet c'est : quand il y a vraiment une menace, est-ce qu'il ne faut pas avoir une attitude de défense républicaine ? Et là où il y a une vraie menace, c'est pas vrai partout, je pense qu'il faut avoir... Alors, évidemment, c'est très difficile, parce que nos électeurs nous disent : « Oh, écoutez, très bien, vous êtes bien gentils, mais enfin, est-ce que l'on va aller voter pour l'UMP ? ». Et les gens de l'UMP disent : « Mais on ne va pas aller voter pour les socialistes ». Mais quand on est dans une situation concrète, est-ce qu'il ne faut pas faire un acte de défense républicaine, qui n'est pas... on n'a pas à en faire gloriole, mais dans une situation difficile, il faut bien trouver une solution.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a les élections européennes dans quelques semaines, vous avez en 2005 combattu un référendum, depuis on a l'impression que l'idée européenne est en crise, qu'elle est en difficultés, est-ce qu'il faut se préparer, en France et ailleurs, à avoir une vague de rejet de l'Europe ou d'une vague souverainiste ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, on traitera les élections européennes en leur temps. Simplement, moi j'étais, en 2005, vous vous rappelez, j'avais pris position pour le non, pas du tout le non contre l'Europe, je suis très très européen...
CHRISTOPHE BARBIER
Donc contre une constitution.
LAURENT FABIUS
...mais contre une gestion européenne que je trouvais mauvaise et que je trouve toujours, à certains égards, très critiquable.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, que fait-on ?
LAURENT FABIUS
Eh bien, il faut... On ne va pas faire la campagne européenne aujourd'hui, mais je pense qu'il faut redresser cette gestion européenne, sinon le risque c'est que les gens confondent une mauvaise gestion européenne avec l'idée européenne elle-même et récuse l'Europe, ce qui serait une folie. Vous avez dit au début de notre entretien, nous recevons la Chine. La Chine, 1,3 milliard d'habitants. L'Inde va bientôt la dépasser. Le Nigeria, vous voyez où c'est sur la carte, à la fin du siècle, 950 millions d'habitants, et vous pensez que la France, 66 millions d'habitants, la France est une grande puissance, 5ème plus grande puissance économique du monde, un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, mais il faut jouer avec l'Europe, mais pas une Europe qui serait une passoire.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais vous voila fédéraliste !
LAURENT FABIUS
Non non non.
CHRISTOPHE BARBIER
Ah ben une grande Europe de 350, 400, 450 millions d'habitants.
LAURENT FABIUS
Non non, ne confondez pas mes réponses et vos convictions.
BRUCE TOUSSAINT
Alors, je voudrais vous montrer, Laurent FABIUS...
LAURENT FABIUS
Enfin, je ne sais pas quelles sont vos convictions, d'ailleurs.
BRUCE TOUSSAINT
Je voudrais vous montrer la Une de L'EXPRESS, cette semaine, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion...
LAURENT FABIUS
Je l'ai vue, je l'ai vue.
BRUCE TOUSSAINT
Voilà. Alors, « JUPPE, l'homme qui veut sauver la droite ». On parle souvent d'ailleurs, on fait souvent une comparaison entre Alain JUPPE et vous. Est-ce que...
LAURENT FABIUS
Alors, Alain JUPPE est un homme que j'estime et c'est un ami, mais nous avons deux caractéristiques communes, d'une part une chevelure aussi abondante, dans les deux cas, et nous avons eu le triste privilège d'être dans les mêmes écoles. Bon, il était un an ou deux ans avant moi. Bon...
CHRISTOPHE BARBIER
Pas seulement, vous avez été... aussi été tous les deux Premiers ministres, est-ce qu'aujourd'hui il n'y a pas une prime dans ce pays, à l'expérience ? La situation est difficile, les Français commencent à se dire : rappelons aux commandes, des gens qui ont connu des périodes difficiles.
LAURENT FABIUS
Vous savez, maintenant je suis le patron du Quai d'Orsay, donc il faut faire ce que l'on appelle des « Under statements », en anglais, c'est-à-dire des sous entendus. Alors, vous me dites : est-ce qu'il n'y a pas une prime à l'expérience ? Je réponds : l'expérience n'est pas un handicap insurmontable. Voilà.
CHRISTOPHE BARBIER
On est sorti des années du jeunisme, en politique nationale.
LAURENT FABIUS
Non, mais il n'y a pas de règle. Il n'y a pas de règle. Vous avez des gens jeunes, enfin, qui ont 30 ans, et on a déjà l'impression qu'ils ont 130 ans, et vous avez des gens qui sont en forme, qui sont âgés et qui ont l'expérience. Bon.
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS, je voudrais, en présence du patron de L'EXPRESS, proposer humblement, une Une pour la semaine prochaine. Regardez. Voici la une inspirée par celle de cette semaine : « FABIUS, l'homme qui veut sauver la gauche ». Ça vous va ou pas ?
LAURENT FABIUS
Non, mais, il est rare que les bons hebdomadaires fassent deux fois les couvertures...
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS...
CHRISTOPHE BARBIER
... attention, nous bouclons lundi soir, donc pour le remaniement, il faut que vous soyez dans
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS, vous avez déjà... vous n'avez déjà pas répondu à cette question, donc on vous la repose. Ça vous va comme préambule ?
LAURENT FABIUS
Oui....
BRUCE TOUSSAINT
La question est très simple : est-ce que ça se refuse, un job de Premier ministre ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr, ça peut se refuser.
BRUCE TOUSSAINT
Ah bon ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
CHRISTOPHE BARBIER
Difficile quand même. C'est le pays qui vous appelle à travers le président, c'est la situation qui l'exige.
LAURENT FABIUS
Non, d'abord, je ne crois pas...
BRUCE TOUSSAINT
Vous l'excluez totalement ? Non mais, pour que ce soit clair, vous l'excluez ou pas ?
LAURENT FABIUS
Alors, si vous posez la question en général, je vous réponds, pour moi, je vous ai déjà dit que j'étais très bien là où je suis, voilà.
CHRISTOPHE BARBIER
Etre Premier ministre en 2014, ça n'a plus rien à voir avec 84 ? Le quinquennat a tout changé à la fonction ?
LAURENT FABIUS
Pas seulement le quinquennat, c'est une autre fonction, beaucoup plus internationale aujourd'hui, avec une pression médiatique considérable. Il faut produire quelque chose, consommable par les médias tous les jours, avec des décisions très nombreuses à prendre. Je pense que ce qui est essentiel c'est d'avoir une armature à la fois de convictions et intellectuelle très solide, parce que c'est un travail épuisant, et il ne faut pas se poser la question de sa grille de lecture à propos de chaque décision, il faut avoir une grille et une mission précises. J'ai dit que Premier ministre actuel ou autre Premier ministre, la tâche numéro 1 sur laquelle il faut se concentrer, c'est le redressement économique du pays.
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS...
LAURENT FABIUS
Et ça, je pense que tout le monde le reconnait. En insistant sur l'investissement.
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS, nous finirons là-dessus, maintenant on peut le dire, c'est écrit partout, tout le monde le réclame, y compris à gauche, il y aura un nouveau gouvernement dans les prochains jours, à l'issue de ce premier tour, ou du moins vous le souhaitez...de ce deuxième tour...
LAURENT FABIUS
Je vous dis ce que le président de la République m'a dit : l'avertissement du premier tour a été entendu.
BRUCE TOUSSAINT
Ce qui signifie donc...
LAURENT FABIUS
Voilà.
CHRISTOPHE BARBIER
A peine limpide.
BRUCE TOUSSAINT
On en reste là. Merci d'avoir été...
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup. Bonne journée à vous Laurent FABIUS.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 mars 2014