Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, sur la politique de l'environnement et de l'énergie dans le cadre de l'Union européenne, au Sénat le 21 mai 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition de la ministre par la commission des affaires économiques et la commission du développement durable, au Sénat le 21 mai 2014

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je veux tout d'abord vous remercier de la qualité de ce débat. Je perçois vos interventions comme autant de contributions à la réflexion que je mène, au moment où je finalise le projet de loi de programmation sur la transition énergétique. Nous aurons donc l'occasion de reparler de tous ces sujets très prochainement.
Je remercie bien évidemment le groupe écologiste, qui a pris l'initiative d'organiser ce débat maintenant. Celui-ci intervient en effet à un moment crucial, puisque les citoyens de notre pays et de l'Europe entière éliront dans quelques jours leurs députés européens.
Ainsi, nous voyons un certain nombre de citoyens se détourner de l'Europe, alors que, paradoxalement, selon les enquêtes d'opinion, jamais les Français et les citoyens européens ne se sont sentis autant européens. Bien qu'ils n'imaginent pas leur destin en dehors de l'Europe, ils n'ont pourtant jamais autant douté de l'efficacité de celle-ci.
Pour faire repartir l'Europe et la faire aimer de nouveau, il nous faut donc avant tout des projets mobilisateurs concernant les questions majeures aujourd'hui posées à nos sociétés, des projets créateurs d'activités nouvelles et d'emplois durables, solidement ancrés dans les territoires et améliorant les conditions de vie des citoyens de France et de tous les pays européens.
À mes yeux, l'une des questions vitales aujourd'hui posées à l'Europe, premier consommateur mondial d'énergie, est celle d'une profonde mutation de notre politique de l'énergie, flux de vie irriguant toutes nos activités. En effet, le changement climatique nous oblige à hâter et amplifier, bien au-delà des engagements collectivement souscrits, nos efforts en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.
De surcroît, le renchérissement grève toujours plus nos finances et compromet l'essor encore trop lent et trop fragile des énergies alternatives.
Et n'oublions pas un enjeu important de la transition énergétique, à savoir les millions d'emplois susceptibles d'être créés du fait de la recherche d'économies d'énergie et du développement des énergies renouvelables, à condition toutefois que nous mobilisions plus fortement et plus rapidement nos compétences scientifiques, technologiques, industrielles, que nous développions les formations et les métiers adéquats, de façon à être les premiers à réussir la grande transformation écologique du XXIe siècle.
L'histoire ne se répète jamais à l'identique, mais on doit toujours en tirer d'utiles leçons. L'Europe des pères fondateurs s'inscrivait dans un monde qui n'est plus le nôtre, mais nous devons poursuivre l'élan initial qui lui fut donné grâce à l'ample vision de quelques-uns qui conçurent pour elle une grande ambition, autrement dit l'expérience fondatrice de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
L'Europe encore en reconstruction des années cinquante manquait dramatiquement d'énergie pour se redresser. Ses industries charbonnières étaient obsolètes, dispersées, concurrentes, polluantes, et la facture de ses importations énergétiques était au-dessus de ses moyens. À ce moment-là, six pays firent le pari audacieux de s'en sortir ensemble et y réussirent.
De nos jours, la question énergétique n'en demeure pas moins centrale. La prendre résolument à bras-le-corps est la façon la plus réaliste et la plus enthousiasmante de mettre le cap sur une croissance verte, écologiquement et socialement créatrice d'emplois et de bien-être, une croissance verte qui encourage et soutient hardiment l'innovation, qui stimule et épaule le goût d'entreprendre, qui ne tient pas les salariés pour une variable d'ajustement et qui améliore le pouvoir d'achat et la santé de tous. Accélérer le rythme est à notre portée, j'en suis convaincue, et le présent débat le démontre.
Consentir ensemble un effort dans le domaine de la recherche, par exemple pour lever l'obstacle du stockage de l'énergie ou pour devenir les champions de la chimie verte, est à notre portée.
Financer les importants investissements d'avenir nécessaires à ces grands chantiers que sont l'isolation thermique des bâtiments et des logements, les transports propres et les véhicules électriques, l'amélioration des performances des énergies renouvelables de toutes catégories - solaire, marine, éolienne, géothermique - est à notre portée.
Bien sûr, chaque pays a ses filières d'excellence qui, conjuguées, formeraient une force de frappe considérable. C'est en agissant ensemble que nous pourrons nous soustraire aux aléas des soubresauts géopolitiques et au chantage pétrolier ou gazier des uns ou des autres. C'est ainsi que nous assurerons notre souveraineté et notre sécurité énergétique. C'est évidemment une chance historique pour l'Europe d'apporter des réponses concrètes et opérationnelles aux attentes de ses peuples. Ne nous laissons pas ralentir par les frilosités et les bureaucraties de toute nature, car les peuples s'impatientent.
Qu'importe, dans cette perspective, que chaque pays d'Europe ait sa propre identité ou spécificité énergétique, avec ou sans nucléaire, avec ou sans charbon.
Il s'agit non pas de mener la bataille, perdue d'avance, de l'uniformisation, mais de construire sur la base de principes que nous partageons, d'accélérer et d'approfondir le tournant déjà amorcé vers l'efficacité énergétique et vers les énergies nouvelles.
Qu'importe que, dans un premier temps, tout le monde ne soit pas prêt à s'engager dans une coopération renforcée basée sur le volontariat. Démarrons avec ceux qui le sont et donnons la preuve que cette coopération est possible et bénéfique, la preuve que les emplois de demain sont là, moins délocalisables que ceux du vieux modèle, la preuve que les gains de compétitivité pour nos entreprises comme de pouvoir d'achat et de bien-être pour les ménages sont là, la preuve que nous pouvons, en agissant à plusieurs, devenir les acteurs majeurs de cette troisième révolution industrielle déjà en marche, la preuve que l'on peut sortir de la crise par le haut et échapper à sa fatalité.
L'Europe à laquelle les Français croiront de nouveau, c'est celle de la politique par la preuve. À nous de lui donner corps !
L'Europe à laquelle les Français croiront de nouveau, c'est celle qui résout les problèmes et qui nous réconcilie avec l'avenir sans renier notre passé. À nous de la rendre crédible et désirable !
L'Europe à laquelle les Français croiront de nouveau, c'est celle qui donnera au monde l'exemple de sa capacité à anticiper et à accompagner, l'exemple de sa volonté.
Cette Europe, cette communauté européenne de l'énergie, qui coordonne tous ses efforts, notamment en faveur des énergies renouvelables, nous devons la construire. Les forces progressistes peuvent la vouloir avec suffisamment de détermination et la rendre effective en mettant tout le monde en mouvement, non seulement les forces politiques, mais aussi l'intelligence des territoires, les filières économiques et tous les citoyens appelés à en être les acteurs et les codécideurs.
Le changement de modèle énergétique, ce n'est pas une question technique. Trop souvent, d'ailleurs, l'Europe s'englue dans ces questions techniques et les citoyens s'en détournent, car ils ne comprennent même plus le vocabulaire utilisé. Il n'est qu'à citer le «paquet énergie-climat». Qui peut comprendre une telle expression ? Nous devons à la fois simplifier le vocabulaire, clarifier les objectifs, tracer les chemins qui mènent à leur réalisation, car, au bout de la chaîne, c'est le consommateur d'énergie qui finance les nouvelles énergies. Par conséquent, si nous associons les consommateurs à d'autres façons de consommer en leur donnant les moyens d'économiser l'énergie et de faire des choix énergétiques, nous réussirons cette mutation énergétique.
Ce changement de modèle est également un changement de culture et de société. C'est une chance de renouvellement démocratique, une chance de partager les décisions bien mieux que selon les vieux schémas verticaux, une chance de redonner aux citoyens du pouvoir d'agir. C'est pourquoi ce débat est si important. C'est pourquoi les enjeux de la construction de l'Europe de l'énergie sont aussi déterminants. C'est en effet une occasion formidable ! Il existe peu de sujets qui relient aussi clairement et aussi fortement la décision micro-économique - celle du citoyen -, les enjeux d'un modèle énergétique national et, avant lui, territorial et les enjeux du réchauffement planétaire.
Il est très rare que, au cours d'une même époque, doivent être définis les tenants et les aboutissants, les objectifs, le cadre, l'idéal à atteindre et le chemin pour y parvenir. Nous n'avons pas le droit de passer à côté. Je me réjouis de cette convergence entre le débat qui s'engage dans la société française, le débat parlementaire que nous devrons conduire lors de l'examen du projet de loi de programmation sur la transition énergétique et les prochaines échéances nationales et internationales tout à fait essentielles.
Le calendrier international est en effet très chargé.
Les 5 et 6 mai dernier, j'ai participé, à Rome, à la réunion des ministres de l'énergie du G7 avec trois autres ministres européens - italien, allemand et britannique. Tous les quatre, nous nous sommes entretenus en marge de cette réunion pour voir comment nos convictions nous permettraient de dépasser nos différentes bureaucraties, en nous accordant sur des perspectives claires qui puissent faire l'objet de débats au sein de nos représentations nationales respectives. Il s'agit surtout de rendre ces enjeux accessibles à tous les citoyens, afin qu'ils croient à la parole politique sur la question du modèle énergétique européen.
Les 5 et 6 juin prochain se tiendra, à Bonn, une convention sur le climat. Le Conseil Environnement aura lieu le 12 juin. Le Conseil européen des 26 et 27 juin sera l'occasion d'évoquer le fameux paquet énergie-climat et la sécurité énergétique. Le 16 juillet se déroulera le conseil informel des ministres de l'énergie au cours duquel il sera de nouveau question de ces enjeux.
Les 26 et 27 juin sera organisée, à Nairobi, une réunion de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement autour de sujets concernant les objectifs du développement durable, le climat, les espèces menacées. Le 23 septembre se tiendra à New York le sommet des Nations unies sur le climat.
Au mois d'octobre prochain est prévu un nouveau Conseil européen ; vous avez été plusieurs à l'évoquer, mesdames, Messieurs les Sénateurs. Il sera en effet décisif pour l'avenir de l'Europe de l'environnement. Bien évidemment, tous ces rendez-vous préparent la conférence Climat, qui aura lieu en 2015 à Paris.
Pour ma part, je me réjouis de voir le Sénat, c'est-à-dire la représentation nationale, se saisir de ces sujets. Il est très important que cette impulsion ait également lieu dans les parlements nationaux et que les exigences en cause soient débattues à l'échelon tant européen qu'international. Je salue donc votre initiative, et vous répète à quel point je me félicite de voir cette discussion trouver son prolongement dans l'examen du projet de loi de programmation que je vous présenterai.
Vous m'avez demandé si l'engagement gouvernemental était ferme. Bien sûr, vous pouvez compter sur le gouvernement, comme, je le sais, je peux aussi compter sur vous. La volonté gouvernementale est réelle, et la volonté de la représentation nationale est tout à fait essentielle ; elle est même indispensable.
Vous avez souligné l'importance des efforts qui doivent être consentis en faveur de l'innovation. Je vous rejoins sur de nombreux points, sauf peut-être sur un. Vous avez insisté sur le fait que la consommation d'électricité était une fatalité et allait augmenter, comme les prix, d'ailleurs. Nous n'avons rien à gagner à reproduire les discours des producteurs d'électricité, dans l'intérêt même de ces derniers.
En tant que ministre chargée de l'énergie, je suis persuadée que l'augmentation de la consommation d'électricité n'est pas une fatalité et que nous devons nous battre pour en obtenir la diminution.
Je considère également que la hausse du prix de l'électricité n'est pas non plus une fatalité. Ce prix doit aussi diminuer. C'est d'ailleurs tout le sens de cette révolution, de cette mutation, de cette transition énergétique.
Nous n'avons aucun intérêt à adopter la même attitude que la vôtre devant les producteurs d'électricité, car ils ne doivent pas avoir la certitude de voir le chiffre d'affaires et le carnet de commandes de leur entreprise augmenter automatiquement. Dans ces conditions, pourquoi se sentiraient-ils tenus de gagner en productivité, d'investir dans l'innovation, notamment dans le stockage de l'énergie ou les bâtiments passifs, autrement dit les bâtiments à énergie positive ? Et si de tels édifices existent déjà, il doit être possible d'en généraliser la construction. Les progrès enregistrés dans ce domaine nous permettent de croire à la baisse de la consommation d'électricité. Nous en débattrons d'ailleurs lors de l'examen du projet de loi de programmation sur la transition énergétique, que, j'espère, vous voterez, Mesdames, Messieurs les Sénateurs.
Je pense aussi à la voiture électrique. Dès lors que l'on aura mis au point la pile à combustible qui se rechargera automatiquement ou le stockage de l'énergie, la baisse de la consommation d'électricité s'amorcera.
Par conséquent, nous devons déjà anticiper l'étape suivante, celle qui, grâce à des gains de productivité et à des innovations technologiques, permettra de diminuer la consommation d'électricité et, par conséquent, la facture d'électricité de nos concitoyens.
Si l'on dit aux Français, comme on l'entend trop souvent, que les énergies renouvelables coûtent cher - ce qui est faux, leur prix est en train de baisser de façon considérable -, que le prix de l'électricité augmente, pourquoi feraient-ils un effort pour penser et pour consommer autrement ? Le politique doit user de sa force et déclarer aux producteurs d'électricité que le modèle vers lequel nous tendons, c'est celui d'une société sobre, qui n'offrira pas moins de confort, bien au contraire. C'est cela, la révolution énergétique ! Qui plus est, cette société apportera le bien-être et plus de démocratie en permettant à chacun, par exemple grâce aux compteurs intelligents, de calculer sa consommation et de modifier ses comportements. C'est cela que nous devons inventer ensemble. C'est ce chemin qu'il nous faut tracer ensemble.
Vous avez aussi évoqué la question du nucléaire.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, jamais vous ne m'entendrez opposer les énergies les unes aux autres. Certains responsables politiques, notamment les écologistes, sont favorables à une sortie du nucléaire. J'estime cette position tout à fait respectable. Elle est même motivante, car elle oblige à prendre position, donc à susciter le débat, et à avancer un certain nombre d'arguments sur les problématiques soulevées.
Pendant très longtemps, le nucléaire était un sujet tabou. Personne n'osait en parler, parce que les décisions en la matière étaient centralisées : elles étaient prises au nom du peuple français, mais sans consulter le peuple français, ni même les élus.
Ainsi, les élus ont-ils été consultés à propos de la construction de la centrale de Flamanville et des investissements considérables que ce projet représente ? Or on ne doit pas craindre le débat démocratique sur la question du nucléaire, bien au contraire.
Je prône non pas une sortie du nucléaire, mais l'intégration de cette énergie au sein du mix énergétique.
Je veux accélérer l'investissement non seulement dans le nucléaire du futur pour inventer la quatrième génération de centrales, mais aussi dans le démantèlement des centrales et obliger les producteurs d'énergie nucléaire à s'engager dans le mix énergétique.
En effet, pourquoi EDF s'engagerait-il à fond dans l'éolien offshore à l'étranger et pas en France ?
Aucune raison ne justifie que nos industriels, qui se prévalent de leur compétence en matière d'énergies renouvelables à l'étranger - et c'est tant mieux ! - ne procèdent pas aux mêmes investissements et ne déploient pas les mêmes efforts en France, sous prétexte que nous avons l'énergie nucléaire. C'est rendre service à l'entreprise EDF que de lui tenir un tel discours.
D'ailleurs, l'État étant actionnaire d'EDF, il a aussi la responsabilité de déterminer des perspectives, dans le prolongement de ce que décidera la représentation nationale sur le mix énergétique et notre nouveau modèle énergétique.
Il faut non pas rester figé sur les choix du passé, mais au contraire essayer d'être visionnaire, et aider EDF à anticiper sur les mouvements très rapides des marchés étrangers. En effet, après la catastrophe de Fukushima, le marché international du nucléaire a profondément changé. Il nous faut aussi préempter, en quelque sorte, les marchés pour nos entreprises françaises sur le fondement d'un mix énergétique équilibré, sans opposer les énergies les unes aux autres. C'est ainsi que nous serons forts et que nous nous positionnerons pour le futur.
Vous avez très justement rappelé les risques que fait courir le réchauffement climatique sur la paix mondiale. Il est à noter les personnes déplacées et, malheureusement, les conflits armés pour le contrôle de l'accès à l'eau potable, faits qui nous conduisent à intervenir avec encore plus de force.
Vous avez aussi souligné le rôle de la fiscalité écologique européenne, notamment la question du prix du carbone. Vous avez absolument raison : c'est l'un des domaines sur lequel l'Europe doit avancer clairement et rapidement.
Vous avez également complété l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre par la notion d'empreinte carbone.
Cette approche novatrice me semble en effet indispensable, et nous devrons réintégrer cette notion trop souvent oubliée dans notre réflexion.
Vous avez insisté sur le coût de l'économie mondialisée. Effectivement, si les transports étaient payés à leur juste prix, les rapports de force ne seraient sans doute pas les mêmes et l'évolution vers des transports propres aurait été bien plus rapide. Vous avez relevé la nécessité de tirer tous les États vers le haut pour trouver le meilleur modèle énergétique. Je pense que c'est une bonne façon de faire, en commençant par l'Europe, en prenant ce qu'il y a de meilleur dans chaque pays, et en aidant chaque État à supprimer ce qu'il peut y avoir de pire chez lui.
Vous avez aussi évoqué, de même que d'autres intervenants, les concessions hydrauliques. Je suis allée à Bruxelles lundi dernier pour notifier à la Commission notre demande de prolongation de ces concessions, avec en contrepartie l'engagement, que j'inscrirai dans le futur projet de loi, de faire évoluer le statut juridique des entreprises concernées et de les transformer en sociétés d'économie mixte, les SEM, à l'image de la Compagnie nationale du Rhône. Je pourrai soutenir l'argument selon lequel nous avons besoin d'un peu de temps pour mettre en place ces SEM. De surcroît, dès lors que les entreprises seront assurées du prolongement de leur concession, elles devraient pouvoir investir 1,5 milliard d'euros. Je soutiens donc sans réserve cette position.
Vous avez parlé de pédagogie, de sobriété énergétique, et vous avez dénoncé les bâtiments-passoire. C'est à raison que l'on donne parfois des leçons aux autres pays quand on est soi-même en avance, mais, sur ce sujet, la France est très en retard. En effet, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, l'énergie étant abondante et bon marché dans notre pays, nous n'avons pas été très regardants en matière de construction. À l'inverse, les pays où l'énergie était rare ou chère disposent aujourd'hui d'un avantage compétitif certain, car ils ont anticipé. Ainsi, je suis convaincue que l'un des leviers de la croissance économique en Allemagne réside dans la mobilisation de ce pays sur des chantiers d'isolation énergétique : leurs entreprises ont développé des savoir-faire, construit des bâtiments extrêmement performants et remporté des appels à projets internationaux.
Vous le constatez, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, les choix effectués à certaines périodes sont déterminants. Si l'on n'anticipe pas sur les mutations à venir, on le paye assez cher par la suite.
Vous avez aussi relevé la nécessité d'accélérer la simplification des procédures et vous avez complètement raison. J'ai d'ailleurs demandé à mes services d'agir en ce sens, et je les remercie d'avoir engagé ce travail.
Rien ne justifie en effet que les délais soient de sept à huit ans en France, contre quatre à cinq ans en Allemagne. Nous allons donc faire des propositions dans ce domaine, et j'espère avoir l'occasion de vous en rendre compte très prochainement.
Vous avez souligné le retard pris pour ce qui concerne les véhicules propres, et vous avez absolument raison. Il va falloir là encore accélérer, et j'y tiens tout particulièrement.
Vous avez aussi évoqué la question de la place du nucléaire. Je le répète, nous ne devons pas opposer les énergies les unes aux autres. Je souhaite dépolitiser le débat sur cette question, car, in fine, ce sont les Français qui paient les factures d'électricité.
Nos concitoyens ont par conséquent le droit de savoir quels choix sont effectués et comment sont structurés les prix. Je suis d'ailleurs en train de réformer le décret qui fixe les prix de l'électricité : il m'a en effet semblé étrange que, à l'issue des explications fournies par le producteur d'électricité sur le coût de production de l'électricité, la Commission de régulation de l'énergie soit obligée d'entériner les prix. C'est ainsi que l'on a accepté la fatalité de l'augmentation régulière - 10 % par an - du prix de l'électricité. J'attire votre attention sur le fait que cette augmentation est très violente pour les Français : ils la perçoivent comme un impôt.
Pourquoi les producteurs d'électricité ne réaliseraient-ils pas aussi des gains de productivité, ne connaîtraient-ils pas des retours sur investissement ou encore une meilleure organisation ? Je veux inciter l'opérateur énergétique à s'engager sur cette voie, plutôt que de lui garantir une augmentation de son chiffre d'affaires sans lien avec les efforts qu'il accomplit en termes de productivité.
En effet, comme j'ai la main, je vais faire en sorte que les augmentations du prix de l'électricité ne soient plus entérinées de cette manière, et que les Français puissent au contraire obtenir un gain de pouvoir d'achat au moyen des économies d'énergie d'une part, de la baisse du prix de l'électricité d'autre part, laquelle sera notamment possible grâce à la montée en puissance des énergies renouvelables.
Vous avez dressé un panorama mondial des enjeux climatiques, ce dont je vous remercie. Vous avez aussi souligné la force et l'importance des initiatives européennes. Une fois encore, je sais gré aux membres de votre groupe d'avoir suscité ce débat, et j'espère que vous allez le poursuivre, parce que le gouvernement a aussi besoin de propositions. Les ministres chargés de l'énergie ont besoin de s'appuyer sur leur propre Parlement demandeur d'initiatives, d'actions et de résultats pour pouvoir peser à l'échelon européen.
Vous avez dit que l'Europe repoussait à plus tard les décisions pour cause de dissensions. Je partage complètement votre réprobation : j'estime également que les choses avancent beaucoup trop lentement et je considère qu'il ne faut pas baisser les bras avant même d'avoir mené le combat. Or c'est parfois un peu ce qui se passe. Pour l'instant, effectivement, les résultats ne sont pas à la hauteur. Eh bien, ils doivent l'être, je ne peux pas vous dire autre chose !
La transition écologique doit être le nouveau moteur non seulement de l'Europe, mais aussi du couple franco-allemand. C'est la raison pour laquelle j'ai pris contact avec les autres ministres européens chargés de l'énergie. Ainsi, s'il y a une vraie volonté politique, certains dossiers peuvent avancer lors de contacts bilatéraux, de face-à-face ou de petites réunions de proximité.
Je me suis notamment entretenue longuement avec le ministre allemand Sigmar Gabriel, pour que nos équipes puissent dépasser les lourdeurs et le fatalisme de l'inaction.
J'ai aussi rencontré le ministre britannique chargé de l'énergie, qui a créé le groupe de la croissance verte, le Green Growth Group. Il a cependant beaucoup de difficultés à faire progresser ce groupe, en dépit de son intérêt.
Il faudrait donc donner une nouvelle impulsion à cette façon de procéder, car lors de mes rencontres bilatérales ou restreintes avec mes homologues étrangers, je constate qu'ils sont très offensifs, mais, par la suite, les initiatives ont parfois tendance à s'engluer dans la lourdeur des procédures. C'est cela qu'il faut dépasser, et je compte sur vous pour nous aider à avancer.
Je souhaite en effet une écologie positive, qui ne soit pas synonyme de taxes ou d'interdits. Vos critiques sont sans doute excessives, Monsieur le Sénateur. Et, sans vouloir polémiquer, je vous rappellerai que le précédent quinquennat a commencé avec le Grenelle de l'environnement, et qu'il s'est terminé avec cette phrase terrible : l'environnement, «ça commence à bien faire !»
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, plusieurs d'entre vous ont évoqué la question de la validation automatique des autorisations ou des certificats. J'y suis favorable. Je pense en effet que nous devons passer à un système déclaratif, tout en prévoyant des contrôles, car, malheureusement, des fraudes très lourdes existent dans ce domaine. Il faut donc trouver un juste équilibre. Il est regrettable que les non-fraudeurs payent pour les fraudeurs, en étant contraints à des délais de réalisation très longs.
Vous avez insisté sur le rôle crucial de l'innovation, et vous avez affirmé que l'ambition devait être au rendez-vous. C'est également mon avis, et je vous remercie d'avoir fait preuve d'autant de conviction.
Je vous remercie d'avoir dressé le panorama des dépenses d'avenir et d'avoir si bien illustré la croissance verte, notamment par les interconnexions en Europe qui sont en effet cruciales. Nous allons, de manière générale, accélérer ces chantiers opérationnels. Vous avez parfaitement souligné l'articulation entre la croissance verte et les résultats que nous pouvions en attendre.
En conclusion, je veux remercier une nouvelle fois de ces échanges les intervenants des différents groupes, notamment ceux du groupe écologiste que préside Jean-Vincent Placé et qui est à l'origine de ce débat. Nous aurons de toute façon l'occasion de nous revoir pour reparler de ces questions.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mai 2014