Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à des questions sur l'éventualité d'un référendum sur la monnaie unique, le non-respect de l'état de droit en Corse et la restructuration des industries d'armements, à l'Assemblée nationale le 21 février 1996.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 21 février 1996

Texte intégral

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
L'Union des jeunes pour le progrès, organisation de jeunesse du RPR ? parti que vous présidez, monsieur le Premier ministre ? semble décidée à lancer une campagne pour un nouveau référendum sur la monnaie unique.
J'ai ici la pétition nationale de l'UJP, dont je vous cite le texte :
« Le traité de Maastricht livré en bloc aux Français est une absurdité de l'histoire. Il méprise aussi bien les nations européennes que la démocratie. Sa timide ratification signifiait seulement notre volonté que se poursuive la construction de l'Europe. Mais l'Union européenne n'est pas une fin en soi. Les Français veulent une Europe qui leur garantisse la paix et l'emploi. Ils ne veulent donc pas de la monnaie unique. Ils veulent une monnaie commune qui préserve la souveraineté de chacun des Etats. »
Et, s'adressant aux députés, l'UJP poursuit : « Vous, représentants de la nation, allez-vous accepter cet abandon définitif de vos attributions au profit d'une haute autorité invisible, non élue et non contrôlée ? A quoi servirez-vous demain ? La France ne sera-t-elle qu'une petite province intégrée dans un super-Etat technocratique ? »
Monsieur le Premier ministre, allez-vous entendre l'appel des jeunes militants de votre organisation politique, qui reflète l'opinion de beaucoup de Français ?
Acceptez-vous que les parlementaires de votre majorité qui ont gardé l'esprit jeune, c'est-à-dire gaulliste (Rires sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République), signent une motion proposant un référendum sur la monnaie unique, comme le demande l'UJP ?
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le député, une précision d'abord : l'Union des jeunes pour le progrès n'est pas l'organisation de jeunesse du RPR. C'est une organisation tout à fait indépendante.
Je ne connais pas ses statuts dans le détail, mais, si ces derniers le permettent, je ne verrai, pour ma part, aucun inconvénient à ce que M. Chevènement rejoigne les rangs de l'UJP. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Sur le fond ? et il s'agit d'un sujet sérieux que M. Chevènement a traité de manière un peu originale, pour ne pas dire légère ?, je me bornerai à deux brèves réflexions.
La première, c'est que nous sommes, je l'espère, tous ici de bon démocrates. J'en suis sûr d'ailleurs ! Le peuple français s'est prononcé. Il a ratifié le traité de l'Union européenne. Ce traité sera respecté et appliqué. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Ma seconde réflexion concerne l'intéressant débat sur l'Union économique et monétaire que nous avons eu hier dans cet hémicycle.
J'entends dire périodiquement que les forces politiques françaises sont très divisées sur ce sujet et que, notamment, la majorité n'aurait pas de cohérence...
M. Louis Mexandeau. De cohésion !
M. le Premier ministre. ... sur ce grand enjeu. Ce n'est pas ce que j'ai entendu hier. Et en lisant à nouveau la presse ce matin, j'y voyais plutôt la confirmation d'un consensus sur ce que j'ai dit moi-même à la tribune, à savoir que l'Union économique et monétaire est non seulement une nécessité économique, mais d'abord et avant tout un grand projet politique, le seul à même de garantir l'avenir de nos nations sur la scène mondiale et le renforcement de l'Union européenne autour du couple franco-allemand.
C'est cela, je crois, que la majorité a voulu dire hier au cours de ce débat. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.
M. le président. La parole est à M. José Rossi.
M. José Rossi. Monsieur le Premier ministre, je souhaite appeler votre attention sur la tension qui règne en Corse depuis quelques jours.
Je voudrais le faire sans esprit de polémique mais avec gravité, et, en même temps, avec un certain sens du relatif, car, depuis plus de vingt ans, la Corse connaît une dérive qu'aucun gouvernement n'a su arrêter. Et je dois dire que les politiques qui ont été suivies ne l'ont pas été avec la persévérance et la continuité nécessaire.
Mais aujourd'hui, au moment où un Président de la République prend ses fonctions pour une période de sept ans, je crois que nous avons la possibilité, ensemble, dans la durée, au-delà des clivages politiques et avec un esprit républicain, de bâtir, comme le Gouvernement l'a affirmé, une nouvelle donne politique pour la Corse, en faisant en sorte que la volonté de dialogue et la recherche de la paix que vous avez affirmées n'entraînent pas, au niveau des valeurs républicaines, un certain oubli.
Car la Corse, depuis des années, ne se trouve plus, monsieur le Premier ministre, tout à fait dans la République. L'état de droit n'y a pas régné et n'y règne pas encore. La justice n'y fonctionne pas normalement. La sécurité n'y est pas garantie. (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Or ce sont bien les missions fondamentales de l'Etat qui sont en cause, et même si, lors de leur récent déplacement en Corse, M. le ministre de l'intérieur et M. le garde des sceaux ont affirmé une volonté claire à cet égard, il ne s'agit pour l'instant que d'objectifs et les résultats ne sont pas encore là.
Il faut donc que nous travaillions tous ensemble et que le Gouvernement ait une politique compréhensible par l'ensemble de l'opinion publique ? l'opinion publique nationale, mais aussi l'opinion publique corse. Et ne croyez pas, monsieur le Premier ministre, qu'il y ait dans cette affaire une différence d'approche entre les insulaires et les continentaux.
J'ai eu le privilège, si j'ose dire, d'être candidat aux élections législatives au mois de septembre. Et, en parcourant la Corse, commune par commune, canton par canton, j'ai été au contact du peuple. Je sais donc ce que pensent les uns et les autres. Ils veulent la paix, mais ils veulent aussi un Etat qui soit l'Etat en Corse comme dans le reste du pays. Et si vous avez reconnu des zones de non-droit dans les banlieues de grandes villes de France, eh bien ! la Corse, je l'ai déjà dit, est une « super-zone de non-droit ». Nous ne pouvons pas accepter cela sur le territoire de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Je vous demande, monsieur le Premier ministre, quelle est la politique du Gouvernement pour la Corse. Je ne doute pas, parce que nous vous soutenons, que vous aurez la capacité de ramener notre île dans la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. La politique du Gouvernement en Corse s'organise autour de deux principes.
Premier principe : le dialogue, nourrir le dialogue avec ceux qui veulent la paix, avec ceux qui respectent la démocratie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) et, notamment, s'impliquent dans les élections et sont représentés dans les assemblées de Corse.
Deuxième principe : faire respecter la loi. Et nous n'accepterons pas que l'état de droit soit bafoué en Corse (Mêmes mouvements.), comme il l'est, vous l'avez dit, depuis des années, comme il l'est en ce moment même.
Au cours des dernières semaines, le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur se sont rendus successivement en Corse pour y affirmer l'importance que le Gouvernement attache au respect de la loi.
Assurer l'ordre républicain est la priorité que j'ai assignée aux ministres concernés et, naturellement, à tous les responsables de l'Etat. (Mêmes mouvements.)
Je ne veux pas entrer, mesdames, messieurs les députés, dans une polémique. De grâce ! là encore, ne nous donnez pas de leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Un nouveau préfet de région et un nouveau préfet de police ont été nommés. Des changements ont été opérés à la tête des services de police. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
La tâche sera rude. Les assassinats qui se sont produits au cours des derniers jours suffisent à le démontrer, mais on ne redresse pas en quelques semaines une situation dont ? vous l'avez dit vous-même, monsieur le député ? la dégradation remonte à plusieurs années, pour ne pas dire à plusieurs décennies.
Je souhaite cependant qu'aucun doute ne persiste dans votre esprit. Le Gouvernement est déterminé à agir (« Bla-bla-bla » sur les bancs du groupe socialiste), même si son action ne revêt pas, au départ, une forme spectaculaire.
Comme dans d'autres domaines, j'ai demandé aux ministres concernés des résultats dans la lutte contre la criminalité et la délinquance sous toutes ses formes ? et ceci inclut les actions terroristes.
Nous n'accepterons, dans ce domaine, aucun compromis, aucune concession.
Je veux en outre répéter que les problèmes institutionnels ne sont pas à l'ordre du jour en Corse. Je l'avais dit le 16 janvier aux parlementaires corses, dont vous-même, monsieur le député, en les recevant à l'Hôtel Matignon. Ni la suppression des conseils généraux, ni le concept de « peuple corse », expressément censuré par le Conseil constitutionnel, ni l'application à la Corse de l'article 74 de la Constitution ne sont et ne seront d'actualité.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. Très bien !
M. le Premier ministre. Enfin, le Gouvernement a mis à l'étude les grands dossiers qui conditionnent l'avenir économique de l'île.
Plusieurs ministres ? M. Vasseur, M. Pons et M. Lamassoure notamment ? ont reçu, ces jours-ci, les socioprofessionnels concernés. Je crois pouvoir dire que le dialogue est désormais noué, dans une perspective de paix et de prospérité. Les dossiers de fond que sont la situation des entreprises corses, la normalisation des relations avec la Commission européenne s'agissant des dossiers agricoles et la question des transports maritimes et aériens entre la Corse et le continent sont maintenant activement traités. Respect de la loi, développement économique, dialogue pour la paix et la prospérité : les problèmes de la Corse sont là, pour l'essentiel. Le Gouvernement, avec votre participation et votre soutien, je le sais, les traitera avec persévérance et détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Le Gouvernement vient de décider la privatisation du groupe Thomson, l'un des plus grands groupes industriels français, qui emploie près de 100 000 salariés et dont les activités s'exercent dans des domaines hautement stratégiques.
Une fois de plus ? et pour nous il s'agit d'une très mauvaise décision ?, le Gouvernement est en contradiction avec ses propres déclarations, notamment avec celles du ministre de l'industrie, M. Borotra, qui ne cesse de parler du service public à la française ou de la défense des intérêts de l'industrie française.
Cette privatisation n'en annonce-t-elle pas d'autres ? Celle d'Aérospatiale, par exemple ? Ne donne-t-elle pas un avant-goût de ce qui va se passer dans le domaine de notre industrie de l'armement et qui risque de se traduire par la suppression de dizaines de milliers d'emplois ?
A l'évidence, monsieur le Premier ministre, et c'est encore beaucoup plus grave, vous n'avez pas de politique industrielle. Vous naviguez à vue, au gré d'intérêts financiers particuliers et de ceux de grands groupes, et ce au détriment de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. ? Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Au fond, et c'est encore plus grave, votre décision, néfaste à votre industrie nationale, n'est-elle pas simplement dictée par votre incapacité à boucler vos fins de mois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Eh bien, oui, monsieur le député, nous allons faire ce que vous n'avez pas fait pendant quatorze ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est-à-dire que nous allons restructurer notre industrie de défense pour en assurer la pérennité sur la scène mondiale alors que vous, vous l'aviez laissée en déshérence. (Mêmes mouvements.)
M. Charles Ehrmann. C'est vrai !
M. le Premier ministre. Nous avons hérité de GIAT-Industries, de la direction des constructions navales, et vous osez encore tenir de tels propos ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. Un peu de calme !
M. le Premier ministre. La politique industrielle du Gouvernement dans ce domaine s'organise autour d'une idée simple consistant à restructurer l'industrie d'armement autour de deux grands pôles : un pôle aéronautique civil et militaire, constitué par le rapprochement des sociétés Dassault-Aviation et Aérospatiale ? M. le ministre de la défense vient de s'exprimer sur ce sujet ?...
Un député du groupe socialiste. Avec quel statut ?
M. le Premier ministre. ... et un pôle électronique autour de la société Thomson, privatisée. C'est dans cet esprit que le Gouvernement vient de décider d'engager la privatisation de Thomson SA. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Maxime Gremetz. On vend les bijoux de famille !
M. le président. Un peu de calme !
M. le Premier ministre. J'ai reçu ce matin la démission de M. Gomez de ses fonctions de président de Thomson SA et de Thomson-CSF. Je tiens d'ailleurs ici à rendre hommage à la manière dont il a conduit cette entreprise depuis maintenant plus d'une dizaine d'années. Le nouveau président de Thomson SA sera chargé d'examiner les différentes options envisageables pour la privatisation du groupe...
M. Maxime Gremetz. Eh voilà !
M. le Premier ministre. ... et de faire des propositions au Gouvernement en ce sens.
M. Claude Bartolone. Duhamel chez Thomson !
M. Jean-Yves Le Déaut. Il n'y a plus de sous !
M. le Premier ministre. Votre passion est suspecte, messieurs les députés socialistes.
Une seule chose est sûre aujourd'hui : la cession de Thomson SA respectera les limites actuelles du groupe ; il n'y aura pas de partition. Cette opération se déroulera naturellement dans le plus parfait souci d'équité et de transparence entre les différents investisseurs intéressés. Elle devrait permettre au groupe Thomson, dans ses deux composantes ? électronique professionnelle et grand public ?, de retrouver des marges de manoeuvres stratégiques comparables à celles de ses principaux concurrents. Elle marque également la volonté de voir les entreprises du secteur de la défense participer aux restructurations et aux regroupements qui seront nécessaires pour préserver la compétitivité de l'industrie française face à la concurrence américaine dont nous savons qu'elle devient de plus en plus agressive.
Tel est l'esprit qui nous anime. Tel est le projet industriel que le Gouvernement mettra en oeuvre après tant et tant d'années d'inaction et d'attente. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. ? Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
J'ajoute que nous serons de la plus extrême vigilance pour tout ce qui concerne les conséquences de ces restructurations sur l'aménagement du territoire et sur la situation des personnels. Le Gouvernement y veillera avec attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)source http://www.assemblee-nationale.fr, le 17 juillet 2014