Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Merci à vous, cher Président, pour votre invitation et merci à tous pour votre accueil.
Vous connaissez mon goût pour la bonne finance !
Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous tous : responsables financiers de la scène française, européenne et internationale - qui contribuent tous, je l'espère, à la bonne finance dont nous avons besoin, et non pas à la mauvaise qui nous a coûté cher.
Le financement de l'économie est indissociable de son bon fonctionnement et de son dynamisme.
A un moment où la reprise se matérialise en Europe et en France, nous avons, plus que jamais, besoin d'un système financier à même d'accompagner les entreprises et les ménages dans leurs projets. C'est cela la bonne finance.
Cette année, vous avez fait le choix d'inscrire ce forum sous le signe de la stratégie Europe 2020, en posant, au fond, la question de l'articulation entre la nouvelle architecture financière, en matière de régulation et de supervision, qui tire les leçons de la crise, et une politique résolument tournée vers la croissance économique.
Cette question est évidemment centrale et je souhaiterais partager avec vous trois objectifs complémentaires que je m'assigne :
- permettre à l'économie, de manière durable, de renouer avec plus de croissance et plus d'emploi ;
- poursuivre l'effort de régulation financière afin de prévenir les risques de crise financière, dont nous connaissons le coût en terme économique et social ;
- enfin, assurer le bon financement de l'économie et accompagner la mutation de notre modèle de financement en nous appuyant sur une place financière de Paris forte et dynamique.
L'économie a redémarré, mais à un rythme encore insuffisant, en zone euro et en France. Nous devons créer les conditions d'une accélération de la croissance et d'un retour à plus d'emploi.
1- Nous avons permis à la zone euro de renouer avec la croissance, il nous faut maintenant aller plus loin.
Nous avons dans un premier temps stabilisé la zone euro, avec la création du Mécanisme Européen de Stabilité, le lancement des travaux sur l'union bancaire et, parallèlement, les actions de la Banque centrale européenne pour rendre confiance aux investisseurs et assurer la liquidité des banques. Ces actions ont beaucoup amélioré les conditions de financement des États - et permis le retour sur le marché d'Etats qui en avaient été exclus (Irlande et Portugal). Aujourd'hui, les taux d'emprunts d'Etat sont à un niveau historiquement bas. C'est évidemment un facteur qui contribue à la reprise en cours.
Nous avons aussi travaillé à renforcer la solidité de notre système financier - j'y reviendrai.
Nous devons désormais aller plus loin.
Nous devons nous assurer que l'action de la BCE est suivie d'effets - et que nous mettons fin à la fragmentation financière à l'œuvre dans la zone euro, où les conditions de financement des entreprises restent disparates entre pays. Quand une entreprise en France emprunte à 2,16 % ; son homologue espagnole emprunte à 3,50 %.
Nous devons faire progresser la convergence fiscale et sociale en Europe, qui doit être en cohérence avec la solidarité, fait dont nous avons fait preuve pendant la crise.
Nous devons nous assurer, enfin, que l'effort d'investissement nécessaire à la croissance est mis en œuvre, au niveau national comme au niveau européen. Les investissements dans les cinq domaines prioritaires identifiés par le Conseil européen - grandes infrastructures, recherche et innovation, efficacité énergétique, formation et qualification des jeunes, besoins en matière de santé - participeront, de manière durable, à la croissance. Les acteurs financiers européens, publics et privés, doivent pouvoir contribuer plus fortement au financement de long terme dans l'économie. Nous soutiendrons la réflexion conduite au niveau européen sur ce thème.
Nous souscrivons évidemment pleinement aux priorités italiennes d'un agenda ambitieux pour la croissance et l'emploi, qui sera la feuille de route de la nouvelle Commission européenne.
2- Pour la France, nous devons conjuguer une croissance plus forte, de manière durable, avec une réduction des déficits. Avec les textes en cours d'adoption, nous passons à l'acte !
La France a retrouvé son niveau de richesse d'avant la crise, mais nous devons réduire les déficits qu'elle nous a laissés et résorber les pertes de compétitivité accumulées, pour permettre à la croissance d'accélérer.
Nous réduisons nos déficits en diminuant le poids de la dépense publique - je présenterai tout à l'heure à l'Assemblée nationale les plafonds budgétaires sur 3 ans pour chaque ministère (débat d'orientation des finances publiques). Sera ainsi concrétisée la répartition des 18 Mds d'euros d'économies de l'Etat sur 3 ans, qui contribuent aux 50 Mds d'économies pour l'ensemble des administrations publiques d'ici 2017.
Nous réduisons les prélèvements obligatoires et nous permettons à nos entreprises de regagner la compétitivité qu'elles ont perdue jusqu'en 2012 - tout en portant une attention particulière aux prélèvements sur les plus modestes. Avec le CICE et le Pacte de responsabilité et de solidarité, nous restaurons les marges qui s'étaient effritées et nous les ramenons au niveau d'avant la crise.
Ceci permettra à nos entreprises de pouvoir, durablement, investir, innover et embaucher. Les deux textes qui retranscrivent les mesures du Pacte pour 2014 et 2015, dans une perspective allant jusqu'à 2017, ont fait l'objet d'un vote solennel à l'Assemblée nationale tout récemment.
Quel est le rôle de la finance dans ce mouvement de reprise que nous cherchons à encourager ?
Les excès financiers passés ont laissé des séquelles : des difficultés économiques et sociales, des dettes qui ont augmenté et des déficits à résorber.
* Nous devons donc d'abord tirer les leçons de la crise pour limiter le risque de crises futures - et en réduire les conséquences si elles se produisent.
La France a soutenu activement les efforts entrepris en ce sens, et continuera de le faire avec détermination.
L'Union bancaire figure au premier rang de ces chantiers. Ce saut majeur de l'intégration européenne contribuera à briser le cercle vicieux entre dette souveraine et dette bancaire et à renforcer la surveillance des établissements bancaires.
Vous êtes d'ailleurs nombreux ici à être mobilisés pour la réussite de l'exercice d'évaluation complète des bilans des établissements bancaires mené par les superviseurs.
A l'issue de la publication des résultats, le mécanisme de surveillance unique (MSU) entrera en vigueur le 4 novembre et le mécanisme de résolution unique (MRU) sera pleinement opérationnel le 1er janvier 2015. Je suis évidemment attentif au respect de ce calendrier ambitieux.
Je veille également à ce que les filets de sécurité nationaux et européens soient en place pour répondre aux éventuels besoins de recapitalisation que l'exercice de "stress test" pourrait mettre en évidence.
La mise en œuvre de l'Union bancaire supposera le préfinancement du fonds de résolution unique qui sera abondé par des contributions des banques. Je sais que vous y êtes attentifs et je veux le dire devant vous : les banques françaises devront évidemment contribuer à leur juste mesure et je n'accepterai pas un accord déséquilibré qui pénaliserait le secteur bancaire français.
Par ailleurs, les discussions sur la question de la résolution bancaire se poursuivent au niveau international. Les efforts entrepris pour s'assurer que les banques systémiques disposent d'une capacité d'absorption de pertes suffisante pour éviter d'imputer ces pertes au contribuable sont bien sûr cruciaux.
Dans le domaine des marchés financiers et des produits dérivés, nous avons également beaucoup progressé. Je pense au paquet MIF 2 qui renforce la protection des investisseurs et la transparence des échanges sur les marchés financiers au sein de l'Union Européenne. Je pense également au règlement EMIR, par lequel l'Europe a régulé pour la première fois le marché très important des produits dérivés de gré à gré.
Je n'oublie pas, bien sûr, les marchés de matières premières : l'Union européenne va ainsi mettre en place un dispositif avancé de régulation des marchés de produits dérivés sur matières premières.
Nous avons pris une série d'initiatives pour que le système financier soit plus sûr et moins sujet à des crises - qui sont, comme nous le savons, coûteuses pour tous, mais surtout pour les plus vulnérables d'entre nous. C'était bien le moins. Néanmoins, il reste du chemin à faire : nous avons, me semble-t-il, deux défis à relever.
Le premier est de nous assurer d'une mise en œuvre harmonisée de la régulation financière au niveau mondial. Je pense ici en particulier aux réformes des marchés dérivés de gré à gré. La France, aux côtés de ses partenaires européens, plaide pour un principe de reconnaissance mutuelle [entre les Etats-Unis et l'Union européenne] lorsque les réglementations ont des effets équivalents.
Le second, qui est majeur, c'est la nécessité de s'assurer que la régulation des acteurs "classiques" du système financier ne conduit pas à déplacer les risques et les mauvaises pratiques vers des acteurs ou des secteurs qui échappent à un régime robuste. C'est un point de vigilance dans les débats européens en cours sur le secteur bancaire. C'est aussi le sens des travaux sur le "shadow banking system", ou "finance de l'ombre", qui sont indispensables.
* Nous devons concilier cet effort de régulation avec un financement performant de l'économie, au bénéfice de tous.
Je suis en particulier attaché à assurer le développement d'une place financière de Paris, vivante, dynamique et sûre.
C'est dans cet esprit que j'ai lancé, il y a quelques semaines, le comité Place de Paris 2020, rassemblant entreprises, financières et non financières, régulateurs, élus, chercheurs et représentants des épargnants.
Avant de revenir sur la démarche stratégique engagée avec le Comité Paris 2020, je souhaiterais brièvement évoquer avec vous deux sujets de préoccupation pour les acteurs de la place de Paris. Vous en avez évoqué un tout à l'heure, monsieur le Président].
S'agissant du projet européen de taxe sur les transactions financières, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ces dernières semaines, le Gouvernement a une approche ambitieuse, sur le principe d'une taxe harmonisée, mais pragmatique dans la mise en œuvre. Nous devons avoir une réflexion ouverte sur ce que nous souhaitons taxer et pourquoi - notamment en prenant en compte la contribution au financement de l'économie. Je ne suis pas naïf et je n'accepterai pas un projet qui serait déséquilibré pour notre place financière.
Par ailleurs, je voudrais dire un mot de la prééminence du dollar dans les transactions internationales. Elle emporte de toute évidence un certain nombre de conséquences, dont l'extraterritorialité? des normes américaines. Elle conduit aussi nos entreprises à être parfois exposées à des risques de change qu'elles pourraient éviter. Dans ce contexte, je suis convaincu que la zone euro doit se réinterroger sur le rôle que nous assignons à notre devise commune, et se mobiliser pour faire progresser l'usage de l'euro comme monnaie d'échange internationale.
Quelques mots pour terminer sur le Comité Paris 2020. Comme je l'ai indiqué à l'occasion de la première réunion du Comité que j'ai tenue en juin, je souhaite mener dans ce cadre avec tous les acteurs une réflexion selon trois axes que vous avez mentionnés, monsieur le Président.
Je veux, tout d'abord, créer les conditions pour que se développent des marchés financiers répondant de manière sûre et efficace aux besoins des entreprises.
Les financements de marché représentaient 25 % du financement en dette des entreprises françaises fin 2007, ce ratio est aujourd'hui de 35 %.Cette évolution profonde concerne les grandes entreprises mais aussi celles de taille intermédiaire.
Face à cette situation, nous avons deux défis à relever.
Tout d'abord, il nous faut développer la capacité des banques à octroyer des crédits aux PME dont elles resteront la première source de financement. La mise en place d'un cadre de titrisation maîtrisé, avec notamment une rétention des risques au sein des banques qui ont octroyé le prêt, fait partie des pistes à creuser. Il est important de définir des critères suffisamment robustes pour ne pas alimenter de nouvelles instabilités financières. Les critères doivent également être suffisamment uniformes pour qu'une classe de titrisations de "haute qualité" se développe en Europe.
Il nous faut, ensuite, permettre aux entreprises de trouver sur les marchés des réponses efficaces et compétitives à leurs besoins de financement. Répondre à ce défi suppose d'innover et de développer de nouveaux produits ; c'est ainsi qu'a pu se développer le marché des placements privés - les Euro-PP, avec la collaboration de l'ensemble des acteurs de la Place.
Evidemment, au-delà de la dette, le financement en fonds propres constitue une condition sine qua non du développement des entreprises innovantes ou à fort potentiel de croissance. Car une entreprise qui a des fonds propres suffisants, c'est une entreprise qui peut prendre des risques et se projeter vers l'avenir. Ce sujet mérite donc toute notre attention.
Voilà notre premier axe de travail. Cependant, nous en sommes tous conscients, il n'y a pas de financement, en dette ou en fonds propres, sans capacité de financement, c'est-à-dire in fine sans épargne.
C'est pourquoi le deuxième axe de notre réflexion porte sur la mobilisation de l'épargne des ménages au service de la croissance.
Nous disposons d'un atout de taille, l'abondance de l'épargne des ménages français. Il faut se donner les moyens de mobiliser au mieux cette épargne vers le financement des entreprises.
Le PEA-PME, les nouveaux contrats d'assurance vie, la création des fonds de prêt à l'économie sont autant de réformes qui visent à mobiliser davantage cette capacité très importante de financement au bénéfice des entreprises, et en particulier des PME et des ETI.
Ce ne sont toutefois que des premiers pas, et je souhaite que le Comité de Place Paris 2020 puisse se pencher en détail sur ces questions de canaux de financement de l'économie, des circuits de l'épargne et en particulier sur les moyens de mieux mobiliser l'épargne longue, qu'elle soit ou non nationale.
J'en viens maintenant au troisième axe de notre réflexion : comment assurer un rôle stratégique pour la place de Paris à horizon 2020 ?
Je l'ai dit et le répète, notre économie a besoin d'une place de Paris forte, à même d'assurer le financement de l'activité et des entreprises dans les meilleures conditions.
Nous devons donc agir ensemble en ce sens, en définissant nos priorités, en développant nos domaines d'excellence - bref, en nous fixant une stratégie commune.
L'introduction en bourse d'Euronext le mois dernier, qui consacre son indépendance retrouvée, doit ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire de la bourse parisienne.
Le groupe Euronext doit jouer un rôle de tout premier plan pour le financement des entreprises en zone euro. Un actionnariat stable et aux intérêts convergents doit garantir un nouvel élan pour son développement, via le renforcement d'activités stratégiques, peut-être un peu négligées ces dernières années.
Je souhaite également saluer le partenariat signé il y a quelques jours entre la Banque de France et la People's Bank of China afin d'établir un système de paiement en renminbi à Paris. Je suis convaincu que le développement de la Place de Paris passe par ces coopérations internationales - y compris pour assurer des services de financement de pays tiers, et je pense ici notamment à l'Afrique.
Une place de Paris forte et attractive, mobilisant les capitaux de manière efficace pour accompagner les besoins de financement des entreprises.
Un cadre de régulation financière prévenant les risques de nouvelle crise financière et favorisant un financement stable de l'économie.
Une politique économique résolument orientée vers plus de croissance et d'emploi, avec des entreprises plus compétitives et des finances publiques assainies.
Voilà les ingrédients dont nous avons besoin pour que la bonne finance aide à réparer les dégâts que la mauvaise finance nous a laissés.
Voilà donc la tâche à laquelle nous devons nous atteler ensemble, pouvoirs publics et acteurs de marché, entreprises et secteur financier, investisseurs et épargnants.
Je vous remercie et je vous souhaite, à tous, une excellente après-midi de travail et, avant cela, un très bon déjeuner !Source http://www.economie.gouv.fr, le 11 juillet 2014