Texte intégral
M. le président. La parole est à M. Laurent Fabius.
M. Laurent Fabius. Monsieur le Premier ministre, les Français, en nombre de plus en plus important, sont critiques à l'égard de vos orientations économiques et sociales.
Sur le plan social, je n'insisterai pas. Je crois que la mobilisation qui a eu lieu pendant plusieurs semaines montre assez ce qu'ils pensent des décisions que vous prenez. (« Ce n'est pas vrai ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Sur le plan économique, on constate, en 1995, des prélèvements massifs qui vont se poursuivre et s'amplifier en 1996. Dès lors, plus le pouvoir d'achat faiblit, plus la consommation se ralentit. Comme la consommation se ralentit, la croissance fait de même, et l'emploi également. Et comme la confiance n'est pas présente, la déception est de plus en plus grande.
Je lis les déclarations des uns et des autres et j'ai bien noté, ces jours derniers, qu'on voudrait faire porter aux mouvements sociaux l'essentiel de la responsabilité de nos difficultés. Mais vous êtes trop averti de ces choses pour ne pas savoir que, d'une part, ces difficultés pré-existaient et que, d'autre part, s'il y a eu ces mouvements sociaux, c'est par réaction aux décisions qui sont les vôtres.
Je note aussi que de plus en plus de Français souhaitent des orientations différentes : en matière salariale, une certaine relance ; en matière européenne, nationale et locale, des programmes passant en particulier par les collectivités locales pour relancer le logement, l'aménagement de l'espace, l'environnement ; une réduction de la durée individuelle du travail allant vers le temps choisi et, en particulier, vers la semaine de quatre jours ; une politique monétaire qui ne soit pas une politique de franc se voulant arrogant mais une politique de franc stable.
Ma question est celle-ci : vous nous avez dit que vous aviez compris beaucoup de choses ces dernières semaines ; avez-vous en particulier compris qu'il fallait changer vos orientations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le Premier ministre, si je n'avais pas compris, compte tenu du nombre de professeurs qui me donnent des leçons...
M. Jean-Pierre Brard. Encore faut-il que l'élève soit bon !
M. le Premier ministre. ... c'est que vraiment, j'aurais la tête dure et j'ai apprécié le ton doctoral et professoral sur lequel vous venez de me parler. J'essaierai d'en faire bon usage. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? « L'arrogance, toujours l'arrogance ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
Je vous rappelle, et je crois l'avoir déjà dit à la tribune de cette assemblée, que, s'agissant des chiffres constatés, c'est votre gouvernement qui détient le record des prélèvements obligatoires dans ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Cela étant dit, et pour ne pas continuer sur le ton que vous avez donné à votre question, c'est-à-dire celui du mépris condescendant (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), je voudrais en revenir aux faits.
Il est exact que les prévisions de croissance ne sont pas ce que nous attendions. Elles sont difficiles à cerner avec précision puisque, à quelques heures de distance, la note de conjoncture de l'INSEE et les prévisions de l'OCDE ne sont pas exactement concordantes. Il n'en reste pas moins que nous sommes aujourd'hui confrontés à un problème d'insuffisance de croissance.
M. Bernard Derosier. C'est l'héritage Balladur !
M. le Premier ministre. Il faut donc que nous prenions les initiatives nécessaires pour soutenir la croissance.
Quelles sont les raisons qui expliquent cette situation ?
M. Jean-Paul Charié. Quatorze ans de socialisme !
M. le Premier ministre. D'abord, chaque observateur qui a un peu de bonne foi peut en convenir : ce n'est pas un phénomène spécifiquement français. Et j'imagine, quel que soit le crédit que l'on puisse me prêter, que le ralentissement de la croissance en Allemagne n'est pas à mettre au compte de l'action du gouvernement français ! C'est une réalité à laquelle tous les pays européens sont confrontés aujourd'hui.
M. Christian Bataille. Bien sûr ! Cela n'a rien à voir avec la grève !
M. le Premier ministre. Il y a sans doute des causes propres à la France, et sans en faire en aucune manière un sujet de polémique, du moins pas dans ma bouche, comment ne pas reconnaître que le conflit qui vient de se dérouler n'a pas été non plus une incitation à la croissance et qu'il a mis beaucoup de nos petites et moyennes entreprises en difficulté ? C'est un fait que chacun peut admettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mais je crois que le phénomène le plus profond dans ce que nous vivons aujourd'hui, c'est l'inquiétude devant l'avenir, cette angoisse diffuse dans l'opinion suscitée par le mal profond qui frappe notre société, le chômage. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu inscrire à l'ordre du jour du sommet que je réunirai demain avec toutes les confédérations syndicales...
M. Jean-Pierre Kucheida. Même Blondel ?
M. le Premier ministre. ... et avec les organisations professionnelles, le travail et l'emploi.
M. Jean-Pierre Brard. Et les salaires ?
M. le Premier ministre. Il y aura trois chapitres de discussion.
Tout d'abord la croissance. Comment la soutenir, comment faire en sorte que cette hésitation à consommer et à investir que nous constatons aujourd'hui soit levée ?
M. Christian Bataille. Ne vous tournez pas vers la droite ! C'est nous qui avons posé la question !
M. le Premier ministre. En second lieu, l'emploi des jeunes. Il faut que nous aboutissions demain à des initiatives plus audacieuses et plus imaginatives pour insérer nos jeunes dans le tissu industriel et dans l'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Enfin, troisième domaine de réflexion pour demain : le temps de travail, son aménagement et sa réduction. Là aussi, je compte sur l'imagination des partenaires sociaux, en liaison avec le Gouvernement, pour aller plus loin que ce qui a été fait jusqu'à présent.
Cet ordre du jour que nous avons déterminé pour demain doit déboucher sur de premières décisions et également sur un échéancier de travail, car le dialogue social qui s'est renoué après la crise doit être entretenu au fil des mois qui sont devant nous.
Je terminerai en vous disant, monsieur le Premier ministre, que sur le front du chômage, la situation est grave, mais que ce n'est pas à vous de me donner des leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Henri Emmanuelli. Oh si !
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 juillet 2014
M. Laurent Fabius. Monsieur le Premier ministre, les Français, en nombre de plus en plus important, sont critiques à l'égard de vos orientations économiques et sociales.
Sur le plan social, je n'insisterai pas. Je crois que la mobilisation qui a eu lieu pendant plusieurs semaines montre assez ce qu'ils pensent des décisions que vous prenez. (« Ce n'est pas vrai ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Sur le plan économique, on constate, en 1995, des prélèvements massifs qui vont se poursuivre et s'amplifier en 1996. Dès lors, plus le pouvoir d'achat faiblit, plus la consommation se ralentit. Comme la consommation se ralentit, la croissance fait de même, et l'emploi également. Et comme la confiance n'est pas présente, la déception est de plus en plus grande.
Je lis les déclarations des uns et des autres et j'ai bien noté, ces jours derniers, qu'on voudrait faire porter aux mouvements sociaux l'essentiel de la responsabilité de nos difficultés. Mais vous êtes trop averti de ces choses pour ne pas savoir que, d'une part, ces difficultés pré-existaient et que, d'autre part, s'il y a eu ces mouvements sociaux, c'est par réaction aux décisions qui sont les vôtres.
Je note aussi que de plus en plus de Français souhaitent des orientations différentes : en matière salariale, une certaine relance ; en matière européenne, nationale et locale, des programmes passant en particulier par les collectivités locales pour relancer le logement, l'aménagement de l'espace, l'environnement ; une réduction de la durée individuelle du travail allant vers le temps choisi et, en particulier, vers la semaine de quatre jours ; une politique monétaire qui ne soit pas une politique de franc se voulant arrogant mais une politique de franc stable.
Ma question est celle-ci : vous nous avez dit que vous aviez compris beaucoup de choses ces dernières semaines ; avez-vous en particulier compris qu'il fallait changer vos orientations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le Premier ministre, si je n'avais pas compris, compte tenu du nombre de professeurs qui me donnent des leçons...
M. Jean-Pierre Brard. Encore faut-il que l'élève soit bon !
M. le Premier ministre. ... c'est que vraiment, j'aurais la tête dure et j'ai apprécié le ton doctoral et professoral sur lequel vous venez de me parler. J'essaierai d'en faire bon usage. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? « L'arrogance, toujours l'arrogance ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
Je vous rappelle, et je crois l'avoir déjà dit à la tribune de cette assemblée, que, s'agissant des chiffres constatés, c'est votre gouvernement qui détient le record des prélèvements obligatoires dans ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Cela étant dit, et pour ne pas continuer sur le ton que vous avez donné à votre question, c'est-à-dire celui du mépris condescendant (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), je voudrais en revenir aux faits.
Il est exact que les prévisions de croissance ne sont pas ce que nous attendions. Elles sont difficiles à cerner avec précision puisque, à quelques heures de distance, la note de conjoncture de l'INSEE et les prévisions de l'OCDE ne sont pas exactement concordantes. Il n'en reste pas moins que nous sommes aujourd'hui confrontés à un problème d'insuffisance de croissance.
M. Bernard Derosier. C'est l'héritage Balladur !
M. le Premier ministre. Il faut donc que nous prenions les initiatives nécessaires pour soutenir la croissance.
Quelles sont les raisons qui expliquent cette situation ?
M. Jean-Paul Charié. Quatorze ans de socialisme !
M. le Premier ministre. D'abord, chaque observateur qui a un peu de bonne foi peut en convenir : ce n'est pas un phénomène spécifiquement français. Et j'imagine, quel que soit le crédit que l'on puisse me prêter, que le ralentissement de la croissance en Allemagne n'est pas à mettre au compte de l'action du gouvernement français ! C'est une réalité à laquelle tous les pays européens sont confrontés aujourd'hui.
M. Christian Bataille. Bien sûr ! Cela n'a rien à voir avec la grève !
M. le Premier ministre. Il y a sans doute des causes propres à la France, et sans en faire en aucune manière un sujet de polémique, du moins pas dans ma bouche, comment ne pas reconnaître que le conflit qui vient de se dérouler n'a pas été non plus une incitation à la croissance et qu'il a mis beaucoup de nos petites et moyennes entreprises en difficulté ? C'est un fait que chacun peut admettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. ? Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mais je crois que le phénomène le plus profond dans ce que nous vivons aujourd'hui, c'est l'inquiétude devant l'avenir, cette angoisse diffuse dans l'opinion suscitée par le mal profond qui frappe notre société, le chômage. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu inscrire à l'ordre du jour du sommet que je réunirai demain avec toutes les confédérations syndicales...
M. Jean-Pierre Kucheida. Même Blondel ?
M. le Premier ministre. ... et avec les organisations professionnelles, le travail et l'emploi.
M. Jean-Pierre Brard. Et les salaires ?
M. le Premier ministre. Il y aura trois chapitres de discussion.
Tout d'abord la croissance. Comment la soutenir, comment faire en sorte que cette hésitation à consommer et à investir que nous constatons aujourd'hui soit levée ?
M. Christian Bataille. Ne vous tournez pas vers la droite ! C'est nous qui avons posé la question !
M. le Premier ministre. En second lieu, l'emploi des jeunes. Il faut que nous aboutissions demain à des initiatives plus audacieuses et plus imaginatives pour insérer nos jeunes dans le tissu industriel et dans l'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Enfin, troisième domaine de réflexion pour demain : le temps de travail, son aménagement et sa réduction. Là aussi, je compte sur l'imagination des partenaires sociaux, en liaison avec le Gouvernement, pour aller plus loin que ce qui a été fait jusqu'à présent.
Cet ordre du jour que nous avons déterminé pour demain doit déboucher sur de premières décisions et également sur un échéancier de travail, car le dialogue social qui s'est renoué après la crise doit être entretenu au fil des mois qui sont devant nous.
Je terminerai en vous disant, monsieur le Premier ministre, que sur le front du chômage, la situation est grave, mais que ce n'est pas à vous de me donner des leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Henri Emmanuelli. Oh si !
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 juillet 2014