Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "Europe 1" le 14 août 2014, sur les mauvais chiffres de la croissance économique en 2014, et la nécessaire poursuite de la réduction des déficits.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JOURNALISTE
EUROPE 1 il est 08h17 l'heure de l'interview politique d'EUROPE 1. Jean-Philippe BALASSE vous recevez ce matin le ministre des Finances, Michel SAPIN.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Oui, bonjour.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Merci d'avoir accepté notre invitation ce matin, sur EUROPE 1, pour votre première réaction à ces mauvais chiffres, très mauvais chiffres de la croissance, ils sont tombés il y a moins d'une heure maintenant, croissance nulle, 0 %. C'est une catastrophe, Monsieur le Ministre.
MICHEL SAPIN
C'est un mauvais chiffre, c'est d'ailleurs pour ça que je le regarde comme tel, que je le commente comme tel, que je le décris comme tel. J'entends parfois parler d'aveu, on n'est pas dans le monde des aveux, on est dans le monde de la réalité, et je regarde cette réalité telle qu'elle est. Le chiffre de la croissance, en France, c'est zéro, stable, ça n'est pas bon. Le chiffre de la croissance en Allemagne, au deuxième trimestre, c'est moins quelque chose. La grande locomotive européenne, l'Allemagne, est aujourd'hui négative. Il y a donc un problème français et il y a un problème européen, et il faut répondre à ces deux problèmes. Que doit-on faire en France pour soutenir la croissance, l'investissement, l'emploi ? Que doit-on faire en Europe, pour soutenir la croissance, l'investissement, l'emploi, dans l'ensemble du continent européen ?
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Commençons par la France, Monsieur le Ministre. Donc, jusqu'ici la prévision officielle du gouvernement c'était 1 %, on est d'accord, ça n'est plus tenable.
MICHEL SAPIN
Cette prévision de 1 % était celle du gouvernement, mais c'était celle de tous les observateurs internationaux. J'entends parfois dire : le gouvernement était trop optimiste, etc. Le 1 % c'était la prévision du FMI, le 1 % c'était la prévision de l'OCDE, le 1 % c'était la prévision de la Commission européenne, et c'est donc ce chiffre, qui était le chiffre reconnu par tous, que, aujourd'hui, nous corrigeons, c'est normal, la réalité n'est pas celle qui avait été prévue par les observateurs, elle est beaucoup moins bonne, et donc je revois les prévisions et je revois l'ensemble des éléments, que ce soit en termes budgétaires ou que ce soit en termes de croissance, qui vont avec.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Donc, si vous revoyez, on passe de 1 % à combien ?
MICHEL SAPIN
J'ai dit aujourd'hui dans une tribune, qui est à paraitre, que je ne vois pas comment nous pourrions faire beaucoup mieux que 0,5 % au cours de l'année 2014, ce qui est insuffisant. Je dirais que, il en va de même…
JEAN-PHILIPPE BALASSE
0,5 %.
MICHEL SAPIN
… il en va de même sur l'ensemble du continent européen. L'Italie, aujourd'hui est en récession, l'Allemagne aujourd'hui est en stagnation, cela prouve bien que s'il y a des problèmes qu'il faut regarder en face, en France, il y a aussi des problèmes qu'il faut regarder en face en Europe.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Alors on regarde évidemment les voisins européens, en même temps, comparaison n'est pas raison, comme on dit souvent, quelle est votre part de responsabilité, Michel SAPIN, quelle est la part de responsabilité du gouvernement dans cet échec ?
MICHEL SAPIN
J'adore le terme de « responsabilité » et « comparaison n'est pas raison ». Nous avons la même monnaie que les Allemands et que les Italiens. Quand on a la même monnaie, il y a les mêmes éléments qui expliquent des situations des uns et des autres. Mais il y a en France, deux points sur lesquels il faut absolument corriger les choses. Nous avons commencé à le faire, mais ça n'est pas encore rentré dans la réalité. Le premier point, c'est que les entreprises françaises entre 2007 et 2012, je dis bien 2007/2012, ont perdu une grande partie de leurs marges. Leurs marges c'est leur capacité d'investir et leur capacité d'embaucher. Nous leur redonnons ces marges avec le pacte de responsabilité, avec ces 40 milliards qui vont être rendus aux entreprises entre 2014 et 2017. Et le deuxième point, c'est que nos dépenses publiques sont trop élevées, plus élevées que chez un certain nombre de nos voisins, et donc il faut faire des économies budgétaires, pour nous permettre, premièrement, de financer ce plan de soutien aux entreprises, et deuxièmement, de continuer à diminuer nos déficits publics.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Alors, les déficits, on en parlait, notamment cet objectif de 3 % avec Bruxelles, ça n'est pas jouable non plus, Monsieur le Ministre.
MICHEL SAPIN
Pour cette année, prenons 2014, car 2014 c'est quand même un tout petit peu plus proche que 2015 et c'est un peu plus facile de faire de ce point de vue, des prévisions. Pour 2014, nous n'atteindrons pas l'objectif que nous nous étions fixé avec nos partenaires, ça sera le cas d'ailleurs dans la plupart des autres pays européens, nous ne l'atteindrons pas, je pense que nous serons aux alentours de 4 % de déficit. Mais une chose est certaine, et je le dis clairement, nous devons continuer à diminuer nos déficits publics. On ne peut pas continuer, comme ça a été fait pendant des années et des années, en particulier de 2007 à 2012, à voir augmenter nos déficits. Ils doivent diminuer. Mais ils doivent diminuer à un rythme, qui est un rythme compatible avec la situation française et avec la situation européenne, et c'est de cela que nous devons parler avec nos partenaires européens.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Donc on laisse filer le déficit, on va encore énerver les Allemands ce matin.
MICHEL SAPIN
Votre terme est inexact, je viens de dire qu'il faut continuer à réduire les déficits, vous dites « il faut laisser filer les déficits », non, on ne doit certainement pas laisser filer les déficits, on doit continuer à les réduire. Mais faut-il les réduire à toutes forces, en augmentant les impôts par exemple ? Ma réponse est non. Augmenter les impôts, ça pourrait avoir un effet récessif considérable et priver les entreprises de capacités d'investissements. Est-ce qu'il faut le faire en diminuant encore plus les dépenses publiques ? Ma réponse est non. Le programme de 50 milliards de diminution de nos dépenses publiques est déjà considérable, la France ne l'a encore jamais fait. Donc nous devons tenir ce cap, le cap des moyens pour les entreprises pour investir, le cap de la diminution des déficits publics et des dépenses publiques, c'est ce que nous allons faire, mais il faut le faire à un rythme, qui soit le rythme bon, dans une situation où la croissance est faible partout et où l'inflation est extrêmement faible partout, beaucoup trop faible, ce qui n'est pas bon pour l'activité économique.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Vous avez dépeint la situation générale en Europe au début de cette interview, que peut faire l'Europe aujourd'hui pour la France ?
MICHEL SAPIN
Je veux le répéter. Il y a des causes françaises, et c'est à nous de prendre nos responsabilités en France, et il y a des causes européennes. Quand je parle de causes européennes, je ne vais pas chercher une excuse, je ne vais pas chercher ailleurs que chez nous, toute l'explication à notre situation. Je regarde les choses en face. Nous agissons en France, il faut agir en Europe. En Europe, il y a deux grandes voies. La première c'est celle que la Banque centrale européenne a déjà utilisé. Notre euro est trop élevé, il bride les exportations de tous les industriels européens. L'inflation est beaucoup trop faible, il faut donc une politique monétaire qui soit une politique monétaire adaptée. La Banque centrale l'a décidé, il faut aller jusqu'au bout de ces décisions. Et la deuxième grande voie, c'est que nous devons porter, au niveau européen, des programmes d'investissements lourds. L'investissement, c'est par l'investissement public et par l'investissement privé, que l'Europe et donc la France, retrouveront une croissance solide et durable.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Michel SAPIN, il y a un article intéressant dans LE MONDE, qui titre sur « Le grand malentendu entre la France et l'Allemagne ». La France qui veut agir sur l'offre, la compétitivité des entreprises, la France qui veut agir plus sur la demande, qui veut relancer la consommation. La vérité elle est entre les deux ?
MICHEL SAPIN
Je ne sais pas de quoi vous me parlez. Je viens de vous décrire une politique, en France, qui serait favorable aux entreprises, pour leur permettre d'investir. Je crois que ça s'appelle une politique de l'offre. Je regarde l'Allemagne et je…
JEAN-PHILIPPE BALASSE
On a l'impression que les deux pays font un pas l'un vers l'autre, finalement, puisque l'Allemagne veut aussi, va augmenter les salaires.
MICHEL SAPIN
Je regarde l'Allemagne, vous avez vu le chiffre, commentez-le aussi, parce que vous commentez, et vous avez parfaitement raison, le zéro croissance en France au deuxième trimestre. En Allemagne c'est - 0,2, il y a donc aussi un problème en Allemagne parce qu'il y a un problème en Europe, et c'est à cela que nous devons nous atteler, tous ensemble, au niveau européen, sans contester les responsabilités qui sont les nôtres, sans éviter de prendre les décisions courageuses, les décisions nécessaires en France, mais aussi en agissant au niveau européen. De grands investissements d'infrastructures, de grands investissements en faveur des entreprises, au niveau européen, c'est la bonne manière de retrouver cette croissance durable.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Ça veut dire qu'il faut changer les règles, d'une certaine manière, européennes ?
MICHEL SAPIN
Non, je pense que ce n'est pas une histoire de règles. Un débat sur les règles ne servirait à rien, on s'empêtrerait dans des débats théoriques. Je n'aime pas trop la théorie dans ce domaine-là, il faut être très pragmatique. Les traités européens permettent parfaitement d'adapter le rythme de la diminution de nos déficits, à la situation exceptionnelle que nous connaissons. La situation exceptionnelle que nous connaissons, c'est une trop faible croissance partout en Europe, la situation exceptionnelle c'est une trop faible inflation, partout en Europe. Parfois on appelle ça, d'un terme technique, un risque de déflation. Le risque de déflation, c'est un risque considérable, et c'est à cela que nous devons pouvoir répondre, de manière efficace. Donc n'ayons pas de débat sur les règles, utilisons ce que l'on appelle les souplesses, les flexibilités de ces règles, pour apporter les bonnes réponses, en termes d'investissements publics au niveau européen, et en termes de réduction de nos déficits.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Vous parliez de l'inquiétude aussi ce matin en Allemagne, comment on rétablit la confiance, Michel SAPIN, entre la France et l'Allemagne ? Qu'est-ce que vous dites aux Allemands ce matin ?
MICHEL SAPIN
Mais, entre l'Allemagne et la France, nous appelons beaucoup, et j'ai énormément de respect pour le président de la Bundesbank, mais j'en ai tout autant pour le ministre des Finances allemand, avec lequel je parle, je parle toutes les semaines, avec lequel nous échangeons, et nous sommes les uns et les autres, inquiets de la situation européenne. Chacun doit prendre les décisions nécessaires dans son pays, mais nous devons tous ensemble prendre les bonnes décisions au niveau européen. Il faut réorienter les politiques européennes, pour que ce soit au profit de la croissance, d'abord, que nos politiques soient mises… au profit de la croissance, ça veut dire au profit de l'emploi, ça veut dire au profit du recul du chômage, ça veut dire au profit de la reconstitution du tissu économique de nos entreprises, qui a été profondément abimé par la crise.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Alors, comme le dit Jean-Christophe CAMBADELIS, le patron du PS, aujourd'hui, dans LES ECHOS, ça veut dire qu'il faut abandonner, très clairement, notre objectif d'un déficit à 3 % du PIB l'an prochain.
MICHEL SAPIN
Mais je ne sais pas ce que nous ferons l'an prochain, nous allons discuter de tout cela au niveau français comme au niveau européen…
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Ça vous a surpris cette interview, cette prise de parole de Jean-Christophe CAMBADELIS ce matin ?
MICHEL SAPIN
Pourquoi ça me surprendrait ? Il dit des choses qui sont parfaitement sensées, mais moi je suis ministre, je suis ministre des Finances et des Comptes publics et j'ai des interlocuteurs européens et je travaille au sein du gouvernement, au prochain projet de loi de finances pour 2015 et c'est dans ce projet de loi de finances pour 2015, dans les 15 jours ou les trois semaines qui viennent, que nous aurons tous les éléments. Mais je peux vous le dire, nous fixerons les hypothèses, de manière extrêmement réaliste, extrêmement lucide. Je ne veux pas de projet de budget qui serait fondé sur des hypothèses fausses. Ces hypothèses seront extrêmement réalistes, et elles nous permettrons d'avoir un budget extrêmement volontariste. Je dis dans ma tribune, aujourd'hui, il faut dire la vérité, mais il faut en même temps faire preuve de volonté, car c'est la volonté qui permet de faire face à la vérité.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Parce que l'on ne disait pas la vérité aux Français, jusqu'à maintenant ? On ne disait pas la vérité aux Français, jusqu'à maintenant ?
MICHEL SAPIN
Si, mais je regarde la vérité d'aujourd'hui, qui est la vérité européenne. Tous les observateurs, au début de l'année, nous disaient : en France vous allez faire 1 % de croissance. Je regarde les chiffres, je vois bien qu'on ne fera pas 1 % de croissance. Je dis la vérité, mais je dis aussi que l'on peut agir, que la volonté, en France, comme en Europe, peuvent nous permettre de réagir. C'est à cela aussi que servent des politiques, sinon ce n'est pas la peine, il suffit de rester dans son lit.
JEAN-PHILIPPE BALASSE
Merci Michel SAPIN, ministre des Finances, merci d'avoir répondu à nos questions, ce matin, sur EUROPE 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 18 août 2014