Texte intégral
PATRICK COHEN
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour à vous.
PATRICK COHEN
Ministre des Finances et des Comptes publics, reconduit à son poste. Cette nouvelle équipe, ça va changer quoi dans la façon dont le pays sera gouverné ?
MICHEL SAPIN
Vous parlez de « façon », je crois que ça va changer dans la façon. Est-ce que ça va changer de ligne ? Non. La ligne elle a été fixée par le président de la République
PATRICK COHEN
Ça on va y venir.
MICHEL SAPIN
Le problème était justement que dans la façon, il ne pouvait pas être admis, parce que ça n'était pas compris et parce que ça n'est pas efficace, que le débat interne au gouvernement, qui est parfaitement légitime, devienne un débat externe au gouvernement.
PATRICK COHEN
Il y avait de mauvaises façons, chez certains de vos collègues.
MICHEL SAPIN
Voilà, il y avait donc, de « mauvaises façons », dire de « mauvaises façons », c'est presque désagréable, je ne cherche pas à être désagréable, mais en tout cas il y avait une manière de s'exprimer à l'extérieur, de faire que le débat interne, totalement légitime, devienne un débat externe, qui rendait moins efficace ou peu efficace, la politique gouvernementale. Voulez-vous que je vous prenne un exemple, simplement ?
PATRICK COHEN
Je vous en pie.
MICHEL SAPIN
Nous décidons de mettre en oeuvre une politique en faveur des entreprises. Elle peut être discutée, elle doit être discutée, et elle fait partie du débat politique, mais à partir du moment où nous l'avons décidée, si continuellement, y compris au sein du gouvernement, on donne le sentiment que cette politique peut être remise en cause à chaque instant, que font les chefs d'entreprise ? Ils disent : « Mais nous ne savons pas où nous allons. Vous nous dites cela, mais ça peut être remis en cause demain », donc il y a besoin, à un moment donné, que les décisions, discutées, disputées, dans le débat politique, deviennent des décisions comprises et considérées comme pérennes par les acteurs économiques et sociaux.
PATRICK COHEN
Et pour vous, Michel SAPIN, un nouveau colocataire à Bercy, Emmanuel MACRON, en lieu et place d'Arnaud MONTEBOURG. C'est un gros changement ?
MICHEL SAPIN
C'est un changement d'homme, c'est presque un changement de génération, bien que MONTEBOURG fût plus jeune que moi, bien sûr, et était d'une génération considérée comme jeune. C'est un changement de génération, c'est un changement de style, et c'est surtout une cohérence considérable, totale, absolue, dans la ligne gouvernement
PATRICK COHEN
Que vous n'aviez pas.
MICHEL SAPIN
Que n'avait pas MONTEBOURG, non pas que les débats avec lui soient inintéressants. J'ai eu, avec Arnaud, des débats extrêmement passionnants et totalement légitimes, sans son bureau, dans mon bureau, totalement légitimes, qui, parce que, rien n'est simple, il n'y a jamais une seule solution, mais à un moment donné, il y a une seule politique.
PATRICK COHEN
« Il a une flamboyance, il a une manière d'être, une manière de parler, qui est utile au sein de ce gouvernement, qui est utile aussi au sein de la gauche », disiez-vous le 19 juin dernier, sur I TELE.
MICHEL SAPIN
Oui, une flamboyance c'est une manière d'exprimer, mais il faut que cette flamboyance et cette manière de s'exprimer soit au service de la décision prise par le gouvernement.
PATRICK COHEN
Oui, mais elle risque de s'exprimer dehors et contre le gouvernement.
MICHEL SAPIN
Peut-être mais je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'Arnaud MONTEBOURG ait envie d'être simplement un acteur contre le gouvernement, il sera un acteur dans le débat politique, mais à l'extérieur du gouvernement, le débat politique est évidemment totalement libre.
PATRICK COHEN
Vous entendez les critiques depuis hier soir, pas seulement à la gauche de la gauche, mais aussi chez ceux que l'on appelle les frondeurs du PS. Un financier à l'industrie et à la tête du ministère de l'Economie.
MICHEL SAPIN
Oui, mais ça c'est vraiment, pour reprendre l'expression du Premier ministre hier, « des histoires d'étiquettes », qui sont totalement surannées et dépassées. Un financier, mais ça veut dire quoi ? Mais moi je pourrais vous dire que quelqu'un que j'aime beaucoup par ailleurs mais qui n'est pas du tout, souvent très en désaccord avec moi ou avec qui je suis très en désaccord, monsieur EMMANUELLI, il a travaillé aussi dans une banque d'affaires lorsqu'il était jeune, quand il avait, grosso modo l'âge qu'avait monsieur MACRON lorsqu'il travaillait dans une banque d'affaires. Donc ça n'est pas ça on ne va pas porter une étiquette, comme ça, et toute sa vie être prisonnier de cette étiquette. Donc, qu'est-ce qu'il représente ? Quelle est sa pensée politique, quelle est sa volonté, est-ce qu'il sera un bon ministre de l'Economie ? Oui, il sera un bon ministre de l'Economie.
PATRICK COHEN
Quelle est sa pensée politique, sociale-libérale ?
MICHEL SAPIN
Mais là encore, des étiquettes, mais je ne sais même pas ce que ça veut dire « social-libéral ». Je sais ce que veux dire social-démocrate, parce que ça on l'a déjà vu dans un certain nombre d'autres pays, et ça marche, la sociale démocratie, dans beaucoup d'autres pays. Si l'Allemagne, aujourd'hui, est forte, c'est parce qu'elle a été réformée, au nom d'un certain nombre de principes qui sont des principes de la sociale-démocratie.
PATRICK COHEN
Il y a tout de même, peut-être le contesterez-vous, mais dans la nomination d'Emmanuel MACRON, un message, une sorte de main tendue aux patrons, au patronat, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Mais on n'est pas là dans des mains tendues, il faut que
PATRICK COHEN
Il faut avoir la confiance des chefs d'entreprise, enfin, c'est répété par tous les membres du gouvernement depuis des mois.
MICHEL SAPIN
Je vais reprendre le terme de confiance, parce que ce n'est pas simplement une confiance des chefs d'entreprise. Il est nécessaire que les chefs d'entreprise comprennent et aient le sentiment de la stabilité. Je vous l'ai dit, je l'ai décrit, parce que si à chaque fois ils pensent que ça peut être remis en cause le lendemain, qu'est-ce qu'ils font ? Ils ne prennent pas de décision. Or qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? Il n'y a pas suffisamment de décisions d'investissements, il n'y a pas suffisamment de décisions d'embauches, donc il faut que ça soit clair, stable, et que chacun sache où on va. C'est ce qui va se passer, et avec Emmanuel MACRON, avec moi-même, avec le Premier ministre et le président de la République, s'agissant de la ligne économique, financière, budgétaire, en faveur des entreprises, en faveur des ménages, en faveur de la réduction des déficits, mais dans un débat aussi extrêmement exigeant avec l'Europe, on sait où on va.
PATRICK COHEN
Envisagez-vous, ou avez-vous envisagé une hausse du taux normal de TVA, celui qui est aujourd'hui à 20 % ?
MICHEL SAPIN
Alors j'ai vu ça dans un article, ce qui prouve bien qu'il ne faut pas croire tout ce qui s'écrit ou tout ce qui se dit dans les articles.
PATRICK COHEN
C'est un article assez documenté, qui cite un mail, un échange de courriers entre Matignon et Bercy, et une réunion ministérielle, plus que ministérielle, d'ailleurs, avec François HOLLANDE et Manuel VALLS, le 19 août, dans LIBERATION.
MICHEL SAPIN
Tous les échanges de courriers sont libres, comme le disait là aussi le cabinet du Premier ministre, par définition, mes services ils travaillent sur toutes les hypothèses. Non seulement ça n'est pas d'actualité, mais ça n'a même pas été abordé à la fameuse réunion dont vous nous parlez.
PATRICK COHEN
Du 19 août.
MICHEL SAPIN
Voilà.
PATRICK COHEN
D'accord.
MICHEL SAPIN
Donc c'est un sujet qui n'est absolument pas dans l'actualité.
PATRICK COHEN
Donc, ça aurait pu être une hypothèse de travail, mais elle a été, il y a eu un arbitrage
MICHEL SAPIN
J'entends des gens qui disent : est-ce que l'on pourrait augmenter la TVA ? Je ne sais pas, monsieur ATTALI dit « tiens, ce serait bien qu'on augmente la TVA ». Qu'il y ait des gens aussi dans les services, qui travaillent pour savoir ce que ça veut dire, c'est tout à fait légitime, ceci n'est pas dans l'actualité. Mais je veux revenir un peu plus, nous sommes avec la volonté de mettre en oeuvre deux chiffres, non pas que ce soit que des gros chiffres, il faut 40 milliards de marges de manoeuvres supplémentaires pour les entreprises, c'est pas cadeau, de marges de manoeuvres, c'est-à-dire de capacités d'investissements et d'embauches, et il faut 50 milliards d'économies pour financer, à la fois la diminution du déficit, et ces marges de manoeuvre supplémentaires, pour les entreprises. Est-ce que l'on va, par l'augmentation d'impôts, essayer de résoudre un certain nombre de problèmes ? Non, ça a déjà été fait. 60 milliards en 4 ans, c'est beaucoup 60 milliards, pour les entreprises c'était beaucoup, pour les ménages c'est aussi beaucoup, donc on ne va pas se lancer dans un vaste plan d'augmentation des impôts.
PATRICK COHEN
Donc ça pourrait être, peut-être par la TVA.
MICHEL SAPIN
Mais, la TVA, c'est un impôt, non ?
PATRICK COHEN
D'accord.
MICHEL SAPIN
Oui, bon ben c'est impôt, donc on n'est pas là pour augmenter les impôts.
PATRICK COHEN
Non non, je pensais aux impôts directs.
MICHEL SAPIN
Ça a déjà été fait suffisamment.
PATRICK COHEN
J'ai cité les contestataires du PS, tout à l'heure, les écologistes ont refusé de revenir au gouvernement, MONTEBOURG et HAMON sont dehors, qu'est-ce qu'il reste de votre majorité, Michel SAPIN ? Des fidèles et des camarades de promotion de François HOLLANDE ?
MICHEL SAPIN
Alors, c'est la majorité aussi du gouvernement. Le gouvernement c'est une chose, le gouvernement c'est l'expression d'une majorité. Bien sûr il ira devant le Parlement, il y aura une majorité et les textes seront discutés et disputés, là encore, c'est normal, le débat, même le débat interne au groupe socialiste.
PATRICK COHEN
Avec une base de plus en plus étroite.
MICHEL SAPIN
Non, je pense que ça sera exactement la même base que celle que nous avons connues depuis le début. Souvenez-vous, lorsqu'il a fallu voter un certain nombre de textes, en juin et juillet 2012, déjà, à l'époque, il y avait une quarantaine ou une cinquantaine de députés socialistes, qui disputaient cette ligne-là. Voilà, c'est leur rôle, peut être, tels qu'ils le voient, c'est leur responsabilité, en tout état de cause. Mais y-a-t-il eu un manquement de majorité depuis 2012 ? Non, et
PATRICK COHEN
Ce n'est pas passé loin.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas passé loin mais j'ai connu, vous savez, j'ai l'avantage au moins d'avoir un peu d'expérience, donc j'ai connu un gouvernement qui s'appelait le gouvernement
PATRICK COHEN
ROCARD.
MICHEL SAPIN
de Michel ROCARD, ça a duré pendant 5 ans, où il n'y avait soi-disant pas de majorité. Beaucoup de réformes ont été faites pendant ces 5 ans. Aujourd'hui, il y a une majorité, cette majorité s'est exprimée, sur les textes qui ont été votés, justement, c'est 40 milliards, c'est 50 milliards d'économies, tout ça a été voté, c'est fait, c'est en train d'être mis en oeuvre. Maintenant, ce qu'il faut, ce sont des actes. Beaucoup nous disent : c'est des mots et des mots, on veut des actes, des actes, des décisions. C'est ces actes et ces décisions qui permettront de faire bouger les lignes, et au fond, au bout du compte, de donner des satisfactions légitimes et nécessaires, à des Français qui sont très dubitatifs sur toute la politique.
PATRICK COHEN
Absolument. Je reviens au fond, il n'y avait rien de vrai dans ce que disait Arnaud MONTEBOURG ou dans ses critiques sur la nécessité de ralentir le rythme de réduction des déficits pour ne pas asphyxier un peu plus encore l'économie, sur l'importance de relancer la demande, de redonner du pouvoir d'achat aux Français ?
MICHEL SAPIN
Sur la question du rythme, de la diminution des déficits, je ne veux pas avoir l'air de me mettre en valeur, mais reportez-vous à une tribune que j'ai, au coeur de l'été, le 14 août, publiée, qui disait : un des enjeux, c'est de faire en sorte que le rythme de réduction des déficits se fasse dans des conditions qui soient compatibles avec la recherche d'une croissance supplémentaire. Donc ce débat est tellement légitime, que c'est celui que nous portons. C'est celui que nous portons aujourd'hui, au niveau européen. Donc vous voyez que sur bien des points, il y avait des éléments de débats qui étaient partagés, mais des manières de faire qui ne l'étaient pas.
PATRICK COHEN
Et sur la nécessité d'une politique de relance plus vigoureuse ?
MICHEL SAPIN
Non, je pense qu'une politique dite de relance, ça veut dire quoi ? Ça veut dire dépenser de l'argent public, ça a été fait en 2008/2009, je pense que c'était nécessaire à cette époque-là, mais ça a été des centaines de milliards d'endettement supplémentaire pour la France. Est-ce qu'on va rajouter aujourd'hui des centaines de milliards d'endettements supplémentaires pour la France, alors qu'on est à un taux d'endettement qui est quasiment à 100 % de la richesse globale du pays ?
PATRICK COHEN
Mais alors que la croissance est à zéro.
MICHEL SAPIN
La réponse est non. De quoi manquons-nous aujourd'hui ?
PATRICK COHEN
De croissance.
MICHEL SAPIN
Nous manquons de croissance, parce que l'industrie, parce que les services, parce que l'économie française aujourd'hui n'est pas en capacité de répondre à une demande qui existe, il y a une demande mondiale, il y a des pays qui croissent plus vite que nous, et d'ailleurs à peu près tous les continents en dehors de l'Europe, et nous, nous ne sommes pas capables de répondre. D'autres en Europe sont capables d'y répondre, à cette demande. Donc
PATRICK COHEN
Il y a des chefs d'entreprise qui disent : on n'investit pas, parce qu'il n'y a pas de demande, aussi, en France. Vous le savez.
MICHEL SAPIN
Peut-être, bien sûr, ça fait partie aussi des arguments, mais le principal argument que j'entends, et c'est vrai, c'est : nous avons perdu ce que l'on appelle les marges. En 2008, il y avait à peu près 33 % de marges, c'est-à-dire qu'une entreprise, à la fin, il lui restait 33 % de son chiffre d'affaires. Elle pouvait investir, elle pouvait innover. Aujourd'hui il y a eu une chute, il y a eu une chute, pas là, pas ces deux dernières années, la chute elle a été entre 2008 et 2012. Moi, mon objectif, c'est de redonner aux entreprises les marges dont elles disposaient avant la crise, et quand elles étaient avant la crise, il y avait plus de croissance, et quand il y avait plus de croissance, il y avait beaucoup beaucoup moins de chômage.
PATRICK COHEN
Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics, avec nous jusqu'à 08h55. On vous retrouve dans quelques minutes, après la revue de presse, avec les interventions, les commentaires, aussi, des auditeurs, internautes de FRANCE INTER, le #interactiv, le téléphone, 01 45 24 7000.source : Service d'information du Gouvernement, le 10 septembre 2014