Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec Europe 1 le 27 août 2014, sur la politique du gouvernement et sur la situation au Proche-Orient.

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Média : Europe 1

Texte intégral


JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenue Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bonjour. Vous êtes le premier des ministres après le Premier ministre. Pourquoi ce gouvernement VALLS 2 peut-il obtenir ce que les Français attendent, des résultats ?
LAURENT FABIUS
Le but de ce remaniement gouvernemental c'est la cohésion et la cohérence. Ce n'est pas exactement la même chose, les deux. La cohésion c'est que l'expression soit unique, et c'est nécessaire, parce que les difficultés sont grandes, si en plus les discours sont contradictoires, personne n'y comprend plus rien, donc cohésion. La cohérence c'est autre chose, la cohérence c'est le choix de la politique et notamment de la politique économique, puisque finalement tout tourne autour de cela. Et je pense que cette équipe elle a pour but, c'est comme ça qu'elle a été conçue, de montrer cohérence et cohésion. Sur la cohérence, si vous me permettez, je vais sortir de mon domaine qui est les affaires étrangères, 3 minutes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous pouvez, je vous y encourage.
LAURENT FABIUS
Merci. Le problème de la France c'est que nous avons trois déficits, nous avons un déficit de croissance, qui fait que nous n'arrivons pas à réduire le chômage, or en France il faut une certaine croissance pour réduire le chômage parce que nous avons un mouvement démographique qui est important. Nous avons un déficit budgétaire, que ce soit les collectivités locales, l'Etat ou la Sécurité Sociale. Et nous avons un déficit commercial, qui est peut-être le plus grave de tous, parce qu'il montre que notre compétitivité n'est pas suffisante.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça c'est le diagnostic, mais maintenant les résultats, les actes.
LAURENT FABIUS
Le problème c'est qu'il faut que nous arrivions à avoir plus de croissance, mais, en même temps, que nous réduisions aussi nos deux autres déficits, et c'est la raison pour laquelle il y a des solutions, j'y viens, que nous prenons, et d'autres que nous écartons. Par exemple, quand on dit « on va augmenter massivement les salaires », ça serait bon pour le pouvoir d'achat, mais si vous augmentez massivement les salaires, comme déjà l'offre, en France, ne permet pas de répondre à la demande, vous allez avoir un déficit commercial beaucoup plus grand. Vous pouvez dire aussi « je vais augmenter les prestations sociales », c'est satisfaisant pour le pouvoir d'achat, mais à ce moment-là vous allez augmenter le déficit budgétaire. Donc, ce que nous avons choisi, c'est quoi ? c'est, sur le plan économique interne, de faire des réformes de structures, c'est-à-dire qu'on va bouger, en matière de logement, puisque le logement aujourd'hui est bloqué, en matière de transition énergétique, en matière de simplification, d'allégement de l'Etat, et puis nous demandons à l'Europe, qui en a un petit peu sous le pied, de relancer les investissements et la demande extérieure. C'est ça la logique de notre politique, c'est-à-dire investir davantage et dépenser moins. Voilà la cohérence intellectuelle de ce que le président avait annoncé dès janvier, Manuel VALLS aussi, et ce qui maintenant va pouvoir, cohérence et cohésion, être montré, avec des résultats qui, ne viendront pas tout de suite, ne nous faisons pas d'illusion, mais qui est le seul chemin pour à la fois augmenter la croissance, donc réduire le chômage, réduire le déficit commercial, réduire le déficit budgétaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais qui profitera de…
LAURENT FABIUS
Les Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais qui profitera des résultats puisqu'ils viendront plus tard ? Est-ce que ce sont vos successeurs, qui ne seront pas forcément de gauche, après 2017 ?
LAURENT FABIUS
Non, je pense que les Français, ils voient bien les difficultés, ils voient les difficultés dans tous les pays…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais ils attendent des résultats.
LAURENT FABIUS
Ils attendent des résultats. Je ne dis pas qu'en 2017, puisque c'est l'horizon, tous les résultats seront encore magnifiques, mais ils verront qu'il y avait des réformes à faire, qu'il y avait, au départ – personne ne peut le contester – ces trois déficits massifs, et que les réformes que nous avons appliquées, permettent que la France s'en sorte. Voilà l'objectif.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent FABIUS, le 21 août, lors du séminaire sur l'attractivité de la France, vous disiez, paraît-il, qu'il fallait corriger les handicaps de la France, je cite : « la fiscalité avec l'impact psychologique des 75 %, la complexité du droit du travail, les seuils sociaux, la flexibilité et le travail du dimanche. » Est-ce que le trio VALLS/ MACRON/ SAPIN, va s'en débarrasser ?
LAURENT FABIUS
Alors j'ai vu que, effectivement, il y avait un écho qui, comme souvent les échos, n'est pas tout à fait exact, Manuel VALLS…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais c'est un peu ce que vous pensez.
LAURENT FABIUS
Manuel VALLS m'a demandé de présenter un plan pour l'attractivité, et donc, c'était il y a quelques jours, en présence d'à peu près tous les ministres, j'ai dit « voilà la situation de la France, d'un côté nous sommes très ouverts à l'international, mais de l'autre nous ne sommes pas assez compétitifs, pas assez attractifs. Donc, voilà ce que nous avons commencé de faire, et voilà ce qu'il faut compléter. »
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous savez ce qu'on entend déjà, c'est un gouvernement social-libéral-démocrate, c'est le tournant, et c'est même la droite.
LAURENT FABIUS
Non, non non, ça n'a pas de sens. Par rapport à la droite…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, vous, vous, à droite.
LAURENT FABIUS
Ben non !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comme disent les frondeurs, ou comme diront les amis d'Arnaud MONTEBOURG.
LAURENT FABIUS
Non, non, mais…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
59 % des Français, d'après « Le Parisien » disent que François HOLLANDE et Manuel VALLS ont bien fait d'écarter Arnaud MONTEBOURG. Vous faites partie des 59 % ? Pour avoir de la cohérence.
LAURENT FABIUS
Le problème c'est, ce que je viens de vous expliquer, la cohérence et la cohésion. Arnaud MONTEBOURG est un homme qui a beaucoup de qualité, mais si vous êtes ministre de l'Economie, et que vous dites que la politique économique ne marche pas, ça pose un léger problème. Donc, la cohérence et la cohésion, elles doivent être au rendez-vous, parce que les difficultés sont telles qu'il ne faut pas, en plus, y ajouter des incohérences.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais chaque ministre a dû s'engager, paraît-il, sur sa loyauté à l'égard de la ligne, c'est-à-dire c'est la discipline qui va….
LAURENT FABIUS
Non, non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'elle va tuer le débat, est-ce que c'est le caporalisme désormais chez HOLLANDE et VALLS ?
LAURENT FABIUS
Non, la réponse est dans la question, le caporalisme ce n'est pas exactement ce que je ressens de ces méthodes de travail, non, simplement il faut une certaine cohérence. Parce que, je vais vous dire quelque chose. Moi je suis évidemment tout le temps parti à l'étranger, mais enfin je reviens souvent en France, et ce qui me frappe quand je discute avec les gens, c'est qu'ils savent bien qu'il y a des difficultés, mais ils ne veulent pas que, à ces difficultés intrinsèques s'ajoutent, en plus, des incohérences, ou un manque de cohésion, et je crois qu'ils ont raison.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent FABIUS, est-ce que ce gouvernement - qui ne correspond pas à la majorité présidentielle, il n'y a ni Verts, ni gauche gauche, ni certains PS, à la majorité – c'est un gouvernement qui va durer, c'est un gouvernement d'avenir ?
LAURENT FABIUS
J'espère.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous n'êtes pas sûr ?
LAURENT FABIUS
J'espère. Après, c'est dans la main de l'Assemblée nationale, puisque c'est comme ça dans nos institutions, mais il faut aussi une certaine cohérence là aussi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aux gens qui vont être à La Rochelle, qu'est-ce que vous leur dites ? S'il n'y a pas de majorité, qu'est-ce qui se passe ?
LAURENT FABIUS
J'avais une idée en tête, pour une fois ne la perdons pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ne la perdez pas.
LAURENT FABIUS
Certains disent « mais il faudrait une dissolution, il faudrait renverser le gouvernement, etc. », bon ! S'il y avait une dissolution, ça voudrait dire quoi ? ça voudrait dire qu'on ajouterait à la crise économique une crise politique, à mon avis ce serait ridicule, mais en plus, ce serait quand même assez compliqué de dire, bon… certains, à gauche, disent « mais 50 milliards d'économie c'est trop. » Mais, si jamais il y a une dissolution, et que la droite revient, ça ne sera pas 50 milliards d'économie, ça sera 100 milliards d'économie, avec les conséquences que ça a. Donc, revenons à des choses simples, il y a des difficultés, la France, comme beaucoup d'autres pays, fait face à ces difficultés, il y a une ligne politique, il faut qu'elle soit respectée, et qu'en même temps on écoute, évidemment, qu'on discute. Et par rapport aux groupes de gauche, dont on parle, il faut discuter avec eux, ce sont des gens intelligents, il faut discuter avec eux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent FABIUS, Emmanuel MACRON, qui était traité de « prodige », inspecteur des finances découvert lui aussi par Jacques ATTALI, assistant du philosophe, grand philosophe, Paul RICOEUR, proche de François HOLLANDE, puis du président de la République, sherpa, secrétaire général de l'Elysée, est nommé à Bercy. Est-ce que c'est un choix judicieux ? Il est attaqué, on dit, on le traite de, il a un passé de banquier, comme s'il s'agissait d'un passé de délinquant. Est-ce que c'est le banquier symbole de la finance maintenant ?
LAURENT FABIUS
Moi je le connais, Emmanuel MACRON, c'est un homme compétent, c'est un homme qui croit à ses idées, il connaît bien l'Etat, et donc je suis sûr qu'il va faire un bon travail. C'est important, parce que c'est un poste important, et c'est important aussi en ce qui concerne le ministère des Affaires étrangères, puisque, comme vous le savez, j'ai mis au premier rang la diplomatie économique et donc je serai amené à travailler avec Michel SAPIN, avec Emmanuel MACRON, comme je le faisais avec Arnaud MONTEBOURG.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous dites comme Manuel VALLS hier, il a réclamé qu'on en finisse avec les critiques idéologiques surannées ?
LAURENT FABIUS
Oui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Georges POMPIDOU était aussi un banquier, au début.
LAURENT FABIUS
Non, non, mais il y a une remarque qu'on peut faire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce qui ne veut pas dire qu'Emmanuel MACRON aura ce destin.
LAURENT FABIUS
Il y a une remarque qu'on peut faire, avec beaucoup de respect. Vous avez remarqué que nous sommes en 2014, nous ne sommes ni en 1914, ni même en 1981, nous sommes en 2014, il y a une compétition mondiale, la France a des atouts extraordinaires, extraordinaires, quand on dit aux gens « quel est le pays où vous préféreriez vivre ? », « c'est la France », numéro 1, mais il y a des choses à réformer, et il faut les réformer. Alors on dit « mais politiquement ça va être difficile », oui, mais, revenons à l'essentiel. Le rôle d'un président de la République, le rôle d'un Premier ministre, le rôle d'un ministre des Affaires étrangères, c'est de faire ce qui est nécessaire pour l'intérêt de notre pays, point à la ligne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
J'ai bien dit, Laurent FABIUS, premier des ministres après le Premier ministre. Vous aurez pu aller à Bercy, là vous êtes au ministère des Affaires étrangères. L'été 2014 a été un été meurtrier, de guerres, de violences, etc., vous l'avez vécu…
LAURENT FABIUS
L'été de toutes les crises.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous l'avez vécu au premier rang, combien de kilomètres vous faites par mois, vous ?
LAURENT FABIUS
Je vais un tour du monde par mois, en moyenne, 40.000 kilomètres.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Là, dans l'actualité, grâce à la médiation de l'égyptien SISSI il y a un cessez-le-feu, qui est en principe durable, qui a été décrété entre Israël et le Hamas à Gaza. Est-ce que c'est un premier pas vers la paix ou est-ce qu'il faut lever, par étapes, le blocus de Gaza, et en tout cas l'alléger le plus vite possible ?
LAURENT FABIUS
La France soutient ce cessez-le-feu, nous en sommes à plus de 2000 morts, c'est une catastrophe épouvantable, et donc nous avons travaillé, avec les Egyptiens, avec les Palestiniens, avec les Israéliens, pour aller vers ce cessez-le-feu, aujourd'hui il est obtenu, j'espère qu'il sera durable, mais évidemment il est avéré qu'il faut, derrière, des négociations, à la fois entre les Palestiniens, les Israéliens, l'Egypte et puis d'autres, et puis il va y avoir une surveillance de tout ça par la communauté internationale, notamment aux Nations Unies.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez dit l'Etat islamique est une menace mortelle pour tout ce qui n'est pas lui, musulmans, occident, Europe, etc., nous aussi. Contre cet ennemi, quels actes faut-il ? Barack OBAMA promet de détruire le califat islamique, et sans résolution de l'ONU ses avions, ses drones, bombardent en Irak. Est-ce que la France va s'y associer ?
LAURENT FABIUS
Nous avons, comme vous le savez, envoyé un certain nombre d'armements, à l'Irak, aux kurdes, et le président de la République a…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous continuez à les envoyer ?
LAURENT FABIUS
Oui, nous le faisons, et le président de la République a proposé qu'il y ait une conférence sur la sécurité en Irak et la lutte contre l'Etat islamique dans les prochaines semaines, nous sommes en train de la préparer.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Al-Baghdadi, l'homme en noir, qui s'est autoproclamé calife, est-ce qu'il doit subir le même sort que Ben Laden ?
LAURENT FABIUS
En tout cas ce califat de la terreur et de la haine doit être neutralisé. Il faut bien comprendre. J'ai été accueillir des réfugiés irakiens à l'aérodrome et je me suis rendu moi-même à Erbil, quand vous entendez la description de ce que fait ce califat islamique c'est, proprement parlé, inhumain. Les femmes violées, crucifiées…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les journalistes décapités.
LAURENT FABIUS
Décapités, assassinés, et tous ceux qui ne pensent pas comme eux, sont considérés comme des chiens qu'il faut abattre, et nous faisons partie du lot.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je vous dis bonne journée, vous allez présider la passation des pouvoirs de Fleur PELLERIN avec Thomas THEVENOUD, en charge du Commerce extérieur, du Tourisme.
LAURENT FABIUS
Oui, c'est un garçon très bien, et on va bien travailler.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Laurent FABIUS.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et la Conférence des ambassadeurs va commencer aujourd'hui, pour quelques jours…
LAURENT FABIUS
Voilà.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous aurons l'occasion de parler de politique étrangère, c'est si important.
LAURENT FABIUS
Merci.
THOMAS SOTTO
De même qu'on aura l'occasion de dire que vous serez à La Rochelle, Jean-Pierre ELKABBACH, dimanche, avec tous les représentants de tous les courants de la gauche, pour un « Grand rendez-vous » spécial avec I TELE et Le Monde, ça sera à 10H00, on aura l'occasion d'en reparler.
LAURENT FABIUS
Moi je serai avec les ambassadeurs.
THOMAS SOTTO
Vous serez avec les ambassadeurs.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est mieux…
LAURENT FABIUS
Non, non.
THOMAS SOTTO
Il y a un petit film très marrant d'ailleurs, sur Twitter, avec les ambassadeurs, avec les petits FERRERO ROCHER, là, c'est très sympa.
LAURENT FABIUS
Ah bon ?
THOMAS SOTTO
Vous ne l'avez vu…
LAURENT FABIUS
Je ne l'ai pas vu.
THOMAS SOTTO
France diplomatie.
LAURENT FABIUS
Les ambassadeurs, non seulement les ambassadeurs de France, mais les ambassadeurs étrangers, en France, que j'ai invités ce samedi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et la Conférence de la sécurité, elle marche ?
LAURENT FABIUS
Oui.
THOMAS SOTTO
Merci Laurent FABIUS.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 septembre 2014