Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur l'accompagnement et l'adapatation de la société au vieillissement de la population, Paris le 9 septembre 2014.

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Circonstance : Présentation du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement de la population, Paris le 9 septembre 2014

Texte intégral


M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, mesdames, messieurs les députés, partons d'abord d'un constat positif et qui doit rendre optimiste : les Français gagnent en temps de vie.
Ce constat s'impose à nous tous : l'espérance de vie a déjà dépassé 80 ans aujourd'hui, et elle devrait continuer à s'allonger d'une année tous les dix ans jusqu'en 2060. À cette date, les personnes âgées de plus de 85 ans seront plus de 5 millions en France, contre un peu moins de 1,5 million aujourd'hui. L'augmentation de l'espérance de vie est évidemment une chance pour notre pays – je crois que nous tomberons d'accord là-dessus. Mais elle est aussi un défi, auquel nous devons nous préparer.
Ce constat ne date pas d'aujourd'hui : cela fait des années que nous l'entendons. Cela fait des années que nous entendons que des mesures nouvelles s'imposent pour faire face au vieillissement de la population et accompagner celles et ceux qui perdent leur autonomie. Des discours, il y en a eu. Et pourtant, pendant plus de dix ans, l'accompagnement de la perte d'autonomie a fait l'objet de renoncements et d'atermoiements. Pendant plus de dix ans, l'urgence a été affirmée, et même proclamée, mais sans qu'aucune volonté politique se s'impose pour apporter les solutions attendues. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je tiens à dire ici que, même si le contexte financier est contraint…
M. Marc Le Fur. On va nous parler de l'augmentation des petites retraites !
Mme Marisol Touraine, ministre. …la gauche, elle, a choisi de ne pas renoncer ! Face au constat de l'allongement de l'espérance de vie, nous prenons nos responsabilités. Comme l'a solennellement rappelé le Président de la République…
M. Marc Le Fur. « Moi, Président de la République… » !
Mme Marisol Touraine, ministre. …la reconnaissance de la place et du rôle des plus âgés dans notre société nécessite l'adaptation de tout le pays et exige un engagement du corps social tout entier, une mobilisation d'ampleur, mais aussi, j'y insiste, une politique concrète, identifiée, qui réponde aux besoins quotidiens des plus âgés et de leurs proches. Le texte que nous vous présentons avec Laurence Rossignol est profondément inscrit dans son époque. C'est un projet de loi qui, en ce début de XXIe siècle, anticipe les conséquences du vieillissement sur notre société. C'est un projet de loi qui a l'ambition de changer le quotidien de nos aînés et de leurs proches.
Je veux saluer le travail et l'engagement de Laurence Rossignol sur ce texte, et rendre hommage à Michèle Delaunay, qui y a beaucoup réfléchi et a commencé à l'élaborer il y a deux ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)
Trois principes ont guidé l'élaboration de ce projet de loi.
Le premier consiste à accompagner concrètement les choix de vie et la liberté de choix de nos concitoyens. Nous estimons qu'il appartient à chacune et à chacun de décider de l'endroit où il veut vieillir et, dans le cas où il perdrait son autonomie, de l'endroit où il veut être accompagné. Nombre de nos concitoyens nous disent qu'ils veulent demeurer chez eux. Encore faut-il que ce choix de rester à son domicile soit rendu possible ! Car rester chez soi, alors même que l'on a des difficultés à se déplacer, à être seul, ou que l'on ne dispose pas d'un encadrement nécessaire, peut paraître illusoire. Le premier principe de cette loi, je le répète, a donc été de rendre concrètement possible le maintien à domicile de celles et de ceux qui le souhaitent.
Le deuxième principe qui a guidé l'élaboration de ce projet de loi est celui de la cohérence de l'action gouvernementale. Ce texte affirme que c'est grâce à la solidarité que nous pourrons proposer des solutions nouvelles pour accompagner les personnes âgées. La préservation et le renforcement de notre système de protection sociale, qui sont au cœur de toutes les décisions que nous avons prises depuis deux ans, se retrouvent donc dans la loi qui vous est proposée.
Ce texte de loi affirme par ailleurs, et pour la première fois, la nécessité de faire un effort en direction de la prévention, qui se trouve également au cœur de la stratégie nationale de santé que je présenterai prochainement en conseil des ministres. Cela se traduit très concrètement, dans ce projet de loi, par la création d'une instance nouvelle, la conférence des financeurs, qui doit permettre de relever de manière volontariste le défi de la prévention.
Ce principe de cohérence de l'action gouvernementale se retrouve, enfin, dans la volonté de décliner les politiques d'accompagnement de la perte d'autonomie de manière personnalisée, et adaptée à la situation de chacun. La personnalisation des politiques publiques est en effet l'un des fils conducteurs des choix qui ont été réalisés depuis deux ans – que l'on songe, par exemple, à la mise en place du compte pénibilité dans le cadre de la loi sur les retraites.
M. Marc Le Fur. Une mise en place difficile !
Mme Marisol Touraine, ministre. J'en arrive, après notre choix d'accompagner le maintien des personnes âgées à leur domicile, et le principe de la cohérence de l'action gouvernementale, au troisième principe qui a guidé l'élaboration de ce projet de loi : celui de la responsabilité financière. Nous avons fait voter – vous avez voté ! – la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, ou CASA, qui permettra de couvrir l'ensemble des dépenses nouvelles créées par cette loi. Les 650 millions d'euros qui seront dégagés par cette nouvelle contribution…
M. Marc Le Fur. Pas si nouvelle que cela !
Mme Marisol Touraine, ministre. …permettront de garantir la pérennité de la réforme que nous vous proposons.
Je le dis solennellement, en réponse aux débats que suscitent, notamment, ceux qui n'ont rien proposé au cours des années passées. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Bérengère Poletti. C'est faux !
Mme Marisol Touraine, ministre. J'entends dire, parfois, que les propositions qui sont faites ne sont pas suffisantes, mais je tiens à souligner que la loi que nous proposons est responsable, puisque n'y figurent pas d'engagements qui ne pourront être tenus. Notre responsabilité, vis-à-vis des personnes âgées et de leurs proches, c'est de garantir que ce que nous votons ici, que ce que nous décidons ensemble, sera effectivement, très concrètement et rapidement mis en œuvre, et de manière durable. Nous avons la volonté d'apporter des solutions concrètes.
Mme Claude Greff. Il n'y a rien de concret dans ce projet de loi !
Mme Marisol Touraine, ministre. C'est cette volonté d'apporter des solutions concrètes qui traverse le projet de loi que nous vous présentons aujourd'hui, avec Laurence Rossignol.
La réforme qui a commencé d'être élaborée il y a deux ans. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) …
Mme Claude Greff. Avant vous, le monde n'existait pas ?
Mme Marisol Touraine, ministre. …l'a été dans le cadre d'une concertation affirmée, puisque ce texte est l'aboutissement d'échanges nombreux et continus avec les partenaires sociaux, les élus, notamment ceux des conseils généraux, les représentants du monde associatif, les professionnels, les personnes âgées et leurs familles.
Mme Claude Greff. C'est du baratin !
Mme Marisol Touraine, ministre. Je veux également souligner l'intérêt et le parti que nous avons tiré des rapports qui nous ont été remis par votre collègue Martine Pinville, par le docteur Jean-Pierre Aquino, ainsi que par Luc Broussy : ils ont contribué à orienter notre réflexion vers une approche globale du vieillissement de la population.
Je voudrais à présent, sans entrer dans le détail de ce projet de loi,…
Mme Claude Greff. Il n'y en a pas !
Mme Marisol Touraine, ministre. …vous présenter les quatre objectifs qui nous ont guidés dans la construction de celui-ci.
Ce texte doit d'abord permettre de combattre concrètement les inégalités, car nous ne sommes pas égaux face au temps qui passe. Les Français vieillissent différemment selon leurs parcours de vie et selon qu'ils ont, ou non, la chance d'être entourés par leurs proches.
Mme Claude Greff. Et selon qu'ils sont imposés, ou pas !
Mme Marisol Touraine, ministre. Au-delà de 75 ans, une personne sur quatre n'a pas plus de trois discussions par an.
Mme Claude Greff. Et ses impôts augmentent !
Mme Marisol Touraine, ministre. À mesure que la santé se dégrade, que l'isolement s'accentue, et que les ressources se raréfient, le risque de perte d'autonomie augmente. Pour combattre les inégalités sociales, il nous faut donc anticiper et repérer les premiers facteurs de la perte d'autonomie. Au-delà de 60 ans, les personnes défavorisées sont deux fois plus nombreuses que les autres à être porteuses d'au moins deux maladies chroniques. Il est donc indispensable de mettre l'accent sur la prévention, à l'image de ce qui sera fait par ailleurs dans le cadre de la loi santé.
Mme Claude Greff. Avec quels moyens ?
Mme Marisol Touraine, ministre. La prévention, dont le financement est assuré, ainsi que l'adaptation, prendra plusieurs directions. Un plan national d'adaptation assurera d'abord la rénovation de 80 000 logements d'ici à 2017.
Mme Claude Greff. Avec quels moyens ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Des travaux permettront d'aménager des espaces plus sûrs grâce, par exemple, à des chemins lumineux…
Mme Claude Greff. Et pourquoi pas un feu d'artifice ?
M. le président. Madame Greff, s'il vous plaît !
Mme Marisol Touraine, ministre. …ou à des salles de bain modernisées pour faciliter les déplacements. Tout cela peut paraître anecdotique à ceux qui ne s'intéressent pas au sujet (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) …
M. Jean-Louis Costes. Ce sont des mots creux !
Mme Marisol Touraine, ministre. …mais nous savons bien que ce que nos aînés et leurs familles attendent, ce sont des solutions concrètes, que les nouvelles technologies nous permettent aujourd'hui d'apporter.
Le deuxième objectif de ce projet de loi, c'est de renforcer le caractère solidaire de la prise en charge du vieillissement. Pour combattre les injustices, nous voulons préserver le caractère universel de la prise en charge de l'accompagnement de la perte d'autonomie. C'est pourquoi nous poursuivons le mouvement de prise en charge collective du vieillissement, lancé il y a douze ans par le gouvernement de Lionel Jospin, avec la création de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA. Nous pouvons rendre hommage au travail réalisé, en particulier, par Paulette Guinchard-Kunstler, qui était alors la ministre en charge de ce dossier, et qui est aujourd'hui présidente du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie – la CNSA. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La création de cette allocation a représenté un immense progrès pour des millions de Français, et il nous revient de l'adapter à la situation nouvelle. Nous voulons engager un véritable acte II de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui se traduira très concrètement par une augmentation des aides allouées aux personnes en perte d'autonomie, à un coût moins élevé. L'un des fils conducteurs de notre politique, c'est en effet de faire en sorte que, en matière de soutien, d'accompagnement et de santé, le reste à charge de nos concitoyens diminue, et c'est ce que nous faisons.
Très concrètement, grâce à ce projet de loi, les personnes les moins autonomes se verront proposer une heure d'aide supplémentaire par jour. Les personnes plus autonomes mais ayant tout de même besoin d'être accompagnées se verront quant à elles proposer une heure d'aide supplémentaire par semaine.
Cette mesure s'accompagnera d'une diminution du ticket modérateur, qui représente la contribution demandée à nos concitoyens. Ainsi, une personne en situation de très faible autonomie disposant d'un revenu de 1 500 euros par mois verra sa contribution personnelle diminuer de 400 à 250 euros par mois par l'effet de ces aides. Il s'agit donc d'un effort en direction du pouvoir d'achat de ces personnes, et d'un effort de solidarité puisque cela signifiera une diminution de la contribution d'environ 2 000 euros par année pour ces personnes.
C'est l'un des engagements forts de ce projet de loi : plus d'aide pour les personnes ayant une faible autonomie et moins de contribution de leur part, avec une couverture sociale renforcée.
M. Jean-Luc Laurent. Enfin une bonne nouvelle !
Mme Marisol Touraine, ministre. Le troisième objectif, c'est de porter une politique globale. L'ambition du Gouvernement, qui fait le choix d'une loi d'orientation et de programmation, est d'inscrire la totalité des politiques de l'âge dans un programme pluriannuel et transversal.
La justice sociale que nous cherchons doit se décliner dans chaque foyer, dans chaque territoire. Sur nos territoires, ce sont les conseils généraux et les agences régionales de santé qui mettent en œuvre notre politique de prise en charge de la vieillesse. La question de la gouvernance territoriale est donc fondamentale. Ce projet de loi propose diverses mesures pour améliorer la coordination des aides et de l'accompagnement sur le terrain.
Le dernier objectif, qui n'est pas le moindre, est de soutenir les aidants familiaux. Pour que des personnes restent à domicile alors qu'elles perdent leur autonomie, il faut qu'elles puissent s'appuyer sur leur famille, leurs proches, leur conjoint, leurs enfants.
C'est un engagement très prenant, souvent épuisant, puisque les chiffres montrent que malheureusement, un aidant familial sur deux décède avant la personne qu'il aide. Il faut donc accompagner ces personnes en leur permettant de souffler et en leur offrant un soutien.
Un pas a déjà été fait en ce sens dans la loi sur les retraites, en permettant la validation des trimestres des aidants et la majoration de la durée d'assurance à l'allocation vieillesse des parents au foyer.
Le texte que nous vous présentons ira plus loin en permettant aux 4,3 millions d'aidants familiaux de concilier l'aide avec leur vie professionnelle et en instaurant un droit au répit qui constitue une nouveauté absolument fondamentale. Ce droit au répit ne sera pas théorique ; il se traduira très concrètement par un soutien à hauteur de 500 euros par an et par aidant. Cette aide permettra par exemple de financer une semaine d'hébergement temporaire, quinze jours en accueil de jour ou encore vingt-cinq heures supplémentaires d'aide à domicile. De cette manière, nous travaillons pour la qualité de la vie au quotidien non seulement des personnes âgées, mais aussi de toutes celles et ceux qui les accompagnent et qui les soutiennent.
Mesdames, messieurs les députés, au-delà du texte que le Gouvernement a élaboré, je voudrais saluer la qualité du travail parlementaire engagé sous la responsabilité toujours vigilante et constructive de la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Lemorton, par la rapporteure Martine Pinville et toutes celles et ceux qui ont assumé des responsabilités sur ce texte : Joëlle Huillier, Christophe Sirugue, et Fanny Dombre Coste, rapporteure pour avis.
J'espère que la discussion nous permettra d'aller plus loin pour répondre aux besoins quotidiens, et c'est avec beaucoup de fierté qu'au nom du Gouvernement, avec Laurence Rossignol, je vous présente un texte qui apporte des réponses concrètes pour la vie quotidienne des plus âgés et de leurs proches.
Mme Claude Greff. Il fallait le faire lorsque vous étiez présidente du conseil général d'Indre-et-Loire ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Marisol Touraine, ministre. C'est un projet de loi de progrès social, d'amélioration de la vie quotidienne, qui devrait nous rassembler. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les députés, en introduction à mon propos, et parce que nous allons souvent chercher le mot juste au cours des trois jours de discussion, je souhaite consacrer quelques instants à deux propos préalables sur le vocabulaire et le sens.
« Adaptation de la société au vieillissement », tel est l'intitulé du projet de loi que nous vous présentons avec Marisol Touraine. S'agit-il pour notre société de s'adapter à son propre vieillissement ? Ou plutôt, comme je le crois, d'adapter notre société, c'est-à-dire ses politiques publiques, ses évolutions éthiques, sociologiques et sociales au vieillissement d'un plus grand nombre d'individus ? Ce n'est pas la société qui vieillit, c'est la population. La nuance, dans un pays sensible à la peur du déclin, mérite d'être prise en compte.
La population vieillit ; de plus en plus d'individus atteignent un âge avancé. Dans le même temps, la France est un des pays européens au taux de natalité le plus élevé. Avec plus de 800 000 naissances par an, la France n'est pas un pays vieillissant ; c'est un pays qui conserve un bon équilibre entre les générations et, ainsi, toute sa capacité à se mobiliser, à se transformer et à innover. Et cette dynamique de la transformation collective harmonieuse réside dans notre capacité à renforcer la cohésion intergénérationnelle.
Au moment où nous connaissons une mutation accélérée des modes de production et de vie, la cohabitation des âges est essentielle, car elle réalise la synthèse entre le passé et l'avenir et témoigne de la permanence d'une dynamique de réciprocité entre les générations. L'harmonie de la cohabitation des âges nous relie avec la longue lignée des générations qui nous ont précédés, et prolonge la transmission qui structure aussi bien l'identité individuelle que l'identité collective.
Quels sont les bons mots pour désigner les hommes et les femmes dont nous allons parler pendant ces trois jours ? Âgés, anciens, aînés, seniors, silvers, retraités : les mots ne manquent pas pour nommer les bénéficiaires de ces politiques. Cette profusion révèle surtout que le mot « vieux », encore toléré comme adjectif, est cependant proscrit comme substantif, comme si le vieux était ipso facto objet de discrimination, et l'aîné objet de respect.
Mme Bérengère Poletti. C'est vrai !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Malheureusement, nous le savons tous, les réalités sont plus compliquées, et je voudrais citer le livre de votre ancien collègue, Jérôme Guedj. Son « Plaidoyer pour les vieux » prouve que l'on peut à la fois appeler un chat un chat et défendre avec amour et détermination une politique publique généreuse.
La prise en charge publique de la vieillesse, tout comme l'évolution démographique de notre société, n'est pas nouvelle. Dès le XVIIIe siècle s'est amorcée une transition démographique lente, mais décisive, qui va progressivement installer la prise en charge collective d'une vieillesse de plus en plus institutionnalisée. Cette prise en charge est essentiellement sanitaire. Mais le temps où la vieillesse était uniquement considérée au travers du prisme de la dépendance ou du dénuement est derrière nous. La politique initiée en 2001 a impulsé un véritable changement de paradigme.
Le projet de loi que nous présentons aujourd'hui avec Marisol Touraine emprunte la voie ouverte par Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'État aux personnes âgées en 2001 et maintenant présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.
Dans cette voie nous voulons aller encore plus loin : consolider et élargir les droits de la personne en perte d'autonomie – c'est l'accompagnement des bénéficiaires de l'APA et de leurs aidants – ; anticiper et prévenir la perte d'autonomie ; adapter la ville, le logement, les transports au vieillissement.
Je tiens à dire à Michèle Delaunay, que je vois parmi vous, qu'elle peut être fière du travail accompli et qu'elle restera une grande ministre des personnes âgées. Si nous sommes en voie d'adopter ce dont nos prédécesseurs – les siens, les miens, et ceux de Marisol Touraine – ont rêvé sans jamais aboutir, c'est aussi en grande partie grâce à son infatigable détermination. Elle a su mobiliser tous ceux qui avaient pensé l'adaptation de notre société au vieillissement, en particulier Luc Broussy, le Dr Aquino et notre rapporteure, Martine Pinville, dont les rapports ont nourri la concertation.
Car la loi sur le vieillissement est très attendue. Elle est attendue par ceux qui sont déjà vieux aujourd'hui, par ceux qui ne le sont pas encore mais s'inquiètent de leur vie à venir, par leurs familles, par les élus locaux et les professionnels.
Ce texte est essentiel, car il porte les valeurs d'égalité, de justice sociale, de solidarité et de respect de l'autre qui inspirent l'ensemble de nos politiques sociales. Essentiel, il l'est aussi car il porte sur un enjeu majeur et durable. Sur ce sujet, et malgré un contexte budgétaire contraint, nous avions le devoir d'avancer et nous le faisons. Essentiel, il l'est enfin car il crée à la fois des droits nouveaux dès sa promulgation et car il a la qualité de loi de programmation et d'orientation. C'est un texte qui porte loin.
C'est un texte très moderne, irrigué par une réflexion fine – qui d'ailleurs évoluera – à laquelle chacun peut contribuer : qu'est ce qu'avoir 65 ans, 80 ans ou plus de 90 ans aujourd'hui ? C'est un texte qui se glisse dans la fluidité de la vie.
En effet, la vieillesse n'arrive pas brutalement un beau matin du soixantième, soixante-dixième, ou quatre-vingtième anniversaire ; elle ne frappe pas à la porte le jour de votre retraite. Être vieux, ce n'est ni aller « du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit » – comme le chantait Brel – ni s'accrocher à une caricature du jeunisme. Si notre regard doit évoluer, il ne doit pas pour autant remplacer un stéréotype par un autre. Il ne faut pas infliger aux âgés ce que l'on inflige aux femmes : des images de magazine inatteignables.
Mme Michèle Delaunay. Bravo !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. La vieillesse est plurielle. Elle ne transforme pas non plus en clones des personnes qui étaient toutes différentes hier encore. La vieillesse n'uniformise pas les individus pour les dépersonnaliser en une vaste tranche d'âge composée d'êtres humains qui auraient tous les mêmes désirs, les mêmes besoins et aspireraient aux mêmes conditions de vie.
Vieillir, c'est souvent renoncer progressivement à des petites choses que l'on faisait encore hier et que l'on ne fait plus aussi vite ou facilement aujourd'hui. Mais vieillir c'est ne jamais renoncer ni à sa dignité ni au droit de choisir sa vie. Ce projet de loi enrichi d'amendements parlementaires consacre que les droits de la personne sont intangibles et inaliénables. Ce que nous instaurons, à travers lui, c'est une politique qui prend appui sur les parcours, et non sur une conception abstraite de la vieillesse.
Ce texte développe une approche globale et transversale qui repose sur trois piliers complémentaires : anticiper et prévenir ; adapter la société ; accompagner la perte d'autonomie.
Anticiper, pour repérer et mieux combattre les facteurs de risque de la perte d'autonomie. Anticiper, c'est faciliter l'accès aux aides techniques modernes telles que la domotique, le numérique ou la téléassistance, qui viennent en appui aux aides humaines indispensables. Parfois, cela se manifeste simplement par une barre d'appui dans une douche. Anticiper, c'est être présent dans le quotidien. La lutte contre l'isolement, la promotion de l'activité physique adaptée, la prévention de la dépression et du suicide, le bon usage des médicaments sont autant de sujets qui feront l'objet de plans thématiques, portés par ce Gouvernement puis par ceux qui lui succéderont pendant de longues années, et que vous retrouvez dans le rapport annexé à ce projet de loi.
Le deuxième pilier, c'est adapter la société, prendre en compte le vieillissement de la population dans l'ensemble de nos politiques publiques. Le logement, l'urbanisme et les transports en sont bien évidemment au cœur.
L'habitat, en particulier, doit savoir accompagner l'avancée en âge, sous toutes ses formes. Conformément à l'engagement présidentiel, un plan national d'adaptation de 80 000 logements privés sera programmé avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse – CNAV – et l'Agence nationale de l'habitat – ANAH. Les logements foyers seront développés, leurs missions redéfinies et une nouvelle aide, le forfait autonomie, sera mise en place pour renforcer les missions de prévention de ces logements. Les résidences services verront quant à elles leur modèle économique sécurisé, les charges payées par les locataires seront enfin liées à l'utilisation réelle des services proposés.
Adapter la société au vieillissement, c'est aussi laisser les intéressés en être acteurs. La création d'un volontariat civique senior et la mise en œuvre d'initiatives de transmission sont autant de dispositifs qui reconnaissent l'engagement des citoyens âgés et qui sont propices à la cohésion sociale.
Enfin, le troisième pilier consiste à accompagner. Comme d'autres volets de ce projet de loi, nous avons fait le choix de ne pas aborder l'accompagnement de façon restrictive.
Dans le cadre d'une politique de vieillesse qui place l'autonomie au cœur, la question des droits devient alors fondamentale. Accompagner, c'est aussi agir en direction de personnes vieillissantes, donc plus vulnérables, qui peuvent se retrouver en très grande difficulté pour prendre des décisions pour elles-mêmes.
Ainsi, substituer le terme d'accueil à celui de placement dans le code de l'action sociale et des familles révèle toute notre exigence du respect des droits fondamentaux de la personne.
Ce respect du projet de vie de la personne, le projet de loi le renforce sous de nombreux aspects. Je pense d'abord au droit à l'information pour tous. L'information donnée aux personnes selon des modes appropriés à leur état de santé est la condition première et indispensable à l'effectivité de leurs droits. L'extension de ce droit à l'information aux familles participera du respect de l'expression et de la volonté des personnes âgées.
La liberté d'aller et venir en maison de retraite est réaffirmée dans le texte. La garantie de l'expression du consentement de la personne est renforcée par l'institution d'une personne de confiance dans l'établissement du contrat de séjour. À ce sujet, je tiens à saluer le travail engagé par la commission des affaires sociales, qui s'est fortement impliquée sur cette question.
Je l'ai déjà évoqué, l'anticipation est un des trois piliers du projet de loi. Comme le dit un proverbe, « pour vivre longtemps, il faut être vieux de bonne heure ». Plus les personnes auront anticipé, plus elles auront désigné tôt la ou les personnes qu'elles souhaitent voir veiller sur elles lorsqu'elles ne pourront plus le faire elles-mêmes. Pour cela, nous nous appuierons également sur les outils existants, en particulier sur le mandat de protection future.
Accompagner, c'est aussi soutenir les proches aidants. Sur cette question, le projet de loi constitue une avancée considérable et répond aux besoins de près de 8,3 millions d'aidants en matière de santé, d'information, de formation et de conciliation avec leur vie professionnelle de l'aide apportée à leur proche vieillissant. L'évocation de leur action dans le code de l'action sociale et des familles constitue un premier pas. La dimension psychologique n'est pas anecdotique, et la charge est trop importante pour que les aidants ne soient pas nommés ni reconnus pour ce qu'ils font, même s'ils pensent souvent qu'ils ne font que leur devoir et ne se désignent pas eux-mêmes comme des aidants.
En outre, le texte instaure des dispositifs de prise en charge temporaire des personnes accompagnées, afin de garantir aux aidants un droit au répit assorti d'une prestation, qui est l'une des magnifiques innovations de notre projet de loi.
Accompagner, c'est enfin engager l'acte II de l'allocation personnalisée d'autonomie. Marisol Touraine a évoqué cette question de manière très précise il y a un instant : je n'y reviendrai donc pas.
Cependant, je veux aborder un élément que je considère essentiel à la réussite de cette réforme : l'avenir des services d'aide à domicile. Ces derniers sont un maillon indispensable pour un accompagnement à domicile professionnel, sécurisé et respectueux des habitudes de vie des personnes. Leur devenir constitue pour nous un chantier prioritaire. La mobilisation du fonds de restructuration, à hauteur de 130 millions d'euros entre 2012 et 2014, ainsi que les réponses apportées par la loi avec la réforme de l'APA, permettront naturellement un développement de l'activité. Mais ce n'est pas suffisant : en lien avec les départements et les ARS, nous devons aussi apporter des réponses pérennes aux questions de professionnalisation, de conditions de travail, d'égal accès aux services et de modèle économique. Pour cela, nous allons travailler à une réforme organisationnelle et à un décloisonnement des accompagnements et des métiers de l'aide et des soins à domicile.
Vous l'aurez compris : en parallèle du travail parlementaire qui s'opère sur ce texte, le Gouvernement poursuit son engagement en faveur de l'adaptation de la société au vieillissement, à travers non seulement le développement des services à domicile, que je viens d'évoquer, mais aussi un travail sur la tarification des EHPAD et une amélioration de la lisibilité de l'offre.
Grâce au travail de la commission des affaires sociales, ce texte, déjà bien structuré, s'est encore enrichi. Je suis très fière de la mesure qui permettra aux immigrés âgés de plus de 65 ans, ascendants d'enfants français et résidant depuis plus de vingt-cinq ans sur le territoire d'acquérir la nationalité française sur simple déclaration.
La rapporteure, Martine Pinville, a réalisé un travail remarquable, très à l'honneur du Parlement et à la hauteur du respect que le Gouvernement lui porte. Ce travail avait été largement anticipé dans le cadre de son rapport, que j'ai évoqué il y a un instant. Fanny Dombre Coste, pour la commission des affaires économiques, et Jacques Moignard, pour la délégation aux droits des femmes, ont aussi permis d'enrichir le texte. De nombreux députés, de la majorité comme de l'opposition, y ont contribué. Je les en remercie tous.
M. Denis Jacquat. Très bien ! Vous êtes courtoise, madame la secrétaire d'État !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les députés, comme je l'ai déjà dit, la vieillesse est plurielle. Mais vieillir, on ne peut le nier, c'est souvent ralentir. Ce projet de loi répond aux besoins de ceux qui sont moins performants, moins connectés, moins rapides, et qui ressentent la nécessité d'un rythme adapté, plus lent, plus doux. Mais par cette réponse, la loi ne s'adresse pas uniquement aux personnes âgées. En effet, lorsque l'on pose le regard sur celles et ceux qui vivent au rythme de l'adagio, on ne prend pas en compte uniquement la vieillesse, on prend en compte la différence. C'est toute la portée universelle de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 septembre 2014