Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
J'ai déjà eu l'occasion de vous dire, en prenant la parole ce matin sur la contribution majeure de nos industries de défense à la compétitivité de l'économie française, le plaisir que j'ai d'être avec vous pour cette douzième édition de l'Université d'été de la Défense, et l'importance que j'attache à ce rendez-vous annuel.
Nous nous retrouvons dans un contexte international et stratégique d'une exceptionnelle gravité, et cette séance plénière vient encore de le rappeler. Pour prolonger les échanges que nous venons d'avoir, je voudrais partager avec vous la vision que j'ai de notre environnement de sécurité et les enseignements que j'en tire pour l'action que j'ai l'honneur de conduire, en relation avec vous tous, dans vos champs de réflexion et d'intervention respectifs.
La France et au-delà l'Europe sont interpellées aujourd'hui simultanément sur trois fronts d'insécurité majeurs, désormais inévitables.
Le premier, c'est le terrorisme djihadiste, que j'appellerai de « deuxième génération », après celle de Ben Laden. En Irak et en Syrie en particulier, l'organisation terroriste Daech, qui se prétend « Etat islamique », atteint des degrés de maîtrise territoriale transfrontières, d'organisation, de capacité financière et d'équipement encore jamais vus. Elle a déjà pris le monde à témoin d'actes barbares. Au quotidien, elle terrorise des populations entières. Elle déstabilise une région déjà très fragilisée et ambitionne de constituer un Etat terroriste dans le voisinage de l'Europe. Plus largement, la menace djihadiste s'étend, pour ce qui nous concerne, du Pakistan au Moyen-Orient et au Levant, de la Corne de l'Afrique au Maghreb de la Libye au Golfe de Guinée.
La France prend toute sa part dans la mobilisation internationale qui s'esquisse désormais. A cette menace globale et multidimensionnelle, nous devons répondre par une stratégie globale. C'est tout le sens de l'initiative lancée par le Président de la République, sous la forme d'une conférence internationale, pour améliorer la coordination de l'action internationale contre Daech, aux plans humanitaire, économique, sécuritaire et aussi militaire. J'ai pu constater à Newport, lors du Sommet de l'Alliance atlantique, que l'inquiétude suscitée par ce nouveau terrorisme était mondiale, nos amis et Alliés de la région Asie-Pacifique ayant souligné combien ils se sentaient également touchés.
Pour leur part, nos armées agissent déjà au plan humanitaire et dans le domaine de la coopération par des actions de formation, de renseignement et de fourniture d'armement aux groupes qui tentent de résister et combattent en première ligne, en particulier au Kurdistan. Le Président de la République a également annoncé l'intention de la France d'engager certaines de nos forces directement contre Daech, en coordination avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni, d'autres encore, et les Etats de la région auxquels nous lient des accords de défense ou de coopération. Cette action sera réalisée à la demande du Gouvernement de l'Irak et dans le cadre des décisions du Conseil de sécurité, en particulier sa Résolution 2170 du 15 août dernier. Cette mobilisation contre l'Etat islamique doit s'inscrire dans une démarche globale, à la fois au plan des domaines de lutte et au plan géopolitique. Elle est cohérente avec notre engagement direct au Sahel contre les réseaux d'Al Qaïda, avec notre volonté de contenir les groupes terroristes en Libye ou en Tunisie, avec l'opération Barkhane qui a pris la suite de Serval et avec notre appui à la lutte contre Boko Haram au Nigeria, mais aussi au Cameroun, en accord avec tous les Etats de la région. Elle doit nous conduire à aider les pays menacés, notamment, par Daech ou les épigones d'Al Qaïda, je pense en particulier à la Jordanie ou au Liban où, nous avons ainsi pris la décision de livrer à l'armée, avec l'appui de l'Arabie saoudite, des moyens opérationnels qui sont indispensables pour assurer la sécurité du pays.
Le deuxième front, que le Livre blanc a appelé, sans se tromper, les « risques de la faiblesse », est celui de la disparition d'Etats, de l'émergence de plusieurs « Etats en faillite » pour reprendre l'expression souvent employée dans le vocabulaire international. Des régions entières deviennent, du fait de l'absence ou de l'extrême faiblesse des structures étatiques, couplée à l'absence de processus politique normal, un terreau favorable pour les crises, la guerre civile et tous les trafics. Ces vulnérabilités constituent un risque majeur, surtout lorsque des mouvements armés s'en emparent, leur capacité d'action étant encore démultipliée par les moyens technologiques et financiers dont ils peuvent disposer. Je pense en premier lieu à la Centrafrique, où nous avons dû intervenir en décembre dernier, mais aussi à la Libye, où règne la confusion la plus totale, à des régions entières du Soudan ou de la Corne de l'Afrique...
En aidant ces pays à surmonter leurs vulnérabilités ou celles de leurs voisins, nous ne renforçons pas seulement la sécurité régionale, mais aussi la paix et la sécurité internationales.
Le troisième front, c'est celui que le Livre blanc a pressenti sous la forme des « menaces de la force ». Là encore, l'actualité donne dramatiquement raison à ses analyses. Je pense à ces régions du monde - l'Asie en particulier - où nous assistons à une montée en puissance parfois exponentielle des dépenses militaires corrélatives à l'attisement des sentiments nationalistes et des tensions territoriales. Dans ces régions désormais clés pour l'économie mondiale, l'affirmation de politiques de puissance susceptibles de s'affranchir du droit international pourrait se révéler, demain, catastrophique, si les sources de conflits ne sont pas prévenues à temps.
Je pense surtout, à proximité de l'Europe, à la situation en Ukraine, à la politique d'affirmation de puissance de la Russie. L'annexion de la Crimée, la pression militaire directe à l'Est de l'Ukraine, au cœur du continent européen, constituent une rupture par rapport aux vingt dernières années. Des décennies de paix et la fin de la guerre froide avaient conduit l'Europe à cesser de penser la guerre possible sur son territoire et dans ses abords immédiats. Les événements de ces six derniers mois nous ramènent brutalement en arrière. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un pays européen, l'Ukraine, dont la souveraineté était garantie par des accords internationaux et par des engagements des membres permanents du Conseil de sécurité, vient de perdre une partie de son territoire après l'usage illégal et illégitime de la force militaire par la Russie, modifiant de fait les frontières en Europe.
Les principes mêmes qui fondent notre sécurité collective, en Europe et au-delà sont atteints. Il ne peut y avoir d'ordre international stable si les grandes puissances - qui ont une responsabilité éminente comme garantes de la paix et la sécurité internationales - s'affranchissent des règles du jeu et agissent en contradiction avec les principes qu'ils affirment.
Lors du Sommet de Newport, le Président de la République a donc développé la position de la France : recherche constante des voies de dialogue avec Moscou pour trouver une solution politique à la crise, mais fermeté face au comportement sur le terrain et aux oscillations de la situation diplomatique et militaire ; maintien de l'arme des sanctions et développement, dans le cadre de l'Alliance, des instruments militaires à même d'assurer la protection de tous les Alliés face aux risques de dérive que mettent cruellement à jour les événements et prises de position des derniers mois.
Ces crises majeures nous concernent toutes. Ce qui se passe en Ukraine, en Syrie, en Irak, en Libye, au Sahel, au Nigeria, pour s'en tenir à ces fronts, met directement en jeu la sécurité des Français et celle des Européens. En cela, elles sont un test de notre capacité commune à répondre aux menaces qui pèsent sur nous.
Chacun le ressent, depuis quelques semaines nous avons changé d'échelle dans la nature de la menace. Le thème de cette Université d'été pouvait-il être mieux choisi ? « Agir et réagir ».
Il y a un an, la volonté d'action de la France en Syrie, dans le contexte de la crise syrienne, se heurtait à des pesanteurs qui ne sont jamais loin de nous. Or cet épisode a fait la tragique démonstration du coût sécuritaire et humanitaire de l'inaction. Nous mesurons aujourd'hui les conséquences de l'incapacité de la communauté internationale à agir pour régler la situation dans ce pays et empêcher de nouveaux massacres.
Devant la facilité de l'inaction, la frilosité de certains partenaires, la conviction que je partage avec le chef de l'Etat, est donc que la France doit prendre ses responsabilités, en mobilisant notamment ses capacités de défense. Depuis deux ans en particulier, la France a pris ses responsabilités chaque fois que cela s'est avéré nécessaire. Elle continuera de le faire.
Dans ce contexte grave, à bien des égards inédit, notre première obligation est de garantir les choix que nous avons faits pour notre Défense en matière de programmation, car ils sont plus cruciaux que jamais.
Chacun voit bien que notre outil de défense est extraordinairement sollicité pour faire face à ces différents fronts. Dans ces moments de tension et d'incertitude, nous avons au moins une satisfaction, celle de constater que la matrice stratégique du Livre blanc est la bonne. Je le dis devant d'éminents membres - notamment parlementaires - de la commission du Livre blanc, qui savent que préparer l'avenir n'est pas un exercice de divination. Le Livre blanc n'avait prédit ce qui se passerait en Irak ou en Ukraine ; mais il nous a donné le cadre conceptuel pour appréhender ces bouleversements, de sorte qu'au moment d'agir ou de réagir, nous ne sommes pas démunis.
L'effort du Livre blanc se prolonge dans la Loi de programmation militaire, qui est, elle, la matrice budgétaire et capacitaire de notre action. Les deux sont étroitement corrélés. Là encore, même si nous n'en sommes qu'à sa première année d'exécution, force est de constater que les choix que le Parlement a validé en décembre 2013 sont aujourd'hui, non seulement pertinents devant les défis qui nous assaillent, mais encore indispensables pour être en mesure d'y répondre.
Ces choix, je n'ai pas besoin de les détailler à nouveau devant vous. C'est la réaffirmation de la dissuasion nucléaire comme l'un des trois piliers de notre autonomie stratégique, avec la capacité d'intervention extérieure et la protection du territoire national. C'est la décision de ne renoncer à aucune capacité critique, avec la nécessité qui en découle de poursuivre notre effort d'investissement dont bénéficient en premier lieu les industries de défense - j'en ai parlé ce matin. C'est encore la priorité que nous marquons sur les forces spéciales, la cyberdéfense ou le renseignement, qui n'a jamais été aussi mobilisé, et précieux, pour appréhender les évolutions à grande vitesse de notre environnement stratégique.
Maintenir des capacités militaires qui soient parmi les premières dans le monde, se placer au premier rang stratégique en Europe : cela n'est en rien un enjeu de prestige. C'est aujourd'hui, pour la France une nécessité urgente et vitale. C'est ce que permet la loi de programmation militaire que nous avons préparée puis validée ensemble, à travers le vote du Parlement. C'est ce qui justifie ma détermination totale à la mener intégralement à bien, dans le respect des engagements que nous avons pris devant les Français, pour garantir aujourd'hui et demain leur propre sécurité. C'est, enfin, le sens de l'engagement du Président de la République, chef des armées, qui n'a cessé d'affirmer sa volonté de garantir à la France une Défense forte, c'est-à-dire à la hauteur des enjeux de sécurité qui nous entourent.
L'effort de la France ne saurait demeurer isolé si nous voulons que soit assurée la sécurité de l'Europe. A cet égard, il est clair que la crise ukrainienne renvoie l'OTAN à son rôle historique en matière de défense collective. Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance ont pris à l'occasion du Sommet de Newport un engagement solennel que les parlementaires ici présents ne renieraient pas me semble-t-il ..., de mettre un terme à la baisse de leur budget de défense. Ils ont décidé conjointement de tendre vers l'objectif de 2% du PIB national consacré à l'effort de Défense et de consacrer au moins 20% à l'investissement et à la recherche. Ces objectifs sont largement ceux de la loi de programmation militaire votée en décembre, dont le Président de la République a sanctuarisé la trajectoire, non seulement son montant global, mais aussi son échéancier annuel.
Pour conduire notre Défense dans les défis que je viens d'esquisser - en premier lieu les défis extérieurs de sécurité, mais aussi ceux qui touchent à la consolidation des capacités qui nous permettront d'y répondre -, je suis heureux de pouvoir compter sur la mobilisation du ministère que j'ai l'honneur de diriger, sur l'engagement extraordinaire de ses personnels, qu'ils soient civils ou militaires.
Dans cet ensemble, qui s'adapte en permanence - et je pense ici notamment à l'installation à Balard qui sera au cœur de l'année 2015 -, je voudrais signaler une autre évolution importante, qui est aussi au cœur de cette rentrée : c'est la création de la direction générale des relations internationales et de la stratégique, qui a vocation à renforcer, notamment par une meilleure coordination, l'action internationale du ministère autant que le travail de préparation de l'avenir. Autant dire que cette nouvelle structure est appelée à être au cœur de tous les défis qui nous attendent. Nous en aurons besoin.
Puisque nous sommes en un sens sur les terres de l'armée de l'Air, vous me permettrez d'adresser un salut particulier à nos forces aériennes. Elles ont été particulièrement mobilisées sur les récents théâtres d'opérations. La réactivité, qui est l'une des clés des engagements militaires contemporains, est en effet le cœur de métier des aviateurs. La réorganisation de l'armée de l'Air, conduite par le général Mercier - qui a toute ma confiance -, est tournée vers cette capacité à agir et réagir au mieux et au plus vite. C'est notamment l'enjeu de l'optimisation du MCO aéronautique, qui est le fruit d'une concentration fructueuse entre tous ses acteurs : la SIMMAD, les armées, la DGA et les industriels.
L'armée de l'Air célèbre cette année les cinquante ans des forces aériennes stratégiques. La composante aérienne de la dissuasion nucléaire est parfois questionnée, voire remise en cause. Le Président de la République a tranché la question en maintenant les deux composantes. Je voudrais simplement faire observer que les récents engagements de notre pays et le débat parlementaire sur la dissuasion, organisé cette année par la Commission de la Défense nationale et des forces armées - débat sans précédent -, ont confirmé à quel point la composante aérienne était indispensable.
J'ai évoqué tout à l'heure la préservation essentielle de notre autonomie stratégique, dans le contexte grave qui est le nôtre. La crise ukrainienne montre que nous ne sommes pas à l'abri de surprises stratégiques, et que la fin de la guerre froide n'a pas fait disparaître les menaces de conflits interétatiques, y compris en Europe. Notre dissuasion nucléaire dans ses deux composantes représente, à cet égard, la garantie fondamentale de notre souveraineté et de notre liberté d'appréciation, de décision et d'action.
Au terme de cette Université d'été, je veux très simplement remercier les organisateurs de ces journées, qui ont permis, cette année encore, aux principaux acteurs de notre communauté de défense de se retrouver, à distance de leurs activités respectives, pour confronter analyses et projets, et contribuer ainsi au dynamisme de la Défense française. Parmi les organisateurs, je veux saluer CEIS, qui a un long compagnonnage avec la Défense, mais je veux surtout adresser un coup de chapeau à nos deux présidents de commission préférés, Patricia Adam et Jean-Louis Carrère.
A la veille d'un renouvellement important du Sénat, je voudrais dire combien j'apprécie de travailler avec eux, et notamment avec le Président Carrère. Je ne m'étendrai pas ici sur sa personnalité chaleureuse, que tout le monde apprécie. Je veux saluer en lui un grand homme politique, qui a été un acteur clé, avec Patricia Adam, du vote de la loi de programmation militaire, pour que ce texte majeur pour nos armées puisse entrer en vigueur en temps et en heure. Voilà ce que je tenais à lui dire - à leur dire - aujourd'hui.
Le temps s'accélère. Nous l'avons vu ces dernières semaines. C'est pourquoi je me félicite que notre prochain rendez-vous ne soit pas en septembre 2015 - celui-là viendra en son temps -, mais les 15 et 16 décembre prochains. A ces dates, se tiendra, avec l'aide de nos amis sénégalais et en particulier du Président Macky Sall, le forum de Dakar. Pour la première fois, ce forum réunira en Afrique décideurs, penseurs mais aussi acteurs de la sécurité en Afrique. Nous tiendrons ainsi un engagement fort pris lors du Sommet de l'Elysée en décembre dernier, celui de doter l'Afrique d'un espace pour faire émerger une pensée et un débat stratégiques adaptés aux enjeux propres du continent mais aussi une vision de l'avenir. Alors que le continent africain est au coeur de nos préoccupations, le moment était venu de lancer une telle initiative, en nous inspirant de ce qui existe pour les continents européen et asiatique. Comme me l'a dit le Président Macky Sall, le Sénégal n'a pas de meilleur partenaire que la France pour porter le message que l'Afrique est déterminée à prendre en main sa propre sécurité et son propre destin. Je vous donne donc rendez-vous à Dakar le 15 décembre.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 30 septembre 2014