Point de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, à New York le 25 septembre 2014.

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Circonstance : Déplacement à New York pour la semaine ministérielle de l’assemblée générale des Nations unies, du 21 au 26 septembre 2014

Texte intégral


Nous venons avec mon ami, le ministre des Affaires étrangères du Mexique de présider une réunion consacrée à l'encadrement volontaire du droit de veto en cas d'atrocités de masse.
La question est simple, il y a cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui disposent du droit de veto mais les conditions dans lesquels ce veto a parfois été utilisé ont abouti à des situations dramatiques, parfois inhumaines. Le ministre des Affaires étrangères et moi-même avec beaucoup d'autres collègues et beaucoup d'organisations internationales pensons qu'il est temps de modifier cela.
Comme nous sommes des gens pragmatiques nous ne pensons pas qu'il soit facile de modifier les textes. Nous souhaitons donc que cela soit fait par décision volontaire et collective des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. La procédure, vous la connaissez, il s'agirait, en cas d'atrocités de masse, c'est-à-dire de crimes de génocides par exemple, que le Secrétaire général des Nations unies, qui est une autorité absolument incontestable, le cas échéant sur proposition du Haut-commissaire ou de cinquante membres de l'Assemblée générale, décident que nous sommes dans le cadre de cette procédure. À ce moment-là, les membres permanents ne feraient pas usage de leur droit de veto.
Ce qui a été très intéressant et positif, c'est que plus d'une trentaine de ministres se sont exprimés en ce sens. Des représentants de la société civile, les membres permanents du Conseil de sécurité se sont aussi exprimés et ils n'ont en général pas donné une opposition franche et massive. Certains, c'est que le cas de la France, ont donné une approbation forte ; d'autres, c'est le cas de la Grande-Bretagne, y sont enclins ; d'autres, comme c'est le cas des États-Unis d'Amérique ou de la Chine ont relevé l'intérêt de cette procédure. C'est extrêmement encourageant et nous voulons, l'an prochain, à l'occasion du 70e anniversaire de la création de l'ONU, saisir ce thème pour bien montrer que la mission de l'ONU, c'est la paix, la sécurité, la protection des droits humains et que, depuis maintenant 70 ans, les circonstances ont évolué et qu'il faut tirer des bilans. Si cette réforme voit le jour l'an prochain, ce serait un progrès extraordinaire.
L'objectif de tout cela, c'est non pas de porter atteinte aux Nations unies, ni au Conseil de sécurité, ni au droit de veto mais au contraire de tenir compte de ce que demande l'opinion publique internationale, qui reconnait la légitimité du veto mais qui veut que celui-ci, dans son usage, soit encadré d'une façon volontaire pour que l'on puisse concilier à la fois ce veto et les nécessités de protection des droits humains.
Voilà les deux heures que nous avons passées ensemble. Cela a été rendu possible parce que mon collègue et ami mexicain, moi-même et d'autres, sommes très attachés à cette réforme. Nous allons continuer à militer en ce sens et maintenant je te laisse la parole.
Q - Pourquoi attendre ? Est-ce que la France ne peut pas de manière unilatérale décider qu'elle n'usera pas de son veto en cas d'atrocités de masse sans attendre la décision des autres P4 ?
R - En théorie, c'est tout à fait possible, bien sûr. Maintenant, nous verrons ce que nous ferons l'année prochaine. Nous nous fixons comme objectif, avec le 70è anniversaire, avec la prise de conscience qui est très forte... Les organisations, les ONG, là, cette séance qui était très réussie, nous voulons faire monter les choses. Il y a des pour et des contre. Le pour c'est évidemment, un geste très fort. Le contre - et il faut y faire attention -, c'est que nous ne voudrions pas, parce que ce n'est pas du tout l'esprit des institutions, qu'il y ait deux catégories de membre permanent : ceux qui disposeraient encore du droit de veto, je dirais «erga omnes», et ceux qui n'en disposeraient pas. De plus, cela nous enlèverait un moyen de pression vis-à-vis de ceux qui sont les plus réticents.
Nous allons donc continuer, d'ici l'année prochaine - j'espère avec votre aide - une campagne extrêmement forte. Sans trop m'avancer, il y a quand même quelques-uns de mes collègues titulaires du veto qui ont déjà évolué depuis la première fois où nous leur avons parlé. Nous voulons garder cette capacité de conviction. Nous espérons les convaincre. De toutes les manières, nous ferons le bilan l'année prochaine. J'ajoute bien sûr que la France, en ce qui la concerne, vous le savez, n'a pas fait utilisation depuis extrêmement longtemps de son droit de veto et en tout cas pas lorsqu'il s'agit de facto de crimes de masse.
Q - (Sur l'annonce du président Peña Nieto d'envoyer des troupes de maintien de la paix marquent une nouvelle étape dans la politique étrangère mexicaine).
R - Je voudrais saluer la décision prise par nos amis mexicains. C'est une décision importante, nouvelle, pour dire que sur la question que nous avons abordée ensemble est la marque du travail en commun extrêmement proche que le Mexique et la France veulent faire ensemble. (...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 septembre 2014