Texte intégral
Q - Hubert Védrine, nous revenons sur l'échec des conversations, cette nuit, à Kumanovo, et sur la reprise des raids, on vient de l'apprendre. Comment s'explique l'échec de cette nuit ? Que s'est-il passé ?
R - Cela s'explique pour la transposition du plan de paix que nous avons imposé, qui a été présenté par le président finlandais Martti Ahtisaari et que le président Milosevic a accepté. Quand on passe à la transposition naturellement réapparaissent toute une série de problèmes particuliers. Cela fait plusieurs jours que je dis : c'est le processus de paix, mais "attention le diable est dans le détail". Je voudrais dire que dans les jours qui viennent, nous allons devoir garder nos nerfs parce que nous ne sommes pas au bout de nos peines. Sur chaque point de l'application on va voir surgir des questions. Là, les Serbes demandent, semble-t-il - nous sommes en train de vérifier chaque point naturellement et la réunion du G8 aujourd'hui va avoir cela, entre autres, comme objet - qu'il y ait une résolution préalable qui conditionne strictement toutes les procédures du retrait.
Q - Une résolution, vous êtes sûr du mot ?
R - Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies - alors qu'on voulait commencer tout de suite le retrait. D'autre part il y a une discussion assez technique, puis des discussions que les militaires doivent mener à leur niveau sur les zones tampon qui devront exister ou pas dans le retrait. Mais l'essentiel c'est cette question très difficile sur laquelle on travaille depuis avant même que Milosevic se soit, finalement, résigné à donner son accord : c'est la question de la séquence, l'acceptation de la résolution - suspension. On est donc maintenant dans le coeur de cette difficulté. On va y arriver de toutes les façons. Il faut vaincre cette obstruction.
Q - Mais on avait le sentiment qu'on devait discuter des modalités de retrait ; que les Serbes de leur côté disent : on veut une résolution de l'Onu, on veut quatorze jours pour partir du Kosovo et non plus sept ; sur les zones dites "tampons" de sécurité on a des questions. Tout cela ne ressemble-t-il pas plutôt à une renégociation ?
R - Non. Il n'y a pas de renégociation. Il y aurait renégociation - ce que nous n'accepterions pas - si on revenait sur les principes qui ont été élaborés par l'Europe, les Etats-Unis et finalement acceptés par la Russie, par l'intermédiaire de M. Tchernomyrdine, actés à Bonn dans une réunion - parce que la présidence européenne est allemande en ce moment - avant ce fameux voyage à Belgrade.
Les points que vous me citez ne remettent pas en cause le document et les dispositions du document Ahtisaari. Cela serait une négociation, je répète, que nous n'accepterions pas. C'est une question de mise en oeuvre. Nous sommes tous d'accord et nous sommes les premiers à demander qu'il y ait une résolution du Conseil de sécurité. C'est donc à nous de réharmoniser, de façon fine, l'enchaînement des événements, entre la résolution - mais pour la résolution il faut l'accord des Russes et les Russes veulent être tout à fait sûrs de l'acquiescement par Belgrade et de l'application des mesures. Tout cela est donc lié. Il faut qu'on arrive aujourd'hui à rebâtir cette séquence mais dans un esprit d'opiniâtreté. Nous voulons vaincre cette obstruction, même si cela s'applique apparemment à des détails.
Q - Après la réunion de Cologne, on a eu le sentiment qu'il y avait deux positions : Français et Allemands très optimistes, Britanniques et Américains un peu moins. N'a-t-on pas été trop optimiste quand on a vu ce début d'accord de paix ?
R - Non, parce que même ce que vous appelez "les optimistes" - il faut mettre des guillemets épais -, même ceux qui ont dit : ça y est, c'est le processus de paix, ont ajouté, comme je l'ai fait moi-même - je le rappelais il y a un instant : "le diable est dans le détail", attention ! - même ceux-là ont dit : "nous allons devoir rester circonspects, vigilants, exigeants, il faut passer à la traduction concrète le plus vite possible".
C'est pour cela d'ailleurs qu'on a fait tenir cette réunion des experts militaires des deux niveaux le plus vite possible. C'est une très bonne chose car cela a fait apparaître tout de suite que, précisément, il y a des problèmes de transcription. Il vaut mieux s'en apercevoir tout de suite - précisément avant la réunion des ministres du G8 - pour pouvoir reposer de tout notre poids, vérifier l'accord avec nos partenaires russes pour pouvoir aller de l'avant. Quant aux différentes tonalités, cela a été les tout premiers jours parce que les Etats-Unis qui n'étaient pas en première ligne dans cette affaire...
Q - Oui, puisque c'est un Sommet européen...
R - C'est le président finlandais, c'est un Sommet européen, c'était un envoyé russe - ils ont attendu quelques heures d'avoir analysé et décrypté tout ce qui s'était passé. Vous avez pu constater que, à partir du lendemain, le président Clinton s'exprimait comme les chefs d'Etat et de gouvernement européens. Donc l'unité de l'Alliance, avec le partenariat russe, reste au centre de tout. C'est déterminant pour la suite.
Q - Est-ce qu'on a pas été un peu maladroit en disant qu'on conditionnait l'aide européenne au départ de Milosevic ? Est-ce qu'au fond on n'a pas explique à M. Milosevic que l'on souhaitait plus que vivement son départ, ce qui aurait tendance un peu à le radicaliser ?
R - C'est difficile de parler de "radicaliser" compte tenu de ses positions. Il est déjà on ne peut radicalisé. Peut-être que cela joue un rôle dans tel ou tel atermoiement, telle ou telle petite ruse tactique de dernière minute, mais c'est un combat d'arrière-garde de sa part. De toute façon je ne vois pas ce que nous pouvons déclarer d'autre. Nous avons toujours dit, même avant, qu'il y aurait une place pour la Yougoslavie - là, je parle de reconstruction - dans le cadre plus général des Balkans, pour une Yougoslavie démocratique. Cela tombe sous le sens.
Q - Le G8 aujourd'hui à Bonn peut décider de quoi ?
R - La réunion des ministres des Affaires étrangères du G8 a pour objet d'achever et de mettre au point les détails de la résolution que nous voulons transmettre le plus vite possible au Conseil de sécurité pour qu'elle soit votée au plut tôt. Pas parce que la délégation serbe l'a demandé, c'est notre position depuis le début, et notamment la position française qui a toujours demandé que les principes de la solution soient transcrits dans la résolution. C'est l'objet principal. Mais, compte tenu de l'actualité, nous allons reprendre chaque point qui a fait problème, donc ce blocage des discussions militaires. Et nous allons confirmer notre unité, nos exigences, et refixer dans le détail le calendrier souhaitable des tout prochains jours.
Q - Justement, le calendrier c'est quoi ? C'est réunion du Conseil de sécurité des Nations unies ? On continue à discuter à Kumanovo ?
R - C'est reprendre cet élément nouveau. Il faut, d'une façon ou d'une autre, que reprenne cette discussion militaire. Il faut éliminer tout ce qui peut être utilisé comme un prétexte pour empêcher, retarder, compliquer le retrait total des forces serbes du Kosovo qui est dans notre plan collectif présenté par le président Ahtisaari. Nous transmettons le document, le plus rédigé possible, au Conseil de sécurité. A ce moment-là, le relais est pris par les pays-membres actuels du Conseil de sécurité, d'action et de manoeuvre, la même ligne.
Q - Et pendant ce temps, à Kumanovo, on... ?
R - Il faut voir à quel moment démarre le retrait, puisque nous ne voulons pas - autre exigence, tout cela est compliqué, mais il faut tenir tous les fils - nous ne voulons pas qu'à partir du retrait se créé un vide de sécurité. Il faut donc que, dès que le retrait serbe commence et est effectif, la force de paix que nous avons bâtie, qui s'appelle la Kfor - Force pour le Kosovo - puisse entrer immédiatement. Il faut donc ajuster tous ces éléments et nous allons le faire aujourd'hui. Je répète que nous allons, d'une façon ou d'une autre, vaincre cette obstruction de dernière minute.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 1999)
R - Cela s'explique pour la transposition du plan de paix que nous avons imposé, qui a été présenté par le président finlandais Martti Ahtisaari et que le président Milosevic a accepté. Quand on passe à la transposition naturellement réapparaissent toute une série de problèmes particuliers. Cela fait plusieurs jours que je dis : c'est le processus de paix, mais "attention le diable est dans le détail". Je voudrais dire que dans les jours qui viennent, nous allons devoir garder nos nerfs parce que nous ne sommes pas au bout de nos peines. Sur chaque point de l'application on va voir surgir des questions. Là, les Serbes demandent, semble-t-il - nous sommes en train de vérifier chaque point naturellement et la réunion du G8 aujourd'hui va avoir cela, entre autres, comme objet - qu'il y ait une résolution préalable qui conditionne strictement toutes les procédures du retrait.
Q - Une résolution, vous êtes sûr du mot ?
R - Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies - alors qu'on voulait commencer tout de suite le retrait. D'autre part il y a une discussion assez technique, puis des discussions que les militaires doivent mener à leur niveau sur les zones tampon qui devront exister ou pas dans le retrait. Mais l'essentiel c'est cette question très difficile sur laquelle on travaille depuis avant même que Milosevic se soit, finalement, résigné à donner son accord : c'est la question de la séquence, l'acceptation de la résolution - suspension. On est donc maintenant dans le coeur de cette difficulté. On va y arriver de toutes les façons. Il faut vaincre cette obstruction.
Q - Mais on avait le sentiment qu'on devait discuter des modalités de retrait ; que les Serbes de leur côté disent : on veut une résolution de l'Onu, on veut quatorze jours pour partir du Kosovo et non plus sept ; sur les zones dites "tampons" de sécurité on a des questions. Tout cela ne ressemble-t-il pas plutôt à une renégociation ?
R - Non. Il n'y a pas de renégociation. Il y aurait renégociation - ce que nous n'accepterions pas - si on revenait sur les principes qui ont été élaborés par l'Europe, les Etats-Unis et finalement acceptés par la Russie, par l'intermédiaire de M. Tchernomyrdine, actés à Bonn dans une réunion - parce que la présidence européenne est allemande en ce moment - avant ce fameux voyage à Belgrade.
Les points que vous me citez ne remettent pas en cause le document et les dispositions du document Ahtisaari. Cela serait une négociation, je répète, que nous n'accepterions pas. C'est une question de mise en oeuvre. Nous sommes tous d'accord et nous sommes les premiers à demander qu'il y ait une résolution du Conseil de sécurité. C'est donc à nous de réharmoniser, de façon fine, l'enchaînement des événements, entre la résolution - mais pour la résolution il faut l'accord des Russes et les Russes veulent être tout à fait sûrs de l'acquiescement par Belgrade et de l'application des mesures. Tout cela est donc lié. Il faut qu'on arrive aujourd'hui à rebâtir cette séquence mais dans un esprit d'opiniâtreté. Nous voulons vaincre cette obstruction, même si cela s'applique apparemment à des détails.
Q - Après la réunion de Cologne, on a eu le sentiment qu'il y avait deux positions : Français et Allemands très optimistes, Britanniques et Américains un peu moins. N'a-t-on pas été trop optimiste quand on a vu ce début d'accord de paix ?
R - Non, parce que même ce que vous appelez "les optimistes" - il faut mettre des guillemets épais -, même ceux qui ont dit : ça y est, c'est le processus de paix, ont ajouté, comme je l'ai fait moi-même - je le rappelais il y a un instant : "le diable est dans le détail", attention ! - même ceux-là ont dit : "nous allons devoir rester circonspects, vigilants, exigeants, il faut passer à la traduction concrète le plus vite possible".
C'est pour cela d'ailleurs qu'on a fait tenir cette réunion des experts militaires des deux niveaux le plus vite possible. C'est une très bonne chose car cela a fait apparaître tout de suite que, précisément, il y a des problèmes de transcription. Il vaut mieux s'en apercevoir tout de suite - précisément avant la réunion des ministres du G8 - pour pouvoir reposer de tout notre poids, vérifier l'accord avec nos partenaires russes pour pouvoir aller de l'avant. Quant aux différentes tonalités, cela a été les tout premiers jours parce que les Etats-Unis qui n'étaient pas en première ligne dans cette affaire...
Q - Oui, puisque c'est un Sommet européen...
R - C'est le président finlandais, c'est un Sommet européen, c'était un envoyé russe - ils ont attendu quelques heures d'avoir analysé et décrypté tout ce qui s'était passé. Vous avez pu constater que, à partir du lendemain, le président Clinton s'exprimait comme les chefs d'Etat et de gouvernement européens. Donc l'unité de l'Alliance, avec le partenariat russe, reste au centre de tout. C'est déterminant pour la suite.
Q - Est-ce qu'on a pas été un peu maladroit en disant qu'on conditionnait l'aide européenne au départ de Milosevic ? Est-ce qu'au fond on n'a pas explique à M. Milosevic que l'on souhaitait plus que vivement son départ, ce qui aurait tendance un peu à le radicaliser ?
R - C'est difficile de parler de "radicaliser" compte tenu de ses positions. Il est déjà on ne peut radicalisé. Peut-être que cela joue un rôle dans tel ou tel atermoiement, telle ou telle petite ruse tactique de dernière minute, mais c'est un combat d'arrière-garde de sa part. De toute façon je ne vois pas ce que nous pouvons déclarer d'autre. Nous avons toujours dit, même avant, qu'il y aurait une place pour la Yougoslavie - là, je parle de reconstruction - dans le cadre plus général des Balkans, pour une Yougoslavie démocratique. Cela tombe sous le sens.
Q - Le G8 aujourd'hui à Bonn peut décider de quoi ?
R - La réunion des ministres des Affaires étrangères du G8 a pour objet d'achever et de mettre au point les détails de la résolution que nous voulons transmettre le plus vite possible au Conseil de sécurité pour qu'elle soit votée au plut tôt. Pas parce que la délégation serbe l'a demandé, c'est notre position depuis le début, et notamment la position française qui a toujours demandé que les principes de la solution soient transcrits dans la résolution. C'est l'objet principal. Mais, compte tenu de l'actualité, nous allons reprendre chaque point qui a fait problème, donc ce blocage des discussions militaires. Et nous allons confirmer notre unité, nos exigences, et refixer dans le détail le calendrier souhaitable des tout prochains jours.
Q - Justement, le calendrier c'est quoi ? C'est réunion du Conseil de sécurité des Nations unies ? On continue à discuter à Kumanovo ?
R - C'est reprendre cet élément nouveau. Il faut, d'une façon ou d'une autre, que reprenne cette discussion militaire. Il faut éliminer tout ce qui peut être utilisé comme un prétexte pour empêcher, retarder, compliquer le retrait total des forces serbes du Kosovo qui est dans notre plan collectif présenté par le président Ahtisaari. Nous transmettons le document, le plus rédigé possible, au Conseil de sécurité. A ce moment-là, le relais est pris par les pays-membres actuels du Conseil de sécurité, d'action et de manoeuvre, la même ligne.
Q - Et pendant ce temps, à Kumanovo, on... ?
R - Il faut voir à quel moment démarre le retrait, puisque nous ne voulons pas - autre exigence, tout cela est compliqué, mais il faut tenir tous les fils - nous ne voulons pas qu'à partir du retrait se créé un vide de sécurité. Il faut donc que, dès que le retrait serbe commence et est effectif, la force de paix que nous avons bâtie, qui s'appelle la Kfor - Force pour le Kosovo - puisse entrer immédiatement. Il faut donc ajuster tous ces éléments et nous allons le faire aujourd'hui. Je répète que nous allons, d'une façon ou d'une autre, vaincre cette obstruction de dernière minute.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 1999)