Déclaration de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie, et du numérique, sur les orientations de sa politique industrielle, Paris le 5 novembre 2014.

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Circonstance : Assises de l'industrie, à Paris le 5 novembre 2014

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Et avant de m'excuser de devoir filer au Conseil des ministres à 10h, et donc de ne pouvoir rester avec vous, et même écouter Louis SCHWEITZER, vous dire donc quelques mots sur l'industrie française pour vous dire d'abord que ma conviction profonde, mais je suis persuadé que pour votre part, vous n'en doutiez pas, c'est qu'elle a un avenir, elle a un avenir, mais que, au-delà de cela, l'avenir économique de la France passera par son industrie et passera par les industries sur le territoire français. Pourquoi ? Parce que les gains de productivité sont dans l'industrie, le rééquilibrage de notre balance commerciale passera par l'industrie, et parce que la bataille pour l'emploi passera par l'industrie. Notre capacité à innover et à diffuser cette innovation, à travers le tissu économique, passera, lui aussi, par l'industrie, lorsque je visite les innovations qui sont faites ou dans le secteur automobile ou dans le secteur aérospatial, celles qui sont les plus en pointe sur les véhicules les plus spéciaux, ce qui est fait en matière d'allègement des matériaux et des dispositifs, on le revoit quelques mois maintenant après dans des dispositifs de consommation courante, dans la plupart de nos véhicules. Donc l'innovation qui est faite d'un côté est diffusée partout, et c'est ça l'une des caractéristiques fortes de notre industrie, preuve qu'elle est le terreau de l'économie, et le terreau de secteurs qui s'enrichissent mutuellement.
Alors, la thèse d'une France sans usines, c'est la grande erreur, le grand mirage. Je dois confier que nous y avons parfois cru en France que les services allaient prendre la succession. Et en une décennie, l'industrie française a perdu 740.000 emplois, les chiffres sont là et ils sont cruels. Et dans le même temps, sa part dans le PIB est passée de 21 à 13%. Mais il y aurait un autre mirage, une autre vision finalement erronée, ça serait qu'on puisse opposer l'industrie et des services, cette illusion est fausse. Elle est, là aussi, passéiste, parce que la course technologique n'est plus tirée par la production simplement d'un objet, d'un matériel, elle est tirée par la mutation de plus en plus rapide des usages, des pratiques, et elles imposent - vous le savez très bien - de bâtir une nouvelle alliance entre l'industrie et les services. La bataille aujourd'hui se gagnera avec l'industrie, les services, le numérique, c'est-à-dire notre capacité à mettre en place des dispositifs qui sont à la fois des dispositifs industriels et de services embarqués, avec de l'intelligence. Et donc les frontières dans lesquelles nous avions l'habitude de penser, y compris d'ailleurs dans le cadre de l'action publique, ne sont plus valables. Elles doivent être modifiées. Et l'industrie donc se réinvente aujourd'hui, et c'est pourquoi nous devons agir, réagir vite, et la France en a les moyens. Il y a encore quelques semaines, un dirigeant indien, pour le citer, monsieur MAHINDRA, nous disait que derrière chaque innovation significative dans son secteur, celui qu'il suivait plus particulièrement parce que ce groupe est un consortium aux multiples mains, il parlait de l'automobile et du véhicule deux-roues, il disait : derrière chaque innovation dans ce secteur, il y a un Français.
Donc nous avons les moyens de réussir cette bataille, cette transformation. Mais pour cela, il faut la mener, et pour mal part, j'aurais, ce que je vais essayer d'exposer rapidement, cinq flèches dans mon carcan pour filer la métaphore japonaise, ou à tout le moins, cinq exigences, d'abord, la première, c'est de nous battre pour nos entreprises, notre industrie, partout où elle est menacée, parce qu'il n'y a pas de fatalité à voir fermer une usine lorsqu'elle a un produit qui fonctionne, parce qu'elle a encore un marché, parce qu'elle a encore un avenir. Et donc c'est le volet défensif que mon prédécesseur avait pris à bras, énormément poussé, et que je veux poursuivre en consolidant les dispositifs qui ont été mis en place, le commissaire au Redressement productif, la Direction générale des entreprises s'impliquent dans ce volet, mon cabinet même, les équipes sur le terrain, les préfets sont là aussi, qui soutiennent chaque jour nos entreprises sur le territoire, mais, qu'est-ce que ça veut dire, au fond ? Ça veut dire que le volontarisme politique dans le monde en mutation que je décris a sa place, parce que c'est la seule manière de mobiliser toutes les énergies, parfois de déplacer tous les blocages, et donc de surmonter les obstacles encore plus grands. Il y a quelques semaines, j'allais rouvrir une ligne de production à Saint-Jean-de-Maurienne en aluminium, mais je me souviens encore lorsque j'étais dans d'autres fonctions, et qu'avec Arnaud MONTEBOURG, nous réfléchissions à ce sujet, combien nous ont dit que produire de l'aluminium en France, c'était une vue romantique, mais pas possible, il y a un marché, il y a une vallée humaine qui en a vécu et qui en vit encore. Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Il y a eu la mobilisation de tous les acteurs sur le terrain, y compris de grands acteurs publics, pour ne citer qu'eux, je parle d'EDF, un travail sur le fond avec des partenaires allemands, TRIMET, et la capacité à réduire les coûts de production, à réorganiser l'usine, à avoir un approvisionnement plus intelligent, moins coûteux dans cette usine extraordinairement gourmande en énergie électrique, et la possibilité, parce que, aussi, un partenaire industriel allemand a accepté d'investir, de réinvestir cent millions d'euros de nouveau.
Donc là où c'est pertinent, nous devons nous battre, nous pouvons nous battre. Ce qui vient de se passer chez CADDIE, pour citer un autre exemple, en est la preuve là aussi. Notre implication a eu un sens, une efficacité. Et la puissance publique a donc évidemment encore un rôle à jouer. Et dans le même temps, il faut être rationnel, c'est-à-dire lucide, l'Etat ne peut pas, ne doit pas mener toutes les batailles, parce qu'il y a des transformations qui sont parfois en train de se faire, et il y a des tissus industriels, des parties de notre production qui, malheureusement, n'ont parfois plus d'avenir. Et donc il faut, là, les aider à se transformer, et il faut aider les territoires qui les portent à faire leur mutation, et accompagner celles-ci, et surtout, accompagner celles et ceux, parce que je pense dans ces cas-là aux salariés, qui ont précisément réinventé un avenir industriel pour leur territoire et pour eux-mêmes. La deuxième exigence, c'est de renforcer la compétitivité de nos industries, sous toutes ses facettes, parce que la bataille pour la compétitivité que nous menons depuis un peu plus de deux ans, c'est aussi et surtout une bataille pour l'industrie. La compétitivité coût d'abord, ça n'est pas la plus importante à mes yeux, mais c'était la plus urgente, quand on considérait en 2012 le niveau de marges de nos entreprises, en particulier dans le secteur industriel. Et nous avions progressivement décliné durant les dix dernières années lorsqu'on comparait la France à l'Allemagne, la compétitivité coût, je ne veux pas ici revenir de manière trop longue, c'est évidemment non seulement le crédit d'impôt compétitivité emploi, mais ensuite, annoncé au début de l'année 2014, le pacte de responsabilité et de solidarité, c'est au total quarante milliards d'allègements fiscaux et sociaux qui finiront de se déployer dans les deux années qui viennent, pour les entreprises et la restauration de leurs marges.
Alors, la clef à la fois de ce pacte et de ce CICE, qu'est-ce que c'est ? C'est de la visibilité, c'est la stabilité donnée à ces décisions. Et pour ma part, je considère que, doit participer de ceux qui en sont les garants, le président de la République l'a constamment réaffirmé, le Premier ministre aussi, il ne sera pas touché à ces allègements de charges, et la trajectoire qui a été annoncée sera exécutée, ce qui, fixant les anticipations, comme on le dit, doit conduire à re-déclencher de l'investissement, parce que la stabilité est évidemment la clef des décisions d'investissement. Mais la compétitivité coût, c'est aussi des décisions qui ont pu être prises sur l'énergie, en particulier les électron-intensifs, et que je compléterai dans le projet de loi que j'aurai à porter dans les prochaines semaines, parce que l'énergie, en particulier dans le domaine industriel, est un intrant fondamental, mais c'est aussi baisser le coût des services, des autres intrants, que la main d'œuvre, et c'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire, non pas en stigmatisant certaines professions, mais en modernisant, en baissant les tarifs de certaines professions du chiffre ou du droit qui sont aussi des frais pour l'entreprise, c'est aussi en baissant les coûts, ça prendra du temps, mais c'est une démarche qu'il faut lancer dès maintenant, de l'immobilier, en simplifiant les procédures, en en raccourcissant les délais, pourquoi ? Parce que l'immobilier, c'est une grosse preuve de l'investissement français, y compris de l'investissement privé. Et ce qu'on investit en immobilier, on ne l'investit pas pour innover et pour remplacer qui des machines, qui des outils, qui investir encore davantage. Donc cette stratégie sur la compétitivité coût, elle est fondamentale, elle était l'urgence en 2012, et nous commençons à en voir les fruits, puisque dans les derniers chiffres, ceux du mois dernier, pour la première fois depuis plusieurs années, le coût horaire français repasse sur le coût horaire allemand, c'est la première résultante non seulement du CICE, mais des messages envoyés sur la modération salariale parce que tout cela n'existe que si on l'accompagne.
Compétitivité hors coût aussi, parce que c'est finalement celle qui avec la temps permet de gagner des véritables parts de marché, et la clef pour un industriel, c'est évidemment de pouvoir au maximum s'affranchir de la pression sur les coûts, en innovant, en conquérant de nouvelles parts de marché, en montant lui-même en gamme, et à cet égard, les plans industriels qui visent à soutenir notre capacité à améliorer la qualité de nos produits industriels sont fondamentaux, j'y veillerai, la politique de soutien à l'innovation, la productivité de nos secteurs, en particulier, les secteurs non exposés que j'évoquais, sont là aussi fondamentaux dans cette stratégie. Troisième exigence, pour consolider notre industrie, c'est de mobiliser les volontés, toutes les volontés, et pour ce faire, consolider ce que j'appellerai le dialogue économique et social réel, parce que c'est aussi un dialogue économique, on parle souvent de dialogue social, et il doit être réel, c'est-à-dire que pour ma part, je ne le veux pas formel, ce n'est pas en rajoutant le nombre de réunions ou des instances, là où il y en a déjà beaucoup, qu'on améliorera les choses, mais c'est en ayant un vrai dialogue, c'est-à-dire des responsabilités partagées. Où notre industrie parvient à redémarrer ? Là où il y a un dialogue économique et social réel. Je rouvrais il y a quelques semaines, je rouvrais, là aussi, une ligne de production à Sandouville, avec Carlos GHOSN, où non seulement le Trafic 4 va être produit, mais où des volumes de certains partenaires, dont FIAT, seront produits. Mais quelle a été la clef ? Non pas des décisions prises par un décret, par une loi, non, la capacité qu'on eue les partenaires à se mettre autour de la table pour signer un accord de compétitivité, c'est-à-dire accepter collectivement de s'adapter sur leurs salaires, leur organisation du temps de travail, l'organisation productive, pour mieux faire à moindre coût.
Et donc c'est lorsque les responsabilités collectives sont prises sur le terrain, dans l'entreprise, dans la branche, que nous pouvons redémarrer, que nous pouvons réussir. Et c'est pourquoi nous sommes si vigilants dans le cadre du suivi du pacte de responsabilité et de solidarité. Le Premier ministre hier réunissait les partenaires sociaux et les représentations nationales sur ce sujet, parce que ces instruments resteront lettre morte si on ne les fait pas vivre, c'est-à-dire si chacune et chacun n'a pas la conscience profonde que c'est de sa responsabilité de les faire vivre, et que grâce au dialogue social et économique, notre industrie fonctionnera mieux ; je ne suis pas de ceux qui ont un rapport béat à l'Allemagne, mais il faut quand même considérer ce qui chez le voisin parfois marche le mieux. Et le dialogue social est une réalité, c'est pourquoi nous avons voulu faire rentrer dans les plus grandes entreprises les salariés au conseil d'administration, parce qu'en partageant les contraintes, les difficultés stratégiques, mais aussi les réussites, je suis convaincu qu'on fonctionne mieux. C'est aussi pourquoi nous avons demandé que dans chaque branche, il y ait des vraies négociations, un vrai dialogue autour du pacte de responsabilité, pour expliquer ce qu'on en fait, pour créer les conditions de la transparence, c'est-à-dire d'un meilleur dialogue économique, soit pour dire : compte tenu de la situation qui est la nôtre, nous ne pouvons pas recréer d'emplois, mais au moins, nous en détruisons moins. Ou nous pouvons innover, nous pouvons nous engager sur des apprentis ici, ce qui est fondamental, en tout cas, faire vivre ce dialogue, c'est notre responsabilité à tous. A cet égard, le Conseil national de l'industrie et ses comités stratégiques de filières ont un rôle important, c'est pourquoi je les réunirai de manière régulière. Mais nous devons sur ce sujet aussi être exigeants, et je serai exigeant.
Parce que nous ne pouvons moderniser notre appareil productif et notre organisation qu'avec cet esprit de responsabilité parfaitement partagé. Et nous poursuivrons avec les partenaires sociaux cette modernisation de notre marché du travail, en avançant entre autre sur les Prud'hommes ou sur les seuils sociaux, qui sont, ces derniers, à la négociation, parce que si le dialogue social doit être plus vivace au niveau des branches et des entreprises, c'est de notre responsabilité aussi de traiter les contraintes, le manque de visibilité, à certains moments de la vie de l'entreprise ou du contrat individuel. Quatrième exigence, c'est le rôle de l'Etat, parce que le rôle de l'Etat, au-delà de ce volontarisme politique que j'évoquais ou au-delà de la restauration des conditions de compétitivité que je mentionnais à l'instant, c'est de marquer une volonté de définir des priorités, de donner un cadre, pourquoi ? Parce que, on peut là aussi être fasciné par ce qui existe chez nos voisins, et il faut l'être, pour en prendre ce qu'il y a le mieux, mais nous n'avons pas la culture du Mittelstand allemand ou de la Silicon Valley, la France est un pays où les grandes innovations, les grandes initiatives ont toujours été accompagnées par l'Etat, alors on peut décider de sauter dans le grand bain, de dire que nous allons devenir comme les autres du jour au lendemain, mais ça n'est pas vrai. Les années récentes l'ont montré. Et donc l'Etat doit s'engager pour marquer un engagement, et c'est l'objectif poursuivi avec les 34 plans que nous avons pris ensemble afin de dessiner la France de demain. C'est-à-dire, une France qui aura profondément changé, regardez le chemin fait en dix ans, quinze ans, de mutation technologique, d'usage, et donc c'est bien celui-ci qu'il faut préparer, c'est le volet offensif de la politique industrielle que je revendique et qui, là, s'appuie sur non seulement les financements, mais la bienveillance et l'accompagnement quotidien du commissariat général à l'industrie, ici, représenté, ce que le PIA, avoir non seulement ces trente-cinq milliards d'investissement par l'Etat, mais six milliards et demi d'euros prévus pour soutenir nos filières industrielles et nos PME, ce qui n'est pas rien dans la période que nous vivons. Ces 34 plans, ils sont la preuve qu'il n'y a ni industries dépassées ni industries obsolètes, ni industries vieillissantes, mais il y a simplement une modernisation collective à faire de notre appareil industriel, et vous en connaissez la gouvernance, ce sont autant de - portés par les industriels, PME, comme grands groupes, pour précisément aller jusqu'aux marchés, aller vers la création de nouveaux produits, changer la vie des Français, c''est-à-dire la manière dont on se déplace, dont on se soigne, dont on s'habille, dont on travaille, dont on se loge.
Parce que dans tous ces secteurs, il y a des plans industriels qui sont en train de s'organiser, de voir le jour et, pour certains d'ailleurs, d'arriver à un premier résultat. Mais investir, c'est également investir mieux pour préparer l'avenir et c'est cette ambition qui est en particulier au cœur de l'un des plans qui me tient tout particulièrement à cœur : le plan Usine du futur. Parce qu'à travers lui, nous voulons précisément illustrer cette révolution industrielle que j'évoquais, ce mariage des compétences et ce franchissement des frontières classiques. Industrie, numérique, services embarqués, c'est au travers de ce plan et des soutiens que nous lui apportons, en particulier à travers BPI France, que je veux que nous puissions raccourcir les délais et arriver à des résultats plus rapides et une mise sur le marché plus rapide.
Mais là encore, il faut être pragmatique. Trente-quatre plans, c'est beaucoup. Il ne s'agit pas de tout casser, de tout fermer ou d'avoir ici un discours anxiogène. Ces plans seront préservés, le financement sera préservé. Mais je veux, avec les chefs de projet, pouvoir les passer en revue pour voir les rapprochements que nous pouvons opérer, les synergies qu'on peut créer. Et des rapprochements aussi parfois avec certaines filières existantes parce que nous devons aussi être plus efficaces. Quand on a des priorités, on ne peut pas en avoir trop. Lorsque vous dirigez vos entreprises, on peut avoir des listes à remplir mais quand on veut vraiment des priorités stratégiques, on ne peut pas les égrener et les multiplier par dizaines. Ainsi, les prochains mois seront décisifs et à vos côtés, je veux qu'on puisse passer en revue ces plans, regarder les fruits escomptés et avoir une approche extrêmement pragmatique.
Mais je veux aussi que nous puissions en élargir l'ambition, parce que ces plans sont quand même trop souvent franco-français. Et donc face à la mondialisation, à l'ouverture nécessaire, je veux que nous puissions là aussi regarder comment associer des partenaires industriels, des investisseurs étrangers, pour aussi aller à la conquête de nouveaux marchés. Parce que dans ce volontarisme, dans ce cadre que l'Etat doit donner, la place doit être faite aux investisseurs étrangers. Ils sont les bienvenus dans la reconquête industrielle et la France ne fera pas cette reconquête seule ou en pensant qu'on puisse fermer ni son marché industriel, ni ses capitaux. J'en veux pour preuve le fait que la France est le premier pays européen d'accueil d'investissements étrangers créateurs d'emplois du secteur industriel. Très souvent, ce n'est pas l'image qu'on en a mais c'est la réalité. Ça ne veut pas dire pour autant que l'Etat ne veille pas, bien au contraire, à ce que les actifs stratégiques de notre pays soient préservés, parce que c'est aussi cela la politique industrielle. C'est en plein accord avec ce que j'appellerai ce devoir de vigilance que j'ai officiellement autorisé hier soir GENERAL ELECTRIC à finaliser son investissement en France avec ALSTOM et la constitution d'une alliance industrielle entre les deux groupes dans le secteur de l'énergie. GENERAL ELECTRIC a apporté, conformément aux dispositions réglementaires, l'ensemble des assurances qui garantissent les intérêts de l'Etat, la pérennité des services cruciaux pour à la fois la sécurisation de l'approvisionnement énergétique de la France, l'autonomie de la filière nucléaire et donc a répondu à nos exigences. C'est le même volontarisme que je veux avoir pour les politiques d'innovation à travers aussi les concours mondiaux que nous avons lancés et les annonces que je ferai dans les prochaines semaines.
Enfin, la cinquième exigence c'est celle que nous devons avoir en termes de politique européenne. D'abord en termes d'investissement, parce que s'il y a un investissement productif que nous pouvons faire, il est au niveau européen. Ce sont les trois cents milliards du plan européen. J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises : un bon investissement, c'est un investissement qui allie capital public et privé. C'est un investissement où l'argent public se fait au bon endroit pour déclencher l'investissement privé. C'est aussi un investissement qui se fait sur nos priorités, la transformation de notre industrie, la transition énergétique, le numérique, parce que nous devons là gagner en vitesse, aller plus vite et cela doit être, pour ce faire - pardon de cette forme d'évidence mais autant être direct - du vrai argent européen. Le risque de ce plan d'investissement, c'est que ce soient des crédits récupérés de toutes parts que nous allons reboutiquer pour dire : - Regardez ! Nous avons un plan d'investissement.? Non ! Aussi vrai que la France doit mener des vraies réformes pour elle-même, l'Europe doit conduire une vraie politique d'investissement pour nous puissions produire partout, partout en Europe, là où les Etats ont moins investi, insuffisamment investi parce que c'est dix-huit points du PIB européen en moins d'investissements public et privé par rapport à 2008. C'est ça la réalité. Donc nous avons besoin d'un investissement productif et donc cette exigence à l'égard de l'Europe, nous devons l'avoir.
Mais l'exigence européenne, c'est aussi porter une politique offensive et c'est dans cet esprit que nous nous sommes engagés dans des conseils de compétitivité pour que nous discutions plus au fond des choses, que nous sortions d'une forme de traintrain bureaucratique dans lesquels nous avions eu l'habitude de nous installer. Mon prédécesseur avait mis en place les rencontres des amis de l'industrie et j'irai pour porter précisément ce message et être plus ambitieux. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que ce volontarisme que j'évoquais, nous devons aussi l'assumer au niveau européen. D'abord en reconnaissant que le marché n'est pas infaillible et que certaines entreprises, certaines technologies, certains savoir-faire, méritent d'être défendus. Dans ces cas, la politique industrielle a un sens et l'Europe doit faire des progrès dans ce sujet. Nous devons assumer d'avoir des priorités, de les aider. L'obsession de l'aide d'Etat, le prima permanent de la politique de concurrence, n'est pas satisfaisant pour l'Europe parce que nous nous battons dans le vaste monde où la même politique de concurrence n'existe pas, aux Etats-Unis, ou en Chine, et dans beaucoup de marchés. Cette bataille est mondiale, donc il faut là aussi le réalisme. Cela veut dire aussi savoir mener une politique industrielle offensive. C'est ce que font avec succès là encore les autres économies mondiales. Mais nous avons su faire EADS devenue maintenant AIRBUS, personne ne remet en cause cette action, alors pourquoi pas dans d'autres domaines ? L'énergie ou que sais-je. La politique industrielle, elle ne se résumé pas au marché unique et à la libre concurrence.
Toutefois, la concurrence libre et non faussée est primordiale et elle fait partie d'une bonne politique industrielle et c'est ça aussi que je tâcherai de défendre. Ça veut dire que nous devons trouver un équilibre dans une logique de réciprocité à l'ouverture aux marchés internationaux. Ça veut dire aussi que nous devons protéger l'innovation, l'émergence d'acteurs européens face à certains champions parfois hégémoniques. Et vous voyez bien que je pense là au secteur du numérique où une juste politique de la concurrence doit être défendue parce qu'elle est au cœur de notre capacité à innover, à faire émerger un tissu industriel européen.
Voilà, Mesdames, Messieurs, en quelques mots ce que je voulais présenter et mettre sur la table aujourd'hui. D'abord parce que, vous l'avez compris, je ne pense pas qu'on arrivera à faire quelque chose de bien dans d ce secteur en regardant dans le rétroviseur. La France a une chance, c'est qu'elle est attachée à son industrie. Elle a un attachement presque romantique à ce qu'est l'industrie. Quand on parle d'économie de notre pays, les gens veulent voir des usines. Ils veulent voir des ministres avec des casques et des blouses, beaucoup plus qu'avec des costumes cravates, et c'est bien. C'est touchant parce qu'il y a un attachement, il y a une fibre. En même temps, on ne construira pas l'industrie de demain en regardant le rétroviseur justement, c'est-à-dire en ayant sur le fond une approche passéiste. Parler d'industrie, c'est regarder en avant. Regarder justement ce croisement des compétences et des secteurs comme je l'évoquais. Et cet avenir industriel, vous l'avez compris, j'y crois mais dès à présent nous devons le construire ensemble. Parce qu'aussi vrai que l'Etat doit avoir une volonté, il a une exigence à l'égard de toutes et tous, la même que vous pouvez avoir à l'égard de l'Etat parce que cette aventure industrielle, elle ne se réussit qu'à plusieurs. C'est là aussi l'une des nouveautés du monde dans lequel nous vivons. Je vous remercie pour votre attention.
INTERVENANT
Deux-trois questions peut-être avant que vous ne nous quittiez pour quelques minutes, oui ?
EMMANUEL MACRON
Deux minutes.
INTERVENANT
Deux minutes, okay. Sur la compétitivité, vous disiez que le travail a été fait. Vous pensez qu'il faut poursuivre ce déplacement au troisième étage de la fusée après le CICE et le Pacte de responsabilité ? Un certain nombre de patrons qui utilisent le CICE notamment dans l'industrie, disent que le bénéfice est mitigé.
EMMANUEL MACRON
Vous savez, il en va de l'Etat et des finances publiques comme d'une industrie. On définit un plan stratégique et après, le mieux avant de faire un nouveau plan stratégique, c'est d'exécuter le plan qu'on a défini.
INTERVENANT
Je parlais plus d'outils que de plans stratégiques.
EMMANUEL MACRON
On a défini un plan stratégique sur la baisse des coûts. On a défini, ce qui ne s'est jamais fait, un plan triennal de baisse de charges et de fiscalité, ce qui ne s'est jamais fait. Je pense que le mieux, c'est d'exécuter. On peut demander toujours plus mais regardez la situation des finances publiques dans laquelle nous vivons. Nous allons faire cinquante milliards d'économies cumulés sur les trois prochaines années. Là aussi, ça ne s'est jamais fait. Et nous avons pris la décision de faire quarante milliards d'allègements de charges et de fiscalité pour les entreprises dans les trois prochaines années. Pensez-vous raisonnablement que nous pouvons expliquer aux Français que nous allons faire beaucoup plus ? Non. Je pense qu'il faut le faire vivre et, là je le dis parce que c'est le même volontarisme dans l'exigence, que ceux qui demandent à nouveau une nouvelle tranche considèrent qu'il faut déjà que nous exécutions la première et que chacun exécute sa part de la responsabilité. Et donc moi, je ne peux pas accepter ce discours tant qu'il y a encore des gens... Ce n'est pas un discours responsable. Donc toutes les branches doivent négocier. Ça ne veut pas dire qu'il faut de manière naïve au trébuchet dire :  - Quand il y a un euro d'allègement de charges, on va créer un emploi.? Ça n'a pas de sens. Mais qu'il y ait ce discours de transparence et qu'on s'approprie ces outils. Jamais une telle politique d'allègements de tous les freins n'a été faite en France. Que ne l'avons-nous fait pendant une décennie où nous étions la Belle endormie avec plus d'argent et plus de croissance ! Malheureusement, nous ne l'avons pas fait, cela a été décidé là. Il faut l'exécuter et avant d'en demander plus, il faut le faire vivre. Et je crois que nous sommes tous les garants d'une forme de stabilité dont tout le monde a besoin mais il faut aller au bout de cette démarche. Voilà.
INTERVENANT
Il y a la colère de certains patrons sur les dispositifs de pénibilité qui leur semblent compliqués à appliquer, le décret Hamon sur deux mois avant la cession d'une entreprise annoncer au personnel qu'effectivement l'entreprise va être cédée. Tout cela alimente un peu la colère et on l'a vu récemment avec Pierre GATTAZ mais pas que, il y a aussi la CGPME et l'UPA qui sont derrière. Quel est votre sentiment par rapport à ça ? Sur la pénibilité, c'est en partie traité mais sur l'annonce des deux mois avant la cession, est-ce que vous pensez qu'il faut revenir là-dessus ?
EMMANUEL MACRON
Là-dessus, c'est pareil. Je pourrais me payer de mots et vous dire que c'est absolument affreux et vous avez raison. La vérité, c'est que nous vivons dans un monde de contraintes où il y a un législateur. C'est lui qui vote les allègements de charges, c'est lui qui a voté ces dispositifs. Je n'en suis pas mais je constate que le dispositif de pénibilité a été voté dans le cadre de l'allongement des retraites. C'est d'ailleurs une idée qui existe dans d'autres pays et c'est une belle idée qui fonctionne bien ; je vais y revenir. Et le droit d'information au préalable a été voté au mois de juillet par le législateur. Est-ce sérieux de dire quand ça ne nous arrange pas ce que le législateur a dit :  - On va la déménager, et caetera?, je ne crois pas que ce soit un bon fonctionnement démocratique pour ma part. Par contre, que ces idées qui chacune avait leur justification, parce qu'il y a aujourd'hui des dizaines de milliers d'emplois qui en France sont détruites, est-ce qu'il n'y a pas de repreneur à une entreprise, et il y a aujourd'hui une vraie difficulté à bien prendre en compte la spécificité de certains métiers dans la retraite, et à rendre plus intelligent notre système de retraite. La difficulté, c'est quand des idées fortes, intéressantes, progressistes, rencontrent le réel, et en particulier le réel des plus petits patrons. Là, il faut avoir un discours en effet pragmatique. C'est que c'est insupportable pour certains la complexité des dispositifs qui sont mis en place. Que faut-il faire ? Ça ne sert à rien de dire qu'on change tout et on revient comme si rien ne s'était passé, parce que nous avons collectivement le problème avec le législateur. Il faut mettre tout le monde autour de la table et partager la contrainte. Donc sur le droit d'information préalable qui dépend de ma circonscription, si je puis dire, qu'avons-nous fait ? D'abord, prendre un décret pour clarifier le cadre légal des entreprises qui étaient en train de céder et leur dire qu'il n'y avait pas de risques, ce qui a été fait le 29 octobre. On met en place un dispositif en essayant d'être le plus allégé possible - un mail avec accusé de réception suffit, et cætera ... et surtout demandé à ce qu'il y est une mission parlementaire avec des professionnels pour que le législateur puisse regarder la réalité de l'application et se rendre compte, parce que quand on partage la contrainte, les parlementaires sont des gens qui veulent que les choses aillent mieux. Et donc, quand vous les mettez autour de la table avec les industriels, avec en particulier les patrons de PME pour la pénibilité comme pour le droit à l'information préalable, ils vont eux-mêmes voir qu'il faut aménager le dispositif. Et donc sur les deux cas que vous citez, ce sont deux cas importants, il faut être là très pragmatique, il faut dépassionner le débat. Il y a une mission Virvi sur la pénibilité qui a été faite, il faut qu'elle soit continuée. Il faut qu'en lien le législateur là aussi, on puisse faire un groupe de travail qui regarde le suivi, ce qui est possible, ce qu'il n'est pas possible de faire, ce qui est une contrainte excessive en termes de déclaration - je pense à la pénibilité là pour l'employeur - et aménager ces dispositifs pour qu'ils soient en conformité avec ce qui a été voulu par le législateur, mais supportable, que ce ne soit pas une charge. Là-dessus, je pense que l'impatience ou l'invective n'est pas une bonne réponse. Il y a sans doute eu un défaut d'explication, j'aimerais bien qu'il y ait de la pédagogie, mais il faut être très pragmatique. Il faut concerter, il faut regarder dans le concret et il faut aménager, et je pense que c'est comme ça qu'on s'en sort par le haut.
INTERVENANT
Sur le dossier ALSTOM, dernière question sur ALSTOM. Vous venez d'autoriser la reprise par GE de la branche énergie. L'Etat a une option pour prendre jusqu'à vingt pourcent du capital.
EMMANUEL MACRON
Oui.
INTERVENANT
Quand allez-vous l'exercer et est-ce que vous allez l'exercer ?
EMMANUEL MACRON
Ah ! Cette option a été acquise dans le cadre d'une négociation. Il y a eu tout un cadre industriel et des contraintes fortes qui ont été mises sur cette opération qui ont été respectées. Je considère que quand je vois d'où on vient, l'intervention de l'Etat a été productive au sens fort du terme. C'est-à-dire que nous avons sécurisé des actifs stratégiques en France, nous avons amélioré largement la copie. Maintenant, pour ce qui est de ce que vous évoquez, c'est-à-dire l'option sur les vingt pourcent, je dirais que ça relève de la vie des affaires. Et la vie des affaires, chacune et chacun le sait dans la salle, ça ne se commente ni ne s'annonce. Donc nous avons cette capacité, cette faculté dans la main, et elle sera exercée si besoin est en temps voulu et dans les conditions voulues.
INTERVENANT
Dernier mot. Vous avez parlé d'AIRBUS, AIRBUS et EADS, en disant qu'on aurait pu faire un AIRBUS de l'énergie puis finalement on a un peu loupé le coche d'un rapprochement ALSTOM-SIEMENS à l'occasion de cette opération.
EMMANUEL MACRON
Mais là-dessus, vous savez, les bons mariages industriels sont rarement des mariages forcés. La vie des affaires, c'est comme la vie de cœur et donc, certains dans la salle sont bien placés pour le savoir, il y a eu des discussions entre ALSTOM et SIEMENS mais ç'aurait été un mariage forcé. Que ne nous aurions-nous dit si l'Etat qui, je le rappelle, n'était pas au capital d'ALSTOM, avait dit :  -Il faut aller se marier avec cette belle.? Non, ça n'avait pas de sens ! Mais malheureusement pour cette aventure européenne qui aurait pu voir le jour, elle n'était ni au cœur de la volonté d'une partie des décideurs industriels qui avaient la main et qui devaient là-dessus décider, et elle était plus compliqué à exécuter que ce qui a été fait aujourd'hui. Voilà.
INTERVENANT
Merci Monsieur le Ministre.
EMMANUEL MACRON
Merci à vous.
Source http://www.usinenouvelle.com, le 14 novembre 2014