Texte intégral
FABIENNE SINTES
Et votre invitée, Jean-François ACHILLI, ce matin, est donc ministre de l'Education nationale.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM. Vous n'êtes plus ministre des Sports, vous êtes ministre de l'Education nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mais les jeunes vont beaucoup parler de ça aujourd'hui à la récré notamment, transferts de joueurs douteux à l'OM, matchs truqués en Ligue 2, le football est à la page scandale, cela vous choque ce matin ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ecoutez, si les faits sont avérés, ils sont évidemment extrêmement graves, la justice est saisie, donc laissons-la travailler en toute indépendance. Moi, en tout cas, je peux vous dire que dans le sport, s'il y a bien une chose que nous devons valoriser, protéger et promouvoir, c'est bien toutes les valeurs qui l'accompagnent, c'est-à-dire la volonté de progresser, la capacité de persévérer, le respect, c'est ça qu'on apprend aux enfants, c'est pour ça qu'on les incite aussi à pratiquer du sport. Et donc c'est vrai que cette affaire, ma foi, n'en donne pas une très belle image.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Le football, le sport en général, mais le foot est censé avoir valeur d'exemple, très prisé par les jeunes gens.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Absolument, je le disais d'ailleurs encore récemment auprès de l'UNSS, qui est une grande association sportive scolaire, il y a en effet des messages forts qui doivent être portés pour apprendre aussi aux enfants les règles du jeu, il ne s'agit pas simplement d'une pratique physique et sportive, il s'agit aussi d'apprendre à vivre ensemble.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, vous allez vous déplacer en Seine-Saint-Denis, un mot encore sur ce qui se passe à la Une de l'actualité, il y a également cette menace d'une nouvelle intifada en Israël, Najat VALLAUD-BELKACEM, avec l'attaque meurtrière d'une synagogue à Jérusalem, craignez-vous une importation de ce conflit aujourd'hui chez les jeunes ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord, on est glacé d'effroi quand on voit ce qui se passe à Jérusalem, cette violence, cette inhumanité aussi, et moi, je ne peux que, d'abord, condamner, et puis dire ma solidarité à l'égard des victimes et de leurs proches. Pour le reste, cet attentat en fait, c'est une manifestation de plus d'un cycle de violences qui a repris depuis quelques mois, et qui malheureusement ne peut conduire qu'à l'échec, je crois que la seule solution, c'est une solution négociée
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce qu'on sent quand même des tensions aussi chez nous, dans les communautés.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, parce que de part et d'autre, d'abord, vous avez des extrémismes qui s'affichent, qui tirent prétexte d'ailleurs du fait que les négociations n'avancent pas pour redoubler de violences. Et donc nous, notre rôle, que ce soit ici ou ailleurs, ce doit être en permanence de réaffirmer la nécessité d'une solution politique, d'une solution diplomatique, à laquelle d'ailleurs la France prendra sa part, comme elle l'a toujours fait.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ah, vous dites ça parce que, actuellement, Benoît HAMON, le groupe PS, demande au gouvernement de reconnaître l'Etat de Palestine, il y a d'ailleurs une résolution qui sera soumise au vote dans dix jours ; est-ce que le moment est bienvenu ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien, vous savez, il y a eu d'autres votes dans ce sens en Suède
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ce n'est pas le premier
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En Angleterre, en Espagne encore hier, la proposition des députés socialistes, elle va dans le sens de la paix, elle n'est pas contre un Etat ou contre un autre, elle va vraiment dans le sens de cette solution politique, qui d'ailleurs avait été définie, elle ne date pas d'hier, elle date de 93, la solution avec un Etat palestinien
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc vous approuvez en fait ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et la sécurité de l'Etat israélien, qui soit garantie. Donc oui, cela va dans le sens de la position défendue depuis maintenant des décennies par la France.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors vous êtes donc aussi ministre de l'Education nationale, Najat VALLAUD-BELKACEM, vous voulez vraiment supprimer les notes à l'école, c'est sérieux cette histoire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce qui est sérieux, c'est que, vous savez, il faut quand même
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce que l'idée, c'est quand même de les remplacer par des couleurs, des évaluations
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, bon, tout ça, en revanche, ça l'est moins, tout ça, c'est de la caricature, mais je vais vous expliquer, ce qui est sérieux, c'est qu'il faut qu'on s'interroge sur les raisons de l'échec d'une partie de notre système scolaire, puisque, on le voit bien, un certain nombre d'élèves, par exemple sortent sans qualification, nous n'avons pas de très bons résultats, c'est le moins qu'on puisse dire, dans les classements internationaux, et puis surtout, on voit que notre école reproduit, voire conforte des inégalités sociales qui sont là, à la base, et qu'elle n'arrive pas, malheureusement, aujourd'hui, à contrer. Donc quand on prend tout cela
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est la faute aux notes, c'est cela ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y a plusieurs sujets, d'abord, 1°) : qu'est-ce qu'on apprend aux élèves exactement ? Et c'est pour ça que cette année, vous savez qu'on va réformer les programmes pour faire en sorte qu'on s'entende sur ce socle, que doivent acquérir tous les élèves, qui doit être à la fois ambitieux, mais en même temps, qui doit s'acquérir dans de bonnes conditions, année scolaire par année scolaire, pour ne pas perdre les élèves entre temps. Non, mais c'est très important ce que je vous dis, on parle de ne pas perdre les élèves qui décrocheraient, comme on sait qu'il y en a 140.000 par an qui décrochent, c'est trop, donc il faut bien veiller à ce que programme soit acquis. Deuxièmement : comment on évalue en effet l'acquisition de ces connaissances ? Et c'est vrai que, aujourd'hui, on a une évaluation en France, dont tous les acteurs, grosso modo, reconnaissent qu'elle n'est pas forcément la plus encourageante du monde ; je vais vous en donner une illustration pour que vous me compreniez
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Allez-y, parce que l'heure tourne, oui
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Dans les classements internationaux, les élèves français font partie de ceux qui répondent le moins aux questions par peur de se tromper, c'est quand même extrêmement intéressant, ça veut dire que la peur de l'échec est intériorisée par les élèves français beaucoup plus qu'ailleurs
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
L'angoisse des notes, ça bloque, mais si vous mettez des évaluations et des couleurs ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien, une évaluation qui permette à l'élève de comprendre comment progresser lui-même sur son chemin personnel, et pas forcément en se classant par rapport aux autres
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et vous savez comment ça marche
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Peut être une évaluation stimulante qui fait réussir
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous savez comment ça marche, si on met autre chose à la place, c'est comme : A, B, C, D, E à l'époque, pardon, ça remplaçait les notes, c'était censé nous désangoisser, mais c'était au final le même résultat, c'était pareil
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, mais votre remarque est juste, c'est pour ça que nous prenons le temps de la réflexion, et qu'il ne s'agit pas de remplacer un système de notes 1, 2, 3 par un système de notes A, B, C
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Pas demain matin
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il s'agit d'ailleurs même pas de supprimer la notation, il s'agit simplement de se demander comment est-ce que la notation ou l'évaluation peut dire davantage de choses à l'élève, valoriser ce qu'il a su faire et pas simplement mettre en lumière ce qu'il n'a pas su faire, cesser de lui faire intérioriser l'échec, et le faire progresser.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, c'est en cours ? Il n'y a pas de calendrier ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est en cours, et sous un format si vous me permettez qui est quand même assez original, c'est la première fois que l'Education nationale se prête à ce type de démarche, c'est une conférence de consensus. C'est-à-dire que l'on a proposé à tous les acteurs, aussi bien les acteurs de l'Education nationale, que les parents, que les lycéens eux-mêmes, de prendre part à cette conférence de consensus, de se faire une idée par eux-mêmes et de nous faire des recommandations. Donc c'est très ouvert, c'est pour le coup, on redonne du pouvoir à la société pour décider
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et ce n'est pour demain matin. Alors, vous
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Euh, si, juste pour votre information, si, c'est quand même pour après-demain, disons
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est pour quand ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Puisque les recommandations me seront remises au mois de décembre, et que donc je prendrai mes décisions courant 2015.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ah d'accord. Alors vous allez vous rendre en revanche tout de suite, tout à l'heure, après cette interview, dans une école de Bondy en Seine-Saint-Denis, avec Claude BARTOLONE, le président de l'Assemblée nationale, mais surtout, ancien patron du département, dans un contexte d'urgence, Najat VALLAUD-BELKACEM, la situation en Seine-Saint-Denis est désastreuse, les profs ne veulent plus y aller, trente-huit classes sans enseignants le jour de la rentrée, des profs qui manifestent d'ailleurs, ceux qui sont en place, demain, eux, à Bercy. Les établissements recrutent à Pôle emploi, comment est-ce possible, nous sommes au mois de novembre ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, la Seine-Saint-Denis, c'est un territoire qui se caractérise par trois choses, pour aller vite, d'abord, c'est un territoire plutôt défavorisé socialement, ce qui ne crée pas les meilleures conditions de la réussite pour les élèves
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ce n'est pas nouveau
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En effet. Deuxième chose, une hausse démographique importante, et, gardez-le dans un coin de votre tête, depuis cinq ans, tous les ans, c'est 2.000 élèves de plus en Seine-Saint-Denis. Et troisième chose, un territoire qui est en fait assez peu attractif pour les enseignants
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ça pouvait s'anticiper ça, non ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien, oui, ça s'est anticipé, et je dirais même plus, juste pour mémoire, alors qu'il y a 2.000 élèves de plus chaque année, la précédente majorité, la droite, supprimait des postes là-bas, depuis 2012, pour faire vite, nous n'avons cessé de recréer, de rouvrir des postes. Il est vrai qu'ils n'ont pas forcément tous été pourvus, ces postes, parce que c'était mon troisième point ce n'est pas l'Académie la plus attractive pour les enseignants pour les raisons que l'on sait
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mais vous avez vu les chiffres du journal Le Monde : 60.000 promesses de postes par François HOLLANDE, et 4.000 postes pérennes au bout de deux ans et demi, ce n'est pas beaucoup.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors ça, c'est un autre sujet
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, mais bon, parce que tout est lié quand même
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je termine sur la Seine-Saint-Denis et je reviendrai à ce sujet. Mais donc sur la Seine-Saint-Denis, la question aujourd'hui qui se pose à nous, ce n'est pas simplement celle de l'ouverture des postes, puisqu'on voit bien que ça peut ne pas suffire et nous conduire à recourir à des contractuels, avec des parents ensuite qui ne sont, légitimement, pas contents d'avoir des gens qui ont moins d'expérience, on va dire, dans les salles de classes. Aujourd'hui, je vais en Seine-Saint-Denis pour annoncer que nous avons décidé de prendre le sujet à bras le corps. Et ça n'est pas un énième plan que nous annonçons pour la Seine-Saint-Denis, c'est une véritable mobilisation sur trois ans, dans laquelle, y compris, on remet en cause des règles qui étaient des règles immuables, par exemple l'idée qu'il y ait un seul concours à une seule date, dans toutes les académies
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous faites quoi, un plan Marshall, c'est ça, vous allez annoncer
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il n'y a pas besoin de label ou de nom pour désigner ce plan
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bon, peu importe
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais en tout cas, je peux vous dire que, avec un concours supplémentaire pour permettre à davantage de candidats de rejoindre la Seine-Saint-Denis, avec un accompagnement des contractuels qui sont là-bas pour les former et en faire des enseignants à proprement parler, et valoriser les acquis de leur expérience
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et un nombre précis d'annonces de postes, combien, on peut savoir ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Avec 500 postes de plus d'ici 2017, qui s'ajoutent aux 300 déjà créés, on parle du premier degré en disant cela, c'est-à-dire 800 postes de plus pour la Seine-Saint-Denis, eh bien, il y a des mesures fortes qui seront annoncées ce matin, et qui permettront à la Seine-Saint-Denis, au fond, pas simplement de rattraper les écarts avec d'autres académies, mais d'être plutôt une terre d'excellence.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Une question ultime, parce qu'on n'a plus le temps oui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je finirai pardon juste sur votre interrogation sur les 60.000 postes, parce que je ne supporte plus de laisser planer les malentendus, 60.000 postes, c'est un engagement que nous avons pris, nous le tenons, nous avons d'ores et déjà créé 24.000 postes depuis 2012, nous en créons 10.000 de plus en cette année 2015
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On verra à la fin
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Simplement, c'est vrai que beaucoup de ces postes sont des postes de professeurs stagiaires, mais pourquoi ? Parce que précisément, nous avons voulu réintroduire la formation des enseignants, c'était notre engagement principal, parce que nous estimons que les enseignants ont besoin d'être formés à apprendre, que ça ne s'invente pas, ça ne s'improvise pas. Donc nous sommes très fiers d'avoir aujourd'hui respecté nos engagements et de continuer à le faire
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Rendez-vous à la fin du quinquennat, vous reviendrez, on vous remettra les chiffres sur la table. Merci Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2014