Texte intégral
Q - Bonjour, Monsieur le Ministre, il y a eu cette nuit de nouveaux bombardements de l'Otan contre la Yougoslavie. Est-ce qu'on peut imaginer que ce soit les derniers ?
R - Ce sont des frappes exclusivement sur des cibles militaires directement liées au Kosovo, notamment sur l'intervention des dirigeants européens, parce qu'il n'était pas question que les autres types de frappe se poursuivent. Il fallait tenir compte immédiatement de la nouvelle situation créée par l'acceptation par le président Milosevic et par le Parlement serbe de notre plan de paix.
Il y a eu un changement déjà radical depuis Cologne. Maintenant, cela dépend de ce que tout le monde connaît, c'est-à-dire la mise au point des dispositions concrètes, précises, pour démarrer le retrait des forces serbes. C'est l'objet de cette réunion qui a lieu ce matin même.
Q - Si, à cette réunion qui s'ouvre ce matin entre des responsables de l'Otan et des militaires de Belgrade, ces derniers acceptent le calendrier et les modalités de retrait de leur armée du Kosovo, cela suffira alors pour déclencher au moins une pose des bombardements ?
R - Comme je vous l'ai indiqué, ils sont déjà très réduits, circonscrits sur des cibles directement militaires sans aucune espèce d'ambiguïté. Après, il faut qu'il y ait l'accord aujourd'hui sur toute une série de dispositions concernant ce retrait. Par exemple, il faut obtenir des militaires serbes et yougoslaves le déminage... et il faut que tout cela commence et cela va durer un certain temps. La négociation porte également sur le délai. Après, dès que nous serons sûrs que tout ça est engagé de façon irréversible et contrôlée, il y aura une évaluation politique puisque les décisions de l'Otan ont toujours été des décisions politiques au départ, les décisions des chefs d'Etat et de gouvernement des 19 pays démocratiques de l'Alliance.
Q - Cela peut se faire dès demain ?
R - Cela peut se faire très très vite. Dès que les conditions que j'ai indiquées sont remplies. Nous allons apprécier. Mais je ne peux pas dire une date artificielle à l'avance. Je ne peux pas vous dire : demain, après-demain, dans trois jours. Nous souhaitons aller le plus vite possible. Il faut donc que cette réunion de ce matin qui est très importante débouche, soit précise, que le retrait commence. Après, il y aura une évaluation par téléphone, par les dirigeants principaux. Nous avons, peut-être demain, sinon lundi, une réunion des ministres des affaires étrangères du G8.
Q - Elle ne se tiendra pas forcément demain ? On attendra peut-être lundi ?
R - Oui, mais cela pour des raisons de logistique, d'organisation de transport. Elle se tiendra le plus vite possible. Elle va à la fois permettre de constater la mise en marche du retrait - nous l'espérons -, de mettre au point les derniers détails qui demeurent à trancher pour que le texte de la résolution puisse être très vite adopté ensuite par le Conseil de sécurité. Tout ça va s'accélérer maintenant.
Q - La résolution des Nations unies pourrait être adoptée dès le début de la semaine prochaine ?
R - Même chose, je ne peux pas vous dire de moment exact parce que le diable est dans le détail : on peut toujours tomber sur quelque chose qui, aux yeux des uns ou des autres, pose un problème ; on voit qu'il y a un peu de tangage de Moscou par exemple en ce qui concerne les concessions qu'a fait à notre avis intelligemment et à juste titre M. Tchernomirdyne, mais ce qui fait qu'il y a une contestation. Je peux simplement vous dire que nous travaillons d'arrache-pied dans toutes les enceintes, à tous les niveaux et avec tous nos partenaires : Conseil de Sécurité, G8, Otan, etc., pour aller le plus vite possible.
Q - Parlons de la Russie, parce qu'effectivement la Russie a beaucoup oeuvré pour que les conditions de l'Otan soient acceptées par Milosevic. Mais on ne voit pas bien ce qu'elle en a retiré ?
R - Je voudrais rappeler que la Russie a beaucoup oeuvré depuis le début. L'attention a été attirée sur l'affaire au Kosovo par une lettre de Klaus Kinkel, à l'époque ministre allemand des Affaires étrangères, et de moi-même, dès novembre 1997. Ensuite, la Russie, dans toute l'année 1998, a été très active dans le Groupe de contact. Je voudrais redire ici qu'une des caractéristiques de la gestion de cette crise - caractéristique sans précédent, je crois -, c'est l'extraordinaire convergence et harmonisation des démarches, des analyses et des actions entre les Européens, les Américains et les Russes. C'est vrai que pendant la période des frappes, les Russes se sont démarqués et ont contesté cette action, et sur le fond, et sur la forme à cause du rôle de l'Otan, mais en ce qui concerne la recherche d'une solution politique et pacifique au Kosovo. Nous avons toujours été ensemble. Nous nous sommes retrouvés ensemble encore plus complètement avec la mission de M. Tchernomirdyne, nous avons travaillé constamment avec le ministre Ivanov, et je crois que tout ça va continuer. La Russie en a retiré une considération universelle quant à la façon dont elle a mené sa politique étrangère de grand pays, avec un souci évident de l'intérêt de l'Europe à long terme, de la stabilité en Europe, de la sécurité.
Q - La considération universelle suffit, vous pensez, pour un pays comme la Russie ?
R - Je ne dis pas que cela suffit. Je constate qu'ils l'ont recherchée, qu'ils ont voulu montrer qu'ils pouvaient apporter une contribution de premier plan. Ils l'ont démontré pendant toute cette longue période - encore une fois, il ne faut pas la faire démarrer simplement au début des frappes mais au moins un an avant - et l'action de M. Tchernomirdyne a été déterminante dans les derniers jours.
Q - Est-ce que vous nous confirmez que les Russes ont d'ores et déjà accepté d'être sous le commandement de l'Otan dans la force de paix qui sera envoyée au Kosovo ?
R - C'est un peu plus compliqué que cela et précisément il faut encore quelques aménagements pour qu'il y ait à la fois des Russes avec un commandement qui leur soit propre - c'est en tout cas ce qu'ils demandent -, mais une parfaite coordination. Parce que même s'il y a, par la nécessité des répartitions sur le terrain, avec des secteurs plutôt confiés aux uns et aux autres, il y aura en même temps des combinaisons entre les différents contingents et au bout du compte, il faut, dans l'ensemble du Kosovo, une seule politique. Une seule politique de sécurité, une seule politique pour cette force. On trouvera les deux. Peut-être une certaine autonomie de fonctionnement des contingents russes, mais, à un niveau X ou Y de la chaîne de commandement - nous sommes en train de le peaufiner -, et une harmonisation complète des politiques à suivre. On avait proposé la même formule qu'en Bosnie qui était une combinaison Otan/Russie - je ne vais pas entrer dans un détail trop technique - mais il y a après des degrés, plus ou moins grands d'autonomie, plus ou moins d'intégration. Mais notre objectif est clair, une seule politique pour l'ensemble des forces et de la force dans l'ensemble du Kosovo.
Q - François Clémenceau vient de nous dire qu'une des missions de cette force de paix serait de désarmer l'UCK. Comment vous allez faire pour convaincre l'UCK de renoncer à l'indépendance du Kosovo, alors qu'elle pouvait penser en être très proche, et que contrairement à ce qui était prévu à Rambouillet, on ne parle plus maintenant d'un possible référendum où les Kosovars choisiraient eux-mêmes leur avenir ?
R - Permettez-moi de vous reprendre sur ce point. A Rambouillet, précisément, nous n'avons pas accepté le mot de référendum. C'est pour cela qu'à la fin de Rambouillet, l'UCK n'a pas signé le document de Rambouillet parce que nous n'avions pas accepté cette demande. On avait répondu à leurs questions. L'UCK l'avait demandé, nous ne l'avions pas accepté, parce que référendum, cela veut dire indépendance et indépendance, cela veut dire nouvelle déstabilisation de l'ensemble de la région, compte tenu du fait que le programme initial de l'UCK, c'était le regroupement de tous les Albanais : du Kosovo, du Monténégro, de la Macédoine et de l'Albanie. Ca n'a été accepté par personne à Rambouillet. Et quand les Kosovars ont finalement signé le document à Kléber, ils ont signé un document dans lequel on disait simplement que trois ans après on ferait le point de la situation, ce qui est bien naturel. Mais il n'y a pas le mot d'indépendance, il n'y a pas le mot de référendum.
Q - Est-ce qu'on fera le point dans trois ans ?
R - Il n'y a pas de clause de rendez-vous dans les accords actuels. Je voudrais rappeler que même s'ils continuaient à aspirer à l'indépendance, on le sait puisque aussi bien M. Rugova que l'UCK le disent, ils ont approuvé le plan de la communauté internationale qui a été présenté à Belgrade par M. Ahtisaari et M. Tchernomirdyne. Le chef actuel, le principal chef de l'UCK, M. Tatshi, que j'ai vu à Paris il y a une dizaine de jours, a apporté son soutien à ce plan. Ils ont donc des espérances et des aspirations mais ils ont en même temps un réalisme, peut-être nouveau, qui les amènent à soutenir notre action.
Dans tous ces accords, il n'y a pas référendum, il n'y a pas indépendance, il n'y a pas le mot désarmement, il y a le mot démilitarisation. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que nous attendons de l'UCK, conformément à ce à quoi elle s'est engagée, qu'elle se transforme en un parti politique qui mène la lutte par des moyens différents dans le Kosovo libre et pacifique que nous allons remettre sur pôle.
Q - Monsieur le Ministre, évidemment pas tout de suite mais dans trois mois, dans six mois ou dans un an, est-ce que vous vous imaginez, comme Ministre des affaires étrangères, rencontrer Slobodan Milosevic, ou est-ce que c'est quelque chose que vous avez définitivement rayé de votre esprit ?
R - Je voudrais souligner que dans toute cette période, nous avons géré cette affaire du Kosovo en ne négociant pas avec le Président Milosevic. Ce qui s'est passé à Belgrade, c'est que des émissaires ont été lui dire : "voilà, vous ne pouvez que souscrire au plan de la communauté internationale, vous n'avez plus le choix", et finalement il a souscrit pour les raisons que l'on sait. Ce qui montre que nous avons eu raison depuis le début. Le président Milosevic, il est maintenant face à l'Histoire, face au tribunal qui l'a inculpé, mais je dirais plus encore face à son peuple, parce qu'il a amené son peuple dans une impasse complète après avoir utilisé le nationalisme le plus violent, le plus exacerbé, le plus primitif. Il a provoqué une réaction générale sur le thème : nous ne voulons plus de ça, à tout jamais en Europe. Il a complètement perdu par rapport à cette idée qu'il avait mis en avant de grande Serbie et les intérêts des Serbes qui sont légitimes aussi, comme ceux de tous les peuples de la région, n'ont jamais été aussi mal défendus.
Ce que nous attendons aujourd'hui, ce que nous espérons, c'est que le peuple serbe lui-même, en prenne conscience, en tire les conséquences, se ressaisisse par rapport à cette hallucination nationaliste qui leur a fait se tromper complètement sur la nature des relations internationales dans le monde moderne, et qu'un jour ce soit lui, ce peuple serbe, qui mène à son terme la transformation de ce pays en un pays européen démocratique avec lequel on travaillerait, et qu'on aidera à ce moment là.
Q - Monsieur le Ministre, pardonnez-moi, vous ne m'avez pas répondu. Est-ce que vous envisagez un jour de le rencontrer ou vous rayez ça définitivement de votre esprit ?
R - Dans quel but ?
Q - Il est inculpé de crime contre l'humanité.
R - Dans quel but aurais-je à la rencontrer ?
Q - La politique.
R - Non pas du tout. Regardez comment nous avons géré les dernières semaines. Sans arrêt on nous a dit : est-ce que c'est un partenaire ? Est-ce que négocier ? Sans arrêt, nous avons dit : nous ne sommes pas en train de négocier. Les Européens se mettent d'accord entre eux, négocient avec les Russes, préparent une résolution qui comporte les éléments de la paix qui sera imposée aux autorités de Belgrade et elles n'auront d'autre choix que d'y souscrire. C'est ce qui est en train de se faire. Donc, il n'y a rien dans ce que nous avons fait depuis des semaines pour gérer ce conflit avec ténacité et beaucoup de clarté en même temps qui justifie la question que vous vous posez. Les choses sont parfaitement claires. Nous attendons des autorités de Belgrade quelles qu'elles soient, aujourd'hui c'est celles-ci, mais demain ça sera peut-être d'autres, qu'elles appliquent strictement le plan de paix.
Nous n'avons rien à négocier qui justifie une rencontre. Pour parler de quoi ? Nous souhaitons maintenant avoir une conception d'avenir sur la Serbie, on n'a pas été en guerre avec le peuple serbe et en même temps on ne peut concevoir d'intégrer dans les plans que nous élaborons : Pacte de stabilité, reconstruction, conférence sur les Balkans, qu'une Serbie démocratique, avec une politique radicalement différente.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 1999)
R - Ce sont des frappes exclusivement sur des cibles militaires directement liées au Kosovo, notamment sur l'intervention des dirigeants européens, parce qu'il n'était pas question que les autres types de frappe se poursuivent. Il fallait tenir compte immédiatement de la nouvelle situation créée par l'acceptation par le président Milosevic et par le Parlement serbe de notre plan de paix.
Il y a eu un changement déjà radical depuis Cologne. Maintenant, cela dépend de ce que tout le monde connaît, c'est-à-dire la mise au point des dispositions concrètes, précises, pour démarrer le retrait des forces serbes. C'est l'objet de cette réunion qui a lieu ce matin même.
Q - Si, à cette réunion qui s'ouvre ce matin entre des responsables de l'Otan et des militaires de Belgrade, ces derniers acceptent le calendrier et les modalités de retrait de leur armée du Kosovo, cela suffira alors pour déclencher au moins une pose des bombardements ?
R - Comme je vous l'ai indiqué, ils sont déjà très réduits, circonscrits sur des cibles directement militaires sans aucune espèce d'ambiguïté. Après, il faut qu'il y ait l'accord aujourd'hui sur toute une série de dispositions concernant ce retrait. Par exemple, il faut obtenir des militaires serbes et yougoslaves le déminage... et il faut que tout cela commence et cela va durer un certain temps. La négociation porte également sur le délai. Après, dès que nous serons sûrs que tout ça est engagé de façon irréversible et contrôlée, il y aura une évaluation politique puisque les décisions de l'Otan ont toujours été des décisions politiques au départ, les décisions des chefs d'Etat et de gouvernement des 19 pays démocratiques de l'Alliance.
Q - Cela peut se faire dès demain ?
R - Cela peut se faire très très vite. Dès que les conditions que j'ai indiquées sont remplies. Nous allons apprécier. Mais je ne peux pas dire une date artificielle à l'avance. Je ne peux pas vous dire : demain, après-demain, dans trois jours. Nous souhaitons aller le plus vite possible. Il faut donc que cette réunion de ce matin qui est très importante débouche, soit précise, que le retrait commence. Après, il y aura une évaluation par téléphone, par les dirigeants principaux. Nous avons, peut-être demain, sinon lundi, une réunion des ministres des affaires étrangères du G8.
Q - Elle ne se tiendra pas forcément demain ? On attendra peut-être lundi ?
R - Oui, mais cela pour des raisons de logistique, d'organisation de transport. Elle se tiendra le plus vite possible. Elle va à la fois permettre de constater la mise en marche du retrait - nous l'espérons -, de mettre au point les derniers détails qui demeurent à trancher pour que le texte de la résolution puisse être très vite adopté ensuite par le Conseil de sécurité. Tout ça va s'accélérer maintenant.
Q - La résolution des Nations unies pourrait être adoptée dès le début de la semaine prochaine ?
R - Même chose, je ne peux pas vous dire de moment exact parce que le diable est dans le détail : on peut toujours tomber sur quelque chose qui, aux yeux des uns ou des autres, pose un problème ; on voit qu'il y a un peu de tangage de Moscou par exemple en ce qui concerne les concessions qu'a fait à notre avis intelligemment et à juste titre M. Tchernomirdyne, mais ce qui fait qu'il y a une contestation. Je peux simplement vous dire que nous travaillons d'arrache-pied dans toutes les enceintes, à tous les niveaux et avec tous nos partenaires : Conseil de Sécurité, G8, Otan, etc., pour aller le plus vite possible.
Q - Parlons de la Russie, parce qu'effectivement la Russie a beaucoup oeuvré pour que les conditions de l'Otan soient acceptées par Milosevic. Mais on ne voit pas bien ce qu'elle en a retiré ?
R - Je voudrais rappeler que la Russie a beaucoup oeuvré depuis le début. L'attention a été attirée sur l'affaire au Kosovo par une lettre de Klaus Kinkel, à l'époque ministre allemand des Affaires étrangères, et de moi-même, dès novembre 1997. Ensuite, la Russie, dans toute l'année 1998, a été très active dans le Groupe de contact. Je voudrais redire ici qu'une des caractéristiques de la gestion de cette crise - caractéristique sans précédent, je crois -, c'est l'extraordinaire convergence et harmonisation des démarches, des analyses et des actions entre les Européens, les Américains et les Russes. C'est vrai que pendant la période des frappes, les Russes se sont démarqués et ont contesté cette action, et sur le fond, et sur la forme à cause du rôle de l'Otan, mais en ce qui concerne la recherche d'une solution politique et pacifique au Kosovo. Nous avons toujours été ensemble. Nous nous sommes retrouvés ensemble encore plus complètement avec la mission de M. Tchernomirdyne, nous avons travaillé constamment avec le ministre Ivanov, et je crois que tout ça va continuer. La Russie en a retiré une considération universelle quant à la façon dont elle a mené sa politique étrangère de grand pays, avec un souci évident de l'intérêt de l'Europe à long terme, de la stabilité en Europe, de la sécurité.
Q - La considération universelle suffit, vous pensez, pour un pays comme la Russie ?
R - Je ne dis pas que cela suffit. Je constate qu'ils l'ont recherchée, qu'ils ont voulu montrer qu'ils pouvaient apporter une contribution de premier plan. Ils l'ont démontré pendant toute cette longue période - encore une fois, il ne faut pas la faire démarrer simplement au début des frappes mais au moins un an avant - et l'action de M. Tchernomirdyne a été déterminante dans les derniers jours.
Q - Est-ce que vous nous confirmez que les Russes ont d'ores et déjà accepté d'être sous le commandement de l'Otan dans la force de paix qui sera envoyée au Kosovo ?
R - C'est un peu plus compliqué que cela et précisément il faut encore quelques aménagements pour qu'il y ait à la fois des Russes avec un commandement qui leur soit propre - c'est en tout cas ce qu'ils demandent -, mais une parfaite coordination. Parce que même s'il y a, par la nécessité des répartitions sur le terrain, avec des secteurs plutôt confiés aux uns et aux autres, il y aura en même temps des combinaisons entre les différents contingents et au bout du compte, il faut, dans l'ensemble du Kosovo, une seule politique. Une seule politique de sécurité, une seule politique pour cette force. On trouvera les deux. Peut-être une certaine autonomie de fonctionnement des contingents russes, mais, à un niveau X ou Y de la chaîne de commandement - nous sommes en train de le peaufiner -, et une harmonisation complète des politiques à suivre. On avait proposé la même formule qu'en Bosnie qui était une combinaison Otan/Russie - je ne vais pas entrer dans un détail trop technique - mais il y a après des degrés, plus ou moins grands d'autonomie, plus ou moins d'intégration. Mais notre objectif est clair, une seule politique pour l'ensemble des forces et de la force dans l'ensemble du Kosovo.
Q - François Clémenceau vient de nous dire qu'une des missions de cette force de paix serait de désarmer l'UCK. Comment vous allez faire pour convaincre l'UCK de renoncer à l'indépendance du Kosovo, alors qu'elle pouvait penser en être très proche, et que contrairement à ce qui était prévu à Rambouillet, on ne parle plus maintenant d'un possible référendum où les Kosovars choisiraient eux-mêmes leur avenir ?
R - Permettez-moi de vous reprendre sur ce point. A Rambouillet, précisément, nous n'avons pas accepté le mot de référendum. C'est pour cela qu'à la fin de Rambouillet, l'UCK n'a pas signé le document de Rambouillet parce que nous n'avions pas accepté cette demande. On avait répondu à leurs questions. L'UCK l'avait demandé, nous ne l'avions pas accepté, parce que référendum, cela veut dire indépendance et indépendance, cela veut dire nouvelle déstabilisation de l'ensemble de la région, compte tenu du fait que le programme initial de l'UCK, c'était le regroupement de tous les Albanais : du Kosovo, du Monténégro, de la Macédoine et de l'Albanie. Ca n'a été accepté par personne à Rambouillet. Et quand les Kosovars ont finalement signé le document à Kléber, ils ont signé un document dans lequel on disait simplement que trois ans après on ferait le point de la situation, ce qui est bien naturel. Mais il n'y a pas le mot d'indépendance, il n'y a pas le mot de référendum.
Q - Est-ce qu'on fera le point dans trois ans ?
R - Il n'y a pas de clause de rendez-vous dans les accords actuels. Je voudrais rappeler que même s'ils continuaient à aspirer à l'indépendance, on le sait puisque aussi bien M. Rugova que l'UCK le disent, ils ont approuvé le plan de la communauté internationale qui a été présenté à Belgrade par M. Ahtisaari et M. Tchernomirdyne. Le chef actuel, le principal chef de l'UCK, M. Tatshi, que j'ai vu à Paris il y a une dizaine de jours, a apporté son soutien à ce plan. Ils ont donc des espérances et des aspirations mais ils ont en même temps un réalisme, peut-être nouveau, qui les amènent à soutenir notre action.
Dans tous ces accords, il n'y a pas référendum, il n'y a pas indépendance, il n'y a pas le mot désarmement, il y a le mot démilitarisation. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que nous attendons de l'UCK, conformément à ce à quoi elle s'est engagée, qu'elle se transforme en un parti politique qui mène la lutte par des moyens différents dans le Kosovo libre et pacifique que nous allons remettre sur pôle.
Q - Monsieur le Ministre, évidemment pas tout de suite mais dans trois mois, dans six mois ou dans un an, est-ce que vous vous imaginez, comme Ministre des affaires étrangères, rencontrer Slobodan Milosevic, ou est-ce que c'est quelque chose que vous avez définitivement rayé de votre esprit ?
R - Je voudrais souligner que dans toute cette période, nous avons géré cette affaire du Kosovo en ne négociant pas avec le Président Milosevic. Ce qui s'est passé à Belgrade, c'est que des émissaires ont été lui dire : "voilà, vous ne pouvez que souscrire au plan de la communauté internationale, vous n'avez plus le choix", et finalement il a souscrit pour les raisons que l'on sait. Ce qui montre que nous avons eu raison depuis le début. Le président Milosevic, il est maintenant face à l'Histoire, face au tribunal qui l'a inculpé, mais je dirais plus encore face à son peuple, parce qu'il a amené son peuple dans une impasse complète après avoir utilisé le nationalisme le plus violent, le plus exacerbé, le plus primitif. Il a provoqué une réaction générale sur le thème : nous ne voulons plus de ça, à tout jamais en Europe. Il a complètement perdu par rapport à cette idée qu'il avait mis en avant de grande Serbie et les intérêts des Serbes qui sont légitimes aussi, comme ceux de tous les peuples de la région, n'ont jamais été aussi mal défendus.
Ce que nous attendons aujourd'hui, ce que nous espérons, c'est que le peuple serbe lui-même, en prenne conscience, en tire les conséquences, se ressaisisse par rapport à cette hallucination nationaliste qui leur a fait se tromper complètement sur la nature des relations internationales dans le monde moderne, et qu'un jour ce soit lui, ce peuple serbe, qui mène à son terme la transformation de ce pays en un pays européen démocratique avec lequel on travaillerait, et qu'on aidera à ce moment là.
Q - Monsieur le Ministre, pardonnez-moi, vous ne m'avez pas répondu. Est-ce que vous envisagez un jour de le rencontrer ou vous rayez ça définitivement de votre esprit ?
R - Dans quel but ?
Q - Il est inculpé de crime contre l'humanité.
R - Dans quel but aurais-je à la rencontrer ?
Q - La politique.
R - Non pas du tout. Regardez comment nous avons géré les dernières semaines. Sans arrêt on nous a dit : est-ce que c'est un partenaire ? Est-ce que négocier ? Sans arrêt, nous avons dit : nous ne sommes pas en train de négocier. Les Européens se mettent d'accord entre eux, négocient avec les Russes, préparent une résolution qui comporte les éléments de la paix qui sera imposée aux autorités de Belgrade et elles n'auront d'autre choix que d'y souscrire. C'est ce qui est en train de se faire. Donc, il n'y a rien dans ce que nous avons fait depuis des semaines pour gérer ce conflit avec ténacité et beaucoup de clarté en même temps qui justifie la question que vous vous posez. Les choses sont parfaitement claires. Nous attendons des autorités de Belgrade quelles qu'elles soient, aujourd'hui c'est celles-ci, mais demain ça sera peut-être d'autres, qu'elles appliquent strictement le plan de paix.
Nous n'avons rien à négocier qui justifie une rencontre. Pour parler de quoi ? Nous souhaitons maintenant avoir une conception d'avenir sur la Serbie, on n'a pas été en guerre avec le peuple serbe et en même temps on ne peut concevoir d'intégrer dans les plans que nous élaborons : Pacte de stabilité, reconstruction, conférence sur les Balkans, qu'une Serbie démocratique, avec une politique radicalement différente.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 1999)