Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à BFM TV le 8 décembre 2014, sur l'éducation prioritaire et le décrochage scolaire.

Prononcé le

Média : BFM TV

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invitée, Najat VALLAUD-BELKACEM, ministre de l'Education nationale, bonjour.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. Election législative partielle dans l'Aube, le candidat du Parti socialiste a été éliminé dès le premier tour, au second tour se retrouvent face à face un candidat de l'UMP et un candidat du Front national. Vous seriez électeur dans l'Aube, est-ce que vous voteriez pour l'UMP ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ecoutez, je ne connais pas le candidat UMP en question, donc j'imagine que ça mérite réflexion.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous hésiteriez ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais, en tout cas, à titre personnel, face à une telle situation, j'aurais tendance à voter en effet tout sauf Front national, donc ça répond à votre question.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous voteriez UMP.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça répond à votre question. Je ne connais pas le candidat UMP, donc… je laisse aussi les électeurs locaux…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, oui, vous laissez les électeurs locaux.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Juger.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c'est sûr.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En tout cas, sur cette élection, simplement un mot, parce que ce qui est plus frappant, encore, que le résultat que vous venez d'indiquer, c'est le taux d'abstention, qui est de l'ordre de 75%, de mémoire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, plus de 75.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce qui dit à quel point nous avons besoin de rassembler la gauche si nous voulons, en effet, l'emporter dans les prochaines élections, et je crois que de ce point de vue l'intervention du Premier ministre hier soir allait dans le bon sens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous rassemblez la gauche lorsqu'Emmanuel MACRON défend son projet de loi sur la croissance ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, parce que ce projet de loi sur la croissance il s'agit en réalité d'un projet de loi sur l'égalité d'accès à l'économie. Il s'agit débloquer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dynamiser ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Débloquer les verrous de notre économie pour permettre au maximum de gens d'entreprendre, de créer leur propre activité, bref, de trouver des débouchés, des perspectives, dans des secteurs qui jusqu'à présent étaient quand même des secteurs très rentiers.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, juste un mot sur l'ouverture des magasins le dimanche. 12 dimanches, a dit Manuel VALLS hier, 12 dimanches, mais il a aussi dit que des compromis étaient possibles. Des compromis sont possibles ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, un débat aura lieu de toute façon, comme sur tous les sujets.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pourriez baisser à 7 ou 8 dimanches ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je pense que le nombre de dimanches, en effet, fera l'objet d'une discussion, j'imagine, au niveau parlementaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc 12 ce n'est pas certifié, 12 dimanches, au lieu de 5, non ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le principe, ce qui vaut action en l'occurrence, c'est comment est-ce qu'on permet à une activité de se déployer, y compris pendant les week-ends, dans des zones touristiques, commerciales, dans lesquelles une telle activité trouverait, en effet, à se développer, sans pour autant que ça nuise aux salariés, donc en trouvant des contreparties acceptables, donc c'est ça aussi qui fait l'objet d'une discussion…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc ça pourrait baisser, 12 dimanches contre 7 ou 8 ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Contrepartie salariale et nombre de dimanches concernés, voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça pourrait être 7, 8 ou 9 ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le Premier ministre l'a dit hier soir, ça fera l'objet de la discussion, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc ce n'est pas figé à 12 dimanches, on est bien d'accord. Les réformes engagées en France et en Italie sont insuffisantes, c'est Angela MERKEL qui le dit. Réplique immédiate de Jean-Luc MELENCHON : « fermez-la » - c'est une insulte presque – « la France est libre. » Vous diriez la même chose ? Non.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je crois que vous me connaissez suffisamment pour avoir votre réponse. La réalité c'est que nous sommes sur cette dynamique de réformes. Vous savez, quand la France fait 20 milliards d'euros d'économies sur l'année qui vient, on ne peut pas dire qu'elle ne se transforme pas, on peut dire qu'au contraire nous avons pris à bras-le-corps un sujet qui était un enjeu depuis des années, dont on avait fait un enjeu incantatoire, et dont enfin on s'est saisi. Réforme territoriale, économies dans le fonctionnement des pouvoirs publics, et tout ce que nous entreprenons sur le marché du travail, on vient d'en parler, c'est une façon de transformer profondément notre pays et de le rendre plus compétitif, et de faire aussi baisser le déficit…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous ne comprenez pas les critiques de madame MERKEL ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et de faire baisser aussi le déficit, et vous remarquerez que de ce point de vue on a des résultats intéressants, Michel SAPIN l'annonçait la semaine dernière, nous revoyons nos prévisions de déficit à la baisse, ce qui prouve bien que notre politique commence à produire ses effets.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Najat, vous ne comprenez pas ces critiques, donc, d'Angela MERKEL, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je crois qu'il y a une forme de jeu de rôle au niveau européen.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jeu de rôle, c'est un jeu de rôle de madame MERKEL ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je crois qu'il y a, dans le paysage politique européen, comme dans un paysage politique national, en effet, un jeu de rôle dans lequel chacun réclame de l'autre davantage, et puis au final ce qui importe c'est qu'on sache converger et trouver un point d'équilibre, voilà. Et nous avons d'ailleurs, dans cette recherche de convergence et de point d'équilibre, la France, elle, réclame, et a obtenu aussi, le fameux plan JUNCKER qui va permettre des investissements européens importants pour relancer la croissance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parlons de l'éducation nationale, on va parle des notes, on va parler de la formation initiale, du décrochage scolaire, on va parler des enseignants, mais je voudrais commencer avec les REP, les Réseaux d'Education Prioritaire. Quand est-ce que vous publierez la nouvelle carte ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je l'ai dit, à la mi-décembre, le 17 décembre prochain, très précisément.
JEAN-JACQUES BOURDIN
17 décembre, précisément.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui. Alors, comment est-ce que ça se passe ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pourquoi est-ce qu'on a fait cette réforme de l'éducation prioritaire. Parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
A coût constant !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, non, pas à coût constant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ne vous en tenez pas aux informations publiées par quelques journaux qui ont du mal à se renseigner précisément, c'est +350 millions d'euros que nous mettons sur l'éducation prioritaire, donc ce n'est pas à coût constant, pour un nombre de zones concernées qui est équivalent, donc on est bien dans une augmentation. Pourquoi est-ce qu'on réforme la carte de l'éducation prioritaire ? Parce que la carte n'a pas évolué depuis 30 ans. Croyez-vous véritablement que la situation sociale des établissements n'a pas, elle, évolué depuis 30 ans ? que depuis 30 ans on s'est contenté, par facilités politiques évidemment, d'accumuler le nombre de zones concernées, ce qui fait qu'on a un nombre très important d'établissements concernés, qu'on y mettait peu de moyens, donc finalement ces moyens étaient diffus et ne produisaient pas leurs effets. Aujourd'hui, qu'est-ce que nous voulons faire ? Nous voulons déjà réactualiser cette carte, c'est-à-dire aller regarder où sont les difficultés sociales…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce qui ne fait pas plaisir. On va y revenir.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, où sont les difficultés sociales et mettre dans cette carte les établissements qui en ont le plus besoin. Je sais que ça ne fait pas plaisir à certains d'en sortir. Quoi que, c'est une question qu'on doit pouvoir se poser, est-ce que la vocation d'un établissement en éducation prioritaire n'est pas précisément d'en sortir ? C'est aussi, vous voyez, c'est un nouveau logiciel qu'il faut adopter à l'égard de l'éducation prioritaire. L'éducation prioritaire ce doit être une intervention massive des pouvoirs publics pour donner un coup de pouce à un moment M, mais avec pour vocation d'en sortir 3 ou 4 ans plus tard, ne pas y rester 10 ans.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, pardon Najat VALLAUD-BELKACEM, mais l'éducation elle doit être prioritaire dans tous les collèges et lycées de France. Ça veut dire quoi ? Eh bien oui, oui… ça veut dire quoi, vous êtes d'accord avec moi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, non, je souris parce que je ne vois pas en quoi je ne pourrais ne pas être d'accord avec vous, c'est une évidence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais, c'est une évidence, mais elles sont bonnes à rappeler parfois. Najat VALLAUD-BELKACEM, un Réseau d'Education Prioritaire ça veut dire quoi ? Ça veut dire un établissement à 24 élèves ou 25 élèves par classe, on est bien d'accord, ça veut dire des élèves qui ont la possibilité de faire des matières, je prends l'exemple du grec, du latin, avec des options aussi musique… bon ! Ça veut dire que dans ces établissements qui vont sortir du Réseau d'Education Prioritaire, tout ça va disparaître. Ça veut dire que les classes vont passer de 24 à 33 ou 34 élèves, on est bien d'accord ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, la réponse est non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah ! Eh bien pourquoi est-ce que les parents protestent alors ? Pourquoi est-ce que des collèges sont fermés ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Laissez-moi vous répondre. La réponse est non, parce que d'abord nous ne sommes pas idiots, nous n'avons pas prévu que les établissements sortant de l'Education Prioritaire, qui sont au nombre de 200 à peu près, donc sur 1 millier de nouveaux Education Prioritaire, vous en aurez 200 qui sortent, 200 qui entrent. Donc, les établissements sortant, nous n'avons pas prévu qu'ils sortent d'une façon sèche du jour au lendemain, nous avons évidemment une clause de sauvegarde pendant 3 ans. Donc pendant 3, qu'il s'agisse des indemnités des enseignants, qu'il s'agisse des projets qui y sont soutenus, ça se poursuit…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc les élèves ne sont pas sacrifiés.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Donc c'est le temps de la scolarité des élèves qui y sont. Simplement, l'idée, c'est de dire, qu'il nous faut réactualiser cette carte pour mettre plus massivement nos moyens, des moyens supplémentaires, les +350 millions, nos moyens supplémentaires dans des établissements qui vont encore plus mal, qui vont bien plus mal, et figurez-vous qu'il y a des établissements qui vont très très mal, y compris comparé à ceux que vous évoquez, qui s'attristent de sortir, mais il faut aussi regarder l'intérêt général et pouvoir se rendre compte qu'il y a des endroits où notre intervention se justifie encore plus qu'ailleurs. Ça ne signifie pas pour autant que dans les établissements qui ne sont pas en Education Prioritaire, l'Education nationale va cesser d'intervenir, je veux dire, ces établissements-là ils ne sortent pas du radar de mon ministère, je continuerai à les suivre, comme je suivrai tous les établissements de France, et encore, heureusement, et je les suivrai d'autant mieux que je vais introduire une réforme, au fond, qui est bien plus large que celle de l'Education Prioritaire, qui est la réforme de l'allocation des moyens, qui est un vrai…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Qui est un vrai chamboulement dans notre façon de penser la dotation aux établissements et aux académies, puisque je souhaite que désormais on ne la pense pas uniquement, comme nous le faisions, sur le critère des effectifs démographiques, mais aussi sur le critère de la difficulté sociale. C'est-à-dire que, à partir de la rentrée 2015…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Au mérite, en quelque sorte.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce n'est pas une question de mérite la difficulté sociale, c'est une question objective. Quand vous regardez, trop souvent la difficulté sociale se traduit en difficultés scolaires, eh bien il faut mettre davantage de moyens…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, à partir de la rentrée 2015…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Là où il y a une concentration de difficultés sociales, et cela vaudra pour tous les établissements, y compris ceux qui ne sont pas en Education Prioritaire. D'une certaine façon, Jean-Jacques BOURDIN, je réponds à votre question…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez moduler…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Exactement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez moduler les moyens de l'Education nationale en fonction des difficultés sociales rencontrées par/ ou dans les collèges et lycées.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous avez parfaitement compris, et ce faisant je réponds à votre question de tout à l'heure. Vous me disiez, mais l'éducation devrait être prioritaire partout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais oui, vous avez raison, d'une certaine façon la logique de l'Education prioritaire, qui est de dire on donne plus de moyens là où il y a plus de difficultés sociales…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle est stupide.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Elle n'a pas de raison d'être réservée à quelques établissements, je suis d'accord avec vous, et c'est pour ça qu'elle se diffuse désormais, et qu'elle vaudra partout. Nous donnerons davantage à ceux qui ont davantage besoin d'être accompagnés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
A partir de la rentrée prochaine.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, en même temps que la réformation de l'Education Prioritaire, c'est pour cela que les établissements sortant n'ont pas à s'inquiéter outre mesure de sortir, parce qu'ils continueront à être accompagnés à hauteur de leurs besoins. Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Najat VALLAUD-BELKACEM, en Grande-Bretagne l'éducation a changé et la manière d'éduquer, notamment de payer les enseignants, qui sont payés maintenant au mérite, qui vont être payés tous au mérite, les directeurs d'établissement aussi, au mérite. Est-ce qu'on pourrait imaginer cela en France ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, j'ai vu cela.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez vu ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Nous n'en sommes pas là. Honnêtement, je ne vais pas prétendre le contraire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, on n'en est pas là mais est-ce que c'est une voie à suivre ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Nous n'en sommes pas là mais si vous regardez d'un peu plus près les mesures que nous avons adoptées récemment, de revalorisation du personnel enseignant, vous allez vous rendre compte qu'on prend quand même ce chemin de donner davantage de moyens par exemple aux chefs d'établissement de fonctionner. Ce qui marche assez bien en Grande Bretagne, c'est une forme d'autonomie des chefs d'établissement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez développer l'autonomie des établissements ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En tout cas, on développe la mission de coordination de leurs équipes et des chefs d'établissement, ce qui veut dire que concrètement, ils ont davantage de moyens en effet pour intervenir, pour piloter la vie de leur établissement et y compris mener des projets.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que c'est une façon d'augmenter aussi les enseignants. Ce système britannique est très libéral.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le deuxième exemple que je voulais vous donner, pardonnez-moi, ça fera le lien avec la question précédente, c'est que dans la réforme de l'éducation prioritaire par exemple, ce qui est prévu c'est aussi de payer davantage les profs qui vont en éducation prioritaire. C'est aussi ça qui coûte d'ailleurs ces cent millions d'euros de mesures indemnitaires dans le plan. Ça signifie que ces profs, pour les inciter à aller dans ces établissements difficiles et surtout pour les inciter à y rester, nous leur donnons davantage d'indemnités, davantage de formation, davantage d'accompagnement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On prend donc le chemin du paiement au mérite.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Du paiement à la difficulté singulière de la mission.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et à la performance face aux difficultés.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
A la difficulté singulière de la mission, oui. Le mérite, on peut l'entendre par exemple dans le fait que ces mêmes enseignants, qui seront amenés à exercer en éducation prioritaire, auront des avantages en termes de progression de carrière. Oui, d'une certaine façon c'est une reconnaissance du mérite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Au mérite, oui. Faut-il envoyer tous les professeurs de collège et lycée faire un stage en entreprise pour qu'ils enseignent le mieux possible le monde économique ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça fait partie des questions qui sont en cours d'instruction. Je l'ai annoncé lorsque je suis arrivée dans ce ministère et je compte bien être la ministre qui rapprochera l'école et le monde professionnel, le monde de l'entreprise, pour une raison simple. C'est que j'estime que l'école doit se soucier de ce que deviennent les élèves, y compris une fois qu'ils l'ont quittée, et que l'insertion professionnelle est une des missions de l'école. Pour réussir à relever ce défi-là, il lui faut être proche de l'entreprise, la connaître, l'entreprise au sens large.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment faire ? On envoie les enseignants mieux connaître l'entreprise ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord, on envoie les élèves mieux connaître l'entreprise. C'est pour ça que nous développons ce que nous appelons le parcours d'information, d'orientation et de découverte du monde professionnel. Ça veut dire que désormais, au collège et au lycée, l'élève sera systématiquement amené au-delà du seul stage de 3ème qu'on connaissait jusqu'à présent, trop court, à aller régulièrement en entreprise et avoir accueilli dans son établissement scolaire une entreprise, des salariés, qui racontent leur travail, et caetera.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce sera un stage obligatoire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui. Cela lui permettra de découvrir la palette des opportunités professionnelles qui se présentent à lui et donc de mieux s'orienter.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc stage pour les élèves, et pour les enseignants aussi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pour les enseignants, c'est une réflexion en cours mais je trouve cela intéressant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous y êtes favorable ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'entends certains professeurs de collège et de lycée, pas tous, hurler déjà. Comment ! Aller dans une entreprise ? Mais comment ! Vous le savez bien, Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, foin des caricatures !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je ne fais pas de caricatures, j'ai dit « certains », Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous savez, quand on me demande si l'école est réformable ou pas, je réponds souvent qu'il suffit d'aller regarder sur le terrain. La vérité, c'est que l'école se réforme tous les jours. Tous les jours sur le terrain, dans les établissements que je vais voir, je constate qu'il y a des enseignants en particulier qui n'ont attendu aucune directive ministérielle pour, avec leurs élèves sur ce sujet-là, créer une mini-entreprise, créer des liens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais les stages pour les enseignants seront obligatoires comme pour les élèves ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je n'ai pas répondu à cette question, je vous ai dit que c'était en réflexion et que je trouve que c'est une question intéressante. C'est en réflexion. Rien que le cadre vous dit suffisamment à quel point nous y prêtons de l'attention, dans le cadre du conseil national économie-école que nous avons crée précisément pour rassembler les acteurs de l'économie et ceux de l'école.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez diminuer le poids des notes à l'école ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Là aussi, ça fait l'objet d'un travail qui est en cours et qui est absolument formidable. Je voudrais insister là-dessus parce que là encore, parfois je me désole des caricatures. La question n'est pas est-ce que nous allons supprimer les notes. On ne va pas supprimer les notes, on en a besoin !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez diminuer le poids des notes ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est bien, vous faites déjà mieux qu'un certain nombre de vos collègues. Juste pour vos auditeurs, la question n'est pas de supprimer les notes. On a toujours besoin d'un indicateur pour savoir comment se situe l'élève par rapport au reste de la classe, et cætera. La question, c'est comment on faire dire davantage de choses aux notes, comment est-ce qu'on rend l'évaluation encourageante pour l'élève, comment on lui transmet le désir d'apprendre et de progresser plutôt que le sentiment d'être cassé, l'échec intériorisé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que les notes seront supprimées ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y a une réflexion. Je vous ai répondu tout à l'heure que la question n'est pas de supprimer les notes mais de leur faire dire davantage de choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais elles ne seront pas supprimées ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
On a toujours besoin évidemment de pouvoir évaluer un élève. Mais est-ce que je peux finir sur ce sujet, parce que je vous assure que c'est passionnant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais parce que je veux des précisions.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est pour vous dire à quel point l'Education nationale est capable quand même de se transformer puisque pour la première fois, nous avons sur ce sujet des notes dont on sait qu'il intéresse tout le monde –vous-même, les parents, les familles, les enseignants- nous avons décidé d'organiser une conférence de consensus. C'est-à-dire que concrètement, on a lancé un appel à candidatures public et que ce soient des personnels de l'éducation ou des usagers, c'est-à-dire des élèves, des familles, et cætera, nous leur avons dit : “Inscrivez-vous et venez travailler ensemble sur cette question de l'évaluation à faire progresser?. Il y a eu mille cinq cents candidatures, on a retenu une trentaine de personnes dans le cadre d'un jury qui se réunit depuis plusieurs semaines le samedi. Les gens acceptent comme ça de venir travailler ensemble, de passer en revue toutes les expérimentations conduites sur une évaluation différente. Ils clôtureront leurs travaux cette semaine et me remettront donc leurs recommandations. Je trouve ça fabuleux que, pour une fois, sur ces sujets école qui passionnent tout le monde, on donne un peu la parole à la société d'une certaine façon. Ils s'écoutent, sont entre eux et me remettront leurs recommandations J'adopterai cette réforme en effet dans le courant de l'année prochaine. Pourquoi est-ce que j'adopte cette réforme ? Non pas pour une forme de lubie là encore, mais parce qu'il y a une profonde cohérence dans toutes les réformes que nous conduisons dans l'éducation. Nous les conduisons pour que les enfants apprennent mieux, donc nous réformons les programmes. Nous les conduisons pour que les enfants acquièrent un socle de connaissances qui leur serve ensuite dans la vie. Nous réformons donc ce fameux socle de connaissances qu'on acquiert à la fin de la scolarité obligatoire. Enfin, nous faisons en sorte que ce qu'ils apprennent tout au long de leur scolarité, ils comprennent en quoi ils ont progressé, n'ont pas progressé, comment ils peuvent mieux faire. C'est l'objet de la réforme de l'évaluation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Deux dernières questions. On a beaucoup parlé de ce débat autour des crèches, est-ce que l'enseignement du fait religieux est matière à part entière ou pas ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous savez, on est le 8 décembre aujourd'hui, ça veut dire que demain nous serons le 9 et nous célèbrerons –vous en parlerez sans doute- l'anniversaire de la loi de 1905. Je peux vous dire que j'ai prévu, pour ce qui me concerne, de la célébrer en bonne et due forme dans un établissement scolaire parce que cette question de la laïcité à l'école me tient à coeur à un point que vous n'imaginez pas. D'ailleurs, ce gouvernement a fait en sorte depuis 2012 d'introduire la charte de la laïcité dans chaque établissement scolaire. Nous travaillons sur la mise en place dans toutes les académies de France de référents laïcité pour accompagner, pour soutenir les enseignants lorsqu'ils ont des questions qui se posent, des difficultés. Nous sommes extrêmement attachés à promouvoir, pas simplement à imposer la neutralité, mais à promouvoir l'esprit de laïcité dans ce qu'on apprend aux enfants à l'école. C'est pour cela que nous travaillons sur l'enseignement moral.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'enseignement du fait religieux, matière à part entière ou pas ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
L'enseignement moral et laïc, c'est comme ça qu'il s'appelle exactement. L'enseignement moral et laïc va se mettre en place à la rentrée 2015.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matière à part entière ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, oui, oui. Absolument, à la rentrée 2015.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans quelles classes ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
A partir du primaire, sur tout le long du parcours, et ce sera un enseignement qui aura vocation à accompagner les élèves pour se forger un jugement de citoyen, un jugement libre et éclairé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment s'appellera la matière ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Enseignement moral et laïc. Donc un jugement libre et éclairé, à lutter contre le racisme, à promouvoir l'esprit même de la laïcité, c'est-à-dire à la coexistence, le vivre ensemble. C'est donc un vrai progrès.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai une dernière question. Le voile lors des sorties scolaires, tout le monde vous demande de préciser votre pensée.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ma pensée est parfaitement claire. Je suis opposée au prosélytisme et je laisse aux équipes enseignantes sur le terrain les outils pour s'y opposer. Le prosélytisme religieux n'a rien à faire à l'école et aux abords de l'école.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc une maman voilée ne doit pas accompagner les enfants en sortie scolaire.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça veut dire précisément qu'un parent qui vient dans un comportement prosélyte, que ça passe d'ailleurs par une tenue ou que ça passe sur des propos, un parent donc prosélyte n'a pas en effet à accompagner de sortie scolaire. Un parent, une maman avec un foulard, en revanche qui fait preuve de coopération avec le service public de l'éducation et propose d'accompagner une sortie scolaire sans aucun prosélytisme, j'estime qu'il faut privilégier le dialogue et le travailler avec les familles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Merci à vous
source : Service d'information du Gouvernement, le 9 décembre 2014