Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à "Commercant Daily", le 12 mai 1999, sur la création d'une "force de sécurité" pour garantir la mise en oeuvre de l'autonomie substantielle du Kosovo.

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Média : Commercant Daily - Presse étrangère

Texte intégral

Q - L'accord du G8 à Petersberg parle d'implantation des "forces de sécurité" au Kosovo. Sous quel drapeau, avec quelle arme et sous quel commandement voyez-vous le déploiement de ces forces ? Quel statut légal en ce cas pourrait avoir cette province yougoslave ? Etes-vous prêt à négocier avec Milosevic ?
R - Le communiqué du G8 parle précisément du déploiement d'une "présence internationale de sécurité", mais il ajoute qu'elle doit être efficace et capable de garantir la mise en oeuvre de la solution prévue pour le Kosovo.
Compte tenu des missions qui seront confiées à cette force, comme la garantie du retour en toute sécurité des réfugiés ou la démilitarisation de l'UCK, il devra s'agir, à l'évidence, de forces militaires. C'est le Conseil de sécurité, dans le cadre de la résolution que nous allons préparer maintenant, qui devra en décider la création. Cette force devrait, selon nous, associer des contingents issus des pays de l'OTAN, la Russie et d'autres pays, par exemple de la région.
La tâche de cette force sera difficile. La chaîne de commandement devra donc être simple et efficace. Il faut éviter ce qui s'était passé en Bosnie au début.
Le statut légal prévu pour le Kosovo par l'accord du G8 reste celui envisagé à Rambouillet : une autonomie substantielle. D'ailleurs, nous avons rappelé à Bonn la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République de Yougoslavie comme, bien sûr, des autres pays de la région.
Mais, compte tenu de ce qui s'est passé au Kosovo, il nous paraît indispensable que celui-ci soit placé provisoirement sous administration internationale dans les conditions que décidera là aussi le Conseil de sécurité des Nations unies. L'Union européenne nous paraît la mieux placée pour remplir cette tâche.
Quant à votre question sur le président Milosevic, elle ne se pose pas en termes de négociation : il connaît parfaitement les exigences de la communauté internationale.
Q - On dit que la première victime de guerre est la vérité. Pouvez-vous affirmer qu'il ne s'agit pas de vengeance spontanée des Serbes au Kosovo, mais d'épuration ethnique systématique, planifiée d'avance à Belgrade ? Quelles preuves des exactions serbes avez-vous présenté au Procureur du TPIY Louise Arbour ?
R - Il n'y a malheureusement aucun doute sur l'ampleur et l'intensité des massacres et des violences de toute nature, ni sur l'extrême cruauté des moyens employés pour terroriser les populations albanophones du Kosovo et les chasser de chez elles.
La planification de ces mesures parait très vraisemblable, ne serait ce qu'en raison de leur rapidité, de leur répétition vérifiable ces dernières années. Quant aux documents que nous avons transmis à Mme Arbour, ils doivent évidemment, selon les règles du TPI, rester confidentiels.
Q - Tandis que les dégâts militaires de l'armée yougoslaves restent indéfinis, la Croix Rouge internationale parle déjà de catastrophe humanitaire en Serbie, causée par les bombardements. Quelles mesures minimums exigez-vous de la part de Belgrade pour que l'OTAN les arrête ?
R - Vous savez que les bombardements ont pour objet de mettre un terme à la capacité de l'armée yougoslave de réprimer et de poursuivre ses exactions. Quant à la solution politique, elle se trouve dans les cinq points formulés par la communauté internationale et repris dans la déclaration du G8. Outre ce qui concerne le statut futur du Kosovo, Belgrade devra arrêter les exactions, entamer le retrait des forces dans des conditions incontestables et vérifiables, reconnaître le droit au retour des réfugiés dont la mise en oeuvre passe par le déploiement d'une force internationale de sécurité.
Q - Ne croyez-vous pas que la grande gagnante dans cette crise ne sera pas le pays qui proposera la stratégie de guerre mais le plan de paix, accepté par tous ? Est-ce que la France proposera de nouvelles initiatives de règlement pacifique en Yougoslavie lors de la visite imminente à Moscou du président Jacques Chirac ?
R - La France a déjà pris de nombreuses initiatives pour que soit trouvée une solution politique à la crise du Kosovo. Rappelez-vous les mois d'efforts du groupe de contact, et Rambouillet ! Elle en a encore pris récemment pour que le G8 se tienne et aboutisse à un résultat positif. Elle va évidemment continuer pour aboutir à l'adoption dès que possible d'une résolution par le Conseil de sécurité. Le travail est en cours sur ce plan.
Ma rencontre le 11 mai avec M. Ivanov, celle du jeudi 13 entre les deux présidents, celle du 24 mai entre les deux Premiers ministres seront autant d'occasions de poursuivre ce travail.
J'ajoute l'importante visite qu'effectue à Pékin cette semaine le chancelier Schroeder qui redira aux dirigeants chinois combien les alliés occidentaux sont consternés de l'erreur de cible qui a entraîné la destruction de l'ambassade de Chine à Belgrade.
Q - Est-ce que Moscou reste toujours un partenaire stratégique pour Paris ? Quelle est votre réaction aux derniers efforts diplomatiques de la Russie ?
R - La Russie reste naturellement pour la France un partenaire stratégique. C'est vrai aujourd'hui comme à long terme, sur le plan bilatéral comme sur le plan européen. Les efforts diplomatiques récents de la Russie sont importants. La Russie a un rôle à jouer pour que le Kosovo soit demain vraiment en paix, vraiment sûr et que les uns et les autres puissent y cohabiter. C'est un rôle qui ne peut être joué par aucun autre pays, même si cela ne peut aboutir, bien sûr, qu'en étroite coopération avec les partenaires européens et occidentaux de la Russie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 1999)